Yves Burfin : « 45 % des entreprises franciliennes connaissent des difficultés d’approvisionnement » !

Publié le 08/09/2022

Avec une forte reprise économique au niveau mondial, à la suite de la crise sanitaire, les besoins en matières premières sont élevés dans plusieurs activités économiques. Difficile alors de s’approvisionner pour les entreprises de certains secteurs. Cette hausse de la demande face à une offre qui ne suit pas le rythme alimente en partie un phénomène d’inflation. Par ailleurs, le conflit en Ukraine contribue à l’augmentation des prix sur certains produits. Face à cette conjoncture le Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services (CROCIS), de la CCI Paris Île-de-France, a réalisé une étude auprès de 955 entreprises d’Île-de-France, début avril 2022, dans les secteurs de l’industrie, la construction, le commerce, la restauration et les services. Responsable d’études au CROCIS, Yves Burfin décrypte les résultats de cette enquête.

Actu-Juridique : Quels étaient les objectifs de cette étude que vous avez réalisée ?

Yves Burfin : L’objectif de cette étude était de dresser un état des lieux des difficultés d’approvisionnement des entreprises d’Île-de-France. Pour cela, nous avons mené une enquête afin de savoir comment ces difficultés se traduisent concrètement et connaître le ressenti des entreprises concernées. L’enquête date de début avril 2022. Nous avons également interrogé des fédérations professionnelles, notamment dans le secteur de la construction ; ces témoignages permettent de compléter l’enquête car les fédérations sont en contact permanent avec leurs adhérents.

AJ : Quels impacts la guerre en Ukraine a-t-elle sur l’activité des entreprises franciliennes ?

Yves Burfin : Il n’y a que 6 % des entreprises qui ont déclaré avoir des clients ou des fournisseurs en Ukraine ou en Russie. C’est un chiffre assez faible. Ces deux pays ne sont pas des partenaires commerciaux importants et plusieurs chiffres viennent le prouver. En 2021, près de 200 M€ de produits russes ont été importés en Île-de-France et les exportations vers la Russie représentent 1,3 Mds€. En ce qui concerne les échanges entre la région francilienne et l’Ukraine, les importations représentent plus de 173 M€ et les exportations 142 M€. Les principaux partenaires commerciaux de l’Île-de-France, sont les pays limitrophes de la France, puis la Chine et les États-Unis. Au départ, la guerre en Ukraine n’a donc pas vraiment eu d’impact. En revanche, ce conflit a et aura des conséquences sur les matières premières agricoles, notamment le blé ou l’huile et quelques métaux rares. Le contexte global de la guerre en Ukraine alimente la hausse des prix de ces produits. Mais les conséquences risquent d’être de plus en plus importantes au fil des prochains mois. Aujourd’hui, il n’y a pas de pénurie de produits agricoles car nous utilisons les récoltes de l’année dernière. Mais que va-t-il se passer en hiver, quand les récoltes du printemps et de l’été n’auront pas été faites ? Que se passera-t-il aussi en matière d’énergie cet hiver ? Il est à craindre que le plus dur pour notre économie soit devant nous.

AJ : De quelles manières les entreprises d’Île-de-France sont-elles impactées par les difficultés d’approvisionnement ?

Yves Burfin : Au total, 45 % des entreprises d’Île-de-France interrogées connaissent des difficultés d’approvisionnement. Ces difficultés sont en hausse sur ces derniers mois pour 94 % d’entre elles. Les principaux secteurs affectés dans la région francilienne sont l’industrie, la construction, la restauration et le commerce de gros. La première difficulté à laquelle font face les entreprises est l’allongement des délais de livraison, ensuite vient l’augmentation des prix pour le client du fait de la hausse des tarifs des fournisseurs. 96 % des entreprises interrogées estiment que les difficultés d’approvisionnement sont responsables de la hausse des prix. 57 % d’entre elles répercutent la hausse des prix sur leurs produits vendus. Les entreprises témoignent aussi d’un phénomène de rationnement, les fournisseurs ne pouvant plus répondre à la totalité de leurs demandes.

AJ : Quelles sont les causes de ces difficultés d’approvisionnement ?

Yves Burfin : Pour les semi-conducteurs, les usines ont été fermées à cause du Covid-19. La production a donc baissé. Mais, pendant le confinement, beaucoup de personnes dans le monde ont acheté des ordinateurs pour télétravailler. La demande a donc augmenté, ce qui a entraîné des pénuries. Puis la reprise économique à la suite du premier déconfinement a été très forte en Chine, notamment avec une forte demande en bois. Des ports sont également restés fermés durant des mois. Au moment de la reprise, la régulation de l’activité portuaire a pris plusieurs mois.

AJ : Quelles sont les conséquences concrètes de ces difficultés d’approvisionnement ?

Yves Burfin : Face aux difficultés d’approvisionnement, les entreprises franciliennes trouvent différentes solutions. D’après notre étude, elles sont 55 % à engager des actions pour trouver des nouveaux fournisseurs. 31 % des entreprises interrogées ont décidé de reporter leurs commandes et 27 % des entreprises ayant répondu à notre enquête préfèrent baisser leurs commandes. Pour prendre l’exemple de la construction, ce secteur d’activité a connu une explosion des prix et des délais de livraison pour certaines matières premières. Entre janvier 2019 et avril 2022, le prix des minerais de fer a augmenté de 99 % et le prix du nickel de plus de 200 %. Les délais de livraison ont pu passer de 3 à 22 semaines dans le secteur de la construction.

L’augmentation du prix des matériaux entraîne malheureusement une hausse des vols sur les chantiers en Île-de-France. Dans la région, la construction représente plus de 150 000 entreprises et 315 500 emplois. Avec ce phénomène de pénurie, certains chantiers pourraient être mis à l’arrêt et les salariés placés en chômage partiel.

AJ : Il y a aussi des conséquences dans d’autres secteurs d’activité…

Yves Burfin : La restauration subit une augmentation des coûts notamment pour les produits à base d’huile ou encore de blé. Face au problème de pouvoir d’achat de la population, il est difficile pour les professionnels de la restauration d’augmenter leurs prix. Ajoutez à cela les difficultés de recrutement et les deux années de crise sanitaire : la situation est très compliquée dans ce secteur d’activité. Plus globalement, le contexte économique est incertain. La politique de soutien de l’État pendant la crise sanitaire a permis de maintenir en vie de nombreuses entreprises. Maintenant que les aides gouvernementales ont été arrêtées, certaines entreprises se retrouvent en difficulté face à la réalité économique actuelle très complexe. Il risque d’y avoir des faillites dans les prochains mois.

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