Cessation des paiements et incompétence du juge de la procédure collective en matière de créance fiscale
Par un arrêt de rejet, la Cour de cassation réaffirme, d’une part, les caractéristiques nécessaires pour l’ouverture d’une procédure collective sur la base de la cessation des paiements et rappelle, d’autre part, l’incompétence du juge statuant en matière commerciale de se prononcer sur l’existence ou le montant des créances fiscales.
Cass. com., 11 avr. 2018, no 16-23019, F–PBI
1. La cessation des paiements d’un débiteur peut-elle être constatée sur la base de la créance fiscale que celui-ci conteste devant le juge saisi de l’ouverture de sa procédure collective ? Telle est la question à laquelle les juges de la chambre commerciale de la Cour de cassation étaient tenus de répondre le 11 avril 20181. En l’espèce, la société IME est débitrice d’une créance fiscale d’un montant de 162 915 €. Le comptable du pôle recouvrement spécialisé du Rhône assigne cette société devant le tribunal compétent. Par jugement rendu le 19 avril 2016, cette juridiction met la société IME en liquidation judiciaire et désigne la société Alliance comme liquidateur judiciaire. Le différend est porté devant la cour d’appel de Lyon qui, par un arrêt du 30 juin 2016, constate, d’une part, la cessation des paiements de la société indiquée et, d’autre part, procède à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire au vu de son passif exigible constitué d’une créance fiscale de 162 915 €. La société IME forme un pourvoi contre cet arrêt. Selon elle, la cessation des paiements ne saurait être caractérisée, car ladite créance fiscale est contestée et par conséquent dépourvue de certitude. Ce pourvoi est formellement rejeté par la Cour de cassation. Rappelant d’entrée de jeu que « les créances fiscales ne peuvent être contestées que dans les conditions prévues au Livre des procédures fiscales », la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges lyonnais qui ont inclus les créances fiscales de cette société dans le passif exigible afin d’apprécier sa cessation des paiements. De manière concise, la Cour de cassation constate la cessation des paiements du débiteur et dénie la compétence au juge saisi de se prononcer sur la créance fiscale. L’analyse de cette décision permet de constater que le juge de la procédure collective est incompétent pour statuer sur la contestation au regard du caractère public de la créance (II). Fort de ce constat, la caractérisation de la cessation des paiements de cette société est indéniable au regard du caractère échu de la créance fiscale (I).
I – L’indéniable caractérisation de la cessation des paiements au regard du caractère échu de la créance fiscale
2. En procédant au rejet du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, la chambre commerciale de la Cour de cassation conclut que « la cour d’appel a inclus à bon droit dans le passif exigible la créance fiscale qui n’est pas litigieuse ». On peut alors s’interroger. Pourquoi une telle créance qui paraît contestée a-t-elle été prise en compte dans la caractérisation de la cessation des paiements ?
3. La cessation des paiements2 est l’impossibilité pour un débiteur de faire face au passif exigible avec l’actif disponible. Le passif qui donne lieu à la constatation de la cessation des paiements et subséquemment à l’ouverture d’une procédure collective est un passif exigible3 c’est-à-dire un passif échu4 ou un passif composé en principe de toutes les dettes échues5. Ces dettes ne doivent pas être litigieuses, conditionnelles ou éventuelles6. En l’espèce, prétextant que sa créance fiscale de 162 915 € résulte d’une taxation d’office, la société IME conteste ladite créance en invoquant son caractère incertain. Cet argument est inopérant puisque le comptable public dispose d’un titre exécutoire. Rappelons que le titre exécutoire est ce titre qui permet de recourir au recouvrement forcé d’une dette si le débiteur ne s’acquitte spontanément7. C’est d’ailleurs sur la base de ce titre que le tribunal a prononcé une procédure de liquidation judiciaire. La cessation des paiements de cette société est dès lors indéniablement caractérisée. Le passif exigible de cette société ne peut faire face à son actif disponible. Ainsi, les créances, les liquidités et autres moyens financiers que possède la société ne peuvent faire face à l’ensemble des dettes de celle-ci. En effet, la créance de 162 915 € est échue. Outre le titre exécutoire constatant l’exigibilité et la certitude de la créance, un avis de mise en recouvrement de la créance a été établi et ce après le rejet de la réclamation formulée par la société IME. Le caractère échu de la créance fiscale de la société permet logiquement d’inclure cette créance dans l’élément – passif exigible – pris en compte pour la cessation des paiements.
4. La cessation des paiements de la société IME est constatée par l’indisponibilité de l’actif de cette société. Très concrètement, suivant les termes de la Cour de cassation « la société IME ne détient aucun actif disponible ». Or, pour ne pas être placé en état de cessation des paiements, le débiteur doit faire état d’actifs ou des biens immédiatement réalisables pour une valeur supérieure au passif exigible ou pouvant faire face au passif exigible. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Cette non disponibilité d’actifs par rapport au passif exigible de la société IME évalué à 162 915 € justifie sa mise en liquidation judiciaire8. Une question peut être soulevée à ce niveau : le juge qui prononce l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire peut-il se prononcer sur la contestation d’une créance fiscale ? Aucunement. La créance fiscale est une créance hors de compétence du juge de la procédure collective en raison de son caractère ou de sa nature publique.
