La loi Sapin II et l’Agence anticorruption – premier bilan critique

Publié le 26/12/2016

La loi Sapin II récemment adoptée introduit dans notre ordre juridique une nouvelle agence anticorruption chargée non seulement de centraliser les informations relatives à ces infractions mais aussi de contrôler et de sanctionner le cas échéant l’effectivité de programmes de conformité au sein des entreprises. À la lecture de la loi beaucoup de points d’interrogations subsistent, tant au regard de la nature de cette agence que de l’exercice concret de ce nouveau pouvoir de sanction.

Dans le cadre de l’adoption de la loi Sapin II (art. 1 à 5 et 17, 18), la future Agence en charge de la lutte contre la corruption a été au cœur des discussions qui opposèrent le Sénat à l’Assemblée nationale. Après l’échec de la Commission mixte paritaire le 14 septembre, le modèle d’Agence prôné par l’Assemblée nationale a été entériné dans la loi. La dissidence du Sénat a continué à s’exprimer par une saisine du Conseil constitutionnel1.

Cette construction est à divers titres un retour aux sources. Cette Agence prendra le relais du Service central de prévention de la corruption (SCPC) lequel avait été créé par l’article 1er de la loi n° 93-122 du 29 janvier 19932 – la loi Sapin I ; l’on reste donc dans une continuité politique intéressante avec la loi Sapin II. La censure par le Conseil constitutionnel de plusieurs dispositions de la loi Sapin I emportant la création du SCPC avait privé ce dernier dès le départ des pouvoirs d’investigation nécessaires à l’exercice effectif de ses missions3. Selon l’étude d’impact, ce service n’a donc jamais pu être destinataire de l’ensemble des informations détenues par les services d’enquêtes ou par les administrations, ce qui ne lui a pas permis de centraliser réellement l’ensemble des éléments relatifs à la détection et à la prévention des faits de corruption4. Cette Agence disposera peut-être réellement de ces prérogatives plus étendues. Cette volonté de transformation répond en ce sens à une demande prudemment formulée par le SCPC dès 20115. Mais à lire les débats parlementaires, ce sont bien des influences extérieures qui ont déclenché ce processus – à savoir la confrontation brutale au modèle anglo-américain et ses conséquences drastiques pour les entreprises françaises6.

Les questions récurrentes portent tant sur la nature même de ce service que les pouvoirs qui en découlent : ainsi lors des débats parlementaires sur la loi Sapin II, la question de la création d’une autorité administrative indépendante a été posée à diverses reprises par des parlementaires. Et si le SCPC avait une mission pédagogique et de centralisation des informations sur la corruption, les pouvoirs de sanction conférés à l’Agence pourraient avoir des contours redondants avec d’autres institutions et les conflits de compétences inévitables. Tout d’abord au vu de la création du parquet national financier qui semble être l’outil naturel de l’action de la justice contre les atteintes à la probité publique7. Les deux institutions ont en effet très largement le même champ matériel de compétence8. Ensuite une telle agence vouée à la lutte contre la corruption touche à l’activité d’autres entités administratives en charge de conformité au sens large. L’on pense à l’AMF, Tracfin, à la répartition des tâches entre l’Agence et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Nous examinerons en conséquence la structure de cette Agence (I) pour nous intéresser ensuite à ses missions et ses pouvoirs (II).

I – L’ambiguïté de la structure « Agence »

La nature (A) et l’indépendance (B) de cette structure sont problématiques.

A – La question controversée de la nature

La question est ancienne puisqu’en mars 2012, un député centriste avait ainsi déposé une proposition de loi visant à conférer le statut d’autorité administrative indépendante au SCPC9. Le statut d’AAI avait même été proposé par voie d’amendement lors des débats parlementaires mais ceci a été écarté au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel soulignant que l’article 40 de la Constitution interdit au Parlement de voter un amendement aggravant les dépenses publiques, ce qui serait le cas avec la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante10.

