Retour sur les conditions de validité d’une rupture conventionnelle
La remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle.
Cass. soc., 23 sept. 2020, no 18-25770
1. Un employeur est-il tenu de remettre un exemplaire de la convention de rupture conventionnelle au salarié signataire de ladite convention ? Cette question n’est pas nouvelle. Elle a été, une fois de plus, soulevée devant les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation le 23 septembre 20201 de manière laconique : le défaut de remise de la convention de rupture conventionnelle entraîne-t-il la nullité de celle-ci ? En répondant par l’affirmative à cette question, la Cour de cassation rappelle, dans son arrêt, la particularité inhérente à la procédure de rupture conventionnelle. L’analyse de cet arrêt nécessite de présenter brièvement les faits. En date du 1er juin 2000, M. X est engagé en qualité de couvreur au sein de la société G. Après plusieurs années d’exercice, celui-ci devient chef couvreur. Le 17 juillet 2015, M. X et son entreprise décident de rompre leur relation contractuelle par le truchement d’une rupture conventionnelle ; laquelle rupture prenant effet à compter du 5 septembre 2015. La société G. ne remet pas d’exemplaire de la convention au salarié. La contestation est portée devant les juridictions notamment devant la cour d’appel de Reims. Par arrêt rendu le 14 novembre 2018, cette dernière annule la convention, dit que cette rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l’entreprise à verser à M. X des indemnités de rupture. Un pourvoi est formé par la société G. contre cet arrêt du 14 novembre 2018. D’après le demandeur au pourvoi, la convention ne saurait être nulle dans la mesure où selon les dispositions de l’article L. 1237-142, l’accord3 des parties est matérialisé par une convention de rupture dont un exemplaire doit être transmis à la DIRECCTE4. Fortes de cette considération, ces dispositions légales n’impliquent pas, sous peine de nullité, que chaque partie dispose d’un exemplaire de ladite convention. Ce pourvoi est formellement rejeté par la Cour de cassation. La haute juridiction relève d’une part que « la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L. 1237-14 du Code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle », et d’autre part, qu’« en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve ». Cette décision de la haute juridiction laisse présager que le défaut de remise d’une convention de rupture conventionnelle entraîne la nullité de cette convention (I). Au-delà d’être une position conforme à la législation sociale applicable, cette nullité met en lumière la protection des droits du salarié dans la relation de travail (II).
I – La nullité de la rupture conventionnelle pour défaut de remise de la convention au salarié
2. Contrairement à la démission et au licenciement5 qui sont des modes de rupture de contrat de travail à l’initiative soit du salarié, soit de l’employeur, la rupture conventionnelle est un mode de rupture amiable de contrat de travail. Ici, la rupture est faite d’un commun accord. Les deux parties à la relation de travail s’accordent sur les modalités de leur « séparation ». Peut-on, à ce titre, conclure qu’il s’agit d’un mode idoine de rupture de contrat de travail ? La réponse varie suivant que l’on se trouve du côté de l’employeur ou du côté du salarié. Vu du côté du salarié, aux termes d’une telle rupture, ce dernier bénéfice des indemnités de rupture et éventuellement de l’allocation chômage. Vu du côté de l’employeur, la rapidité de la procédure de séparation d’un salarié est manifeste. En effet, l’entreprise est dispensée des aléas, de la complexité, du coût des procédures prud’homales. Cet avantage de la rupture conventionnelle pour l’employeur n’est véritable que s’il respecte de manière minutieuse la procédure légale. Dans le cadre de l’affaire soumise devant la chambre sociale le 23 septembre 2020, M. X et l’employeur ont bel et bien signé la rupture conventionnelle. L’adhésion des parties aux clauses de la convention n’a fait l’objet d’aucune ambiguïté. Et comme le relève la société G., la rupture conventionnelle est « une rupture bilatérale du contrat de travail voulue par les deux parties ». Au regard de cette volonté claire et commune, l’employeur a transmis un exemplaire de la convention à la DIRECCTE pour l’homologation sans en remettre une copie au salarié. A-t-il bien agi ? La réponse semble affirmative de prime abord. Car d’après l’article L. 1237-14 du Code du travail, « la validité de la convention est subordonnée à son homologation ». Cependant, au regard de la pratique ou des usages en matière sociale, l’employeur était tenu de remettre un exemplaire au salarié. Ce défaut de remise constitue une faute de l’employeur justifiant par conséquent l’indemnisation du salarié. Dans l’arrêt rendu le 6 février 20136, la chambre sociale de la Cour de cassation avait relevé explicitement que « la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L. 1237-14 du Code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause ». Dans le même ordre d’idées, en date du 3 juillet 20197, la même juridiction8 avait cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, pour débouter le salarié de sa demande d’annulation de la rupture conventionnelle, avait présumé qu’un exemplaire avait été remis au salarié. Pour tout dire, la remise d’un exemplaire de la convention au travailleur est obligatoire et ne saurait être présumée.
3. Force est de constater que lors d’une procédure de rupture conventionnelle, le défaut de la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié constitue un vice de procédure et entraîne subséquemment la nullité de ladite convention. Il convient alors de souligner que la nullité de la rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse avec, rappelons-le, bénéfice pour le salarié des indemnités y relatives. Une telle situation est le signe de la garantie ou de la protection des droits du salarié dans les relations de travail en général et dans la procédure de rupture conventionnelle en particulier.
