Retour sur les conditions de validité d’un report d’adjudication relative à l’immeuble d’une personne placée en surendettement
Lorsque la décision de recevabilité d’une demande de traitement de la situation financière du débiteur intervient après que la vente forcée d’un bien immobilier lui appartenant a été ordonnée par un jugement d’orientation, exécutoire de plein droit nonobstant appel, le report de la date d’adjudication ne peut résulter que d’une décision du juge chargé de la saisie immobilière, saisi à cette fin par la commission de surendettement des particuliers, pour causes graves et dûment justifiées.
Cass. 2e civ., 5 sept. 2019, no 18-15547
1. Le surendettement1 est défini par le Code de la consommation. C’est l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir. Dès qu’un particulier ou un ménage rencontre des difficultés financières liées aux dépenses de la vie quotidienne (eau, électricité, loyer, achat d’un mobilier…), la loi l’autorise à déposer un dossier de surendettement auprès de la commission du département2 de son lieu de résidence. Conformément à l’article L. 722-2 du Code de la consommation, la recevabilité de la demande de surendettement emporte suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur ainsi que des cessions de rémunération consenties par celui-ci et portant sur les dettes autres qu’alimentaires. Ce principe de droit est toutefois assorti d’une exception. La recevabilité du dossier de surendettement par la commission n’interdit pas la poursuite de la vente forcée de l’immeuble appartenant au surendetté. La personne surendettée ne peut solliciter le report de la vente forcée de son immeuble que si différentes conditions sont réunies. Celles-ci sont rappelées par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 5 septembre 20193. Les faits du litige sont les suivants : aux termes des poursuites immobilières engagées par la Caisse régionale du Crédit Agricole mutuelle de Normandie à l’encontre de M. et Mme X, le juge d’exécution ordonne la vente forcée du bien saisi le 17 janvier 2017. En date du 7 juillet 2017, sur recours formé contre la décision de la commission de surendettement, le tribunal d’instance prononce la recevabilité de la demande du couple X tendant à bénéficier d’une procédure de surendettement. M. et Mme X interjettent appel du jugement d’orientation auprès de la cour d’appel de Caen. D’après ces derniers, la décision ordonnant la vente forcée de leur bien immobilier doit être infirmée puisqu’ils bénéficient d’une procédure de surendettement. Dans cette lancée, relèvent les appelants, en vertu de l’article L. 722-2 du Code de la consommation, le jugement les ayant admis à une procédure de surendettement suspend la vente forcée. Par un arrêt rendu le 5 décembre 2017, la cour d’appel de Caen déboute la Caisse régionale du Crédit Agricole mutuelle de Normandie de sa demande tendant à voir obtenir la vente forcée du bien. Le litige est porté devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. À ce niveau, se pose la question suivante : une personne dont la procédure de surendettement est postérieure à la vente forcée de son bien immobilier peut-il obtenir le report de cette vente ? Autrement dit, quelles sont les conditions requises pour valider le report d’adjudication relative au bien immobilier d’une personne admise à une procédure de surendettement ? Par un arrêt datant du 5 septembre 2019, la haute juridiction relève que « lorsque la décision de recevabilité d’une demande de traitement de la situation financière du débiteur intervient après que la vente forcée d’un bien immobilier lui appartenant a été ordonnée par un jugement d’orientation, exécutoire de plein droit nonobstant appel, le report de la date d’adjudication ne peut résulter que d’une décision du juge chargé de la saisie immobilière, saisi à cette fin par la commission de surendettement des particuliers, pour causes graves et dûment justifiées ». Force est de constater que la décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle les conditions requises pour valider le report d’adjudication du bien immobilier d’une personne admise à une procédure de surendettement (I), ce rappel emporte comme conséquence la réalisation forcée de l’immeuble (II).
I – Les conditions de validité du report d’adjudication du bien immobilier d’une personne placée en surendettement
2. À la question de savoir si l’on peut reporter l’adjudication du bien immobilier d’une personne admise à une procédure de surendettement, la Cour de cassation répond par la négative en relevant que « (…) le report de la date d’adjudication ne peut résulter que d’une décision du juge chargé de la saisie immobilière, saisi à cette fin par la commission de surendettement des particuliers, pour causes graves et dûment justifiées ». Deux conditions se dégagent de cette décision : la condition liée à la juridiction compétente et à sa saisine d’une part et les causes de la saisine d’autre part.
