Premier volet de la réforme du droit des entreprises en difficulté : l’ordonnance du 15 septembre 2021
L’ordonnance du 15 septembre 2021 transposant la directive européenne Restructuration et insolvabilité vient modifier le droit des entreprises en difficulté. Le décret d’application est paru le 23 septembre 2021, pour une entrée en vigueur de la réforme le 1er octobre suivant.
Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021
D. n° 2021-1218, 23 sept. 2021
Après 18 mois de mesures d’adaptation au contexte de la crise sanitaire, le droit des entreprises en difficulté est une nouvelle fois réformé par l’ordonnance n° 2021-1193 en date du 15 septembre 20211.
Cette ordonnance portant modification des procédures du livre VI du Code de commerce réforme le droit des entreprises en difficulté en transposant en droit français la directive Restructuration et Insolvabilité (PE et Cons. UE, dir. n° 2019/1023, 20 juin 2019) et en pérennisant des règles prévues par les ordonnances prises pendant la crise sanitaire.
Le décret n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 est venu quant à lui en préciser les modalités d’application.
Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2021 et ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur à de rares exceptions près.
Si ces textes, qui constituent le premier volet d’une réforme plus globale d’harmonisation du droit de l’insolvabilité dans les pays membres de l’Union européenne apportent quelques innovations, ils ne viennent pas remettre en cause l’architecture du droit des entreprises en difficulté.
L’ordonnance du 15 septembre 2021 comportant 74 articles, il ne s’agit pas ici d’être exhaustif mais de tenter d’en dessiner les principaux apports.
Au titre de la reconduction du droit d’exception issue de la crise de la Covid-19, on relève notamment la codification des dispositions suivantes :
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procédure d’alerte des commissaires aux comptes : le nouvel article L. 611-2-2 du Code de commerce dispose que « lorsqu’il lui apparaît que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou fait savoir qu’il envisage des mesures que le commissaire aux comptes estime insuffisantes, ce dernier peut en informer le président du tribunal compétent » ;
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délais de grâce en conciliation : le nouvel article L. 611-7 du Code de commerce permet au débiteur en conciliation de solliciter du président du tribunal l’application de l’article 1343-5 du Code civil relatif au délai de grâce à l’égard d’un créancier qui n’accepterait pas « dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance » pendant la durée de la procédure ;
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refonte de la procédure de sauvegarde accélérée : cette procédure est étendue à toutes les entreprises dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable (C. com., art. L. 628-1, al. 4). Cette procédure peut désormais durer quatre mois au maximum (C. com., art. L. 628-8) ;
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consultation des créanciers : le nouvel alinéa 2 à l’article L. 626-26 du Code de commerce consacre le principe selon lequel « le silence vaut acceptation » pour la consultation des créanciers en cas de modification substantielle du plan (hors remises de dettes ou conversions de titres en capital).
Au titre de la transcription de la directive européenne, on retient principalement les éléments suivants :
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pouvoirs renforcés du président du tribunal : extension, en matière de prévention, des pouvoirs du juge en matière d’enquête sur la situation économique et financière du débiteur, le président du tribunal pouvant désormais déclencher une phase de « mini-enquête » dès qu’il convoque le dirigeant, alors qu’auparavant il devait attendre le terme de l’entretien avec le dirigeant ou la constatation effective de la non-présentation du dirigeant à sa convocation (C. com., art. L. 611-2 mod.) ;
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période d’observation : désormais la période d’observation, en procédure de sauvegarde, ne pourra plus être prorogée au-delà de 12 mois (C. com., art. L. 621-3 mod.). Les autres procédures judiciaires pourront toujours faire l’objet d’une période d’observation allant jusqu’à 18 mois. Dans ces circonstances, le passif traité dans le plan pourra être déterminé sur la base d’une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes, sans attendre le terme de la procédure de vérification des créances (C. com., art. L. 6216-10) ;
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droit des créanciers : un privilège est conféré à l’« apport de trésorerie » consenti pendant la période d’observation, et non plus seulement au prêt, ce qui élargit les sources de financement (C. com., art. L. 622-17 mod.).
Annoncée comme l’aspect le plus innovant de la réforme et de l’adaptation du droit français au droit européen, la modification du régime des comités de créanciers en « classes de parties affectées » voit néanmoins son intérêt quelque peu limité par un champ d’application restreint.
La constitution des classes s’impose lorsque le débiteur atteint les seuils suivants (C. com., art. R. 626-52) :
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250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net ; ou
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40 millions d’euros de chiffre d’affaires net.
Les seuils d’application sont donc rehaussés par rapport aux anciens comités de créanciers (le nombre de salariés passe de 150 à 250). Ce rehaussement limite davantage le nombre de sociétés pouvant bénéficier de plein droit de cette mesure.
Comme pour les comités de créanciers, ces seuils sont observés au niveau des sociétés qui détiennent ou contrôlent une autre société, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 du Code de commerce et sont appréciés à la date de la demande d’ouverture de la procédure. Ce critère lié au contrôle vise à faire entrer dans le champ d’application les sociétés holdings.
Il convient de noter que, en deçà des seuils prévus, la constitution de classes peut également être demandée au juge-commissaire par le débiteur en sauvegarde et par le débiteur ou l’administrateur judiciaire en redressement judiciaire (C. com., art. L. 626-29 et C. com., art. L. 631-1).
