Encadrer n’est pas jouer : la création d’un registre numérique des représentants d’intérêts par le projet de loi Sapin II
En créant un registre numérique des représentants d’intérêts, l’article 13 du projet de loi Sapin II vise à encadrer le lobbying effectué auprès des membres du pouvoir exécutif. Toutefois, le renforcement de la transparence des relations entre décideurs publics et acteurs économiques, objectif affiché du Gouvernement, est encore loin d’être atteint.
Dans la droite lignée des lois du 11 mars 19881, du 29 janvier 19932 et du 11 octobre 20133 relatives à la transparence de la vie publique et à la lutte contre la corruption, le Gouvernement a présenté en conseil des ministres son projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit Sapin II. L’objectif de ce texte, tel qu’il est énoncé dans l’étude d’impact qui l’accompagne, est de « réaliser de nouveaux progrès en matière de transparence et de modernisation de la vie des affaires et des relations entre acteurs économiques et décideurs publics »4.
Parmi les dispositions destinées à poursuivre ces objectifs, l’article 13, inséré dans le titre du projet de loi consacré à la transparence des rapports entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics, créé un répertoire numérique des représentants d’intérêts. L’idée de l’instauration d’un tel dispositif n’est pas nouvelle puisqu’elle trouve sa source dans un rapport de Jean-Louis Nadal sur l’exemplarité des responsables publics de 20155. Selon le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), « la création d’un registre des représentants d’intérêts au Sénat6 et à l’Assemblée nationale7 a constitué un progrès certain dans l’encadrement des relations entre représentants d’intérêts et parlementaires et a comblé un vide juridique préjudiciable à la fois aux parlementaires et aux représentants d’intérêts eux-mêmes. Cependant, il est regrettable que la seule réglementation spécifique aux représentants d’intérêts concerne uniquement le Parlement, alors que les membres de l’exécutif, particulièrement les ministres et leurs collaborateurs de cabinet, sont régulièrement amenés à rencontrer des groupes d’intérêts »8.
Si, en France, le lobbying a longtemps eu mauvaise presse, il tend aujourd’hui à être de plus en plus perçu comme l’une des composantes « de la démocratie parlementaire en économie de marché »9. Pour autant, l’ensemble des parties prenantes – décideurs publics, acteurs économiques et associations – ne s’accorde pas moins sur l’impérieuse nécessité de l’instauration d’un véritable encadrement10, auquel est supposée contribuer la création du registre numérique des représentants d’intérêts. En effet, ce dernier devait, selon le président de la République, François Hollande, permettre aux citoyens de savoir « qui est intervenu, à quel niveau, auprès des décideurs publics, pour améliorer, corriger, modifier une réforme, et quels ont été les arguments utilisés »11. D’ailleurs, l’étude d’impact prend acte de ce que « la transparence des processus de décisions publiques est directement corrélée à la confiance que les citoyens portent à leur Gouvernement »12. Il faut pourtant convenir que le résultat n’est pas à la hauteur de l’ambition présidentielle et gouvernementale. L’arbitrage réalisé entre l’existence d’un lien « entre les gouvernants, la société civile et le monde économique », nécessaire au « bon fonctionnement du pouvoir exécutif et, plus largement, des pouvoirs publics »13, et l’exigence croissante de transparence est, pour l’heure, nettement réalisé au détriment de cette dernière.
Ce manque d’ambition est perceptible tant dans la définition retenue des représentants d’intérêts (I) que dans le régime auquel les soumet le projet de loi (II) et dans l’effectivité du contrôle de la HATVP (III). Il l’est davantage encore lorsque l’on se livre à un exercice de comparaison entre le projet de loi, tel qu’il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée et l’avant-projet de loi, tel qu’il a été présenté au Conseil d’État.