On peut aussi se demander s’il s’agit là d’un modèle de lutte par le truchement d’une agence/autorité contre la corruption prôné par l’OCDE ou d’autres organismes internationaux ou s’inspirant de l’existant dans d’autres États. Y aurait-il une tendance internationale à créer des autorités indépendantes (Independent Regulatory Agencies) chargées de missions préventives voire de conciliation dans les domaines de la criminalité financière et en particulier de la lutte anti-corruption ? La réponse doit être nuancée au vu des autres systèmes juridiques et des recommandations de l’UE et de l’OCDE. Dans son premier rapport sur la corruption, adopté le 3 février 201411, la Commission européenne a ainsi invité les États membres, dont la France, à créer d’urgence des « dispositifs efficaces » permettant notamment d’assurer : « une évaluation systématique des risques de corruption dans les marchés publics ; la cohérence sur le plan de la surveillance, la formation et la sensibilisation des acteurs quant à la nécessité de prévenir et détecter les actes de corruption à tous les niveaux des marchés publics »12. Le groupe anticorruption de l’OCDE13 entend faire « renforcer les moyens dévolus à la détection et à la lutte » contre la corruption transnationale commise par des entreprises. Aucune forme particulière pour atteindre ces objectifs n’est cependant précisée ici.

Que peut alors nous enseigner le droit comparé ? Si beaucoup de pays connaissent des services chargés de centraliser et de coordonner les informations en matière de corruption14, va-t-on y trouver des structures comparables à des AAI ? Ainsi, le Royaume-Uni connaît une coopération entre les services du ministère public (Director of Public Prosecutions du Crown Prosecution Service), le Serious Fraud Office et la police pour mettre en œuvre le Bribery Act de 201015. L’outil central de la lutte anti-corruption est ici le Deferred Prosecution Agreement16. Il n’y a pas d’AAI ici.

Aux États-Unis, la situation est plus complexe puisque le Foreign Corrupt Practices Act de 1977 est mis en œuvre par des « autorités » : ce terme « Authorities » recouvre la SEC – Independant Federal Agency au statut équivalent à une AAI – et le Department of Justice lui-même (avec souvent l’implication du Department of TreasuryOffice of Foreign Assets Control). Elles agissent avec une compétence territoriale entendue très largement (Territorial Jurisdiction, 15 U.S.C. § 78dd-3)17. L’action publique est ainsi déclenchée en opportunité par les procureurs fédéraux en application des Principles of Federal Prosecution of Business Organizations. Ici aussi la clé de voûte du système est la transaction18 et la compliance (avec le mécanisme du monitoring et le recours à des investigations internes).

L’Allemagne n’a pas prévu d’AAI en la matière pour des raisons qui relèvent de la réalité constitutionnelle propre à ce pays. Une AAI fédérale anti-corruption chargée de poursuites pénales stricto sensu n’aurait que difficilement un espace juridique pour exister selon la Loi Fondamentale19. Structure fédérale oblige, ce sont les parquets des Länder qui sont compétents ainsi que certaines juridictions spécialisées. Comme dans bien des pays, l’outil privilégié mis en œuvre par les juridictions des Länder est la Verständigung, la procédure négociée introduite en droit allemand par une loi de 200920.

Qu’en est-il donc de cette Agence française ? Initialement dénommée « service de prévention et d’aide à la détection de la corruption » dans le projet soumis à l’avis du Conseil d’État21, l’Assemblée nationale et la loi parlent « d’Agence française anticorruption », le texte du Sénat retenait le nom « d’Agence de prévention de la corruption ». Mais quelle que soit l’appellation retenue, ce « service » est d’une nature juridique sujette à discussion. Là où le SCPC était selon la loi de 1993, un « service central à composition interministérielle » placé auprès du ministre de la Justice et chargé de centraliser les informations, il s’agirait d’un « service à compétence nationale » selon la dénomination ambigüe retenue par l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est plus précisément selon le rapport du Sénat, une « agence » dont la création répondrait aux critères posés par le Conseil d’État dans son rapport annuel de 2012 à savoir le critère de l’expertise, le critère du partenariat et critère de l’efficience22. Mais ces agences ont en général des fonctions managériales de gestion, d’organisation, de financement – dans l’idée du « New Public Management »23. Cette Agence ressemble par sa composition et certains de ses pouvoirs (voir infra) à une AAI même si elle s’en différencie sous d’autres rapports. Mais une agence, selon le Conseil d’État, doit justement être distinguée de l’AAI. Et, comme évoqué supra, lors des débats parlementaires, certains députés demandaient que l’on confère à cette agence un véritable statut d’AAI. D’autres voulaient au contraire la qualifier de juridiction.

