La transaction continue de faire recette à l’AMF
Robert Ophèle a présenté le rapport annuel de l’Autorité des marchés financiers (AMF) le 7 mai dernier. Comme l’an dernier, le président a regretté le manque d’harmonisation des règles financières au niveau européen et la faiblesse des pouvoirs du superviseur européen (ESMA). Côté sanctions, le nombre de transactions continue d’augmenter, notamment en matière d’abus de marché.
Qui dit rapport annuel dit bilan d’activité. L’année 2018 en termes d’activité financière sur la place de Paris s’est révélée décevante. Pourtant l’année 2017 était prometteuse, le président de l’AMF, Robert Ophèle, s’était félicité lors de la présentation de son précédent rapport de constater la forte progression des valorisations boursières des sociétés, le retour des investisseurs sur les placements à risque et le rebond des introductions en bourse. L’euphorie n’aura duré qu’un an. Certes, on a dénombré à Paris en 2018 plus d’introductions en bourse qu’en 2017 (34 contre 28), mais elles concernent des valeurs de plus petite taille et ont collecté moins de capitaux nouveaux (1,1 milliard d’euros contre 2 en 2017), souligne l’AMF. De même, les émissions de titres de capital sont en recul, avec seulement 2 milliards levés (au lieu de 14 en 2017).
Des entreprises endettées à hauteur de 1 600 milliards d’euros
Cela signifie donc que les entreprises continuent de se financer par la dette de marché (obligations), mais surtout la dette bancaire. C’est ainsi que la dette des entreprises françaises dépasse 1 600 milliards d’euros, soit 75 % du produit intérieur brut (au lieu de 57 % il y a 10 ans). Pour l’AMF, « Ce niveau d’endettement interpelle, et fut-il lié aux taux bas, n’en constitue pas moins un facteur de fragilité ». Or il se trouve que la même tendance s’observe début 2019. « De ce point de vue, le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (loi Pacte) tel qu’il a été proposé par le gouvernement, et enrichi par le Parlement, est opportun dans son calendrier et son contenu dans la mesure où il favorise l’épargne longue – épargne d’entreprise et épargne retraite –, simplifie l’accès des entreprises aux marchés et renforce l’attractivité de la place de Paris », note le rapport. S’il est une activité qui prospère en revanche, c’est la production de normes. L’an dernier, l’AMF a été très mobilisée par MIF2 et le déploiement de sa nouvelle plate-forme de surveillance des marchés qui traite 5 millions de déclarations par jour, mais aussi par la mise en œuvre de la réglementation des dépositaires centraux, celle des fonds monétaires, ou encore la préparation du Brexit pour lequel elle est très sollicitée par les acteurs. Il s’agit en effet de limiter autant que faire se peut les conséquences de l’événement en anticipant les questions susceptibles de se poser et en se réorganisant en conséquence, en coopération avec le régulateur.
Une supervision européenne insuffisante
Comme l’an dernier, Robert Ophèle a déploré la lenteur avec laquelle l’Union européenne élabore un corpus de règles communes et une convergence forte de la supervision nécessaires à l’émergence d’une réelle union des marchés de capitaux. « Le renforcement du rôle de l’AEMF (ESMA en anglais), constituait à mes yeux la pierre de touche pour juger des progrès en matière de convergence, que soient confiés à l’ESMA des pouvoirs de supervision directe accrus ou qu’elle soit dotée de pouvoirs plus forts qu’aujourd’hui lui permettant d’assurer cette convergence entre autorités nationales. In fine on est loin du compte », regrette le président de l’AMF. Les pouvoirs de supervision directe supplémentaires qui s’appliqueront à compter 1er janvier 2022, se limiteront en fait aux quelques indices critiques et aux fournisseurs de données de reporting dont l’importance pour le marché intérieur serait significative. Quant à la gouvernance de l’ESMA, elle n’est modifiée qu’à la marge, et laisse donc la part belle à la confrontation des intérêts nationaux. Robert Ophèle craint même qu’elle ne soit complexifiée avec l’introduction en son sein d’un Comité de surveillance des chambres de compensation doté de trois membres permanents. Il estime aussi rester sur sa faim concernant la définition de « nouveaux » produits à dimension européenne ; soit ils n’avancent pas, soit ils ne trouvent pas leur public, comme le produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle (PEPP). «Il faut être clair, ce bilan décevant est imputable au Conseil ; les propositions de la Commission ont souvent été soutenues par le Parlement mais régulièrement édulcorées par la majorité des États membres au Conseil qui souhaitent garder le maximum de marges de manœuvre au niveau national ». Or, le problème, c’est que parallèlement le Royaume-Uni, entend profiter de sa future séparation de l’Union pour modifier en profondeur son approche de la réglementation financière. Il souhaite abandonner progressivement le corpus de règles hyper-détaillé établi au plus haut niveau de norme juridique, afin d’accroître la compétitivité de Londres dans le domaine des services financiers. En clair, les acteurs européens risquent de se retrouver concurrencés par de puissants établissements britanniques soumis à des règles moins strictes et capables par ailleurs de tirer profit de l’absence d’harmonisation complète de la réglementation et de la supervision en Europe. D’où la colère du président de l’AMF car cette situation est imputable au refus des États membres d’abandonner une part de leur pouvoir de supervision à l’autorité européenne. Autre sujet de préoccupation, l’absence de réglementation européenne en matière d’actifs digitaux : « L’Europe doit s’emparer du sujet car la digitalisation des actifs et l’utilisation des technologies de réseau sont une tendance lourde de la sphère financière », estime Robert Ophèle. Sur ce sujet, l’AMF est à l’origine du dispositif relatif aux ICO (Initial Coin Offering) inséré dans la loi Pacte et notamment du visa optionnel censé attirer sur la place de Paris les acteurs vertueux. De même, s’agissant de la finance durable, Robert Ophèle juge indispensable pour concrétiser les ambitions européennes de finaliser les travaux européens sur la taxinomie, c’est-à-dire l’établissement d’une classification européenne des activités économiques durables sur le plan environnemental. « Le défi est immense pour tous les acteurs du domaine financier, y compris pour les régulateurs », estime-t-il.