I – La définition perfectible des « représentants d’intérêts » destinés à figurer dans le registre numérique
Le projet de loi prévoit deux catégories de représentants d’intérêts. La première, qui apparaît comme la plus évidente, vise « les personnes physiques et les personnes morales de droit privé, qui exercent régulièrement une activité ayant pour finalité d’influer sur la décision publique, notamment en matière législative ou règlementaire »14. Sont ainsi qualifiés de représentants d’intérêts les membres de cabinet de conseil, quelle que soit leur appellation (communication d’influence, affaires publiques, lobbying, etc.), les avocats-conseils, les salariés des services d’affaires publiques ou de relations institutionnelles constitués au sein des entreprises. La seconde catégorie de représentants d’intérêts définie par le projet de loi concerne « les personnes qui, au sein d’une personne morale de droit privé (…) ou d’un groupement ou établissement public industriel et commercial, ont pour fonction principale d’influer sur la décision publique ». Le champ d’application de l’article 13 du projet de loi semble donc, à première vue, relativement large, dans la mesure où cette seconde catégorie est composée de bon nombre d’acteurs des « représentants d’intérêts », n’excluant apparemment que les personnes morales de droit public, au premier rang desquelles les collectivités locales et établissements publics administratifs.
Plusieurs raisons conduisent néanmoins à nuancer cette impression. D’abord, la lecture des alinéas suivants du projet de loi exclut de la qualification de représentants d’intérêts « les élus dans l’exercice de leur mandat », « les partis et groupements politiques », « les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs en tant qu’acteurs du dialogue social » et les « associations à objet cultuel »15. La portée de ces exclusions a été quelque peu clarifiée par rapport à la rédaction de l’avant-projet de loi16. Mais leur nombre continue d’apparaître excessif, notamment au regard de l’exclusion totale des syndicats – de salariés ou d’employeurs – dont les débats qui ont entouré l’élaboration du projet de loi Travail suffisent à démontrer qu’ils sont en tout point des représentants d’intérêts défendant, avec plus ou moins de succès, leurs intérêts particuliers auprès des décideurs publics. L’exclusion totale des associations cultuelles est également regrettable, d’autant plus que les membres de l’exécutif ont maintes fois réaffirmé, ces dernières années, l’importance du principe de laïcité. Par ailleurs, l’exclusion indifférenciée des « partis et groupements politiques » élimine de facto de la qualification de représentants d’intérêts, et de manière peu fondée, les « faux partis » tels que « La Manif pour Tous » qui, pourtant, revendique sa volonté d’influencer les gouvernants. Ainsi, en plus des personnes relevant de la première catégorie, ne sont donc considérés comme des représentants d’intérêts que : les associations d’élus, les fédérations professionnelles, les syndicats étudiants, les organisations non-gouvernementales, les think tanks et les associations. Par ailleurs, il est possible d’imaginer que la question se posera pour certaines entités, comme les chambres de commerce et d’industrie. Selon le critère organique, en tant qu’établissements publics administratifs, elles devraient être exclus du champ d’application de la loi et, partant, ne pas être considérées comme des représentants d’intérêts. Mais il peut également être envisageable de les considérer comme tels, dans la mesure où elles se voient confier la gestion de certains services à caractère industriel et commercial.
Ensuite, le projet de loi précise que les personnes relevant de chacune de ces deux catégories ne sont considérées comme des représentants d’intérêts qu’en tant qu’elles entrent en communication avec un certain nombre d’interlocuteurs. Ainsi, parmi elles, seules sont considérées comme des représentants d’intérêts les personnes qui s’adressent à un membre du Gouvernement, à un collaborateur du président de la République, à un membre de cabinet ministériel, à un directeur général, secrétaire général ou membre d’une autorité administrative indépendante (AAI) ou d’une autorité publique indépendante (API)17 ou encore à une personne exerçant un emploi ou une fonction à la décision du Gouvernement pour lesquels elle a été nommée en conseil des ministres afin d’influer sur la décision publique18. La disparition du président de la République de cette liste figure parmi les modifications les plus notables intervenues à la suite de l’avis du Conseil d’État. Ce dernier a en effet estimé, au terme d’un raisonnement pour le moins lapidaire, que, « comme pour la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il n’y avait pas lieu de faire entrer le président de la République dans le champ d’application de la loi : en effet, le statut du président de la République relève de la seule Constitution »19.
