La protection de la résidence de l’entrepreneur en Argentine et en Amérique latine

Publié le 31/10/2017

On trouve trois systèmes principaux de protection de la résidence des entrepreneurs en Amérique Latine : la protection suppose parfois une inscription volontaire dans un registre ; le plus souvent, une formalité judiciaire préalable est requise ; enfin, elle est parfois de droit, sans manifestation de volonté ni inscription.

I – Introduction : l’entrepreneur dans l’Amérique latine et l’Argentine

Le mot « entrepreneur » a commencé à résonner dans cette partie du monde à compter de la deuxième moitié des années 1990. L’activité entrepreneuriale diffère selon les pays de la région, et elle est influencée par divers facteurs1.

Dans une étude des « conditions systémiques pour un entrepreneuriat dynamique »2, les pays latino-américains figurent dans la deuxième partie du classement. Ce résultat s’explique par des difficultés de financement, mais aussi par des politiques et par des législations inadaptées3.

L’Argentine fait partie des cinq pays les plus entreprenants du monde ; cependant, le taux de survie des entreprises reste très bas. Plusieurs facteurs sont évoqués, dont les qualités des entreprises, la motivation des entrepreneurs et les mauvaises analyses des opportunités4.

II – La protection de la résidence de l’entrepreneur dans la région

Nous distinguerons trois systèmes principaux de protection de la résidence des entrepreneurs en Amérique latine5 :

En premier lieu, nous trouvons des pays avec une législation qui met l’accent sur l’inscription dans un registre qui reflète la volonté du propriétaire du bien de recourir au régime protecteur (A).

Le deuxième groupe, qui est le plus nombreux, est constitué par les pays dans lesquels la législation impose pour obtenir une telle protection l’accomplissement d’une formalité judiciaire préalable. Si les conditions exigées par la loi pour bénéficier de l’insaisissabilité de la résidence sont satisfaites, ou si l’autorisation judiciaire est accordée, il sera possible de procéder à l’inscription de la protection dans le registre (B).

Finalement, nous trouvons les pays dans lesquels apparaît la forme la plus vigoureuse de protection. C’est une protection de plein droit accordée par la loi à toute résidence familiale, ou à la résidence unique, même sans aucune manifestation de volonté du propriétaire ou aucune inscription dans le registre (C).

A – Pays dont la législation requiert l’inscription volontaire dans un registre

Uruguay : Le système est créé par la loi n° 15/597 de 1984 modifiée par la loi n° 18/651 du 19 février 2010. Dans la généralité des cas, le propriétaire du bien doit exprimer sa volonté de bénéficier de cette protection par un acte écrit et il doit procéder à son inscription au registre. La loi prévoit la possibilité de vendre le bien bénéficiant de la protection pour acquérir un autre immeuble à destination de bien de famille. Dans ce cas, la protection pourra passer d’un bien à l’autre. Par ailleurs, le bien de famille peut être une maison, une chambre ou une maison avec un magasin ou un atelier, ou une propriété rurale, dans chaque cas occupée et exploitée par les personnes qui composent celle-là. Personne ne peut être propriétaire de plus d’un bien de famille. Le pouvoir exécutif, après consultation de la Banque de crédit hypothécaire de l’Uruguay, fixe annuellement la valeur maximale que peut atteindre un bien de famille.

L’inscription produit les effets suivants : 1) Le bien de famille ne sera pas saisissable pour des dettes postérieures à sa constitution ; 2) Ne seront pas non plus saisissables les fruits du bien à hauteur de 60 % de la production annuelle ; 3) Le propriétaire ne peut pas vendre l’immeuble affecté comme « bien de famille » (en tout ou en partie) si des enfants mineurs y résident. Le parent ne pourra vendre qu’avec le consentement de son conjoint (époux/épouse) et une autorisation judiciaire6.

Costa Rica : Les normes qui règlent la question sont les articles 42 et 43 du Code de la famille, dans la rédaction issue de la loi 5895, du 23 mars 1976. Ces normes ont été modifiées par la loi n° 7142, du 2 mars 1990, dite loi de promotion de l’égalité sociale de la femme.

La protection résultera d’une déclaration de volonté du propriétaire et de son conjoint, exprimée dans une écriture publique et inscrite au registre. La disposition ainsi adoptée protège seulement, à compter de la date de son inscription, la résidence inscrite dans le registre comme « familiale », et à la condition que soient satisfaites les conditions posées par l’article 46 du Code de la famille.

La protection ne bénéficie qu’aux immeubles urbains dont la superficie ne dépasse pas 1 000 m2 et aux propriétés rurales ne dépassant pas 10 000 m2. De la même manière, peut bénéficier de cette protection une parcelle rurale destinée à la subsistance de la famille n’excédant pas cette surface7.

B – Pays dont la législation requiert une formalité judiciaire préalable à l’inscription dans un registre

Chili : La protection des « biens familiaux » est présente dans le Code civil, en vertu de la loi n° 19/335, de 1964. La particularité du régime chilien tient au fait que la protection suppose une décision judiciaire, qui donnera lieu à publication d’office. La désaffectation volontaire du bien devra s’être faite aussi par voie judiciaire8.