La gêne conceptuelle est palpable. On peut se demander si cette appellation « Agence » est la répercussion maladroite de la notion d’Authorities ou d’Agency du droit anglo-américain, un peu à l’image de l’accountability24. Il s’agirait alors d’une « structure de circonstance » comme l’on connaît des lois de circonstances.

L’Agence est tout d’abord structurée comme certaines des AAI avec un organe propre pour prononcer les sanctions25. Il s’agirait dans ce cas d’un modèle proche de celui de l’AMF ou de l’ACPR26 avec une « commission des sanctions » chargée de prononcer les sanctions mentionnées à l’article 17 de la loi. Le texte précise que les membres de la commission y seraient nommés par décret pour un mandat de cinq ans. Le président de la commission serait désigné parmi ces membres, selon les mêmes modalités. Des suppléants seraient nommés selon les mêmes modalités. Le texte précise qu’en cas de partage égal des voix, le président de la commission aurait voix prépondérante. Mais à la différence des Commissions de l’AMF/ACPR ou de la Commission nationale des sanctions de l’article L. 561-39 du CMF qui comptent des personnalités autres en nombre variable27, les membres de cet organe de cette Agence anticorruption sont exclusivement des hauts magistrats28. Quel serait alors l’intérêt, la plus-value en termes de compétences professionnelles par rapport à une juridiction classique ? Pourquoi alors « sanctionner » au lieu de « punir » ? Le Sénat entendait réserver cette mission à l’autorité judiciaire et en conséquence faire disparaître cette Commission des sanctions.

B – Indépendance ou autonomie

À la différence des AAI ou API, l’Agence ne possède pas une indépendance organique29 puisqu’elle est soumise à la double tutelle du ministre du Budget et du garde des Sceaux selon la loi, à la seule tutelle de ce dernier dans le projet du Sénat. Elle n’a pas non plus de personnalité juridique. Mais une série d’éléments sont censés en garantir en principe l’indépendance fonctionnelle selon l’analyse faite par le Gouvernement (notons que certains points évoqués ici relèvent d’ailleurs parfois de l’indépendance organique selon certains auteurs (comme la désignation, l’inamovibilité)30 :

  • par l’inamovibilité du directeur, magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire nommé par décret du président de la République pour une durée de six ans non renouvelable ; il ne peut être mis fin à ses fonctions que sur sa demande ou en cas d’empêchement ou de manquement grave (art. 2 de la loi) ;

  • absence d’instructions d’aucune sorte. Le magistrat qui dirige l’agence ne reçoit ni ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou Gouvernementale dans l’exercice des missions ;

  • (séparation des fonctions dans l’hypothèse d’une compétence en termes de sanctions : l’impossibilité pour le directeur de siéger à la commission des sanctions. Il ne peut être membre de la commission des sanctions ni assister à ses séances).

Le magistrat qui dirigerait l’Agence et les membres de la commission des sanctions seraient tenus au secret professionnel. Ils devraient publier une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts31. Les agents affectés au sein de l’Agence ou travaillant son autorité seraient astreints aux mêmes obligations.

Mais certains points relativisent fortement cette indépendance. Une indépendance fonctionnelle, c’est, à lire la doctrine administrative, pouvoir par ses moyens et son statut s’affranchir de l’autorité de tutelle32, ce qui resterait discutable ici. Un décret en Conseil d’État préciserait les conditions de fonctionnement de l’Agence ainsi que les modalités de désignation de ses membres. Selon le Gouvernement, les effectifs de l’Agence compteraient 70 personnes environ et son budget annuel serait compris entre 10 et 15 millions d’euros33. Et quoiqu’il en soit des moyens alloués, les agences sont de toute façon « autonomes et non indépendantes » selon le Conseil d’État, ce qui relativise encore un peu plus le propos34.