Enfin, et le Conseil d’État déplorait lui-même cette lacune, il est possible de regretter l’absence, dans l’article 13, de dispositions relatives aux interventions des représentants d’intérêts auprès des « dirigeants des principaux opérateurs publics et [des] présidents de certaines instances collégiales investies d’un pouvoir de décision », ainsi qu’auprès « des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux »20.
En définitive, la définition des représentants d’intérêts et, partant, de la délimitation du champ d’application de la disposition déçoit en raison de son caractère limité. Il en va de même pour le régime des obligations et interdictions afférent à la qualité de représentant d’intérêts.
II – Le régime applicable aux représentants d’intérêts
La qualification de représentant d’intérêts implique tout d’abord une obligation administrative, celle de transmettre un certain nombre d’informations à la HATVP. Ainsi, doivent être communiquées à cette dernière l’identité du représentant d’intérêts, s’il s’agit d’une personne physique, ou l’identité du ou des dirigeant(s) et celle des personnes chargées d’assurer la représentation d’intérêts, s’il s’agit d’une personne morale21. Doivent également être communiqués à la HATVP le champ des activités de représentation d’intérêts22, cette notion étant susceptible d’être précisée par décret en Conseil d’État23, ainsi que l’identité de la personne pour le compte de laquelle la représentation d’intérêts est exercée24. Ces informations doivent être transmises par l’intermédiaire d’un télé-service, dans un délai d’un mois à compter du début de son activité, puis chaque année au plus tard au 1er octobre25. Elles sont ensuite rendues publiques. Ici s’arrête l’apport du projet de loi en matière de transparence des relations entre les décideurs publics et les acteurs économiques. Les autres obligations qui leur sont applicables relèvent, en effet, du seul champ de la déontologie.
En matière de déontologie, l’avant-projet de loi était ambitieux, puisqu’il instaurait des obligations et interdictions à l’égard des représentants d’intérêts, mais également à l’égard de leurs interlocuteurs publics. Il leur interdisait ainsi, par principe, de s’abstenir de recevoir les représentants d’intérêts ou d’examiner tout élément soumis par eux s’ils ne sont pas inscrits dans le registre numérique26, sauf en cas de nécessité des relations internationales de la France, ou lorsque l’urgence le justifiait. Or, la disposition n’apparaît plus dans le projet de loi. Seules demeurent les – certes nombreuses – obligations et interdictions relatives à la déontologie des représentants d’intérêts. Il est ainsi fait obligation à ces derniers de communiquer aux interlocuteurs publics énumérés par le projet de loi leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou l’entité qu’ils représentent27. En outre, les représentants d’intérêts doivent s’abstenir d’effectuer un certain nombre d’actions auprès desdits interlocuteurs publics, comme de leur « proposer ou remettre des présents, dons ou avantages quelconques d’une valeur significative »28 ou de les inciter à enfreindre les règles déontologiques qui leurs sont applicables29, sans que leur contenu soit précisé par le projet de loi. Or, excepté pour les membres du Gouvernement, pour lesquels il existe une Charte de déontologie30, le contenu de ces règles mériterait d’être explicité, sauf à considérer que la HATVP pourra discrétionnairement en décider31. Les représentants d’intérêts doivent également s’abstenir d’obtenir ou d’essayer d’obtenir des informations ou décisions en communiquant délibérément aux décideurs publics énumérés des « informations erronées ou en recourant à des manœuvres destinées à les tromper »32, d’organiser des événements dans lesquels les modalités de prise de parole par les décideurs publics mentionnés sont liées au versement d’une participation financière33. Il est ici possible de noter qu’une règle similaire était envisagée dans l’avant-projet de loi et n’apparaît plus dans la version du texte déposé à l’Assemblée nationale. Dans sa version initiale, il était en effet demandé aux représentants d’intérêts de s’abstenir « d’organiser, dans l’enceinte [dans laquelle sont installés les interlocuteurs publics énumérés], des colloques, réunions, clubs et manifestations au cours desquels les participants extérieurs seraient invités à intervenir sous condition d’une participation financière »34. A également disparu du projet de loi la règle selon laquelle les représentants d’intérêts doivent s’abstenir de « requérir un accès particulier ou privilégié aux institutions »35 et, dans le même temps, les questions que cette règle pouvait soulever. Il aurait en effet été possible de se demander si une sollicitation d’entretien auprès de l’un des interlocuteurs publics énumérés est assimilable à une requête d’accès « particulier ou privilégié ». Enfin, les représentants d’intérêts doivent s’abstenir de « divulguer les informations obtenues à des tiers à des fins commerciales ou publicitaires »36 ou encore de « vendre à des tiers des copies de documents provenant du Gouvernement, d’une autorité administrative ou publique indépendante ou d’utiliser du papier à en-tête ainsi que le logo de ces autorités publiques et de ces organes administratifs »37. Le projet de loi précise par ailleurs que l’ensemble de ces règles est également applicable aux rapports des représentants d’intérêts avec « l’entourage direct » des interlocuteurs publics cités.
