Protection du logement familial habituel en Espagne : insuffisances législatives

Publié le 31/10/2017

Le droit espagnol se caractérise par des textes insuffisamment protecteurs de la résidence familiale, ce dont pâtit également l’entrepreneur. Une réforme cohérente de ce droit serait souhaitable et urgente.

Dans le Code civil espagnol, la protection du logement familial habituel est assurée par l’article 1320, dont le premier alinéa apparaît hautement protecteur puisqu’il énonce que « pour disposer des droits sur le logement habituel et sur les biens meubles d’usage ordinaire de la famille, y compris si ces droits ou biens n’appartiennent qu’à un seul des deux conjoints, le consentement des deux conjoints ou, le cas échéant, une autorisation judiciaire, sera nécessaire »1. Cependant, le deuxième alinéa contredit cette volonté première de protection de la famille, puisque, dans le cas où l’époux disposant s’est trompé ou a menti sur le caractère de logement familial resté inconnu de l’acheteur, le texte choisit de protéger l’acheteur, affirmant que « l’acheteur de bonne foi ne devra pas être lésé ». En définitive, tout dépend de la preuve de la bonne ou mauvaise foi de l’acheteur, difficulté qui devrait pouvoir être surmontée par une adéquate coordination entre les registres, en particulier entre le registre de la propriété et le registre civil.

Les articles 1373 et 1399 du Code civil contribuent aussi à ce principe général de protection, tout comme les articles 90 à 96 du Code civil, puisque les créanciers des dettes privatives ne peuvent exécuter sur les biens communs qu’à titre subsidiaire, auquel cas la division de la communauté pourra être demandée. Dans les cas de séparation, de divorce ou d’annulation du mariage, la résidence familiale habituelle est réservée aux enfants et au conjoint qui en a la garde. Le paradoxe du système est donc que le logement familial est mieux protégé dans les cas de séparation, de divorce ou de nullité matrimoniale que dans ceux d’harmonie matrimoniale, ce qui favorise la simulation. Comme moyen de protection, il est possible de publier ce droit d’usage du logement et, pour ce faire, le contenu d’un jugement n’ayant pas fait l’objet d’un appel sera suffisant.

La loi sur les procédures collectives (concurso) ne contribue pas non plus à une protection efficace du logement familial habituel. Pour commencer, l’actif est constitué par les biens personnels de la personne soumise à la procédure. Si le débiteur est marié sous le régime matrimonial de la communauté, l’actif est constitué par les biens propres du conjoint débiteur et, si ces biens sont insuffisants pour faire face aux dettes, il sera constitué par les biens de la communauté : en ce dernier cas, l’autre conjoint pourra demander la dissolution du régime de la communauté en sollicitant l’inclusion du logement familial habituel dans sa propre moitié, et en payant le surplus si nécessaire, correspondant au prix d’acquisition actualisé. Il est à noter qu’il est ici fait référence au régime de la communauté des acquêts, et non au régime ordinaire de communauté2.

La protection du logement familial habituel est également présente dans la requête en accord extrajudiciaire de paiement3 car, lorsque les conjoints sont propriétaires du logement familial susceptible d’être touché par l’accord, la requête devra nécessairement être présentée par les deux conjoints ou par l’un des deux avec l’accord de l’autre. De nombreuses conditions prévues par l’article 232 de la loi sur les procédures collectives (concours) s’imposent, et le débiteur désireux de parvenir à cet accord avec ses créanciers devra solliciter la désignation d’un médiateur (conciliateur) par le biais d’un formulaire qui devra inclure un inventaire des biens et des droits dont il est le titulaire, ainsi qu’une liste des créanciers portant mention des montants et des délais des créances respectives.

Dans la même ligne, conformément à l’article 235 de la loi sur le concours, après la présentation de la requête, le débiteur pourra continuer à travailler ou poursuivre son activité professionnelle. Mais il devra s’abstenir de réaliser tout acte d’administration et de disposition qui irait au-delà des actes ou des opérations propres à l’exercice normal de son activité. À partir de la communication de l’ouverture des négociations au juge compétent, les créanciers susceptibles d’être affectés par l’accord extrajudiciaire de paiement ne pourront pas mettre en route ou poursuivre une éventuelle exécution judiciaire ou extrajudiciaire sur le patrimoine du débiteur pendant la négociation de l’accord extrajudiciaire et ensuite pendant un délai maximal de trois mois. Ne sont pas concernés les créanciers titulaires de créances comportant une garantie réelle n’affectant ni les biens et droits nécessaires à la continuité de l’activité professionnelle du débiteur, ni son logement habituel. Lorsque la garantie porte sur des biens nécessaires à la continuité de l’activité professionnelle du débiteur, les créanciers pourront mettre en marche l’action réelle pertinente sur les biens ou droits concernés par leur garantie, sans préjudice du fait que cette action sera suspendue pendant le délai précité.

D’autre part, la loi n° 14/2013 du 27 septembre 2013, de soutien aux entrepreneurs et à leur internationalisation, fait sienne une vieille et constante revendication des entrepreneurs, au-delà des possibilités qu’offre la société à responsabilité limitée, du fait qu’elle prescrit l’exclusion du domaine de la responsabilité du logement habituel de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Ainsi, l’entrepreneur personne physique, quelle que soit son activité, peut limiter sa responsabilité pour les dettes relatives à l’exercice de son activité professionnelle en devenant « entrepreneur à responsabilité limitée », après avoir rempli les conditions et conformément aux termes de la loi (art. 7).