II – L’étendue discutée des pouvoirs et des missions de l’Agence

L’Agence a des missions semblables à celles du SCPC (art. 3 de la loi). C’est un rôle de coordination administrative, d’appui aux autres administrations et d’avis aux juridictions judiciaires, de rédaction de recommandations aux personnes publiques mais également privées. C’est donc une première double mission informative et pédagogique.

L’agence est ensuite chargée de contrôler la correcte mise en œuvre, par les grandes entreprises concernées, de leur obligation de mettre en place des mesures internes de prévention et de détection des faits de corruption. En cas de manquement, elle pourra leur adresser un avertissement et éventuellement leur enjoindre de mettre en place certaines mesures et leur infliger des sanctions pécuniaires. Elle sera également chargée de suivre l’exécution de la peine de mise en conformité, créée par la même loi et à laquelle pourront être soumises les entreprises condamnées pour corruption.

Le Sénat était venu bouleverser le projet tel qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale en choisissant la suppression de ce pouvoir de sanction de l’Agence à l’encontre des entreprises méconnaissant leur obligation de conformité et la suppression corrélative de la commission des sanctions. Citons Philippe Bas, le président de la commission des lois du Sénat lors des débats parlementaires : « Nous avons une divergence de vues très nette (avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale). La commission des lois souhaite unifier le contentieux. Si une entreprise est poursuivie au pénal, le juge sera amené, inévitablement, à examiner le plan de prévention ». L’Assemblée nationale a cependant reconduit ce modèle sanctionnateur dans la loi (art. 3, 4° et 17 de la loi).

Quelles sont les difficultés pratiques et textuelles rencontrées ? La portée du contrôle (A) et les conditions de l’exercice de pouvoirs quasi juridictionnels de sanctions (B) par l’Agence restent souvent imprécises.

A – Contrôle des programmes de conformité

Deux questions se posent ici : le périmètre des programmes de conformité (1) et le contrôle (2).

1 – Conformité

1. Les programmes de conformité ne sont plus une nouveauté en soi pour la pratique et leur caractère obligatoire ne fait plus de doute actuellement au vu du droit de l’UE35 et les exigences posées par le Bribery Act britannique et le FCPA américain36. Outre le droit américain, le dispositif prévu par le projet ressemble ainsi à des programmes similaires mis en place ces dernières années dans divers pays, notamment en Suisse37 ou au Royaume-Uni38.

2. Pour ce qui est du contenu de ces programmes (art.  17, II, 1°-8° de la loi), il ressemble aux cahiers des charges pratiqués par les droits américain et britannique. On peut ainsi se référer au Chapter 8 des US Sentencing Guidelines de 2015, § 8 B 2.1. « Effective Compliance and Ethics Program »39. Le SCPC lui-même mettait en ce sens l’accent sur la cartographie des risques et la mise en place des mécanismes de détection et de prévention des fraudes et pratiques de corruption40.

3. Une peine de mise en conformité41 serait prononcée soit par jugement du tribunal correctionnel soit, peut-on également imaginer, acceptée dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)42. D’aucuns ont soulevé le caractère contradictoire du principe même d’une « peine de conformité » alors que la compliance est en substance un mécanisme de défense de l’entreprise43. Ceci apparaît clairement en droit britannique et américain44. Le fait, pour l’entreprise ainsi condamnée, de s’abstenir de mettre en place le programme de conformité de manière satisfaisante serait puni par une infraction autonome nouvelle : le délit de non-mise en place d’un programme de conformité45, à l’image de la section VII du Bribery Act britannique46.

2 – Contrôle

L’Agence superviserait donc ces programmes de Compliance (art. 18, I, 2° de la loi).

Ceci est également le cas lorsqu’est mis en place une convention judiciaire d’intérêt public (« transaction judiciaire » selon le Sénat) puisque celle-ci peut porter selon l’article 41-1-2, I, 2° du CPP (art. 22 de la loi) sur l’obligation de mettre en place un programme de conformité : le contrôle ou le concours par/avec l’Agence y est prévu selon les versions Assemblée nationale/Sénat du projet et dans la loi.