Bolivie : le Code de la famille de la Bolivie, en vigueur depuis le 26 août 1977, évoque la protection du « patrimoine familial » dans son chapitre IV (art. 30 à 40)9. Le « patrimoine familial » s’établit via une décision judiciaire et à la demande d’un ou de plusieurs membres de la famille. Le « patrimoine familial » comprend un immeuble ou une partie de celui-ci destinée à la résidence ; peuvent s’y ajouter les meubles d’usage ordinaire10.

C – Pays dont la législation assure la protection la plus vigoureuse

Ces pays se caractérisent par la protection de plein droit de toute résidence familiale, sans que soit exigée une manifestation de volonté du propriétaire ou une inscription dans un registre.

Brésil : La protection a été proposée en 1893 et fut finalement incorporée dans le Code civil de 1916. Aucune intervention judiciaire n’était imposée, mais il fallait que le propriétaire exprime sa volonté dans une écriture publique laquelle devait être inscrite dans le registre et donner lieu à des formalités de publicité11. Ce système était déjà plus facile à mettre en œuvre que ceux des pays voisins, mais des juristes brésiliens demandèrent à l’État d’offrir à la famille une plus ample protection. Celle-ci fut établie par la loi n° 8009 du 29 mars 1990, qui établit l’insaisissabilité automatique de l’immeuble résidence du couple ou de la famille. Cette insaisissabilité de plein droit par l’effet de la loi (ministerio legis) s’étend aux meubles qui garnissent la maison et aux outils d’usage professionnel (L n° 8009, art. 1), sans qu’une publicité au registre soit nécessaire12.

Il en résulte actuellement une double protection de la résidence familiale et du « bien de famille » dans le système juridique brésilien, l’une, « volontaire », qui suppose toujours une inscription au registre et une protection légale automatique.

1. Bien de famille volontaire ou conventionnel (C. civ., art. 1711 et 1722 de 2002) : il peut être institué par les conjoints, par l’entité familiale ou par un tiers par acte notarial ou testament mais pour un montant limité au tiers des capitaux propres des constituants (un tiers de l’actif net)13.

2. Bien de famille légal et d’ordre public, puisque l’on ne peut pas y renoncer : la loi n° 8009/90 prévoit l’insaisissabilité de la résidence familiale sans qu’aucune formalité ne soit nécessaire14, ce qui explique que le système du bien de famille conventionnel du Code civil reste peu utilisé15.

III – La protection de la résidence en Argentine

Le droit à la résidence est un droit fondamental figurant dans la liste des droits économiques, sociaux et culturels de la Constitution nationale16.

Dans la ligne des idées de la « constitutionnalisation du droit privé » et en vertu de la primauté des traités relatifs aux droits de l’Homme, le nouveau Code civil et commercial de la Nation (CCCN L. n° 26994) de l’Argentine, en vigueur depuis août 2015, modifie le concept de « bien de famille », protégé par la loi n° 14/394, pour le remplacer par celui de « protection de la résidence » (art. 244)17. La protection n’est donc plus limitée à celle du logement de la famille, mais peut aussi bénéficier à la demeure de la personne individuelle18. Le titulaire peut la constituer même s’il/elle n’a pas de famille. La protection bénéficie seulement à un immeuble en totalité ou en partie et la valeur de l’immeuble n’est plus prise en compte (pour l’ancien « bien de famille », elle ne devait pas excéder les nécessités de soutien et logement). Ainsi, le code établit une protection du logement bénéficiant à n’importe lequel des modèles familiaux. Celle-ci rend la résidence familiale insaisissable pour des dettes contractées après la célébration du mariage (CCCN, art. 456, § 2) ou de l’enregistrement de l’union de cohabitation (CCCN, art. 522, § 2), à moins que les deux conjoints ou membres de l’union aient contracté la dette de manière conjointe ou que l’un ait consenti à l’acte passé par l’autre. Elle se limite aux unions de cohabitation inscrites, puisque, s’agissant d’une situation factuelle, il est nécessaire de garantir la sécurité juridique des tiers qui serait sinon menacée19.

L’article 249 du CCCN établit un principe général en vertu duquel la résidence affectée n’est pas susceptible d’exécution forcée par les créanciers postérieurs à son inscription. Il existe cependant des exceptions notamment en matière de dettes d’aliments et de dépenses communes sur l’immeuble. Comme le souhaitait la doctrine et comme l’admettait déjà largement la jurisprudence, la loi permet la subrogation réelle, qui autorise à acquérir une nouvelle résidence en maintenant l’affectation originaire. Elle est aussi applicable à la résidence rurale qui ne dépasse pas l’unité économique prévue par les réglementations locales. Elle doit être inscrite dans le registre de la propriété, conformément aux règles locales et en accord avec la priorité temporelle prévue par la loi nationale du registre immobilier20.

