Le droit de résiliation du contrat d’assurance emprunteur est mort-né !
Sans grande surprise, la Cour de cassation vient de censurer le célèbre arrêt de la cour d’appel de Bordeaux rendu le 23 mars 2015 qui avait reconnu à l’emprunteur le droit de résilier son contrat d’assurance, au désespoir des emprunteurs et au soulagement des compagnies d’assurance.
Par un arrêt rendu le 9 mars 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation aurait, en refusant à l’emprunteur le droit de résilier le contrat d’assurance de prêt, refermé la « boîte de Pandore imprudemment ouverte par la cour d’appel de Bordeaux »1.
En l’espèce, une dame avait conclu deux crédits immobiliers auprès d’une banque et adhéré à deux contrats d’assurance de groupe souscrits par cette banque. Un peu moins de deux ans plus tard, elle notifiait à sa banque une demande de résiliation des contrats d’assurance tout en lui proposant de leur substituer un contrat souscrit auprès d’un autre assureur. Ayant essuyé un refus, la cliente a assigné sa banque et ses assureurs en justice aux fins notamment de voir constater la résiliation des contrats d’assurance.
La cour d’appel a accueilli cette demande aux motifs « qu’à défaut de dispositions spécifiques, il n’y a pas lieu de considérer que l’article L. 312-9 du Code de la consommation exclut toute faculté de résiliation de l’adhésion au contrat d’assurance de groupe souscrit par le prêteur, laquelle est soumise à l’article L. 113-12 du Code des assurances »2.
Saisie par un pourvoi formé par la banque, la Cour de cassation devait répondre à une question en apparence assez simple : sous l’empire de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, l’emprunteur est-il en droit de résilier le contrat d’assurance auquel il a adhéré au moment de la conclusion de son prêt ?
Statuant au visa de l’ancienne rédaction de l’article L. 312-9 du Code de la consommation, ensemble l’article L. 113-12 du Code des assurances, et du principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales, la Cour de cassation a censuré l’arrêt attaqué par la banque, considérant que l’article L. 312-9 exclut toute faculté de résiliation du contrat d’assurance et que la disposition de cet article est spéciale par rapport à celle de l’article L. 113-12.
Probablement, cet arrêt sera approuvé par une majorité d’auteurs3.
Il n’empêche que deux questions se posent. La solution de la Cour de cassation est-elle techniquement justifiée ? L’exclusion de la faculté de résiliation du contrat d’assurance emprunteur doit-elle être maintenue ?
I – Une interprétation audacieuse de l’ancien article L. 312-9 du Code de la consommation
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989, l’article L. 113-12, alinéa 2, du Code des assurances comporte une règle générale applicable aux contrats d’assurance : en principe, « l’assuré a le droit de résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an, en envoyant une lettre recommandée à l’assureur au moins deux mois avant la date d’échéance ». C’est sur cet article que l’assurée fondait sa demande de résiliation, en rappelant notamment le caractère d’ordre public de cette disposition.
De son côté, l’article L. 312-9 du Code de la consommation, pris dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit que « Le prêteur ne peut pas refuser en garantie un autre contrat d’assurance dès lors que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d’assurance de groupe qu’il propose ». Au sens littéral, cette disposition signifie qu’au moment de la conclusion du prêt, la banque n’est pas en droit de refuser en garantie un autre contrat d’assurance à chaque fois que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d’assurance de groupe qu’elle a souscrit. Mais faut-il s’en tenir à cette lecture littérale ou faut-il, au contraire, considérer que, de surcroît, cette disposition exclut toute faculté de résiliation après conclusion du contrat d’assurance ?
La cour d’appel a opté pour la première branche de l’alternative : elle a retenu que cette disposition n’excluait pas toute faculté de résiliation du contrat d’assurance et que, à défaut de dispositions spéciales, la règle générale prévue par l’article L. 113-12 du Code des assurances pouvait s’appliquer, étant entendu que cet article est d’ordre public et que, par conséquent, les parties ne peuvent y déroger. D’un point de vue technique, cette décision se justifie par le fait qu’aucune disposition spéciale ne vient expressément exclure le droit de l’emprunteur-assuré de résilier son contrat d’assurance alors qu’au contraire l’article L. 113-12 du Code des assurances accorde ce droit à l’assuré. Rappelons que, si la résiliation est, en principe, exclue lorsque le contrat est à durée déterminée, il n’en va pas ainsi lorsque le législateur en a décidé autrement « en raison du caractère particulier du contrat »4. C’est précisément le cas du contrat d’assurance.