Outre les spécificités pratiques de la forme et de la portée des obligations de compliance telles qu’elles résultent des textes, d’autres problèmes surgissent.

Un premier problème surgit explicitement : selon la lettre de l’article 764-44 du CPP (art. 18, II, 2° de la loi), la peine de programme de mise en conformité s’exécute sous le contrôle du procureur de la République. Or, l’article 131-39-2 du Code pénal (art. 18, I, 2° de la loi) prévoit un contrôle par l’Agence pour les améliorations et adaptations desdits programmes. Qui contrôlera quoi exactement ? Et que signifie alors concrètement pour l’Agence l’obligation de « rendre compte » au procureur prévue par le même article 764-44 ? Doit-elle simplement informer, rendre un rapport comme le précise ledit texte ?

Comment agencer ensuite ceci pratiquement avec les obligations de conformité qui relèvent de la lutte contre le blanchiment soumises au contrôle d’autres instances selon le CMF ? Les programmes de compliance souvent organisés en pratique au sein d’un service conformité relèveraient alors de différences instances de contrôle ? Faudra-t-il subdiviser les services compliance et découper les programmes ? Peut-on alors séparer artificiellement corruption et blanchiment dans la pratique occulte des affaires (« caisses noires ») ? Rappelons les affaires Siemens par exemple dans lesquelles une véritable politique de corruption avec été orchestrée avec des fonds spéciaux localisés dans divers pays aux structures bancaires complaisantes47. Et comment contrôler effectivement des entités qui sont localisés sur plusieurs continents avec 70 personnes et 10 millions d’euros ?

D’autant plus que ce service serait également chargé de veiller, à la demande du Premier ministre, au respect de la loi du 26 juillet 1968 dite « de blocage »48 dans le cas de condamnation d’une entreprise française par un juge étranger – on pense au juge américain – à une peine de mise en conformité pour des faits de corruption (v. art. 3, 5° de la loi). L’Agence pourrait aussi contrôler les procédures internes mises en œuvre par les administrations nationales et locales en vue de prévenir la corruption, de son propre chef ou à la demande du Premier ministre, d’un ministre, d’un préfet ou de la HATVP.

Dans le cadre de ses investigations relative à l’application d’un programme de conformité au titre de l’article 17, III de la loi, la découverte de faits nouveaux susceptibles d’être qualifiés d’infraction au titre des articles est possible. Dans ce cas, l’autorité devra saisir le procureur de la République compétent en application des articles 40 et 43 du CPP.

Pour exercer ces différentes missions, l’Agence aura des pouvoirs d’investigation (art. 4 de la loi), plus limités que ceux des AAI actuelles en général49. Aux fins de contrôle, les agents du service bénéficieraient d’un droit de communication, sous peine de sanctions pénales en cas d’entrave. Ils seraient évidemment soumis au secret professionnel. Or, ce sont justement ces pouvoirs qui avaient été refusés au SCPC en 1993 par le Conseil Constitutionnel50.

B – L’exercice des pouvoirs de sanction quasi juridictionnels

Comme évoqué, l’Agence exercerait des pouvoirs d’injonction et de sanction (art. 17, V de la loi). La Commission des sanctions peut prononcer une sanction allant jusqu’à 200 000 € pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales et à verser au Trésor public. Le texte prévoit une individualisation de la sanction en fonction de la gravité des faits et la santé financière de la personne physique ou morale concernée. Selon Michel Sapin lui-même lors des débats parlementaires, « le pouvoir de sanctions de l’Agence ne vise que les refus des entreprises, après mise en demeure, de mettre en place des plans de prévention de la corruption. Un recours pourra toujours être intenté devant le juge administratif. Ce recours ne sera pas suspensif, ce qui est dissuasif. Le juge judiciaire restera le seul habilité à sanctionner la corruption ».

