Regards sur la franchise

Publié le 09/10/2018

La franchise occupe l’espace marchand et l’espace juridique depuis plusieurs années avec les contentieux qui ont accompagné son développement. Elle est un puissant levier de développement économique pour ceux qui la font vivre. Elle met en scène des femmes et des hommes et des moyens financiers dont les intérêts se croisent ou divergent selon les circonstances. Elle crée des enthousiasmes et des déceptions. Elle est mouvante dans ses pratiques. L’objet de cet article est d’en parler autrement que sous l’angle jurisprudentiel pour mieux en comprendre les rouages.

I – Un monde en soi

La franchise agglomère l’argent, les hommes, les espoirs, les rêves, les ruines et les réussites. Elle révèle des ambitions, des forces, des peurs, des solidarités, des mensonges, des lâchetés. Elle porte en elle le dialogue et le conflit. Elle est convergence et divergence d’intérêts. Elle passionne et attire. Elle est rapport de forces. Elle est à l’image des femmes et des hommes qui en vivent, qu’ils soient franchiseurs ou franchisés. Elle a leurs qualités et leurs défauts qu’elle amplifie par leurs conséquences. Réussites éclatantes ou ruines complètes, soumission léthargique ou révolte, autant de possibles.

La franchise est une aventure. L’un s’arrime à l’autre pour réussir. Et vogue le navire, coursier des mers ou galère. La franchise repose sur la confiance, dans un homme, dans un produit, une entreprise, un concept, un savoir-faire. Sans confiance, pas de négoce, pas d’argent, pas de franchise. Mais derrière la confiance rodent la tentation d’en abuser et la perte de confiance. Les espoirs déçus, les promesses non tenues, les mensonges pour séduire minent la franchise aussi sûrement que le ressac érode la falaise.

La franchise est un théâtre où chacun joue son rôle avec plus ou moins de talent et de réussite. Certains acteurs ont le ton juste, d’autres surjouent et d’autres encore n’ont pas l’étoffe. La franchise est un miroir aux alouettes. Tout y brille pour attirer dans ses rets l’argent et la force de travail de ceux qui la feront vivre. Belles enseignes, jolies couleurs, beaux chiffres d’affaires, beaux résultats, sourires engageants, assurance d’être conseillé et assisté. Pour vous en convaincre, arpentez les allées des salons qui vendent de la franchise ou lisez les revues spécialisées.

La franchise porte le rêve de l’entreprise, de maîtriser sa vie, de ne plus être soumis à la hiérarchie salariale. Elle porte le rêve de la solidarité du réseau et du « gagnant-gagnant ». Il est difficile de résister à son appel quand on est jeune et entreprenant, confiant en soi et dans l’autre, ou lorsque, moins jeunes, les plans sociaux ou le désir de changer de vie rattrapent les quadragénaires.

La franchise est tout cela. Ce qui explique son succès et sa présence dans tous les secteurs de la vie économique.

II – Espace de liberté ou d’enfermement

La franchise utilise les ressorts de l’économie libérale. Une entreprise décide de devenir franchiseur pour vendre ses produits, pour vendre son concept, pour donner de la valeur à sa marque, pour se développer rapidement sur son marché sans investir elle-même. Le franchiseur utilise le puissant levier du réseau pour drainer les capitaux dont il a besoin pour se développer.

Le réseau est son premier marché, un marché captif, grâce auquel il s’assure des ventes et des ressources pour plusieurs années. Le système est malin. Le franchisé paye pour entrer dans le réseau (droit d’entrée), il paie pour utiliser le concept (la redevance), il paie la publicité de la marque qui ne lui appartient pas (redevance publicitaire), il paie les achats qu’il doit effectuer auprès du franchiseur ou de ses fournisseurs référencés (sans négociation), il paie des pénalités s’il se met en faute. En contrepartie, le franchisé achète l’usage d’une marque et d’un savoir-faire qui doit lui permettre d’exploiter de manière rentable son entreprise et lui apporter un avantage concurrentiel. Cela implique que la franchise puisse apporter le chiffre d’affaires et les marges nécessaires pour couvrir les charges de la franchise, les frais généraux de l’entreprise, les salaires du franchisé et laisser des bénéfices pour rémunérer le capital investi et renouveler les investissements. Dans une société commerciale classique, les associés apportent une somme d’argent – le capital et les comptes courants – pour financer l’entreprise commune avec laquelle ils espèrent créer et capitaliser de la valeur qu’ils se partageront à due concurrence de leurs droits.

Dans la franchise, les franchisés apportent leurs capitaux au franchiseur et mettent leurs entreprises à sa disposition sans y être associés et sans pouvoir capitaliser la valeur qu’il lui apporte. Le réseau n’est pas une société commerciale dans laquelle le franchiseur et les franchisés seraient associés, mais il est une entreprise commune, au sens premier du mot, puisqu’ils entreprennent ensemble un projet commercial dont ils sont les acteurs et dans lequel chacun apporte ses capitaux et sa force de travail. L’usage de la liberté de créer une entreprise, de commercialiser des produits ou des services, d’organiser leur distribution vers le consommateur final est par nature libéral.

Cette liberté se traduit dans les contrats de franchise. Le franchiseur en est toujours le seul rédacteur et il est libre d’y mettre ce qu’il veut, dès lors qu’il ne contrevient pas à l’ordre public. Autant dire que ses marges de manœuvre sont importantes. Cette liberté unilatérale fait que le contrat ne se négocie pas. Il est à prendre ou à laisser. Le contrat de franchise est un contrat d’adhésion auquel le franchisé doit se soumettre s’il veut entrer dans le réseau. À défaut il n’y entre pas, sauf à de très rares exceptions près lorsqu’il parvient à négocier un avenant qui aménage certains aspects des relations. Le franchiseur utilise la liberté contractuelle dont il dispose pour imposer des obligations justifiées (comme le respect du savoir-faire, la formation, le paiement des redevances et des marchandises, le respect du concept) et des obligations qui le sont moins ou qui sont franchement abusives (comme les interdictions de contracter avec d’autres réseaux non concurrents, de pouvoir céder librement son entreprise, de s’affilier à un autre réseau à l’expiration du contrat).

S’il est conforme à l’esprit du contrat de franchise d’imposer le respect des règles qui permettent d’utiliser le savoir-faire sans le dénaturer, celles qui empêchent le franchisé d’être un commerçant réellement indépendant ne le sont pas. Ce sont d’ailleurs les clauses privatives de liberté qui sont le plus souvent à l’origine des procès. La liberté contractuelle que s’octroie le franchiseur supprime souvent la liberté d’entreprendre du franchisé. L’économie de la franchise repose théoriquement sur un équilibre dans la répartition des gains qu’elle génère entre le franchiseur et le franchisé. Il faut que chacun puisse en vivre. Il s’agit de la théorie… Mais curieusement cet équilibre économique théorique ne se retrouve pas toujours en pratique. Dans les contrats de franchise, le déséquilibre entre les droits et obligations du franchiseur et ceux du franchisé est flagrant. Trop souvent la franchise utilise la liberté d’entreprendre pour assujettir juridiquement et économiquement le franchisé à des contraintes qui vont au-delà du nécessaire et de la raison.