Quelques modifications importantes sont insérées dans le nouveau Code civil et commercial :

a) la constitution du bien de famille peut être le fait d’un célibataire. Elle peut être le fait de copropriétaires bien qu’ils ne soient ni parents, ni conjoints ;

b) l’affectation peut aussi être décidée par le juge, à la demande d’une partie, à l’occasion d’une décision qui statue sur l’attribution de la résidence à l’issue d’un divorce ou de celle qui résout les questions relatives à la fin de la cohabitation, s’il y a des bénéficiaires incapables ou avec une capacité restreinte ;

c) la liste des bénéficiaires est étendue au cohabitant/e ;

d) la subrogation réelle qui permet d’acquérir une nouvelle résidence et de maintenir l’affectation, ainsi que d’étendre la protection à l’indemnisation qui provient de l’assurance ou de l’expropriation est prévue ;

e) est également prévue la solution de problèmes discutés en doctrine :

1) la situation de la faillite, étant adopté le critère selon lequel l’actif liquidé appartient seulement aux créanciers antérieurs à l’affectation, l’excédent éventuel de l’actif revenant au propriétaire et

2) l’acceptation de ce qu’on appelle « retroprioridad registral », c’est-à-dire la prise en compte de la date de l’affectation, même si l’enregistrement est postérieur si la loi d’enregistrement l’autorise21.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Freire A., Argentina emprendedora, 2015, ed. Aguilar, Buenos Aires, p. 66.
  • 2.
    Kantis H., Federico J. et Ibarra Garcia S., « Condiciones sistémicas para el emprendimiento dinámico 2016. Novedades y tendencias para fortalecer e integrar los ecosistemas de la región », http://www.ungs.edu.ar/icsedprodem/wp-content/uploads/2015/07/informe-completo-FINAL_2016.pdf, équipe de l’Université Nationale de General Sarmiento, Argentine.
  • 3.
    Kantor D., « Empeoraron las condiciones en el país para crear nuevas pymes », Clarin IECO 25-07-16, dans : http://www.ieco.clarin.com/economia/Empeoraron-condiciones-crear-nuevas-pymes_0_1619838102.html.
  • 4.
    Freire A., op. cit., p. 143.
  • 5.
    Moisset De Espanes L., « Bien de familia. Su protección registral (Derecho argentino e iberoamericano) ».
  • 6.
    https://www.impo.com.uy/bases/decretos-ley/15597-1984/1.
  • 7.
    Pantoja Murillo C. G., « Costa Rica, La afectación del patrimonio familiar o bien de familia », https://www.poder-judicial.go.cr/escuelajudicial/.
  • 8.
    « Declaración de un bien familiar », https://www.chileatiende.gob.cl/fichas/ver/346.
  • 9.
    Gaceta Oficial Del Estado Plurinacional de Bolívia, « Código de familia », http://www.consuladodebolivia.es/LinkClick.aspx?fileticket=4h26KNdejAc%3D&tabid=252.
  • 10.
    C. civ., art. 1540.
  • 11.
    De Salvo Venosa S., Direito civil, vol. VI, 16eéd., 2016, Atlas, Sao Paulo, p. 436.
  • 12.
    De Salvo Venosa S., op. cit., p. 438.
  • 13.
    De Salvo Venosa S., op. cit., p. 454.
  • 14.
    Da Silva Figueiredo R., « Bem de família legal ou obrigatório - Lei 8009/90é, http://www.direitonet.com.br/artigos/exibir/8512/Bem-de-familia-legal-ou-obrigatorio-Lei-8009-90.
  • 15.
    De Salvo Venosa S., op. cit., p. 457.
  • 16.
    Molina de Juan M. F., « Protección de la vivienda familiar », RCCyC 2015 (décembre), 16 déc. 2015, 52, Online : AR/DOC/4265/2015.
  • 17.
    Herrera M. et Pellegrini M. V., « La protección a la vivienda familiar en el nuevo Código Civil y Comercial », http://www.nuevocodigocivil.com/la-proteccion-a-la-vivienda-familiar-en-elnuevo-codigo-civil-y-comercial-por-marisa-herrera-y-maria-victoria-pellegrini.
  • 18.
    Jalles J. M., « Del bien de familia a la protección de la vivienda », LLNOA2015 (novembre), 1063.
  • 19.
    Mazzinghi Jorge A. M, « El nuevo status de la vivienda. Afectación, disposición, uso, atribución preferencial y después de la muerte », LA LEY 01/03/2016, 01/03/2016, 1, Online : AR/DOC/481/2016.
  • 20.
    Rodriguez Yuyent S., « Protección de la vivienda única en el Código Civil y Comercial de la Nación », LLC2016 (marzo), 131, Online : AR/DOC/146/2016.
  • 21.
    Peralta Mariscal L., « La protección de la vivienda en el nuevo Código Civil y Comercial de Argentina », 4 juill. 2015, http://www.consuladodebolivia.es/LinkClick.aspx?fileticket=4h26KNdejAc%3D&tabid=252.
X