Mais beaucoup de questions restent ouvertes. Quel sera le régime précis des diverses sanctions prononcées par la Commission de sanctions au titre de l’article 17, V ? Comment les injonctions (seront-elles structurelles ou seulement comportementales ?) de l’Agence relatives au programme de compliance encadreront-elles concrètement le contrôle de la peine complémentaire de l’article 131-39-2 du Code pénal ? Le juge prononcerait la peine et l’Agence l’adapterait par injonctions ? Comment articuler ceci avec l’application des peines au sens strict ?

Et quid de l’alternative possible, une autre peine complémentaire qui pourrait frapper la société, la surveillance judiciaire des personnes morales avec le concours d’un tiers (C. pén., art. 131-39, 3°). En effet pour cette peine, un mandataire de justice doit être désigné par la juridiction de jugement placé sous le contrôle du JAP (v. C. pén., art. 131-46). Comment choisir alors la bonne peine complémentaire au vu de la règle du non-cumul des peines complémentaires ?

Et rappelons que le ministère public a la charge de la mise à exécution des jugements répressifs51.

Ici aussi le Sénat avait fait disparaitre ces nombreuses contradictions potentielles et prônait un système d’avertissement prononcé par l’Agence suivi d’une demande en référé devant le président du TGI ou du tribunal de commerce d’enjoindre sous astreinte.

