Covid-19 : l’AMF sur le pied de guerre

Publié le 19/05/2020

Le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Robert Ophèle, a présenté son rapport annuel d’activité pour 2019, le 29 avril dernier. Crise sanitaire oblige, les échanges se sont concentrés sur la régulation des marchés financiers au temps du Covid-19.

Traditionnellement, le printemps est la saison des présentations de rapports annuels. Mais cette année, rien ne se passe comme d’habitude. Certaines institutions comme le Conseil d’État ont purement et simplement renoncé à présenter leur rapport à la presse. D’autres, à l’instar de l’AMF, se sont emparés des outils technologiques pour maintenir la tradition. C’est donc via l’application de communication à distance Zoom que le président de l’AMF, Robert Ophèle et la plupart des responsables de l’Autorité, ont pu répondre aux questions des journalistes. Toutefois, le caractère exceptionnel de la crise sanitaire a éclipsé le bilan d’activité de l’année 2019.

Pas de consensus européen sur les ventes à découvert

On aurait pu faire le choix de suspendre l’activité des marchés financiers. Quelques économistes le réclamaient au motif que leur activité n’était pas indispensable et leur influence, dans des situations de crise, néfastes pour les entreprises. « Notre conviction est qu’il faut garder les marchés financiers ouverts, ils sont essentiels au financement de l’économie dans la période de crise et seront essentiels pour financer la reprise », a déclaré le président de l’AMF au début de la conférence. Cela impliquait que le régulateur veillât à ce que la réglementation continue d’être respectée. Son action s’est déployée dans chacun de ses domaines d’intervention : les marchés, les émetteurs, la gestion d’actifs et les épargnants.

Premier défi : gérer la très grande turbulence des marchés durant la première quinzaine de mars. Toutes les classes d’actifs ont été touchées : actions, obligations, pétrole et or. L’une des actions de l’AMF a consisté à veiller au bon fonctionnement des coupe-circuit, lesquels ont été utilisés par exemple plus de 3 000 fois le 16 mars sur Euronext. Il a fallu aussi s’assurer que les ordres passés en télétravail durant le confinement répondaient aux exigences de sécurité et de qualité. Parmi les décisions les plus emblématiques concernant la surveillance des marchés durant la crise figure celle de restreindre les positions courtes nettes, autrement dit les ventes à découvert.

À ce sujet, Robert Ophèle a regretté qu’une telle mesure n’ait pu être décidée au niveau européen alors qu’elle relève de la compétence de l’ESMA. Il faut dire que l’interdiction des ventes à découvert est controversée. Pour certains acteurs de marché, celles-ci n’ont aucune justification, même dans un contexte de marché normal, pour d’autres, elles sont indispensables à la liquidité du marché. « Soyons clairs, a expliqué Robert Ophèle, dans une telle période, les vendeurs à découvert apportent peu à la formation des prix et leur montée peut avoir une influence pro-cyclique particulièrement mal venue ». Seules l’Espagne, l’Italie, la France, l’Autriche et la Belgique ont adopté cette mesure. Concernant les systèmes de règlement-livraison et de compensation, le président a indiqué qu’ils avaient démontré leur solidité.

Gare à la communication financière

Deuxième défi, gérer les difficultés spécifiques des émetteurs. L’AMF s’est concentrée sur deux sujets, la communication financière et l’organisation de leurs assemblées générales. Sur le premier point, le régulateur a publié une guide de bonnes pratiques portant sur l’organisation des assemblées générales à huis clos. Mais la question la plus sensible porte sur les dividendes. Estimés à 76 milliards pour le SBF 120, il semble selon Robert Ophèle que seule la moitié de ce montant sera finalement distribuée. Quant à la communication financière, le président l’a qualifiée de « particulièrement importante dans ces périodes propices aux informations privilégiées et aux fausses rumeurs et où les investisseurs ont besoin d’informations actualisées ». C’est pourquoi l’AMF a « fortement incité » les émetteurs à communiquer au marché l’impact de la crise sur leur situation financière. Concernant l’information périodique un travail a été fait sur les pertes attendues en application d’IFRS 9 pour les banques et par ailleurs le régulateur a précisé le recours aux indicateurs alternatifs de performance dans le cadre de l’arrêté trimestriel qui est facultatif. Pour les semaines à venir, la préoccupation majeure porte sur l’échéance des comptes semestriels, car c’est cet arrêté qui va prendre en compte l’impact de la crise. Un point d’attention particulier concerne les tests de résistance sur les goodwill. Des travaux sont en cours sur le sujet.

Prochain défi : reconstituer les fonds propres des entreprises

Troisième domaine d’intervention, la gestion d’actifs. La France compte 10 000 fonds représentant pour un peu moins de deux trillions d’euros, soit 11 % des fonds européens. Il a fallu relever deux défis : les valorisations et les liquidités. « La chute des valorisations a été brutale et dans certains cas les sociétés de gestion ont même dû faire face à une absence de valorisation fiable en l’absence de marché actif » a indiqué le président, néanmoins, aucun problème majeur ne s’est posé. Concernant les retraits, ils se sont élevés à 13,5 % des encours de fonds monétaires. Tous ont été satisfaits.

La surprise est venue des épargnants. L’AMF a constaté en effet un regain d’intérêt important des particuliers à l’égard de la Bourse, avec l’arrivée d’intervenant plus jeune et moins fortuné. « C’est important car le défi des prochains mois sera la reconstitution des fonds propres des entreprises. Le recours à la dette ne peut pas seul couvrir les besoins de financement surtout concernant les pertes d’exploitation et alors que dans certains secteurs il faut revoir en profondeur le positionnement de l’entreprise. La capacité à mobiliser des fonds propres au-delà des ressources publiques est une des clés du rebond. C’est aussi une opportunité pour bâtir une croissance plus responsable », a précisé Robert Ophèle.