Dès lors, le régime auquel le projet de loi assujettit les représentants d’intérêts suscite deux remarques. D’une part, et bien que la valeur ajoutée du lobbying au débat public soit aujourd’hui assez largement admise, la philosophie générale du texte témoigne de ce que cette pratique est encore largement perçue sous un angle néfaste, celui de la corruption et de la collusion d’intérêts. L’objectif de renforcement de la transparence des relations entre décideurs publics et acteurs économiques est, quant à lui, nettement laissé de côté. Car si les citoyens auront désormais la possibilité de connaître l’identité des représentants d’intérêts, rien dans le dispositif ne leur permet de se renseigner sur les liens (fréquence des rencontres, sujet abordé, arguments avancés, budgets alloués à l’activité de représentation d’intérêts…) entre ces derniers et les décideurs publics. D’autre part, et de manière assez paradoxale, le projet de loi semble essentiellement compter sur la capacité à « s’abstenir » de méconnaître les prescriptions déontologiques des représentants d’intérêts et sur leur volonté de « s’attacher à » respecter les règles fixées. Toutefois, afin de mieux convaincre ces derniers, le texte confie à la HATVP un pouvoir de contrôle et de sanction en cas de non-respect de ces dispositions.
III – La confiance n’exclut pas le contrôle (ni les sanctions) : les nouveaux pouvoirs de la HATVP
Au-delà de la tenue du registre numérique, le projet de loi confère de nouvelles compétences à la HATVP. D’abord, cette dernière est chargée de veiller au respect par les représentants d’intérêts des règles établies38. Nombreux étaient ceux qui craignaient que cette nouvelle compétence ne soit qu’une « coquille vide ». Mais le projet de loi fait en sorte que la HATVP ait les moyens d’assurer cette mission de contrôle, sans laquelle la réglementation de l’activité des représentants d’intérêts resterait parfaitement vaine. La HATVP peut ainsi demander à « se faire communiquer par les représentants d’intérêts au sens de la présente loi toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse lui être opposé »39, ce droit s’exerçant « sur pièces ou sur place »40. Le projet de loi organise toutefois une procédure particulière lorsque ce droit est exercé auprès d’un avocat, en prévoyant qu’il n’est exercé que sur pièces, et auprès du président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou du bâtonnier de l’Ordre auprès duquel l’avocat est inscrit, lesquels ne peuvent s’opposer à la demande de la HATVP que lorsque la procédure n’est pas respectée. Malgré cette garantie procédurale dont bénéficient les avocats, il est probable que cette prérogative de la Haute autorité, en ce qu’elle est susceptible de se heurter au droit à la vie privée et, surtout, au secret des affaires, va faire l’objet d’un important lobbying de la part des différents représentants d’intérêts. Afin de renforcer le pouvoir de contrôle de la HATVP, le projet de loi institutionnalise une procédure de « lanceur d’alerte » – ou de dénonciation, selon le point de vue retenu – en prévoyant également que la Haute autorité « peut être rendue destinataire par toute personne d’un signalement relatif à un manquement par un représentant d’intérêts aux obligations »41 qui leur incombent.