3. S’agissant de la condition liée à la juridiction et à sa saisine, il est nécessaire de s’appesantir sur les faits ayant donné lieu au contentieux. Les époux X font l’objet d’une procédure de saisie immobilière. En date du 17 janvier 2017, la juridiction en charge de la procédure de saisie immobilière ordonne la vente forcée de l’immeuble. Ces époux sollicitent la commission de surendettement des particuliers du département de leur lieu de résidence afin d’être admis à une procédure de surendettement. Leur demande est finalement déclarée recevable devant le tribunal d’instance le 7 juillet 2017, soit 6 mois plus tard. Au regard de ce qui précède, la recevabilité de la demande de surendettement des époux X est postérieure à la vente forcée de leur immeuble. La problématique mise en lumière dans le cadre de cette affaire est celle de savoir si l’adjudication de ce bien immobilier peut être reportée. M. et Mme X étaient-ils en droit de solliciter le report de cette vente immobilière ? La réponse nous semble affirmative sous réserve du respect des conditions énoncées par la loi. Il s’agit ici de la condition liée à la juridiction compétente et à l’organisme de saisine de ladite juridiction. Dans le cas d’espèce, afin d’être valable, la demande de report de la date d’adjudication de l’immeuble de ce couple aurait dû être faite par l’organisme légalement investi de la saisine de la juridiction compétente en la matière. De manière concrète, la décision portant report de la date d’adjudication de l’immeuble des époux ne pouvait résulter que du juge de l’exécution saisi à cette fin par la commission de surendettement des particuliers. Outre ces deux conditions, la loi relève que les causes de la saisine doivent être graves et justifiées.
4. S’agissant de la condition liée aux causes graves et justifiées, il convient de souligner qu’elle constitue la continuité des formalités légales requises. À titre de rappel, d’après l’article L. 722-4 du Code de la consommation, « en cas de saisie immobilière, lorsque la vente forcée a été ordonnée, le report de la date d’adjudication ne peut résulter que d’une décision du juge chargé de la saisie immobilière, saisi à cette fin par la commission, pour causes graves et dûment justifiées ». Mais alors, que signifient causes graves et justifiées pour la commission de surendettement ? Pour Jerôme Lasserre Capdeville4, il s’agit des « causes suffisamment importantes et avérées » permettant à la commission de saisir la juridiction chargée de la saisie immobilière. À titre illustratif, l’on peut citer les cas de force majeure notamment la destruction du bien objet de la poursuite immobilière. Devant la cour d’appel de Caen, les époux X ont fait valoir l’effet suspensif du jugement les ayant admis à la procédure de surendettement. Pour eux, les dispositions de l’article L. 722-4 du Code de la consommation relatives au report de l’adjudication n’avaient vocation à s’appliquer que lorsque la vente forcée de leur immeuble a été ordonnée par une décision définitive passée en force de chose jugée. Cette argumentation peut-elle être considérée comme une cause grave et justifiée du report ? Aucunement. Car, primo, elle n’est point émise par la commission de surendettement en sa qualité d’organisme de saisine comme l’exige la loi. Secundo, le jugement de vente forcée est assorti du caractère exécutoire de plein droit nonobstant appel. Tout compte fait, la mise en œuvre de ces conditions emporte la réalisation du bien immobilier.
II – L’effet inhérent au non-respect des conditions requises : la réalisation du bien immobilier de la personne placée en surendettement
5. L’arrêt infirmatif rendu le 5 décembre 2017 par la cour d’appel de Caen a été cassé et annulé dans toutes ses dispositions par la haute juridiction. Cette cassation, significative de la violation de l’article L. 722-4 du Code de la consommation par la juridiction d’appel, laisse présager l’idée suivant laquelle l’immeuble des époux est cessible malgré la recevabilité de leur demande de surendettement. L’on peut d’ailleurs s’interroger sur le caractère équitable de la législation.