III – Un monde clos

Le réseau de franchise est un monde clos. On y entre par agrément. Il faut montrer qui l’on est, d’où l’on vient, ce que l’on sait faire, ce que l’on veut faire et il faut surtout justifier des apports financiers dont on dispose personnellement ou par emprunt. Nul n’y entre sans être personnellement choisi.

Le contrat est d’ailleurs signé intuitu personae, en considération de la personne du franchisé qui exercera les responsabilités. Le franchisé est d’abord une personne physique choisie pour ses qualités apparentes. Dès son adoubement, le franchisé est tenu au secret. Il devra signer un contrat dans lequel il s’engage à ne rien dévoiler des secrets qui lui seront communiqués. De quels secrets s’agit-il ? De ceux qui entrent dans la composition du savoir-faire. Ce fameux savoir-faire sans lequel il n’est point de franchise se définit comme un « ensemble d’informations pratiques non brevetées résultant de l’expérience du franchiseur et testé par celui-ci » avant de préciser qu’il « est secret, substantiel et identifié »1. C’est au nom de ce secret à protéger que la clause de non-concurrence post-contractuelle doit être justifiée. Il faut en effet que la clause soit « indispensable à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat » pour être valable2. Et cette obligation de respecter le secret est sans limite de temps, sauf à ce que le savoir-faire secret soit éventé et tombe dans le domaine public.

Agréé personnellement, tenu au secret, le franchisé est ensuite affecté géographiquement à un endroit précis, dans un magasin spécialement validé par le franchiseur, dont il ne pourra pas sortir sans y être autorisé. La localisation de l’emplacement est un autre privilège du franchiseur qui est libre de l’agréer ou pas, tout déménagement imposant son autorisation à peine de résolution du contrat pour faute. La clôture de l’espace ne s’arrête pas aux murs du magasin mais s’étend géographiquement au territoire que le franchiseur affecte au franchisé. Territoire exclusif ou zone de chalandise, le périmètre au-delà duquel il est interdit d’aller chercher le client est imposé par le franchiseur qui gère le parc, le territoire et les emplacements. Vient ensuite le temps de l’exploitation pendant lequel le franchisé est pris par le quotidien de son métier. Le réseau devient une sorte d’abstraction en l’absence de relations horizontales entre les franchisés due à l’éloignement géographique, au manque de temps, et surtout à l’absence de structure organisée permettant des échanges. Le franchiseur organise plus volontiers l’isolement des franchisés que leur regroupement.

Aucun franchiseur ne propose spontanément aux franchisés de créer une association pour travailler ensemble à l’amélioration du réseau. Seuls quelques franchisés audacieux y parviennent, au risque de leur tranquillité. Certes, il existe parfois des commissions techniques qui réunissent quelques franchisés ponctuellement autour de sujets précis. C’est peu et souvent inutile, aux dires de ceux qui y participent. Soit les décisions sont déjà prises et la commission sert de faire-valoir, soit ses avis restent sans suite. Toujours est-il qu’il n’existe aucune structure institutionnelle au sein des réseaux susceptible de créer des liens horizontaux entre les franchisés pour échanger sur les sujets qui les concernent. Isoler pour mieux imposer, crainte de la protestation collective, refus d’entendre les critiques, le franchiseur utilise l’interdit et la sanction pour s’en prémunir.

Sous couvert de ne pas dénigrer l’enseigne, il impose la loi du silence. Jusqu’au jour où la pression et l’exaspération sont telles que le carcan vole en éclats. Monde clos car une fois qu’il est entré dans le réseau, le franchisé a souvent les plus grandes difficultés pour en sortir. Les murs juridiques sont subtils et souvent difficiles à franchir : clause de non-concurrence post-contractuelle d’un an pour le dissuader d’en sortir au risque de perdre son entreprise ; clauses empêchant la vente du fonds ou des titres sociaux à un tiers jusqu’à 5 ans après l’expiration du contrat pour dissuader l’enseigne d’accueil de s’intéresser au magasin sortant ; clause portant paiement d’un droit d’entrée prohibitif payable à la sortie du réseau uniquement pour décourager celui qui n’a pas les moyens d’acheter sa liberté ; clause d’agrément qui empêche de vendre librement son entreprise même au sein du réseau. Autant de contraintes qui empêchent de sortir librement et qui affectent la valeur de l’entreprise elle-même.

Avant de signer et d’entrer dans un réseau, il faut toujours regarder comment en sortir.

IV – Une séductrice

Pour attirer un franchisé, il faut le séduire.

Séduction humaine

Le franchiseur et ses collaborateurs chargés du développement sont avant tout des « commerciaux » qui vendent de la franchise. Ils doivent séduire pour attirer celui qui cherche un franchiseur et le convaincre d’investir dans son réseau plutôt que dans celui du concurrent qui vend la même chose. Le ressenti personnel et le contact créé avec tel ou tel jouent un rôle important dans la phase précontractuelle. Subjectifs et intuitifs, ils ne doivent pas anesthésier l’esprit critique. D’autant que le candidat franchisé, lorsqu’il est novice, est une proie facile puisqu’il est en demande et qu’il est souvent soumis à l’urgence : celle de trouver une enseigne, d’avoir une activité professionnelle ou plus prosaïquement nécessité de gagner sa vie.

Les développeurs connaissent bien ces profils de franchisés confiants, les yeux pleins d’espoirs et déjà heureux de la nouvelle vie qui se profile. Évidemment avec ceux qui la connaissent mieux, le jeu de la séduction sera différent. Le discours sera plus tendu, plus « pro », moins enrobé. Il faudra jouer plus serré. Mais pour eux aussi l’état de nécessité existe lorsqu’il faut changer d’enseigne sans interrompre l’activité de son entreprise.

L’humain est au centre des relations qui se créent.

Séduction par l’argent

Franchise dit commerce, commerce dit argent, argent dit chiffres d’affaires, résultats, revenus.

Le franchiseur doit donc expliquer qu’avec son concept exploité à tel endroit, le chiffre d’affaires sera suffisant pour produire un résultat bénéficiaire. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre… Les études de marché sont donc essentielles et aucun franchiseur sérieux ne peut s’en dispenser, ne serait-ce que pour connaître son futur volume d’affaires avec le franchisé et surtout – espérons-le – pour s’assurer que le franchisé pourra réitérer sa réussite et exploiter la franchise de manière rentable.

Personne n’investira dans une franchise s’il est assuré de faire des pertes. Il faut donc que le projet soit présenté comme étant rentable. Et le franchiseur qui sollicite les capitaux d’un franchisé en avançant des chiffres inexacts ou surévalués engagera sa responsabilité.