Pour terminer se pose la question des voies de recours contre les décisions de la Commission de sanction. L’article 17, VII évoquant un « recours de pleine juridiction », les juridictions administratives seraient compétentes. L’article R. 311-1, 4° du CJA attribue certes compétence au Conseil d’État pour connaître des « recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale ». Mais ce n’est pas une structure collégiale à proprement parler et le tribunal administratif serait alors compétent en première instance. Le Conseil d’État a jugé dans un important arrêt de principe Atom52 que le recours contre des sanctions administratives relevait du plein contentieux. La notion de « pleine juridiction » impliquerait donc selon la doctrine administrative que le juge puisse non seulement annuler la sanction prononcée par l’AAI, mais aussi la réformer ; il s’agit également d’un plein contrôle de proportionnalité de la nature et de la gravité de la sanction par rapport aux faits53. Ce dernier point relatif aux sanctions avait également disparu lors du premier examen du texte par le Sénat54. Il a refait son apparition lors du retour du texte devant l’Assemblée nationale pour être finalement consacré par la loi.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 8 déc. 2016, n° 2016-741 DC.
  • 2.
    L. n° 93-122, 29 janv. 1993, rel. à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
  • 3.
    Cons. const., 20 janv. 1993, n° 92-316.
  • 4.
    Étude d’impact projet de loi rel. à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – NOR : FCPM1605542L/Bleue-1, 30 mars 2016.
  • 5.
    V. « Rapport SCPC », 2011, p. 12.
  • 6.
    V. Garapon A. et Servan-Schreiber P. (dir.), Deals de justice – le marché américain de l’obéissance mondialisée, 2013, PUF.
  • 7.
    V. les interventions dans le cadre des discussions sur cette loi de Mmes les sénatrices Éliane Assassi et Brigitte Gonthier-Maurin, le 4 juill. 2016, en faveur du renforcement du parquet national financier.
  • 8.
    Les délits entrant dans le champ de compétence de l’Agence sont ceux touchant à la probité publique prévus aux articles 432-10, 432-11, 432-12, 432-14, 432-15, 432-16, 433-1 et 433-2 du Code pénal. Selon le CPP, art. 705, le procureur national financier est compétent pour les délits prévus aux articles 432-10 à 432-15, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1,445-1 à 445-2-1 du Code pénal, « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent (…) ».
  • 9.
    Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale sous le n° 4446. V. « Rapport SCPC », 2011, p. 12.
  • 10.
    Cons. const., 28 déc. 1985, n° 85-203 DC.
  • 11.
    « Rapport de la Commission au conseil et au Parlement européen » – « Rapport anticorruption de l’UE (févr. 2014) » – p. 39 et 40 du rapport général et p. 12 de l’annexe consacrée à la France.
  • 12.
    Ibid.
  • 13.
    Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption (oct.  2012) et France : rapport de suivi écrit de phase 3 et recommandations (déc. 2014).
  • 14.
    L’Autorita Nazionale Anti Corruzione italienne, coordinateurs anti-corruption au Royaume-Uni dans le cadre du National Anti-corruption Action Plan (v. Progress Update on the UK Anti-Corruption Plan 2016), etc.
  • 15.
    V. Joint prosecution guidance of the Director of the SFO and the Director of Public Prosecutions du 30 mars 2011 et le Code for Crown Prosecutors.
  • 16.
    Le Deferred Prosecution Agreement (DPA) est un accord conclu entre l’entreprise et le ministère public (ici le SFO et DPP) sous le contrôle d’un juge (qui veille aux « intérêts de la justice » et au caractère « raisonnable, équitable et proportionné de l’accord »). L’action publique peut en conséquence être suspendue pendant un certain délai si l’entreprise remplit certaines conditions. Les DPA s’appliquent en droit pénal des affaires et ne concernent que les personnes morales. V. Schedule 17 of the Crime and Courts Act 2013 et le Code of Practice for Prosecutors (SFO et CPS) du 14 févr. 2014.
  • 17.
    Pour une série d’exemples voir Swift C. M., « European banks and extraterritorial sanctions : lessons from the BNP Paribas settlement », Int. T.L.R. 2015, 21(2), p. 61 et s.
  • 18.
    Mignon Colombet A. et Buthiau F., « Justice négociée – Le deferred prosecution agreement américain, une forme inédite de justice négociée – Punir, surveiller, prévenir ? », JCP G. 2013, doctr. 359.
  • 19.
    V. art. 83 et 87 GG ; Walther J., « L’indépendance des autorités de régulation en Allemagne », RF adm. publ. 2012, p. 693 et s.
  • 20.
    Leblois-Happe J., Pin X. et Walther J., RID pén. 2009, vol. 81 (2010), p. 277 et s. ; Walther J., « La Criminal compliance : outil de prévention du risque pénal ou miroir aux alouettes ? – Questions d’actualité sur les responsabilités au sein de l’entreprise en droit pénal des affaires allemand », RPDP 2012, p. 205 et s.
  • 21.
    Avis CE sur un projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, mars 2016.
  • 22.
    Étude annuelle 2012 du CE, Les Agences : une nouvelle gestion publique ? ; Auby J.-B, « Le Conseil d’État et les agences », Dr. adm. 2012, repère n° 10.
  • 23.
    Bernard E., « À la recherche d’une définition juridique d’une idée managériale : le cas des agences de l’État », JCP A 22015, 2159.