II – La garantie de l’effectivité des droits du salarié dans la relation de travail
4. Dans quelle mesure peut-on affirmer que la nullité de la rupture conventionnelle symbolise la protection des droits du salarié dans les relations de travail ? Cette problématique est relative aux droits du salarié dans le cadre de l’exécution du contrat de travail. Fort du lien de subordination qui le lie avec son employeur, le salarié se voit octroyer divers droits9. Si certains droits10 tendent à l’épanouissement du salarié lors de l’exécution de la prestation de travail, d’autres11 visent la protection de sa liberté pendant et après l’exécution du contrat du travail. Le droit de la rétractation, aux côtés de la liberté de consentir et d’entreprendre du salarié, référencé dans l’arrêt du 23 septembre 2020 en constitue une parfaite illustration. Suivant les termes de l’arrêt, « la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire (…) pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause ». Mise en exergue sous le prisme de la liberté de consentir, la rétractation est la manifestation de volonté contraire par laquelle l’auteur d’un acte entend revenir sur sa volonté et la retirer comme si elle était non avenue afin de la priver de tout effet passé ou à venir12. En matière contractuelle, c’est un droit fondamental qui s’exerce dans un délai déterminé. Dans le cadre de l’affaire soumise aux juges de la chambre sociale de la Cour de cassation, M. X n’a pas reçu un exemplaire de sa convention de rupture. Celle-ci a été envoyée auprès de l’Administration pour son homologation. Mais alors, la non-réception d’un exemplaire de la convention signifie-t-elle que le salarié ne pouvait plus se rétracter ? Aucunement. Toutefois, il ne pouvait valablement mettre en œuvre son droit de rétractation c’est-à-dire revenir sur sa volonté dans le délai légal requis que s’il possédait la convention comportant sans nul doute l’indication précise du nombre de jours de rétractation d’une part, et de la date du décompte, d’autre part. Cette absence d’informations pratiques est symptomatique de l’insuffisante et ineffective protection des droits du salarié dans cette procédure de rupture conventionnelle.
5. Sur un tout autre plan, afin de dégager sa responsabilité et de rejeter l’exception de nullité de la convention, la société G. note qu’il appartient au salarié qui invoque la nullité d’en rapporter la preuve. Ce moyen de droit a été purement rejeté par la haute juridiction relevant qu’« il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve ». Or la société G. n’ayant pas procédé à la remise de l’exemplaire, celle-ci n’avait aucun moyen de preuve.
6. En définitive, s’il apparaît que la décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 23 septembre 2020 est manifestement opportune pour les salariés, elle n’est pas dépourvue d’intérêt pour les employeurs. En effet, vue du côté des salariés, cette décision consolide une position notable13 – la remise obligatoire d’un exemplaire de convention – lors de la procédure de rupture conventionnelle. Quant aux employeurs, cette décision doit être considérée comme une sonnette d’alarme, appelant à la vigilance lors du déroulement de la procédure de rupture conventionnelle. Aussi, peu importe l’accord de la demande d’homologation par la DIRECCTE, le défaut de remise d’un exemplaire au salarié invalide la rupture !
Notes de bas de pages
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1.
Cass. soc., 23 sept. 2020, n° 18-25770.
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2.
À l’issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. Un arrêté du ministre chargé du Travail fixe le modèle de cette demande. L’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. À défaut de notification dans ce délai, l’homologation est réputée acquise et l’autorité administrative est dessaisie. La validité de la convention est subordonnée à son homologation. L’homologation ne peut faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la convention. Tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil des prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif. Le recours juridictionnel doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation de la convention.
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3.
Boutonnet M., Le consensualisme dans la rupture du contrat à durée indéterminée, thèse, 2016, Université de Toulouse 1 Capitole.
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4.
Direction régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l’emploi.
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5.
Favennec-Héry F. et Verkindt P.-Y, Droit du travail, 6e éd., 2018, LGDJ, nos 692 et s.
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6.
Cass. soc., 6 févr. 2013, n° 11-27000.
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7.
Cass. soc., 3 juill. 2019, n° 18-14414.
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8.
« Attendu que pour débouter le salarié de sa demande de nullité de la rupture conventionnelle, l’arrêt retient que la convention de rupture rédigée sur le formulaire Cerfa mentionne qu’elle a été établie en deux exemplaires, et que quand bien même il n’est pas indiqué que chacun des exemplaires a été effectivement remis à chaque partie, il doit être présumé que tel a bien été le cas ;Qu’en statuant ainsi, sans constater qu’un exemplaire de la convention de rupture avait été remis au salarié, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
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9.
Droit à la formation, droit au congés, droit à la rémunération, droit syndical, droit de grève, etc.
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10.
Les congés, la formation, la couverture santé, le transport…
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11.
Le délai limité de la confidentialité ou de la non concurrence
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12.
V. « Rétractation » in Cornu G., Vocabulaire Juridique, 2007, PUF.
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13.
Cette position de la chambre sociale de la Cour de cassation pourrait être qualifiée de constante.