Les modalités de la consultation individuelle des créanciers restent applicables dès lors que les classes de parties affectées ne sont pas constituées (seuils non atteints et absence de demande en ce sens formulée par le débiteur ou l’administrateur judiciaire).
La nouvelle rédaction de l’article permet d’ouvrir les classes à toutes les parties affectées par la procédure, en dehors des créances résultant du contrat de travail, des droits à pension acquis au titre d’un régime de retraite professionnelle et des créances alimentaires, qui ne sont pas considérées comme des parties affectées.
En l’absence de dispositions dérogatoires spécifiquement prévues pour les créanciers publics, on pourrait déduire qu’il est possible d’intégrer les créanciers publics en une ou plusieurs classes, et leur imposer ainsi un plan.
Les règles de majorité sont les suivantes :
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pour la ou les classes de détenteurs du capital et les titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital : conditions de majorité applicables en droit commun, selon le cas, aux AGE, assemblées spéciales ou aux assemblées générales des masses (les dispositions des articles L. 626-3, alinéas 1 et 2, du Code de commerce, en cas de modification statutaire ou du capital ou de reconstitution des capitaux propres, et L. 626-18, alinéa 2, du Code de commerce, en cas de conversion de dette en capital, sont inapplicables) ;
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pour les autres classes : majorité des deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote (C. com., art. L. 626-30-2, al. 5).
L’analyse de la nouvelle réforme du droit des entreprises en difficulté doit nécessairement s’articuler avec celle du droit des sûretés opérée par une seconde ordonnance datée du même jour (Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021)2.
Cette ordonnance modifie plusieurs dispositions relatives aux créanciers et garants dont les principales sont énumérées ci-après.
Dans le cadre d’une procédure de conciliation, les garants (personnes physiques ou personnes morales) du débiteur bénéficient désormais des délais de grâce octroyés par le juge au débiteur (C. com., art. L. 611-10-2).
Dans le cadre d’une procédure collective, la modification la plus « médiatique » est celle de l’article 43 de l’ordonnance n° 2021-1193 qui, en supprimant le dernier alinéa de l’article L. 631-14 du Code de commerce, permet aux garants personnes physiques de se prévaloir du plan en redressement judiciaire comme c’était déjà le cas en sauvegarde.
Pour le reste, on peut citer les mesures suivantes :
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au cours de la période d’observation, le juge-commissaire peut désormais autoriser la constitution de toute sûreté réelle conventionnelle venant garantir une créance postérieure à l’ouverture de la procédure et autoriser le paiement du transporteur en cas d’action directe de ce dernier au titre de l’article L. 132-8 du Code de commerce (C. com., art. L. 622-7 mod.) ;
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le jugement d’ouverture d’une procédure collective entraîne désormais une interdiction générale (y compris pour les tiers non-créanciers) de toute procédure d’exécution sur les meubles et sur les immeubles du débiteur ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture (C. com., art. L. 622-21 ; cette interdiction était anciennement limitée aux seuls créanciers) ;
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à compter du jugement d’ouverture, il est désormais interdit, de plein droit et quelle qu’en soit la modalité, d’accroître l’assiette d’une sûreté réelle conventionnelle ou d’un droit de rétention conventionnel (C. com., art. L. 622-21).
Cette interdiction vise également le transfert de biens ou de droits qui ne seraient pas nés dans le patrimoine du débiteur à la date du jour du jugement d’ouverture (par exemple la cession de créance future).
La réforme opérée a également des conséquences sur les obligations déclaratives des créanciers et/ou titulaires de sûretés :
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les créanciers titulaires de sûretés qui étaient jusqu’à présent uniquement tenus de déclarer la nature de leurs sûretés, doivent désormais également préciser l’assiette des sûretés dont ils bénéficient ;
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les bénéficiaires d’une sûreté réelle conventionnelle portant sur les biens du débiteur en garantie de la dette d’un tiers sont tenus désormais de déclarer leur sûreté entre les mains du mandataire judiciaire alors même qu’ils ne sont pas nécessairement titulaires d’une créance directe à l’encontre du débiteur (C. com., art. L. 622-25) ;
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les créances et les sûretés non déclarées régulièrement seront désormais inopposables à la fois au débiteur et aux garants personnes physiques, pendant l’exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements du plan auront été tenus (C. com., art. L. 622-26 ; anciennement, les garants personnes physiques bénéficiaient de cette inopposabilité seulement pour la durée de l’exécution du plan) ;
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les garants, personnes coobligées, ayant consenti une sûreté personnelle ou cédé un bien en garantie peuvent, avant même d’avoir payé la dette garantie et afin de préserver leur recours personnel, déclarer leur créance à la procédure du débiteur (C. com., art. L. 622-34).
Notes de bas de pages
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1.
À lire également : C. Favre Rochex, « Une nouvelle réforme du livre VI du Code de commerce ! », BJE sept. 2021, n° 200g9, p. 37 ; F.-X. Lucas, « Transposition de la directive Insolvabilité », LEDEN oct. 2021, n° 200h0, p. 1 ; R. Dammann, « Le debt-to-equity swap change la donne des restructurations financières », BJS oct. 2021, n° 200l9, p. 1.
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2.
P. Dupichot, « Une ordonnance pour plus de sûreté ? », BJS nov. 2021, n° 200n5, p. 1.
Référence : AJU002m3