La Clinique de la crise au chevet des entreprises malades
Pour tenter de prévenir les dégâts économiques, David Lacombe, ancien administrateur judiciaire, vient de lancer La Clinique de la crise. Comme son nom l’indique, la structure vise à « soigner » les entreprises confrontées à des difficultés. Une quinzaine d’experts assurent des missions de mandat ad hoc et de conciliation.
Les Petites Affiches : Est-ce la situation économique actuelle qui vous a poussé à créer La Clinique de la crise ?
David Lacombe : La marque La Clinique de la crise a été déposée en 2013 auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Aussi, je souhaitais depuis longtemps créer cette structure, mais ne pouvais pas le faire étant moi-même administrateur judiciaire. C’est mon hospitalisation en 2017 qui a constitué un tournant. J’ai dû, à cette époque, vendre mon étude à des confrères. Cela m’a permis de ne plus être inscrit sur la liste des administrateurs judiciaires et, lorsqu’en 2019, j’ai réfléchi à la suite de ma carrière, j’ai considéré que La Clinique de la crise était devenue le sens de ma vie professionnelle et personnelle. C’est donc une vielle idée qui a vu son déploiement accéléré eu égard au contexte économique que nous connaissons.
LPA : Votre objectif est de faciliter le recours aux procédures de prévention pour les chefs d’entreprise confrontés à des difficultés. Pourquoi et comment agissez-vous dans ce sens-là ?
D.L. : La Clinique de la crise est une offre de services qui repose sur trois piliers. Le premier, que je qualifie de détection-prévention des difficultés, relève d’un diagnostic flash gratuit. Il doit permettre d’identifier les signaux faibles de l’entreprise, et ce, en cinq heures. Ce diagnostic, nous le nommons DIAG : détecter, informer, accompagner et gérer. Il est réalisé en partenariat avec des avocats, hommes et femmes du chiffre, et tous sont des experts compétents. C’est une aide gratuite que nous apportons au dirigeant qui sait souvent dans quelle direction aller mais doit faire face également à des vents contraires : endettement trop lourd, besoins de financement mal ajustés, notamment. Ainsi nous posons un diagnostic qui se rapproche très souvent de la notion de « cessation de paiement ». Cette notion, pour rappel, oblige le chef d’entreprise, si elle est avérée, à se placer, auprès du tribunal de commerce en redressement judiciaire ou à entamer, si cela est possible, une procédure de conciliation. Dans le cas où une entreprise est viable, et en amont du redressement judiciaire ou de la liquidation judiciaire, la mission de La Clinique de la crise est de mettre en place un processus d’encadrement du dirigeant, via l’une des deux procédures de prévention existantes : le mandat ad hoc et la conciliation. Cet encadrement a valeur de deuxième pilier.
Le dernier de ces piliers est la résilience organisationnelle. Un sujet très personnel puisque j’ai été confronté, ces dernières années, à ce que l’on appelle les « 3 D » : dépôt de bilan, dépression et divorce. Ma maladie a notamment entraîné la mise en liquidation judiciaire de mon étude. Je sais donc de quoi me parle un chef d’entreprise quand il fait face aux difficultés déjà mentionnées. Or je sais aussi que, pour se soigner, on a besoin de médecins, quand bien même nous serions nous-même médecin. À titre personnel, j’ai eu la chance d’avoir des médecins experts-comptables, avocats ou encore psychologues qui m’ont aidé à rebondir. Ainsi, ayant moi-même traversé différentes crises et développé une empathie liée à mon activité d’administrateur judiciaire, je suis plus à même aujourd’hui d’accompagner, en coopération avec d’autres experts, les dirigeants en difficulté.
LPA : Les procédures de prévention évoquées (mandat ad hoc et conciliation) ne sont-elles pas de la seule compétence des mandataires ou administrateurs judiciaires ?
D.L. : Le mandat ad hoc et la conciliation sont de fait, et non de droit, pratiqués dans 99 % des cas par des administrateurs judiciaires ou des mandataires judiciaires. Or nulle part dans le Code de commerce il n’est posé l’obligation de recourir à ces métiers du droit pour réaliser ces missions de prévention. Ils sont certes formés pour – j’ai été moi-même formé pour cela – avec une éthique et une déontologie professionnelle tournées autour de cette pratique. Et c’est donc naturellement qu’un tribunal de commerce choisit tel ou tel mandataire ou administrateur judiciaire pour administrer tout ou partie d’une entreprise. Néanmoins nous considérons, malgré les compétences qui sont les leurs, et je peux les certifier pour avoir pratiqué pendant très longtemps ce métier, qu’ils sont souvent confrontés à un problème de temps pour réaliser leurs missions. Un administrateur judiciaire exerce une profession libérale avec une mission de service public et peut gérer en même temps une cinquantaine de dossiers de toute nature. Peut-on vraiment être efficace avec une telle charge de travail ? C’est impossible ! Et ce, même si l’administrateur est entouré de collaborateurs qualifiés. Quand vous avez un cancer du pancréas, vous n’avez pas forcément envie d’être traité par un interne, aussi motivé soit-il, mais plutôt par le professeur du service. Pour les procédures de prévention, c’est la même chose.
Avec La Clinique de la crise, un chef d’entreprise est sûr d’avoir en face de lui, un professionnel aguerri, émérite, qui va se concentrer à 100 % sur son dossier. C’est un engagement pris et assumé. Un mandataire ad hoc ou conciliateur du réseau de La Clinique de la crise ne peut pas en faire son métier à temps plein. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai choisi de nouer des partenariats avec des réseaux de « managers de transition » et notamment avec X-PM, le premier d’entre eux. Patrick Laredo, le créateur de X-PM, et François Beaugrand, associé en charge du pôle restructuration, se sont donc attelés à chercher les meilleurs profils. J’entends par là des personnes qui ont 20 ou 25 ans de carrière, qui ont eu d’importantes responsabilités au sein d’une entreprise, et qui ont touché de très près au mandat ad hoc, à la conciliation ou à la procédure collective.