Ce qui explique qu’un grand nombre de franchiseurs refuse de faire des études de marché – ou refuse de communiquer celles qu’ils réalisent – par peur d’être tenus responsables d’études défectueuses qui surévalueraient le potentiel, au risque de fausser complètement les comptes d’exploitation prévisionnels et partant, la rentabilité effective de la franchise.

L’explication de cette crainte se trouve dans la jurisprudence qui sanctionne les franchiseurs auteurs d’études de marché peu sérieuses destinées à faire croire à la rentabilité d’un projet qui ne l’est pas.

Pourtant la loi oblige les franchiseurs à remettre au franchisé, 20 jours avant la signature du contrat, un document devant contenir un état local du marché des produits qui sont l’objet du contrat avec ses perspectives de développement3, communément appelé étude de marché, n’en déplaise à la Cour de cassation qui ne le comprend pas toujours.

Séduction par le concept

Enseigne, aménagement intérieur, produits, logistique d’approvisionnement, collections, le franchisé doit être séduit par le concept dans lequel il travaillera et les produits ou services qu’il vendra.

V – La franchise et le juge

Le contentieux de la franchise est abondant. Disons-le tout de suite, le droit de la franchise n’existe pas en tant que tel. Le contentieux emprunte au droit des contrats, au droit de la distribution, au droit de la concurrence, au droit interne, au droit communautaire, au droit social, au droit des sociétés, bref à tout l’arsenal juridique qui tombe sous la main pour établir un principe, fixer des règles, créer des droits. Au début le terrain était vierge. Il a donc fallu créer la jurisprudence de toutes pièces à partir des milliers de situations conflictuelles qui se révélaient au fur et à mesure que la franchise prenait de l’ampleur dans la vie économique.

Au fil du temps, après d’âpres combats et de nombreuses controverses, après de belles réussites comme après de douloureux échecs, les décisions des juges ont balisé un chenal, jamais droit, mais qui sinue selon les époques et l’évolution des choses. Le droit de la franchise n’est pas immuable mais en construction permanente. Il est le fruit des procès. Une règle posée après une longue lutte peut s’évanouir dans le temps, limée par de nouvelles décisions qui en réduiront la portée ou au contraire elle pourra se consolider au point de devenir un principe… jusqu’à ce qu’elle soit renversée ou amendée quelques années plus tard. La jurisprudence dessine des lignes de fonds qui sont par nature mouvantes et incertaines. Elles dépendent des dossiers, des avocats qui les plaident et de l’opinion des juges qui tranchent.

Le droit s’interprète selon des faits, des arguments et la conviction subjective du juge. Un même dossier sera jugé positivement par l’un et négativement par l’autre sans que leurs décisions soient critiquables en droit. C’est ainsi que la justice des hommes habille les faits du manteau du droit.

Le contentieux de la franchise est un contentieux influencé par l’époque, par le contexte économique mais aussi par l’environnement intellectuel, les intervenants dans les colloques, les articles des juristes dans les journaux spécialisés sans oublier le lobby des acteurs institutionnels de la franchise, fédérations et autres. Bref il est influencé par tous ceux qui travaillent le sujet.

Le contentieux est ensuite commenté par les professeurs de droit selon leurs sensibilités. La production de la jurisprudence est cyclique : les faits litigieux créent le procès, les arguments des avocats proposent des solutions, les juges disent le droit selon ce qu’ils pensent des faits et des arguments qui leur sont soumis, la doctrine commente les décisions, et lors d’un nouveau procès, les arguments reprendront les décisions et les commentaires précédents pour les approuver ou les contredire.

La jurisprudence aura toujours un temps de retard sur la réalité du moment. Elle dit le droit pour des situations passées même si elle permet aussi d’éclairer l’avenir en cernant ce qui est licite ou pas, abusif ou acceptable. Mais elle aura toujours un temps de retard par rapport à l’évolution des pratiques. Le monde de la franchise est évolutif et réactif et il sait s’adapter à la jurisprudence pour la contourner quand elle le gêne.

Les litiges existeront tant que les intérêts des franchisés et des franchiseurs s’opposeront et les contentieux continueront d’ouvrir des brèches dans les murailles contractuelles ou d’en consolider d’autres.

VI – Intérêt commun et intérêts contraires

La franchise évoque souvent l’intérêt commun. La loi elle-même retient le mot4 sans toutefois que les juges en donnent un contenu juridique précis ou en tirent des conséquences.

L’intérêt commun est le point de rencontre des intérêts du franchiseur et du franchisé. Il ne couvre pas toute la relation de franchise, mais une partie seulement. Cette partie est ténue et fragile parce qu’elle se situe justement au point de rencontre d’intérêts contraires. Les frottements y sont donc plus sensibles qu’ailleurs, d’autant qu’ils mettent souvent en jeu les raisons de fond qui ont justifié la signature du contrat par chacun. Lorsque les parties signent le contrat de franchise, elles ne le font pas pour satisfaire un intérêt commun mais pour satisfaire leurs intérêts personnels. Chacun espère retirer de la relation des avantages qui lui seront propres. Il n’y a pas d’altruisme. Le contrat n’est pas signé pour satisfaire les intérêts de l’autre. Il est d’ailleurs remarquable de constater qu’aucun contrat ne consacre ne serait-ce qu’un article à définir l’intérêt commun.

Les franchiseurs, rédacteurs des contrats, consacrent au mieux le quart du contrat à définir leurs obligations et les trois quarts à préciser celles du franchisé. Mais sur l’intérêt commun, rien. Il serait pourtant simple de le définir et d’en faire une clé de lecture lorsque les intérêts contraires s’affrontent. La définition de l’intérêt commun dans chaque réseau serait un juge de paix en cas de divergences ou de comportements inappropriés.

Cette absence de définition de l’intérêt commun dans les contrats s’explique peut-être parce que le franchiseur n’y voit pas son intérêt, à moins que ce soit un manque d’imagination ou encore la peur de perdre une parcelle du rapport de force qu’il crée dans le contrat à son avantage. Pour autant, aucune de ces raisons ne suffit à justifier l’absence d’article décrivant l’intérêt commun du franchiseur et du franchisé dans le contrat et ses effets sur les obligations de chacun. Cette absence ne signifie pas qu’il n’existe pas. Il faut simplement le débusquer entre les lignes du contrat, dans le Code de déontologie européen de la franchise, dans les normes ou dans les pièces du dossier. Travail méticuleux d’analyse. Si la franchise invoque souvent l’intérêt commun c’est pour mettre en avant l’idée que le franchiseur et le franchisé sont sur le même bateau et que ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre.

Cette image d’Épinal doit être nuancée. Il est vrai que le franchisé et le franchiseur sont liés par des liens très forts. Force juridique du contrat et force économique de leurs échanges dont leurs entreprises sont totalement dépendantes.

Mais dire que ce qui est bon pour l’un l’est aussi pour l’autre suppose de définir ce qui est bon. Est-ce le chiffre d’affaires, les marges, les charges de la franchise, le maillage du territoire, la force de la marque ? Précisons.