Au contraire, la Cour de cassation a opté pour la seconde branche de l’alternative : elle a considéré que la disposition précitée de l’article L. 312-9 du Code de la consommation exclut toute faculté de résiliation du contrat d’assurance, qu’elle constitue une disposition spéciale par rapport à la disposition générale de l’article L. 113-12 du Code des assurances et que, par conséquent, en vertu du principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales, un emprunteur n’est pas en droit de résilier son contrat d’assurance, quand bien même il proposerait à sa banque un contrat d’assurance présentant un niveau de garantie équivalent. D’un point de vue technique, il est difficile de ne pas y voir une interprétation audacieuse de l’article L. 312-9 du Code de la consommation… Néanmoins, cette décision peut se justifier par le contexte juridique qui entoure cet article. En effet, comme l’a relevé le professeur Jean Bigot, à l’occasion du vote de la loi de séparation des activités bancaires, quelques parlementaires avaient proposé de consacrer un droit de résiliation annuelle des contrats d’assurance de prêt5, puis le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 instaurent un droit de résiliation unilatérale du contrat d’assurance6, ce qui signifie, dans un cas comme dans l’autre, que ce droit n’existait pas auparavant. De surcroît, ce même auteur a fait observer que l’article L. 312-9 issu de cette loi, conférant à l’emprunteur le droit de résilier son assurance dans les douze mois à compter de la signature de l’offre de prêt, aurait paradoxalement restreint les droits de l’emprunteur au lieu de les élargir, si ce droit existait déjà sans être enfermé dans un tel délai7.
Il n’en demeure pas moins que le droit de résilier le contrat d’assurance emprunteur n’est pas expressément exclu par l’article L. 312-9 et qu’adopter, de temps en temps, une lecture littérale aurait le mérite de contraindre le législateur à soigner ses textes… Specialia generalibus derogant : si, en droit commun des contrats, la résiliation est, en principe, exclue dans les contrats à durée déterminée, en droit commun de l’assurance, elle est, en principe, licite ; le droit spécial de l’assurance peut exclure cette résiliation, mais dans ce cas cette exclusion devrait ressortir expressément d’une loi.
II – Le difficile avenir du droit de résiliation du contrat d’assurance emprunteur
Désormais, de deux choses l’une : ou bien la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 est applicable et auquel cas l’emprunteur ne peut résilier le contrat d’assurance auquel il a adhéré ; ou bien la loi Hamon est applicable et, dans ce cas, l’emprunteur dispose d’une marge de manœuvre un peu plus étendue.
En effet, l’entrée en vigueur de cette loi a rendu un peu plus clair l’article L. 312-9 du Code de la consommation. Désormais, l’emprunteur peut résilier le contrat d’assurance pendant un délai de douze mois à compter de la signature de l’offre de prêt à condition de proposer au prêteur un contrat présentant un niveau de garantie équivalent. Après ce délai, il n’a plus le droit de résilier le contrat d’assurance, sauf si le contrat de prêt prévoit une faculté de substitution à son profit. Encore n’est-ce pas si clair : « Au-delà de la période de douze mois susmentionnée, le contrat de prêt peut prévoir une faculté de substitution du contrat d’assurance en cas d’exercice par l’emprunteur du droit de résiliation d’un contrat d’assurance de groupe ou individuel mentionné à l’article L. 113-12 du Code des assurances ou au premier alinéa de l’article L. 221-10 du Code de la mutualité ». Ne ressort-il pas de ce texte que l’emprunteur a le droit de résilier le contrat d’assurance même après le délai de douze mois et que, par ailleurs, le contrat de prêt peut prévoir (ou non) une faculté de substitution du contrat résilié par un contrat équivalent ? C’est le sens littéral de cette disposition8, mais sans aucun doute la Cour de cassation sera-t-elle amenée à interpréter celle-ci au regard de l’esprit de la loi.
