Protection du logement familial et donation avec réserve d’usufruit
La Cour de cassation vient d’indiquer que la protection du logement familial ne vaut que pendant le mariage. Dès lors, la donation du logement avec réserve d’usufruit par un époux qui en a seul la propriété ne porte atteinte à l’usage et à la jouissance du logement durant le mariage.
La Cour de cassation vient de rendre un arrêt intéressant sur l’étendue de la protection du logement familial d’un couple marié, protection prévue par l’article 215 du Code civil (Cass. 1er civ., 22 mai 2019, n° 18-16666). Rappelant que la protection ne vaut que pendant le mariage, la Cour de cassation a considéré que cette protection n’est pas remise en cause par la donation avec réserve d’usufruit effectuée seul par un époux, et partant a mis fin à un débat doctrinal.
Le logement de la famille et la cogestion
Un couple s’est marié en 2003 sans contrat préalable. En 2012, l’époux fait donation de la nue-propriété d’un bien lui appartenant en propre à ses deux enfants issus d’un précédent mariage. Ce bien constituait le logement de la famille. Il s’en réserve l’usufruit.
Il décède au cours de l’instance de divorce engagée par son épouse. Celle-ci assigne alors les deux enfants bénéficiaires de la donation en annulation de la donation sur le fondement de l’article 215, alinéa 3 du Code civil. Selon elle, la donation constituant un acte de disposition, son accord aurait dû être sollicité.
Pour assurer la protection du logement de la famille, le législateur l’a soumise à la règle de cogestion : l’accord des deux époux est nécessaire pour passer tout acte qui pourrait mettre en péril le logement. Cette règle s’applique quel que soit le statut du bien quant au régime matrimonial du couple.
L’article 215 du Code civil prévoit en effet que : « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ».
À ce titre, la jurisprudence a eu l’occasion de juger que la cogestion était de mise pour des actes qui ne constituent pas des actes de dispositions, visés par l’article 215 du Code civil, comme la vente du logement. En pratique, les juges visent tous les actes qui risquent de priver la famille de la jouissance du logement, tels que la mise en location du logement familial.
Dans son arrêt du 15 février 2018, la cour d’appel de Papeete a fait droit à sa demande, considérant que l’acte de donation constitue un acte de disposition des droits par lesquels est assuré le logement de la famille au sens de l’article 251, alinéa 3 du Code civil. Elle en déduit que l’absence de mention du consentement de l’épouse dans l’acte authentique justifie son annulation. Les enfants donataires se sont donc pourvus en cassation.
La protection du logement familial pendant le mariage
La Cour de cassation n’a pas suivi la position des juges d’appel. Elle a rappelé que la protection du logement de la famille prévue par l’article 215 du Code civil ne valant que pendant le mariage, elle prend naturellement fin au décès de l’un des époux, conformément à l’article 227 du Code civil. Il est donc possible pour un époux de disposer de la nue-propriété de son bien propre assurant le logement de la famille sans requérir l’accord de son conjoint. En effet, rappelons que la donation avec réserve d’usufruit n’entraîne pas le dépouillement immédiat du donateur. Tant que celui-ci est en vie, il dispose de l’usufruit du bien, donc de la jouissance du bien. Les bénéficiaires de la donation ne détiennent que la nue-propriété, c’est-à-dire un droit futur à la pleine propriété, qui n’interviendra qu’au décès de l’époux usufruitier, lequel événement aura dissous le mariage. Autrement dit, la donation avec réserve d’usufruit n’empêche pas la famille de jouir du logement.
Les juges font une application très large de la protection de l’article 215 du Code civil, limitant les actes de nature à compromettre directement ou indirectement le maintien de la famille dans le logement pendant toute la durée du mariage. La Cour de cassation a estimé que la donation avec réserve d’usufruit ne faisait pas peser de menace sur le logement.
La protection du conjoint survivant
Si elle ne menace pas de heurter la protection du logement familial pendant le mariage, la donation avec réserve d’usufruit représente en revanche un risque pour le conjoint survivant. Au décès de l’époux propriétaire en usufruit, le conjoint survivant ne dispose alors ni du droit temporaire au logement ni du droit viager, respectivement prévus par les articles 763 et 764 du Code civil. Cette interprétation a été confirmée par une réponse ministérielle (Rép. min. Jeanjean, JOAN 25 janvier 2005, n° 39324, p. 816) : « En revanche, si le logement de la famille est assuré par un droit d’usufruit détenu par le défunt, le décès de ce dernier a pour conséquence l’extinction de ce droit, les nus-propriétaires devenant alors pleins propriétaires. Les conditions des articles 763 et 764 du Code civil se trouvent à nouveau insatisfaites ». Cette situation peut être évitée, par exemple en prévoyant la réversion de l’usufruit au profit du conjoint survivant.