Le chiffre d’affaires réalisé par le franchiseur avec le franchisé ne se confond pas avec le chiffre d’affaires que le franchisé réalise avec ses clients. Par exemple, en cas de mévente, le surstock pèsera sur le franchisé, pas sur le franchiseur. Lorsque le franchiseur décide de baisser les prix aux consommateurs à la faveur d’opérations commerciales, c’est le franchisé vendeur qui en supporte l’impact sur sa marge. Lorsque le franchiseur augmente ses prix de cession tout en imposant aux franchisés de ne pas dépasser des prix maximums, il rogne encore la marge du franchisé sans amputer la sienne.

Lorsque le franchiseur multiplie les ouvertures de magasins à son enseigne, il optimise sa présence sur le territoire, augmente ses ventes et renforce sa marque, mais il affaiblit aussi le franchisé déjà installé qui voit un concurrent vendre exactement la même chose que lui à proximité de son magasin, entraînant une baisse de son chiffre d’affaires voire une guerre des prix.

Lorsque le franchiseur fait de la publicité nationale pour sa marque, il lui donne de la visibilité ce qui aide le franchisé à vendre la marchandise. Mais lorsque cette publicité sert à recruter des franchisés ou que la redevance sert à couvrir certains frais généraux du franchiseur, sans créer de trafic client vers les franchisés, l’intérêt commun se dilue. L’intérêt commun qui existe dans chaque réseau devrait être défini dans le contrat de franchise parce qu’il en est l’esprit et qu’il se situe au point de rencontre d’intérêts contraires. Sa force et son intérêt sont de dynamiser la franchise mais aussi de donner une limite aux excès car l’intérêt commun porte en lui une forme de sagesse et d’équité. Il serait bon que l’imagination des rédacteurs de contrats et des juges s’empare de cette notion si riche de possibles.

VII – Le savoir-faire

Il existe autant de savoir-faire que de franchises. Chaque réseau possède le sien.

Deux franchiseurs faisant le même métier auront chacun leur « tour de main ». C’est vrai pour un médecin ou un avocat comme ça l’est pour les enseignes de grande distribution, un réseau de fleurs, de vente de chocolats ou de vêtements, etc.

Le savoir-faire est défini5 comme un ensemble d’informations pratiques non brevetées résultant de l’expérience du franchiseur et testées par lui. Il est donc le fruit d’une expérience testée. Ce dont il se déduit qu’avant d’être franchisée, le savoir-faire doit être mis à l’épreuve de la réussite et de sa rentabilité. À défaut de respecter cette règle de principe, le franchiseur sera au mieux un inconscient et au pire un filou.

Le savoir-faire franchisé doit être secret, substantiel et identifié. Secret dans le sens où l’ensemble des éléments qui le compose ne sont pas généralement connus ou facilement accessibles. Difficile de donner du contenu à l’immatériel. Avec la même farine et le même four deux boulangers feront deux pains différents. Question de savoir-faire. Il en est de même en franchise. Deux réseaux faisant le même métier auront des performances différentes.

Les hommes qui dirigent, leur politique, leur clairvoyance, l’esprit qu’ils insufflent dans le réseau sont autant d’ingrédients qui différencient leurs savoir-faire. Le savoir-faire doit être substantiel, ce qui est la moindre des choses. Il faut du contenu, du solide, du concret. Il faut qu’il contienne des informations indispensables à la vente du produit ou du service. Techniques de vente, agencement de l’offre, mise en œuvre des processus, outils de gestion, bref tout ce qui est utilisé pour exploiter le concept entre dans la composition du savoir-faire. Mais ce qui le distingue du banal, c’est sa finalité. Car le savoir-faire en franchise doit permettre d’améliorer la position concurrentielle du franchisé lorsqu’il signe le contrat, en améliorant ses résultats ou en l’aidant à entrer sur un nouveau marché.

Ce dont il se déduit qu’il doit permettre d’exploiter de manière rentable la franchise là où elle sera concédée. Enfin le savoir-faire doit être identifié et décrit de façon suffisamment complète pour le rendre accessible au franchisé qui l’utilisera. Sa description permettra aussi de vérifier qu’il possède bien le caractère secret et substantiel qui le caractérise. Cette description se retrouvera le plus souvent dans le « manuel opératoire » remis au franchisé et plus rarement dans le contrat. Il est même surprenant de constater que le contrat de franchise ne traite que très rarement du savoir-faire. S’il utilise le mot, il ne lui donne pas de contenu. Tout juste devine-t-on ce qui sera vendu, et encore.

Entendons-nous. Il ne s’agit pas d’entrer dans le détail du savoir-faire et de l’exposer à tous les vents mais simplement d’en dessiner les contours pour au moins savoir ce sur quoi il porte et s’il a du contenu. Pour quelle raison les contrats de franchise sont-ils aussi discrets sur ce qui en est l’objet ? Est-ce parce que le franchiseur ne sait pas vraiment définir son savoir-faire ? Est-ce par crainte de révéler sa vacuité ? Est-ce au contraire pour le cacher aux yeux de tous ? Est-ce pour échapper à son analyse pour éviter le risque d’être disqualifié juridiquement en banal contrat commercial, voire en contrat de travail ?

Toujours est-il que les contrats de franchise font preuve d’une surprenante discrétion ou d’un certain flou lorsqu’il s’agit de définir et d’évoquer le savoir-faire.

VIII – La hiérarchie

L’une des règles non écrites de la franchise est le respect de la hiérarchie. Au sommet, règne le franchiseur. Il a les pleins pouvoirs. Il a droit de vie et de mort (juridique et économique) sur le franchisé. Il adoube ou exclue. Il est le maître.

Son pouvoir ne se discute pas. C’est lui qui a conçu le réseau dont il fait son fief. Plus le réseau est petit et plus la personnalité et la force du chef est grande. Son autorité ne se discute pas. Le franchisé lui doit tout. Toute critique est un crime de lèse-majesté. Pire, de l’ingratitude.

Le chef ne se trompe jamais. Si le franchisé échoue, c’est de sa faute. Il n’avait qu’à ne pas être crédule, il n’avait qu’à vérifier les informations embellies, voire fausses, qui lui ont été données. Après tout, le franchisé est un commerçant indépendant. Dans le commerce, trompe qui peut. Qu’il assume le risque du chef d’entreprise et qu’il dépose son bilan en silence.

Sa réussite à lui, franchiseur, ne prouve-t-elle pas que le franchisé ruiné n’était pas l’homme de la situation ? Un égaré dans un monde pas fait pour lui qui aurait voulu jouer au chef d’entreprise alors qu’il n’était qu’un maladroit. Parce que le franchiseur n’est responsable de rien. Il n’est pas responsable du choix du franchisé qu’il a recruté et à qui il demande d’investir plusieurs centaines de milliers d’euros dans son réseau. Il n’est pas responsable du choix de l’emplacement même s’il est seul à pouvoir l’agréer. Il n’est pas responsable des études de marché qu’il réalise ou qu’il valide. Il ne surestime jamais ses chiffres prévisionnels pour attirer le franchisé et s’ils ne sont pas atteints c’est toujours de la faute du franchisé.