  • 24.
    Ibid.
  • 25.
    V. Autin J.-L. et Breen E., « Autorités Administratives Indépendantes », JCl. Administratif, Fasc. 75, nos 131 et s.
  • 26.
    CMF, art. L. 612-9.
  • 27.
    Il s’agit de, par ex., pour l’AMF « six professionnels désignés par le ministre de l’Économie, en raison de leur compétence financière et juridique ainsi que de leur expérience, après consultation des organisations représentatives des sociétés industrielles et commerciales dont les titres sont offerts au public ou cotés sur un marché réglementé. Deux représentants des salariés des entreprises du secteur financier désignés par le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, après consultation des organisations syndicales représentatives ».
  • 28.
    Cette commission des sanctions serait en effet composée de six membres : 1° Deux conseillers d’État désignés par le vice-président du Conseil d’État ; 2° Deux conseillers à la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de cassation ; 3° Deux conseillers maîtres à la Cour des comptes désignés par le premier président de la Cour des comptes (art. 2 de la loi).
  • 29.
    V. Autin J.-L. et Breen E., « Autorités Administratives Indépendantes », JCl. Administratif, Fasc.  75, nos 32 et s.
  • 30.
    Chevallier J., « Réflexions sur l’institution des autorités administratives indépendantes », JCP G 1986, doctr. 3254, n° 15.
  • 31.
    Établies et transmises dans les conditions prévues par la L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, rel. à la transparence de la vie publique.
  • 32.
    Chevallier J. évoque ainsi une « autonomie de gestion administrative et financière », une « absence de lien de dépendance hiérarchique ou de tutelle », ibid. ; Autin J.-L. et Breen E., JCl. Administratif, Fasc. 75 : « Autorités Administratives Indépendantes », art. préc., nos 60 et s.
  • 33.
    www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/20160610_Essentiel_mesures_pjl.pdf, p. 6.
  • 34.
    V. Bernard E., art. préc. (renvoyant à CE, Les agences, op. cit., p. 48) : « Le CE rejette la proposition formulée par J. Chevallier lors de ses premières études relatives au phénomène “d’agencification” : les agences se limiteraient aux fonctions de régulation et de gestion et les AAI à celles de régulation ». V. « Les agences : effet de mode ou révolution administrative ? », in Mélanges en l’honneur de G. Dupuis, 1997, LGDJ, p. 47 et s.
  • 35.
    V. les 3e et 4e directives « blanchiment » : Dir. n° 2005/60/CE du 26 octobre 2005 et Dir. (UE) n° 2015/849 du 20 mai 2015, rel. à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
  • 36.
    Boursier M.-E., « Groupes internationaux de sociétés : corruption internationale et mondialisation du risque pénal », Dr. pén. 2016, étude 1.
  • 37.
    V. CPS, art. 102a.
  • 38.
    V. le Guidance Act pour le Bribery Act : www.justice.gov.uk/downloads/legislation/bribery-act-2010-guidance.pdf.
  • 39.
    www.ussc.gov/guidelines/2015-guidelines-manual/2015-chapter-8#8b21.
  • 40.
    V. Lignes directrices du SCPC françaises visant à renforcer la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales, mars 2015, (engagement des dirigeants au plus haut niveau, évaluation des risques, mise en place d’un programme de conformité anticorruption, établissement d’un document de référence, désignation d’un référent, définition de procédures, intégration dans les contrats commerciaux d’une clause anticorruption, définition des procédures adaptées aux risques identifiés, vigilance vis-à-vis des tierces parties, mise en place d’un dispositif d’alerte interne, dispositif de contrôle, communication, formation et le suivi du programme de conformité anti-corruption, mise en place d’une politique de sanctions).
  • 41.
    C. pén., art. 131-39-2 ; v. art. 18, I, 2° de la loi.
  • 42.
    Lorrain R., « Le plaider coupable : une révolution textuelle », Dalloz actualité, 24 avr. 2015 ; Lévy A. et Monin de Flaugergues J., « La CRPC en matière économique et financière », Dr. pén. 2016, étude 21.
  • 43.
    Breen E., « Corruption – La “peine de mise en conformité” dans le projet de loi Sapin II : l’habit est beau, mais il a été mis à l’envers ! », JCP G 2016, 651.
  • 44.
    Section 9 UK Bribery Act (Guidance rel. au Bribery Act. 2010, p. 6).
  • 45.
    C. pén., art. 434-43-1 ; v. art. 18, I, 7° de la loi.
  • 46.
    Breen E., « Corruption – La “peine de mise en conformité” dans le projet de loi Sapin II », art. préc.
  • 47.
    Walther J., « La corruption en droit pénal des affaires allemand », RPDP 2010, p. 493 et s.
  • 48.
    L. n° 68-678, 26 juill. 1968, rel. à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.
  • 49.
    Comp. pour l’ADLC, L. 450-3 et s. C. com. / AMF, art. L. 621-9 et s. CMF.
  • 50.
    Cons. const., 20 janv. 1993, n° 92-316 DC, Cons. nos 15 et 16.
  • 51.
    V. CPP, art. 707-1 à 709 et CPP, art. D. 48 à D. 48-5-3.
  • 52.
    CE, ass., 16 févr. 2009, n° 081445, Sté Atom ; AJDA 2009, p. 583 ; RFDA 2009, p. 259, concl. Legras C. ; RJEP 2009, comm. 30, note Melleray F.
  • 53.
    CE, 29 mai 2009, Sté Laboratoires Mayoli Spindler.
  • 54.
    V. Autin J.-L. et Breen E., « Autorités Administratives Indépendantes », JCl. Administratif, Fasc. 75, n° 162.
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