6. Nombreuses sont les mesures consacrées par le Code de la consommation visant à protéger le consommateur du fait de sa vulnérabilité face aux « professionnels ». Le bénéfice desdites mesures est cependant soumis au respect des conditions légales prescrites. En ce qui concerne le bénéfice du report de la vente forcée de l’immeuble d’un débiteur bénéficiant du traitement du surendettement, trois conditions doivent être remplies, faute de quoi, le débiteur perd ce droit de report. En l’espèce, le non-respect des conditions liées à la juridiction compétente, sa saisine et aux causes de la saisine a emporté une conséquence essentielle suivant le jugement de l’orientation du juge de l’exécution : ordonnancement de la réalisation forcée du bien des époux objet de la poursuite de saisie immobilière. À ce niveau, une question peut être soulevée : existe-t-il une différence entre l’ordonnance de la réalisation forcée de l’immeuble et l’exécution de la réalisation forcée de l’immeuble ? Au vu de la procédure de surendettement, il n’existe pas de différence. Car, dès qu’il est antérieur à la recevabilité de la demande de surendettement, le prononcé de toute ordonnance de réalisation forcée met en échec toutes les suspensions de poursuite dont pourrait bénéficier le surendetté. Cette position avait déjà été affirmée dans le cadre de l’arrêt du 7 janvier 2016 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation5. Dans cette affaire, des poursuites immobilières avaient été initiées par la Banque populaire d’Alsace à l’encontre d’une débitrice. Le juge de l’exécution a ordonné l’adjudication forcée du bien immobilier de la débitrice. Celle-ci a demandé qu’il soit sursis à la procédure d’adjudication dans l’attente de l’issue de la procédure de traitement de sa situation de surendettement qui a fait l’objet d’une décision de recevabilité par la décision d’une commission de surendettement. Saisi du litige, la cour d’appel de Colmar a maintenu la suspension de la procédure d’adjudication sur la base de la recevabilité du dossier de surendettement de la débitrice. Cette décision a été cassée et annulée dans toutes ses dispositions. La Cour de cassation avait alors souligné que « la vente forcée ayant été ordonnée avant que la commission de surendettement ait déclaré recevable la demande que Mme X avait formée en vue du traitement de sa situation financière, seule la commission de surendettement pouvait saisir le juge de la saisie immobilière d’une demande de report de l’adjudication pour causes graves et dûment justifiées ».
7. Tout ce qui précède permet de s’interroger. Est-il normal de procéder à la vente forcée de l’immeuble des débiteurs bénéficiant d’une procédure de surendettement ? Sur le plan de la loi, notamment d’une application stricto sensu de la loi en matière de consommation, la vente forcée est normale dès lors que les conditions du report ne sont pas réunies ; la procédure de surendettement étant postérieure à l’ordonnancement de la vente forcée. Et tel que le relève l’adage « dura lex sed lex ». En revanche, sur le plan de l’équité, cette vente forcée pourrait paraître anormale car comme l’indiquent les termes de l’article L. 331-1 du Code de la consommation, les personnes dites surendettées sont d’abord « de bonne foi ». Ensuite, elles se trouvent dans l’impossibilité de payer les dettes non professionnelles exigibles et à échoir. Procéder à la vente forcée de leur immeuble pourrait s’avérer inique du simple non-respect des conditions. Aussi, si l’on peut admettre avec un auteur6 que les conditions légales pour le report sont commandées par le souci légitime d’écarter tout comportement dilatoire des débiteurs, reconnaissons que l’intention dilatoire ne guide point tous les débiteurs lors du dépôt du dossier de surendettement.
Notes de bas de pages
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1.
Bonhomme C., Surendettement des particuliers ou faillite civile ?, thèse, 1999, Université d’Aix-Marseille.
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2.
Pour Gjidara Decaix S., « Le nouveau visage des procédures de surendettement des particuliers (présentation de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation) », Rev. proc. coll. 2010, p. 13 ; la commission de surendettement est la clé de voute de la procédure de surendettement.
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3.
Payan G., « Surendettement et saisie immobilière : conditions subordonnant le report de l’adjudication », D. 2019 ; Berlaud C., « Surendettement et report de la date d’adjudication », Gaz. Pal. 17 déc. 2019, n° 31, p. 33.
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4.
Lasserre Capdeville J., note sous Gaz. Pal. 10 mai 2016, n° 264h4, p. 43.
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5.
Cass. 2e civ., 7 janv. 2016, n° 14-26908.
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6.
Payan G., « Surendettement et saisie immobilière : conditions subordonnant le report de l’adjudication », D. 2019.