II – L’incompétence du juge saisi de la procédure collective au regard du caractère public de la créance fiscale
5. Les arguments soulevés par la société IME laissent présager qu’elle conteste aussi bien le montant que l’existence de la créance fiscale. S’agit-il d’une contestation portant sur l’assiette de la créance fiscale ou sur le recouvrement de la créance fiscale9 ? Peu importe, dans le cadre du différend soumis à l’appréciation des juges de la chambre commerciale de la Cour de cassation, un avis de mise en recouvrement par l’administration fiscale avait été établi après le rejet de la réclamation du redevable. Le recours contre une telle décision administrative obéit à un régime particulier distinct du régime applicable aux procédures collectives. Par ailleurs, le statut « administratif » du créancier de la société IME donne une nature singulière à la créance réclamée10, qui, détenue par le Trésor public11, est une créance publique. C’est une créance soustraite à la compétence des juges de droit commun et spécifiquement du juge saisi de la procédure collective. La haute juridiction le relève clairement dans sa décision du 11 avril 201812. Face à la contestation élevée par la société IME, elle note sans ambages que « les créances fiscales ne peuvent être contestées que dans les conditions prévues au Livre des procédures fiscales »13.
6. Quel est donc le juge compétent pour se prononcer sur une telle contestation ? Le Livre des procédures fiscales, en son article L. 281, alinéa 2, mentionne que : « Les recours contre les décisions prises par l’administration sur ces contestations sont portés, dans le premier cas, devant le juge de l’exécution, dans le second cas, devant le juge de l’impôt tel qu’il est prévu à l’article L. 199 ». En l’espèce, la Cour de cassation note que la société IME était tenue de saisir à la suite du rejet de sa réclamation le juge de l’impôt compétent en la matière. La mise en exergue de la compétence du juge de l’impôt exclut la compétence du juge saisi de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, solution conforme à celle adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 septembre 201714. La haute juridiction relevait alors que : « s’il appartient au juge statuant en matière de vérification des créances de se prononcer sur la régularité de la déclaration de créance, en revanche, il ne relève pas de ses pouvoirs juridictionnels de se prononcer sur l’existence ou le montant des créances fiscales ». Au-delà d’être un constat, l’incompétence du juge saisi de la procédure collective est une application de la règle de droit fiscal.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. com., 11 avr. 2018, n° 16-23019, F-PBI, rejet : Bull. civ. IV, n° 328 ; Dalloz actualités, 11 avr. 2018, p. 796.
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2.
Voir C. com., art. L. 631-1, al. 1er.
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3.
Jacquemont A., Vabres R. et Mastrullo T., Droit des entreprises en difficultés, 10e éd., 2017, LexisNexis, Paris, n° 197. Le passif exigible s’entend de l’ensemble des dettes certaines, liquides et exigibles.
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4.
Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficultés, 8e éd., 2013, Lextenso éditions, LGDJ, Paris, n° 413.
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5.
Prochon F., Droit des entreprises en difficultés, 2014, Lextenso éditions, LGDJ, Paris, n° 352.
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6.
Gamaleu Kameni C., La cessation des paiements en droit de l’Ohada. Étude à la lumière du droit français, 2014, Paf, Saarbrucken, p. 4.
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7.
Voir « Titre exécutoire » in Cornu G., Vocabulaire juridique, p. 922.
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8.
Lors de la constatation de la cessation des paiements, la juridiction compétente est tenu de vérifier si le débiteur dispose des moyens permettant la poursuite des activités de son entreprise.
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9.
V. Collet M., Droit fiscal, 5e éd., 2015, Puf, Thémis, n° 256. le contentieux fiscal d’après cet auteur repose soit sur l’assiette encore appelé contentieux de l’établissement de l’impôt, soit sur le recouvrement forcé.
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10.
La singularité de la créance fiscale réside dans son admission provisionnelle, v. Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficultés, 8e éd., 2013, Lextenso éditions, LGDJ, Paris, n° 741.
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11.
Sur la question des innovations ou régressions issues de l’ordonnance du 12 mars 2014 et le Trésor public, v. Dedeurwaeder G., BJE mai 2014, n° 111c4, p. 189.
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12.
Cass. com., 11 avr. 2018, n° 16-23019, n° 328 FPBI, rejet : Dalloz actualités, 11 avr. 2018, p. 796.
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13.
Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics compétents mentionnés doivent être adressées à l’administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. Les contestations ne peuvent porter que : 1° Soit sur la régularité en la forme de l’acte ; 2° Soit sur l’existence de l’obligation de payer, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l’exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout autre motif ne remettant pas en cause l’assiette et le calcul de l’impôt. Les recours contre les décisions prises par l’administration sur ces contestations sont portés, dans le premier cas, devant le juge de l’exécution, dans le second cas, devant le juge de l’impôt tel qu’il est prévu à l’article L. 199.
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14.
Cass. com., 17 sept. 2017, n° 16-13691, D.