Et le rapport annuel ?

Le rapport annuel 2019 est consultable en ligne. Sa lecture renseigne sur les principaux événements à retenir de l’année 2019. Pour le régulateur boursier français, elle aura été marquée par la finance verte, la mise en œuvre de la loi PACTE notamment concernant les actifs numériques (premiers enregistrements délivrés début 2020), le chantier du Brexit et la lutte contre les offres de placements frauduleux.

Concernant les chiffres de l’activité financière en France, le nombre de sociétés de gestion de portefeuille remonte à 657, contre respectivement 633 et 630 à fin 2018 et 2017. Côté opération de marché en revanche, les chiffres sont en berne. Les introductions en Bourse ont été décevantes. L’AMF a visé à ce titre VI prospectus contre 21 en 2018. Le montant levé s’est élevé à 2,9 milliards d’euros en 2019 contre 1,1 milliard d’euros en 2018 et 2 milliards d’euros en 2017. Sans surprise, l’introduction de la société La Française des Jeux sur Euronext Paris (Compartiment A) est la plus importante de la période avec un montant souscrit de 1,8 milliard d’euros.

Ce n’est pas mieux du côté des émissions d’actions, 25 prospectus relatifs à des émissions de titres de capital sur des marchés réglementés ont été approuvés par l’AMF en 2019, contre 33 en 2018. Dans le cadre de ces prospectus, 2,8 milliards d’euros ont été ainsi levés par les sociétés cotées (contre 2,2 milliards en 2018 et 14 milliards en 2017). En revanche, les émissions de titres de créance se portent au mieux. Le taux d’endettement des sociétés non financières en France (74,3 % du PIB à fin septembre 2019) demeure largement supérieur à celui de l’ensemble de la zone euro (61,6 %) ou des États-Unis (47,3 %), constate l’AMF. Ce dynamisme se retrouve au niveau des prospectus d’opérations obligataires déposés auprès de l’AMF en 2019, avec 381 approbations en 2019 (contre 359 en 2018, +6 %). Enfin, s’agissant des offres publiques, l’AMF a délivré 30 décisions de conformité, soit une augmentation significative par rapport à 2018 (24 décisions).

Un total de 32,3 millions d’euros de sanction

Côté gendarme, l’AMF a ouvert 46 nouvelles enquêtes en 2019 et en a clôturé 37 (dont 25 à son initiative et 12 dans le cadre d’une assistance à l’étranger). Au 31 décembre 2019, sur les 24 enquêtes ouvertes à l’initiative de l’AMF et closes en 2019 : 8 ont donné lieu à des notifications de griefs dont 5 sont assorties d’une proposition d’entrée en voie de composition administrative ; 8 dossiers d’enquête ont été soumis au Parquet national financier (PNF) dans le cadre de la procédure d’aiguillage ; 6 ont fait l’objet de l’envoi d’une ou plusieurs lettres d’observations ; 13 ont débouché sur un classement. Sur les 8 dossiers d’enquête soumis pour aiguillage au Parquet national financier (PNF) au 31 décembre 2019, 1 dossier a été retenu par le PNF, 4 dossiers ont été conservés par l’AMF et 3 dossiers étaient toujours en suspens.

Au cours de l’année 2019, la Commission des sanctions a rendu 19 décisions sur le fond. Celles-ci ont concerné 50 personnes, 29 personnes morales et 21 personnes physiques. Elles ont abouti à la mise hors de cause de 7 personnes physiques et 2 personnes morales et au prononcé de 38 sanctions pécuniaires, allant de 10 000 à 20 000 000 d’euros, pour un montant total de 32 320 000 euros, réparties entre 27 personnes morales et 12 personnes physiques.

L’ombre du Conseil d’État plane sur la composition administrative

Le succès de la composition administrative, ne se dément pas. En 2019, on a dénombré 7 accords signés dont 3 restent en attente d’homologation. Montant total des sommes dues au Trésor public : 1 650 000 euros. Par ailleurs, 7 accords ont été homologués l’an dernier par la Commission des sanctions, tandis qu’une procédure a été réorientée vers le circuit classique faute d’accord. Il se pourrait toutefois que ce succès se ternisse. Un arrêt du Conseil d’État prononcé le 20 mars dernier dans une affaire Arkea (CE, 20 mars 2020, président de l’AMF et Arkea Direct Bank) a validé un refus d’homologation de la Commission des sanctions. Ce faisant, il a semble-t-il reconnu le pouvoir de ladite commission d’effectuer un contrôle d’opportunité et pas seulement de validité formelle des accords. En l’espèce, la Commission avait estimé que la transaction portait sur une question nouvelle qu’elle entendait trancher elle-même. Dans sa lettre au président de la République, publiée en introduction du rapport annuel 2019, Robert Ophèle note à ce sujet : « Compte tenu de cette décision du Conseil d’État, il devient désormais pour le moins problématique, tant pour le Collège de l’AMF et que pour les personnes incriminées, de s’engager sur la voie d’une procédure transactionnelle alors que l’accord, une fois conclu, sera désormais qualifié de « sanction », bien qu’il écarte toute reconnaissance de culpabilité, sachant, en outre, qu’il pourrait ne pas être homologué car pouvant être considéré comme inapproprié, et ce, avec une motivation succincte ». Le Collège de l’AMF sollicite donc une mesure législative « afin de pouvoir sécuriser une procédure qui a permis, au jour de la décision du Conseil d’État, de traiter de façon rapide et satisfaisante plus de 80 dossiers ». Affaire à suivre…

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