Par exception à l’article 1911 du Code civil et à l’article 6 du Code de commerce, l’entrepreneur à responsabilité limitée peut obtenir que sa responsabilité et l’action du créancier, fondée sur les dettes professionnelles relatives à son activité, n’atteignent pas le logement familial habituel pourvu que cette limitation soit publiée dans le respect des formes prescrites par la loi. Peut bénéficier de la limitation de responsabilité le logement habituel du débiteur, pourvu que sa valeur ne dépasse pas 300 000 €. Pour les logements situés dans des villes de plus de 1 000 000 d’habitants, il est prévu d’appliquer un coefficient de 1,5 à la valeur précédemment indiquée. La manière de calculer la valeur du logement n’est pas précisée, pas plus que la personne pouvant le faire, ni si un tiers peut la contester, mais il est indiqué que la simple déclaration de l’entrepreneur ne suffit pas. Dans l’inscription de l’entrepreneur au registre du commerce correspondant à son domicile, doit être indiqué le bien immobilier, propre ou commun, qui est exclu des conséquences concernant les résultats de son activité professionnelle.

Ne peut pas bénéficier de la limitation de responsabilité le débiteur ayant agi de manière frauduleuse ou gravement négligente dans le respect de ses obligations envers les tiers, ce qui devra être constaté par un jugement n’ayant pas fait l’objet d’un appel, ni le débiteur frappé d’une sanction professionnelle (faillite « coupable »).

Afin d’obtenir le bénéfice de la limitation de responsabilité, l’entrepreneur doit également se soumettre à un contrôle annuel des comptes. Ne seront pas concernées par ladite limitation les dettes fiscales ou sociales, mais seulement celles qui découlent de l’activité professionnelle4.

Le respect rigoureux de toutes ces conditions et les difficultés d’interprétation de certaines d’entre elles sont des motifs suffisants pour expliquer la faible application et le faible succès de cette mesure, sans oublier la maigre probabilité d’obtention des crédits qui est la conséquence de la réduction patrimoniale qu’elle comporte.

La loi du 27 avril 2015 d’encouragement au financement des entreprises a introduit, elle aussi, une mesure de protection de la résidence familiale face aux plates-formes de financement participatif ou crowdfunding : en effet, les projets financés par le biais de prêts ne pourront pas inclure de garantie hypothécaire sur le logement habituel de l’emprunteur5.

La crise économique qui a eu lieu au début de l’année 2007 a conduit également à une accumulation de dispositions législatives relatives à la protection du logement familial habituel, en particulier dans le cadre de l’exécution hypothécaire, auxquelles, pour des raisons d’espace, nous ne pouvons faire qu’une brève référence. Il s’agit du RDL 8/2011, du 1er juillet 2011, portant mesures de soutien aux débiteurs hypothécaires ; du RD loi 6/2012, du 9 mars 2012, portant mesures urgentes de protection des débiteurs hypothécaires sans ressources ; du RD loi 27/2012, du 15 novembre 2012, portant mesures urgentes destinées à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, de la loi 1/2013, du 14 mai 2013, portant mesures destinées à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, de la restructuration de la dette et le logement social, et du RD loi 1/2015, du 27 février 2015, relatif aux mécanismes de deuxième chance, à la réduction de la charge financière et à d’autres mesures à caractère social6. Enfin, le RD loi 5/2017 a encore renforcé la protection des débiteurs hypothécaires en situation de difficulté.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Une protection par l’autorité judiciaire que l’on retrouve dans l’article 70 du Code civil, qui dispose que « les conjoints établiront d’un commun accord le domicile conjugal et, en cas de désaccord, c’est le juge qui le fera, en tenant compte de l’intérêt de la famille ».
  • 2.
    L. sur les procédures de concours, art. 78.3 : « 3. Les biens acquis par les deux conjoints avec un accord au dernier vivant seront considérés comme divisibles dans le cadre du concordat de n’importe lequel des deux, la moitié s’intégrant dans l’actif de la personne soumise à concordat. Son conjoint aura le droit d’acquérir la totalité de chacun des biens en payant à la communauté la moitié de leur valeur. S’il s’agit du logement habituel du couple, la valeur sera le prix d’achat mis à jour conformément à l’indice des prix à la consommation spécifique, sans jamais pouvoir dépasser celui de sa valeur sur le marché. Dans les autres cas, il s’agira de la valeur déterminée d’un commun accord par le conjoint de la personne soumise à concordat et par l’administrateur ou, à défaut, celle qui sera fixée par le juge comme valeur du marché, après avoir entendu les parties et sur la base du rapport d’expertise demandé en cas de nécessité.
  • 3.
    4. Lorsque le logement habituel du couple est un bien de la communauté ou appartient aux conjoints en indivision conjugale et s’il est envisagé de liquider ou de dissoudre la communauté, le conjoint de la personne soumise à concordat aura droit à son inclusion prioritaire dans son actif, conformément au calcul des comptes ou en payant le surplus. »
  • 4.
    Procédure voisine de la conciliation française.
  • 5.
    V. les articles 8 à 11 de la loi n° 14/2013.
  • 6.
    Art. 74, sur l’adéquation des prêts concédés.
  • 7.
    Pour le commentaire de ces différents textes, v. l’ouvrage de Muñiz Espada E., La dégradation du marché hypothécaire et la nécessité de sa reconstruction. Les apports du droit européen (El deterioro del mercado hipotecario y la necesidad de su reconstrucción. Aportaciones desde el derecho europeo), 2016, ed. Civitas, Navarra.
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