Pourtant les chiffres, il faut quand même les donner pour attirer et donner de l’espoir, sinon personne ne signerait. Alors, le franchiseur les donne verbalement, presque sous le manteau, pour ne pas laisser de traces compromettantes. Et si parfois il se risque à un papier, il sera anonyme, sans traçabilité pour ne pas remonter à la source. Le chef est un malin. Le concept non plus n’est jamais en cause. Si la rentabilité n’est pas là, ce n’est jamais à cause de l’emplacement, jamais à cause des livraisons défectueuses, jamais à cause des marges insuffisantes, des mauvaises collections, du manque de clients ; jamais à cause du manque de chiffre d’affaires, de l’augmentation des charges de la franchise, des changements de politiques commerciales, jamais à cause de l’incompétence des responsables de la franchise.

Non, dans le monde de la franchise, le franchisé est toujours responsable de son échec, jamais le franchiseur, car il est le meilleur et son ego ne souffre pas la critique.

Fermez le ban. Je n’exagère pas. Ces remarques sont un résumé partiel des arguments des franchiseurs trop souvent entendus sur le sujet.

IX – Le franchiseur

Le franchiseur-type n’existe pas. Il y a celui qui s’est fait tout seul en créant de toutes pièces le concept et qui cherche à se développer rapidement grâce au levier de la franchise. Le prudent testera son concept en situation réelle avant de le vendre. L’imprudent vendra des franchises avant même d’avoir finalisé et testé son concept. Il y a l’entrepreneur déjà installé qui rêve de se développer. L’un se lancera dans l’aventure avec la foi de celui qui a réussi et avec la naïveté qui consiste à penser qu’un réseau de franchise se dirige comme sa propre entreprise. L’autre utilisera la franchise parce qu’il jugera que le réseau est un bon moyen pour enrichir ses compétences et mutualiser des moyens. D’autres voient dans le réseau un marché captif et ne voient dans la franchise qu’un débouché pour leurs produits. D’autres encore utilisent le réseau pour négocier des conditions d’achat à leur seul avantage auprès des fournisseurs référencés. La taille du franchiseur n’est pas un gage de compétence ou de sécurité.

Deux petits franchiseurs. L’un saura être proche du terrain et à l’écoute du réseau. Avec peu de moyens, de la compétence et de l’écoute, il saura adapter le concept pour le rendre attractif et compétitif. L’autre sera fermé, autoritaire et brutal.

Deux gros franchiseurs. L’un sera structuré avec du personnel compétent et une logistique rodée, réactive et performante. L’autre manquera de réactivité, le turn-over de son personnel empêchera la bonne diffusion du savoir-faire, n’écoutera pas les remontées commerciales du réseau, gérera les approvisionnements non pas selon les besoins commerciaux des franchisés mais selon ses priorités de production.

La maîtrise du capital de la société-franchiseur n’est pas non plus un gage de qualité. Tel franchiseur, maîtrisant son capital, disposera d’une entière liberté pour mettre en œuvre sa politique commerciale sur du moyen et long terme. Tel autre, simple responsable opérationnel aux ordres d’un fonds d’investissement, devra suivre les directives de ses actionnaires, chercher de la rentabilité à court terme sur les franchisés en vue d’une revente du réseau avec profit à 5 ans, situation qui est rarement bénéfique pour les franchisés qui passent de mains en mains et subissent les politiques de rentabilité d’investisseurs financiers peu intéressés par l’avenir du réseau à long terme. Mais il arrive que des investisseurs financiers remettent d’aplomb une franchise en difficulté parce qu’elle était mal gérée par son fondateur, comme il arrive aussi que des fonds nuisent à un réseau qui marchait bien en confondant un peu trop commerce et finance, rentabilité à court terme et développement commercial à moyen terme, retour sur investissements à 5 ans et contrats de 7 ans et plus.

Ceci pour dire qu’il n’y a pas un modèle idéal de franchiseur. Les hommes, l’organisation de leur entreprise, la maîtrise du capital et la politique menée varient selon les hommes, les circonstances et les époques.

X – Le franchisé

Certains sont commerçants de plus ou moins longue date, d’autres viennent du salariat, d’autres encore se lancent à la sortie de l’école dans le grand bain de la vie des affaires. Les motivations du franchisé sont multiples : besoin de gagner sa vie, reconversion volontaire ou forcée (licenciement), occuper le temps, être son propre patron, participer à une grande aventure, gérer tranquillement son magasin, en ouvrir plusieurs pour créer un groupe familial, être multi franchisé ou master franchisé.

Les compétences requises du franchisé dépendent des concepts. Pour l’un, le négoce sera privilégié et pour l’autre, ce sera la gestion financière. Chez l’un ce sera le management et chez l’autre la relation personnelle avec le client. Mais en réalité, il doit être tout cela à la fois.

Le franchisé doit choisir un concept adapté à son caractère, à sa formation, à ses aptitudes, à ses compétences et à ses aspirations. Et le franchiseur qui l’agrée doit s’assurer qu’il répond aux qualités requises pour le concept. C’est la responsabilité du franchiseur de bien choisir les franchisés pour préserver la qualité du réseau et ne pas entraîner un candidat dans une aventure qui risque d’être sans retour. Cela implique que le franchisé connaisse ses compétences et ses limites et que le franchiseur s’en assure par des entretiens sérieux dans la phase précontractuelle avant de s’engager.

Chaque réseau possède sa typologie de franchisés. Dans tel réseau de fast-food, le profil sera plutôt celui d’un gestionnaire pointu, dans tel autre, ce sera au contraire celui d’un animateur d’unité de vente, ces deux qualités ne s’excluant évidemment pas. Dans un autre réseau, le franchisé sera un véritable chef d’entreprise avec sa part d’autonomie alors que dans un autre, il sera plutôt l’exécutant du franchiseur. Selon les métiers, le franchiseur recrutera plutôt des femmes que des hommes ou inversement.

La personnalité du franchisé n’est pas neutre. Sa présentation, son contact, sa formation, son passé professionnel, son caractère sont autant de marqueurs qui le caractérisent. Sa personnalité contribue à sa réussite ou à son échec, mais elle n’y suffit pas à elle seule. La personnalité du franchisé s’exprime toujours sur le terrain balisé et cadré du concept qu’il doit respecter. Il ne doit pas s’en écarter, ni prendre d’initiatives personnelles autres que celles requises pour mettre en œuvre le savoir-faire ou celles spécialement autorisées par le franchiseur.

Il lui est surtout demandé de ne pas faire preuve d’originalité, mais simplement de rigueur dans le respect des normes qui sont imposées par la mise en œuvre du savoir-faire. Sa personnalité doit donc être adaptée au concept. Pour cela, le franchisé doit faire preuve de lucidité sur lui-même, tout comme le franchiseur qui est seul responsable de son recrutement et qui doit s’assurer que celui qui frappe à la porte du réseau possède bien les aptitudes requises.