Ensuite, la HATVP se voit dotée d’une compétence consultative. Elle pourra, d’une part, se prononcer sur la qualification à donner aux activités exercées par des personnes morales ou physiques de droit privé à la demande de ces dernières42 ou à la demande des décideurs publics énumérés43. D’autre part, elle peut être consultée par les décideurs publics sur le respect des règles déontologiques auxquelles ils sont assujettis44.
Le projet de loi fait également de la HATVP un « conseiller » des décideurs publics. Il prévoit en effet que lorsque, à l’occasion des contrôles effectués, la HATVP constate que l’un d’entre eux a répondu favorablement à une sollicitation effectuée par un représentant d’intérêts qui méconnaîtrait l’une des règles fixées par l’article 13, elle « peut en aviser la personne concernée et peut (…) lui adresser tout conseil »45. Ce rôle de conseiller témoigne, une fois de plus, de l’absence de renforcement de l’objectif de transparence des relations entre décideurs publics et acteurs économiques, le projet de loi excluant la publicité du constat et du conseil formulé par la Haute autorité. Cette volonté de protéger les décideurs publics, dont on peut – dans une certaine mesure – convenir de la légitimité, est d’autant plus manifeste que le projet de loi a renoncé à étendre le dispositif organisé par l’article 22 de la loi du 11 octobre 201346 aux manquements aux obligations de ces derniers dans leurs relations avec les représentants d’intérêts. Ce dispositif, qui prévoit l’information de l’autorité « hiérarchique » en cas de manquement de la part de l’un des décideurs publics47, figurait pourtant dans l’avant-projet de loi48.
Enfin, et c’est l’un des points névralgiques de l’article 13, la disposition confère un pouvoir de sanction de la HATVP à l’égard des représentants d’intérêts qui manqueraient aux obligations qui leur incomberont désormais. En cas de manquement dûment constaté par la Haute autorité, la procédure ne prévoit, dans un premier temps, qu’une mise en demeure de respecter les obligations légales, assortie d’une période de mise à l’épreuve de cinq ans49. Ce n’est qu’en cas de manquement répété qu’une sanction financière, d’un montant maximal de 30 000 euros50, pourra être prononcée par la HATVP suite à une procédure engagée par son président qui, conformément au principe de séparation des fonctions de poursuite et d’instruction51, n’assiste ni à la séance, ni au délibéré52. Il notifie alors aux personnes concernées les griefs qui leur sont adressés et désigne un rapporteur53. Les personnes sont ensuite convoquées et ont la possibilité, en personne ou par l’intermédiaire de leur représentant, d’être entendues avant que le collège de la Haute autorité ne délibère et décide, le cas échéant, de prononcer une décision de sanction motivée54, qui peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction55.
Le montant maximal de la sanction apparaît comme relativement dissuasif. En revanche, une nouvelle fois, l’objectif de renforcement de la transparence des relations entre décideurs publics et acteurs économiques est une nouvelle fois mis à mal. Le projet de loi prévoit en effet que la décision de sanction peut être rendue publique « sans faire mention de l’identité et de la fonction » du décideur public impliqué dans le manquement56.
En définitive, l’article 13 du projet de loi Sapin II a le mérite évident, d’une part, d’inscrire dans la loi l’existence et le bien-fondé des interactions entre les décideurs publics et les acteurs économiques et, d’autre part, d’établir un début de réglementation visant à encadrer ces interactions pour s’assurer qu’elles ne vont pas à l’encontre d’un certain nombre de règles déontologiques. Il faut s’en féliciter. En revanche, il est permis d’être plus sceptique sur l’apport hypothétique en matière de transparence de la vie publique, qui semble assez largement avoir cédé le pas à l’objectif de protection de l’activité des membres de l’exécutif. Il est ainsi possible de déplorer que le projet de loi n’ait pas repris la proposition n° 11 du rapport de Jean-Louis Nadal57, qui préconisait de « faire apparaître l’empreinte normative de la loi et du règlement » au motif qu’elle constitue un « complément nécessaire au répertoire des représentants d’intérêts »58.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 88-227, 11 mars 1988, relative à la transparence financière de la vie politique.