La transaction a le vent en poupe
Du côté de la surveillance des marchés, le président de l’AMF s’est félicité d’avoir obtenu le droit de recourir aux données de connexion et de se faire communiquer les fadets, ce qui devrait l’aider dans sa mission. Il a précisé que l’AMF était prête en 2019 à reprendre à son compte les interdictions de commercialisation des options binaires et de certains contrats sur différence à fort effet de levier. S’agissant enfin de l’activité de sanction, le fait majeur est la progression constante du nombre de transactions (ou accord de composition administrative) par rapport à la procédure classique de sanction. En 2018, 12 accords de composition administrative ont été signés, 11 accords ont été validés par le Collège de l’AMF, 16 ont été examinés par la Commission des sanctions et 15 ont été homologués puis publiés (dont 7 accords signés et validés en 2017). Le montant total des sommes dues au Trésor public, en vertu des 12 accords signés, s’est élevé à 1 340 000 €. Fait notable, le nombre de transactions en matière d’abus de marché augmente de manière significative. La transaction a en effet été étendue à ces manquements par la loi du 21 juin 2016. Les deux premières ont été homologuées en 2017, tandis qu’en 2018, l’AMF en a conclu pas moins de 7 ! La procédure de transaction est donc bien adaptée à ces manquements, contrairement à ce qu’on pensait lorsqu’elle a été créée. Interrogé sur les critères qui incitent l’AMF à choisir une voie plutôt que l’autre, le président avait indiqué que lorsqu’une affaire intervenait dans un domaine où la jurisprudence était claire et qu’elle ne posait pas de difficultés particulières, la transaction était privilégiée. Globalement, la moitié des dossiers de contrôle et un tiers des dossiers d’enquête sont proposés à la transaction. Si la composition administrative est si utilisée, c’est que sa rapidité (elle doit être conclue dans les 4 mois) intéresse autant l’AMF que les mis en cause. Elle a par ailleurs le mérite de permettre à l’AMF des engagements de remédiation à l’entreprise et même d’indemnisation d’éventuelles victimes.
L’AMF a prononcé 7 millions d’euros d’amende
Concernant la procédure de sanction classique, les 17 décisions prononcées en 2018 ont concerné 53 personnes, dont 16 personnes morales et 37 personnes physiques. Elles ont abouti au prononcé de 44 sanctions pécuniaires, allant de 20 000 à 800 000 €, pour un montant total de 7 181 000 €. Parmi les décisions significatives prononcées en 2018, il y a lieu de mentionner le premier relèvement de sanction prononcé le 28 décembre. La loi Sapin 2 a introduit en effet la possibilité pour une personne sanctionnée par une interdiction à titre définitif d’exercice ou par un retrait définitif de carte professionnelle, de demander d’être relevée de cette sanction. La commission a procédé au premier relèvement le 28 décembre 2018. L’intéressé avait été condamné à une interdiction d’exercer l’activité de gestion pour compte de tiers en 2002. La commission a relevé qu’il avait à l’époque réparé les conséquences de ses actes, qu’il n’entendait plus exercer en France et qu’il s’était conformé à la sanction durant 16 ans. Enfin, depuis la loi du 21 juin 2016, les doubles poursuites administratives et pénales ne sont plus autorisées ce qui oblige l’AMF et le parquet national financier à se concerter sur chaque dossier pour décider qui traite l’affaire. On pouvait craindre que le parquet ne soit tenté d’user intensivement de ce nouveau pouvoir. En réalité, il s’en sert avec parcimonie. Jusqu’ici il ne s’est saisi que de deux dossiers dans leur intégralité et de deux autres partiellement, c’est-à-dire qu’il a considéré que certaines personnes relevaient de la justice pénale, laissant l’AMF juger les autres. Les décisions d’orienter un dossier vers la voie pénale ou administrative sont prises « au cas par cas », précise-t-on à l’AMF.