La sélection du franchisé par le franchiseur est aussi importante que la sélection du franchiseur par le franchisé.

XI – La création de valeur

La création de valeur passe par l’argent. L’argent est au cœur de la franchise.

Le franchisé en donne au franchiseur pour entrer dans le réseau (droit d’entrée, investissements), argent qu’il aura économisé ou qu’il aura emprunté à la banque qu’il devra rembourser. Il en donne pendant le contrat (redevances, achats, services) et il peut être amené à lui en donner à la sortie, selon les circonstances de la sortie (indemnités de sortie anticipée). En contrepartie, le franchisé espère gagner de l’argent pour couvrir ses investissements, payer ses charges fixes et variables, réaliser des profits et donner de la valeur à son entreprise.

Le franchiseur de son côté reçoit l’argent du franchisé – droit d’entrée, redevances, marges sur achats, ristournes des fournisseurs sur achats des franchisés – pour financer les investissements qu’il a engagés lorsqu’il a créé la franchise, pour couvrir ses charges d’exploitation, pour assurer le développement du réseau et pour dégager des profits et donner de la valeur à son entreprise.

La finalité de la franchise pour le franchiseur comme pour le franchisé est de gagner de l’argent, pour vivre d’un métier et donner de la valeur à son entreprise. C’est une évidence souvent occultée alors que l’argent est le carburant du système. Être franchisé d’une marque n’est pas un honneur octroyé par la grâce du franchiseur mais un moyen pour gagner de l’argent parce qu’il faut vivre. Être franchiseur n’est pas offrir son savoir-faire en partage par bonté d’âme mais c’est gagner de l’argent avec lui.

Toutefois cette création de valeur est inégale. La valeur de l’entreprise du franchiseur dépend de sa rentabilité qui dépend principalement de l’importance du réseau, de la rentabilité qu’il en retire directement ou indirectement, de la durée des contrats de franchise et de la valeur de sa marque.

La valeur de l’entreprise franchisée dépend principalement de son emplacement, de ses droits sur les locaux dans lesquels il exploite et bien sûr de sa rentabilité qui dépend de sa gestion mais surtout de la politique commerciale qui lui est imposée par le franchiseur. La valeur de l’entreprise franchisée dépend d’un seul contrat alors que celle du franchiseur repose sur un grand nombre de contrats. La création de valeur dans la franchise est déséquilibrée car le risque du franchisé n’est pas réparti et la création de valeur ne dure que le temps du contrat alors que pour le franchiseur, le risque est réparti sur l’ensemble du réseau et la création de valeur est pérenne tant qu’il renouvelle et signe de nouveaux contrats, pouvoirs qu’il est seul à détenir.

À la fin du contrat, la valeur de l’entreprise franchisée est amoindrie voire anéantie par les clauses de non-concurrence post-contractuelle ou les droits de préférence et d’agréments ou lorsque le franchiseur ouvre un nouveau magasin à proximité pour s’approprier sans la payer la clientèle locale créée par le franchisé. Si le franchiseur a toute liberté de vendre son entreprise à qui il veut, au prix qu’il veut, aux conditions qu’il veut, pendant le contrat et après son expiration, il n’en va pas de même pour le franchisé qui ne bénéficie d’aucune de ces libertés. Si le franchisé veut vendre son entreprise, il doit au contraire obtenir l’agrément du franchiseur et souvent lui réserver une priorité d’achat. Il se voit aussi imposer directement ou indirectement le prix de vente de son entreprise (par une formule contractuelle imposée, par la pression de l’agrément, par les délais de mise en œuvre des droits préférentiels), autant de contraintes qui entravent sa liberté de vendre pendant le contrat mais aussi très souvent après son expiration sur des durées pouvant aller jusqu’à 5 ans.

Les conditions de création de valeur pour le franchisé ne sont pas égales à celles du franchiseur, d’où l’intérêt pour le franchisé de s’assurer des conditions dans lesquelles il pourra créer et donner de la valeur à son entreprise avant de signer un contrat de franchise.

XII – Le droit et son économie

La franchise, c’est du droit et de l’économie. C’est de l’économie encadrée, planifiée, organisée. Si les franchiseurs revendiquent le libéralisme, il est curieux de voir qu’ils en refusent souvent les règles aux franchisés pour leur préférer celles du « centralisme démocratique » soviétique.

Tous les droits au pouvoir central du franchiseur, seul décideur du bien-être des franchisés qui dépendent de lui et le font vivre. L’organisation du modèle économique de la franchise est définie par le contrat qui n’est que du droit créé par celui qui le rédige. La liberté de création juridique du franchiseur est d’autant plus grande qu’il n’existe pas de droit spécifique à la franchise mais des usages et des règles de droit commun que le rédacteur du contrat s’évertue de contourner lorsqu’elles le gênent ou dans lesquelles il puise selon ses intérêts. Le contrat habille le moteur économique de la franchise et lui donne sa force coercitive. La lecture des obligations qu’il contient en donne l’économie.

Le droit est à la fois hors sol et enraciné dans le quotidien. Il règle des comportements et des situations particulières alors qu’il énonce des règles communes pour tous. Il est de portée générale mais d’application particulière. C’est l’habileté du législateur qui permet cette transmutation du cas particulier qui inspire la loi pour en faire un texte de principe, qui redescendra dans l’arène du quotidien au gré des conflits. Cette discipline qui consiste à confronter le droit au cas particulier suppose d’avoir une bonne connaissance des métiers, de leurs pratiques et des usages auxquels ils obéissent car les comportements et les agissements fautifs échappent souvent au regard du juge.

Il faut donc toujours reconstituer les faits litigieux après coup, ce qui est souvent difficile et parfois impossible. Le temps qui passe, l’imprévoyance dans la conservation de la preuve, la crainte de s’exprimer sont autant de raisons qui accroissent la difficulté. S’il existe de nombreux réseaux de franchise, les typologies de contrats le sont moins. Il faut en effet savoir qu’il y a peu de rédacteurs de contrats de franchise. Quelques dizaines tout au plus. Il est donc fréquent de retrouver des constantes propres à tel ou tel rédacteur dans des contrats rédigés pour des réseaux aux activités et à la culture différente.

Cette uniformisation, quels que soient les métiers, les tailles de réseaux, les structures des entreprises-franchiseur a pour effet de gommer les différences et de rigidifier le droit de la franchise alors qu’il devrait au contraire être souple et parfaitement ajusté aux spécificités de chaque réseau. L’autre effet de cette concentration juridique est le durcissement des contrats. Une clause dure apparaissant dans un contrat sera reprise dans un autre qui n’en a pas nécessairement besoin par facilité rédactionnelle ou mimétisme juridique.

Ces pratiques appauvrissent le champ contractuel de la franchise au lieu de l’enrichir.