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2.
L. n° 93-122, 29 janv. 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
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3.
L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, relative à la transparence de la vie publique et L. org. n° 2013-906, 11 oct. 2013, relative à la transparence de la vie publique.
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4.
Étude d’impact du projet de loi, p. 13.
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5.
Nadal J.-L., Renouer la confiance publique – Rapport au président de la République sur l'exemplarité des responsables publics, 2015, La Documentation française, 192 p., disponible en version numérique à l’adresse suivante : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-publics/154000023.pdf.
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6.
Depuis un arrêté de questure du 1er décembre 2010, l’instruction générale du bureau du Sénat prévoit un droit d'accès à certains locaux du Sénat, sous réserve de leur inscription sur un registre rendu public sur le site internet, de leur engagement à respecter un code de conduite et du port d'un badge dans l'enceinte du Sénat. En cas de non-respect de ce code, le bureau du Sénat peut prononcer le retrait motivé, temporaire ou définitif, de la carte d’accès.
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7.
Depuis l’adoption par le bureau de l’Assemblée nationale des règles de transparence et d’éthique applicables à l’activité des représentants d’intérêts, le 2 juillet 2009, il est prévu que ces derniers, s’ils souhaitent bénéficier d’un badge ouvrant les droits d’accès au Palais Bourbon, doivent remplir un formulaire donnant des informations sur leurs activités et les intérêts qu’ils défendent et souscrire à un code de conduite adopté par le bureau. La délégation aux représentants d’intérêts et aux groupes d’études instruisait alors les demandes d’inscription sur la liste. Mais afin d’encourager les représentants d’intérêts à s’inscrire sur le registre, la nouvelle réglementation adoptée par le bureau en février et juin 2013 prévoit une inscription de droit sur le registre pour tout représentant d’intérêts qui accepte de jouer le jeu de la transparence en remplissant un formulaire détaillé, rendu public sur le site internet. En cas de non-respect du code, une décision du bureau peut prévoir la suspension ou la radiation du registre assortie, le cas échéant, par la publication de la décision sur le site internet de l’Assemblée nationale.
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8.
Op. cit., p. 68.
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9.
Vigouroux C., Déontologie des fonctions publiques, 2006, Paris, Dalloz.
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10.
Sur ce point, voir not. Sirugue C., Rapport au nom du groupe de travail sur les lobbies à l’Assemblée nationale, 2013, 38 p., accessible à l’adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/representants-interets/rapport_bureau_2013.pdf et Dupont J.-L., Rapport au nom du groupe de travail sur les groupes d'intérêt, adopté le 7 octobre 2009 par le bureau du Sénat, non rendu public.
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11.
Discours à l’occasion de la remise du rapport de Nadal J.-L., préc.
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12.
Étude d’impact, préc., p. 44.
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13.
CE, ass., avis, 24 mars 2016, n° 391262.
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14.
Art. 13, I, al. 1.
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15.
Art. 13, I, a à d.
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16.
L’avant-projet de loi excluait de la qualification de « représentants d’intérêts » les « élus en tant qu’ils concourent à l’expression de l’intérêt qu’ils représentent », les « partis et groupements politiques en tant qu’ils concourent à l’expression du suffrage », les « organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs en tant qu’acteurs du dialogue social » et les « associations à objet cultuel en tant qu’elles participent de l’exercice public d’un culte ». L’ambiguïté de l’expression « en tant que », qui peut être interprétée aussi bien comme signifiant « parce que » ou « seulement dans la mesure où », a donc été en grande partie levée.
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17.
Seules seront concernées les AAI et les API énumérées au 6° du I de l’article 11 de la L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, relative à la transparence de la vie publique tel que modifié par l’article 14 du projet de loi Sapin II.
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18.
Art. 13, I, 1° à 4°.
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19.
Avis du Conseil d’État, préc., p. 15.
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20.
Ibid, p. 15.
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21.
Art. 13, II, 1°.
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22.
Art. 13, II, 2°.
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23.