Aujourd’hui, La Clinique de la crise compte une quinzaine de talents. Ils sont tous dotés d’une expertise sectorielle extrêmement forte, que ce soit aussi bien dans l’agroalimentaire, l’hôtellerie ou dans l’industrie. Et pour renforcer encore leurs compétences, chacun d’entre eux doit suivre une formation très pointue. À ce titre, je me suis rapproché de l’Institut des hautes études en gestion des crises (IHEGC) créé par Arnaud Marion, qui est senior advisor de La Clinique de la crise en plus de ses autres activités, ainsi que de Christophe Caupenne, ancien patron des négociateurs du RAID, l’unité d’élite de la Police nationale. Les susdits talents peuvent ainsi accéder à toutes les connaissances théoriques et pratiques pour devenir d’excellents négociateurs. Un mandataire ou conciliateur efficace est d’abord un excellent négociateur. Il faut négocier des délais de paiement, négocier la garantie d’un contrat ou la résiliation d’un autre, par exemple.
LPA : Le nom « La Clinique de la crise » n’est-il pas trop anxiogène pour un responsable d’entreprise ?
D.L. : Le mot n’est pas très « sexy », je vous l’accorde, mais il est impactant. Quand vous êtes malade et que vous franchissez les portes d’une clinique, vous réalisez déjà 25 % du travail nécessaire à votre guérison car vous acceptez le fait que vous n’êtes pas « invincible ». Quand un chef d’entreprise accepte d’être suivi par un membre de notre structure, qui le suivra à temps plein, et qu’il connaît peut-être déjà pour avoir exercé dans le même secteur d’activité, il se sent en confiance. Il se tient face à quelqu’un qui connaît ses problématiques. Aussi, le terme « judiciaire » effraie souvent les dirigeants. Ils ont l’impression de faire face à une machine froide et très lourde. Avec La Clinique de la crise, ce n’est pas le cas même si évidemment les missions s’effectuent sous l’égide des présidents de juridiction (notamment les tribunaux de commerce).
Enfin, contrairement au mandataire de justice qui est souvent amené à suivre le même dossier une fois qu’il est placé en redressement judiciaire, pour des questions pratiques, l’expert de La Clinique lui ne suit qu’un chef d’entreprise, et donc qu’un dossier, pour le seul temps de la procédure de prévention. Cela présente l’avantage pour le dirigeant de ne pas avoir cette impression d’un agenda caché, que je n’ai jamais constaté à titre personnel mais dont le dirigeant, en situation d’échec, reste convaincu. Comment peut-on empêcher un homme ou une femme qui joue sa survie économique de ne pas penser une telle chose ? Par ailleurs, on se dit : « Si un mandataire de justice a échoué avec le mandat ah hoc, pourquoi réussirait-il ensuite ? ». Il est toujours bon de changer d’équipe en cas d’échec.
LPA : Environ 70 % des procédures amiables de prévention permettent de résoudre les difficultés des entreprises. C’est un chiffre élevé. Pensez-vous pouvoir faire mieux ?
D.L. : C’est effectivement une donnée élevée qui ne repose que sur les informations communiquées par les greffes des tribunaux de commerce. En effet, le mandat ad hoc et la conciliation sont des procédures dites « confidentielles ».
Aujourd’hui, nous estimons à un peu plus de 3 000 le nombre de ces procédures enclenchées chaque année. Or ce chiffre est malheureusement constant malgré les crises économiques. Nous savons très bien que le nombre d’entreprises en proie à des difficultés est en augmentation. Or la quantité de procédures de prévention ne varie que très peu. Pourquoi ? Parce que les chefs d’entreprise ne souhaitent pas y avoir recours, et ce même si les garanties de succès sont élevées, pour les raisons déjà évoquées. La « machine » judiciaire effraie beaucoup les dirigeants d’entreprise. La confiance est une donnée fondamentale dans nos métiers, à l’instar du vaccin contre la Covid-19. Si l’efficacité du vaccin est prouvée, mais que vous n’avez pas confiance dans le vaccin lui-même, vous n’irez pas vous faire vacciner. Les procédures de prévention suivent la même logique, en quelque sorte. La Clinique de la crise, du fait de son approche différente, espère donc lever les freins psychologiques existants et accrocher une part de ces dirigeants pour les aider à rebondir.
LPA : Sentez-vous déjà, dans le cadre de votre activité, les effets de la crise économique ?
D.L. : Je souscris, de par le regard que je peux poser sur la situation de notre économie, à toutes les inquiétudes soulevées actuellement. Et notamment celles concernant les « entreprises zombies » qui vivent seulement des aides de l’État. Beaucoup de nos entreprises, aujourd’hui, évitent la liquidation judiciaire grâce à ce soutien public et c’est, pour une partie d’entre elles, une bonne chose. Pour autant, ne nous leurrons pas. Il s’agit d’un effet de report. Quand ces aides se retireront et que le temps du remboursement viendra, le pire sera alors à craindre. Il faut s’attendre, d’après moi, à une augmentation significative des liquidations judiciaires directes durant les cinq prochaines années. La Clinique de la crise, placée en amont des liquidations, est extrêmement sollicitée en ce moment… C’est un signe qui ne trompe pas.