XIII – Le réseau

Le réseau est une réalité économique sans existence juridique. Il est constitué du franchiseur et de l’ensemble des franchisés. Il est le bien commun. Chacun en est membre, chacun y participe, chacun le finance. Chacun tire parti de sa force. En faire partie, c’est appartenir à une structure organisée qui rassure ceux qui en sont mais aussi leurs clients. Notre époque vit d’images et produit du conformisme. À ce titre, la franchise est bien un produit de son temps.

Le réseau est un bien commun, chacun en est donc responsable. Entité à part entière, le réseau devrait être organisé. Or il ne l’est pas. À cela deux raisons principales : le franchiseur ne le souhaite pas par crainte de perdre son pouvoir et les franchisés ne se mobilisent pas faute de temps, de volonté ou d’en voir l’utilité. Pourtant le réseau est l’âme de la franchise. C’est lui qui marque l’appartenance, qui donne sa force à chacun et qui unifie. C’est lui qui donne de la visibilité commerciale et du pouvoir de négociation avec les fournisseurs et les partenaires. Il permet de tisser des liens horizontaux entre les franchisés qui, pour la plupart, ne se connaissent pas.

Le réseau est une maison commune qui n’appartient à personne en particulier mais à tous. Contrairement à une idée reçue, le franchiseur n’en est pas propriétaire mais simplement l’initiateur. Le réseau n’est pas un actif de son bilan. Il n’est pas un bien qui se vend car il ne peut vendre ce qui ne lui appartient pas. Le réseau en tant que bien commun implique que chacun puisse s’investir dans son fonctionnement.

Un réseau de franchise, c’est une structure, des moyens, des pouvoirs et des objectifs. Si le franchiseur ne souhaite pas lui donner de vie juridique propre, rien n’interdit aux franchisés de le faire parce que le réseau est un bien commun. La structure du réseau peut être formelle et matérialisée par une association, un GIE ou toute autre entité juridique. Elle peut aussi être informelle et créée de fait par la seule volonté de ceux qui décideront de la faire vivre. Les moyens dont la structure a besoin sont essentiellement humains et reposent sur le temps à lui consacrer et sur l’intelligence à lui apporter pour réaliser les objectifs convenus. Les pouvoirs du réseau sont ceux dont ses membres le doteront pour atteindre ses objectifs qui n’ont de limite que l’imagination ou la volonté de tous : tisser des liens entre les franchisés dispersés aux quatre coins de la France et outre-mer, négocier des conditions d’achat auprès des fournisseurs pour tous les produits qui ne sont pas concernés par les exclusivités contractuelles, faire du lobbying auprès des pouvoirs publics pour défendre des intérêts collectifs, servir de conciliateur en cas de tensions entre des franchisés ou avec le franchiseur, être un outil fédérateur face aux concurrents, etc.

Le chantier du réseau est à ouvrir. Il est passionnant. Tout est à construire. Le droit suivra, comme d’habitude.

XIV – La transformation

La franchise transforme. Elle transforme les femmes et les hommes, l’organisation du commerce, les relations inter-entreprises.

Le primo franchisé y entre avec des images assez idéalisées avant d’évoluer au gré des réussites ou des échecs. S’il vient du salariat, il sera confronté à une autre forme de hiérarchie, à sa propre mise en avant, au risque financier, aux nombreuses compétences nécessaires pour animer un commerce, une entreprise, des équipes. S’il surmonte ces difficultés, il s’enrichira personnellement voire financièrement. S’il échoue il pourra être ruiné moralement et souvent financièrement. En tout état de cause, le jeu est rude. Il exige de la lucidité, des compétences et le goût du risque entrepreneurial. Il demande d’abandonner les réflexes salariés et d’acquérir ceux d’un patron, dans son entreprise comme dans sa relation avec le franchiseur. Cette maturité entrepreneuriale sera plus ou moins facile à atteindre selon le caractère du franchisé, la personnalité du franchiseur ou selon la situation économique de son entreprise. Le franchisé confirmé se laissera moins facilement illusionner, quoique. Plus averti, il sera plus prudent dans l’approche économique et plus lucide sur les limites du système.

Chez le franchiseur, la transformation prend d’autres chemins. L’initiative de la création d’un réseau prouve le caractère, l’ambition et la volonté. Tout dépend ensuite de l’usage qu’il fera de ces qualités. Soit elles l’ouvriront vers l’échange, la concertation, l’équilibre des intérêts, la richesse partagée, le développement de projets adaptés, soit elles l’enfermeront dans l’autoritarisme, les menaces, les abus, les contraintes. Et entre ces deux extrêmes qui ne sont pas des caricatures, toutes les nuances existent.

La franchise transforme aussi les salariés du franchiseur chargés de l’animation, du développement ou de la direction du réseau. Selon leur caractère, le périmètre de leurs postes, l’ambiance chez le franchiseur, l’idée qu’ils se font du partenariat avec le franchisé, l’un évoluera en facilitateur constructif tandis que l’autre se transformera en petit chef autoritaire. La franchise transforme aussi l’organisation du commerce. Elle crée des chaînes (le mot n’est pas neutre) de magasins, elle uniformise les produits et leur mode de commercialisation, elle neutralise les différences par l’uniformité des couleurs et des agencements. Elle gomme les identités individuelles au profit d’une identité commune unique, celle du réseau et d’une marque. Le consommateur ne doit plus voir ce qui différencie un magasin d’un autre mais au contraire, il doit être assuré de trouver ici et là le même cadre, la même chose au même prix.

La franchise transforme même la propriété de la clientèle, cet actif commercial de tout fonds de commerce et de toute entreprise, puisqu’elle est partagée entre le franchiseur et le franchisé. Clientèle nationale attachée à la marque pour le franchiseur et clientèle locale attachée au franchisé qui la crée avec les moyens qu’il met en œuvre pour la drainer et la fidéliser. La liberté commerciale sur laquelle repose la franchise est aliénée au profit de son modèle qui impose rigidité, uniformité, absence d’initiative. Paradoxe. Pour autant, cela ne veut pas dire que la franchise manque de souplesse et de réactivité. Au contraire, elle sait s’adapter avec rapidité et efficacité aux évolutions des marchés et aux nouveautés. Seule l’imagination limite le champ des possibles. Tout peut se franchiser ou presque. La franchise a aussi permis aux métiers traditionnels d’évoluer, de se moderniser et de s’adapter à la concurrence. Elle a permis l’émergence de nouveaux métiers grâce à sa faculté d’adaptation aux besoins nés des nouveaux marchés.

La puissance de la franchise repose aussi sur la démultiplication des ressources produites par le réseau. Pour le franchiseur, le réseau c’est de la main-d’œuvre gratuite, des investissements réduits pour une pénétration optimale du marché puisque ce sont les franchisés qui investissent localement, c’est la création d’un marché captif pour ses produits. Et pour le franchisé, le réseau c’est l’accès à la clientèle attachée à la marque, c’est économiser du temps et de l’argent pour mettre au point une offre commerciale, c’est minimiser le risque commercial grâce au savoir-faire du franchiseur.