Art. 13, IX.
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24.
Art. 13, II, al. 4.
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25.
Art. 13, II, al. 1.
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26.
Art. 18, V, al. 1 de l’avant-projet de loi. Cette interdiction de principe n’était pas applicable au président de la République ni aux membres du Gouvernement.
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27.
Art. 13, IV, 1°.
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28.
Art. 13, IV, 2°. Il est d’ailleurs souhaitable que le décret en Conseil d’État précise le seuil à compter duquel la valeur d’un présent, d’un don ou d’un avantage devient significative. À ce titre, il convient de noter que, à l’Assemblée nationale et au Sénat, le seuil à partir duquel les parlementaires doivent déclarer un tel présent est fixé à 150 €.
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29.
Art. 13, IV, 3°.
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30.
La Charte de déontologie des membres du Gouvernement a été adoptée lors du conseil des ministres du 17 mai 2012, à l’issue duquel l’ensemble des membres du Gouvernement a été amené à la signer. Elle repose sur cinq grands principes : solidarité et collégialité, concertation et transparence, impartialité, disponibilité, intégrité et exemplarité.
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31.
V. infra.
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32.
Art. 13, IV, 4°.
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33.
Art. 13, IV, 5°. Le projet de loi précise que cela vaut quelle que soit la forme que revêtirait la participation financière.
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34.
Art. 18, IV, f de l’avant-projet de loi.
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35.
Art 18, IV, e de l’avant-projet de loi.
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36.
Art. 13, IV, 6°.
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37.
Art. 13, IV, 7°.
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38.
Art. 13, V, al. 1.
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39.
Art. 13, V, al. 2. Le projet de loi précise également qu’ « est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende, quiconque fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à l’exercice » des pouvoirs de contrôle de la HATVP (art. 13, V, al. 4).
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40.
Art. 13, V, al. 3.
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41.
Art. 13, VI, al. 2.
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42.
Art. 13, V, al. 5.
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43.
Art. 13, VI, al. 1.
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44.
Art. 13, VI, al. 1.
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45.
Art. 13, VII.
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46.
L. n° 2013-907, préc.
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47.
L’article 22 de la loi n°2013-907 prévoit ainsi, notamment, l’information du président de la République en cas de manquement du Premier ministre, l’information du Premier ministre en cas de manquement de l’un des membres du Gouvernement.
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48.
Art. 18, VI, al. 3 de l’avant-projet de loi.
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49.
Art. 13, VIII, al. 1.
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50.
Art. 13, VIII, al. 6.
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51.
Voir not. décision Cons. const., QPC, 12 oct. 2012, n° 2012-280 sté Groupe Canal Plus et autre [Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction] : JO, 13 oct. 2012, p. 16031, Rec. p. 529, cons. 21.
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52.
Art. 13, VIII, al. 4.
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53.
La désignation d’un rapporteur s’opère conformément au V de l’article 19 de la loi n° 2013-907, préc., qui prévoit que « La Haute autorité est assistée de rapporteurs désignés par : 1° Le vice-président du Conseil d'État parmi les membres, en activité ou honoraires, du Conseil d'État et du corps des conseillers de tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ; 2° Le premier président de la Cour de cassation parmi les magistrats, en activité ou honoraires, de la Cour de cassation et des cours et tribunaux ; 3° Le premier président de la Cour des comptes parmi les magistrats, en activité ou honoraires, de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes. Elle peut bénéficier de la mise à disposition de fonctionnaires et recruter, au besoin, des agents contractuels ».
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54.
Art. 13, VIII, al. 5.
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55.
Art. 13, VIII, al. 8.
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56.
Art. 13, VIII, al. 7.
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57.
Nadal J.-L., Renouer la confiance publique - Rapport au président de la République sur l'exemplarité des responsables publics, op. cit.
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58.
Ibid, p. 76. Le rapport précise que « l’empreinte normative consiste à joindre à un texte normatif la liste des personnes entendues par les responsables publics dans le cadre de son élaboration, de la rédaction du projet à son entrée en vigueur, aussi bien à l’échelle législative que réglementaire ».