La franchise transforme les relations inter-entreprises. Verticalement elle crée des relations hiérarchiques coercitives formalisées dans les contrats. Horizontalement, elle crée des relations informelles et non contractuelles entre les franchisés du réseau. Elle met l’ensemble des franchisés au service du seul franchiseur pour créer de la richesse avant qu’elle puisse redescendre sur le réseau. Transformation des relations lorsque le franchiseur s’invite dans le capital de la société franchisée pour la contrôler de l’intérieur, pratique qui inféode encore plus le franchisé au franchiseur et qui ampute d’autant ses libertés d’entrepreneur. Il en est ainsi lorsque les statuts de la société franchisée imposés par le franchiseur-associé octroient aux franchiseurs le pouvoir d’évincer le franchisé de sa propre société, d’empêcher le changement d’enseigne ou la vente de l’entreprise franchisée par le jeu combiné des clauses d’agrément, de préemption, des droits de préférence et de non-concurrence qui s’étendent souvent jusqu’aux associés dormants ou aux autres sociétés du groupe familial du franchisé.

La franchise a complexifié les relations commerciales et juridiques entre des partenaires commerciaux inégaux. Elle a renforcé l’intégration du franchisé, commerçant aval au profit du franchiseur, commerçant amont. Transformation encore lorsque le franchisé n’est plus le commerçant indépendant qu’il croyait être mais devient un salarié de fait, statut dont il a les inconvénients sans en avoir les avantages. Ce qui justifie alors sa protection par le droit du travail.

XV – La parole

La parole ne circule pas dans les réseaux. La concertation y est rare.

Certes, il peut exister des commissions techniques et des comités divers, mais ce n’est pas le plus courant. Lorsqu’ils existent seuls un ou deux franchisés y travaillent sur des sujets précis et techniques. Pas de débordements. Ces commissions sont plus souvent consultatives que décisionnaires. Elles servent même parfois d’alibi pour expliquer que la décision du franchiseur a été prise par les franchisés de la commission alors qu’en réalité ils sont mis devant le fait accompli de décisions déjà prises. Mais ces comités ont au moins le mérite d’exister et d’être un lieu d’échanges.

En revanche, rares sont les réseaux qui possèdent une structure de représentation des franchisés, comme une association, pour dialoguer avec le franchiseur. La raison en est souvent la peur irrationnelle de l’autre. Les franchisés ont peur de froisser le franchiseur et de ses représailles tandis que le franchiseur a peur de perdre son pouvoir et son autorité.

Personnellement, nous n’avons jamais rencontré de franchisés fomenter une révolution pour s’emparer du franchiseur. Des grognes, oui, des secousses, oui, des dissidences, oui, mais monter à l’assaut du franchiseur pour prendre sa place, non. Sauf de rares fois lorsque le franchiseur est en vente et que les franchisés étudient sa reprise pour exploiter l’enseigne dans un cadre plus coopératif. Mais ces rares démarches n’ont jamais abouti à notre connaissance par manque de cohésion des franchisés, manque de moyens financiers, manque de compétences ou manque d’envie. Car on ne s’improvise pas franchiseur, surtout lorsque les circonstances dans lesquelles naissent ces projets sont difficiles, comme lorsque le franchiseur dépose son bilan ou qu’une crise de réseau le contraint à se retirer. Si l’urgence des décisions et des mesures à prendre dans ces circonstances ne facilite pas les choses, elle ne les rend pas impossibles pour autant.

Le dialogue n’existe pas plus dans les conventions annuelles du réseau, lorsqu’elles se tiennent. Au mieux les franchisés écoutent sagement les propos dynamisants du franchiseur en attendant de rentrer chez eux ou de faire la fête, mais les sujets gênants ne sont pas débattus ni traités pour ne pas gâcher l’ambiance. Ils sont à peine survolés, mais pas de dialogue sérieux et préalablement documenté sur les sujets sensibles. Peu de franchisés osent se lever et prendre la parole par crainte des représailles et d’être pris à partie publiquement. Pourtant le dialogue est essentiel. Il est la respiration du réseau. Il permet les remontées et les descentes d’informations, de capter les humeurs, d’anticiper les difficultés ou de tracer des perspectives d’avenir. Il permet aux franchisés de ne pas être de simples exécutants mais des acteurs actifs dans la gestion des intérêts collectifs.

Le réseau est le bien commun dans lequel chacun doit pouvoir s’exprimer. Cela suppose une structure qui permette une circulation de la parole, des échanges horizontaux entre les franchisés pour rompre leur isolement, pour échanger sur leurs expériences, pour créer des liens professionnels ou amicaux, pour renforcer l’esprit de réseau. Circulation de la parole aussi entre l’amont et l’aval, entre le franchiseur et la collectivité des franchisés pour mieux comprendre les choix, les actions, les demandes, les décisions ou les contraintes des uns et des autres. Il ne s’agit pas de créer une instance parlementaire paralysante car le moteur et le responsable de l’animation et de la stratégie de la franchise reste le franchiseur. Mais les associations de franchisés peuvent jouer un rôle important et avoir des fonctions utiles dans ce cadre.

C’est parce que les franchisés doivent appliquer la politique du franchiseur et que leurs entreprises sont directement concernées par ses décisions qu’ils doivent être consultés en amont et associés le plus étroitement possible aux modalités de mise en œuvre de sa politique et de ses décisions. Voire d’être un contre-pouvoir en cas d’abus ou de mise en péril du réseau par des choix inappropriés.

XVI – Conclusion

Pour avoir vécu au plus près et aux côtés des franchisés la naissance et l’évolution de la franchise, nous pouvons témoigner qu’elle est un outil juridique utile et puissant au service de l’économie. La franchise fait chaque jour ses preuves en termes de performances, d’attraits, de création de richesses et d’adaptation. Elle continue de mettre en scène des femmes et des hommes entreprenants aux intérêts partagés et divergents dont les rôles évoluent selon les circonstances. Elle crée de la richesse ou provoque des ruines. Elle est créatrice de droit et de jurisprudence. Elle permet à ses acteurs, franchisés et franchiseurs, de se réaliser dans un cadre qui impose des solidarités. Et si la tendance actuelle des contrats est un durcissement des contraintes imposées aux franchisés il n’est pas interdit de penser qu’un rééquilibrage puisse s’opérer à la faveur de concertations organisées dans les réseaux et à défaut sous la pression des juges.

Au-delà du fait que la franchise soit un modèle économique vivant, souple et entraînant qui a gagné tous les secteurs d’activité, qui s’adapte aux marchés et qui draine vers elle de nombreux métiers, il ne faut pas oublier qu’elle repose essentiellement sur des relations humaines qui en font la richesse et la fragilité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Définition du Code de déontologie de la franchise in Droit de la franchise, LITEC Carré droit, annexe 1.
  • 2.
    C. com., art. L. 341-2.
  • 3.
    C. com., art. R. 330-1.
  • 4.
    C. com., art. L. 330-3.
  • 5.
    Code de déontologie européen de la franchise.