Ainsi, la reconnaissance d’un droit de résiliation pur et simple du contrat d’assurance emprunteur ne semble pas être au programme. Devrait-elle l’être ?
Plusieurs justifications sont avancées pour ne pas consacrer un tel droit, au premier rang desquelles des raisons d’ordre socio-économiques. Si les emprunteurs avaient le droit de résilier leur contrat d’assurance, il est fort probable que les résiliations seraient majoritairement le fait des emprunteurs jeunes et en bonne santé, laissant aux assureurs les emprunteurs plus âgés et à la santé précaire, ce qui aurait pour effet, à tout le moins, de faire augmenter les primes d’assurance. De surcroît, il n’est pas insensé de considérer que le législateur doit promouvoir l’assurance emprunteur afin d’éviter aux emprunteurs d’aggraver leur situation patrimoniale en cas de perte d’emploi, d’incapacité ou d’invalidité.
Au soutien, au contraire, de la thèse favorable à la consécration d’un tel droit, il y a tout d’abord l’absence de liberté de l’emprunteur. En effet, bien que celui-ci soit en droit de ne pas conclure un contrat d’assurance de prêt, un tel contrat lui est souvent imposé par la banque : pas d’assurance, pas de prêt ! L’emprunteur n’est donc pas libre de ne pas contracter, du moins au sens de la liberté matérielle. De plus, aux dires du député É. Alauzet, « pour un chiffre d’affaires de 6 milliards, le bénéfice sur l’assurance emprunteur est de 3 milliards. Nous sommes donc à 50 % de bénéfice »9… Si ces chiffres sont exacts, il y a donc manifestement un profit excessif tiré par les compagnies d’assurance, qui détournent le principe même de l’assurance. En effet, il ne faut pas oublier que, « d’origine chrétienne, inspiré par l’esprit de charité, il (le contrat d’assurance) a pour objet d’aider l’individu du concours tout volontaire de ses semblables. L’esprit de spéculation ne s’en est mêlé que pour lui fournir un meilleur pouvoir exécutif »10
Ainsi, que ce soit au regard de cet arrêt du 9 mars 2016 ou de l’esprit de la loi Hamon, une chose est sûre : le législateur et la Cour de cassation ont, jusqu’à présent, préféré sacrifier la liberté de ne pas contracter de l’emprunteur sur l’autel de la solidarité entre emprunteurs, à moins que ce ne soit sur celui des intérêts des compagnies d’assurance…
Notes de bas de pages
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1.
Bigot J., « Ubu et l’assurance emprunteur : les juges “s’emmêlent” », JCP G 2015, 1058.
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2.
Sur cet arrêt, v. Bigot J., art. préc. ; Sardin D., « Résiliation de l’assurance emprunteur par l’adhérent », Gaz. Pal. 9 juill. 2015, n° 232c6, p. 8 ; Alipoé P.-P., « Une concrétisation jurisprudentielle du droit de substitution de l’assurance emprunteur » : Bull. Lamy Assurances mai 2015, n° 227, p. 1-5.
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3.
Bigot J., art. préc. ; Sardin D., art. préc. ; contra : Alipoé P.-P., « Plaidoyer pour une codification du droit de substitution d’assurance en cours de prêt », Bull. Lamy Assurances sept. 2013, n° 208, p. 1-4 ; Eymard-Gauclin N. et Séguineau de Préval O., Lamy Assurances, 2016, n° 4689, selon lesquelles « l’adhérent d’un contrat d’assurance emprunteur a le droit de résilier annuellement (contrat mixte) ou à tout moment (contrat vie) son adhésion à un contrat d’assurance de groupe à adhésion facultative » ; v. égal. Lexbase Hebdo 16 avr. 2015, n° 609, obs. Krajeski D.
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4.
Terré F., Simler P. et Lequette Y., Les obligations, 10e éd., 2009, Dalloz, n° 479 ; v. égal. 11e éd., 2013, n° 481-1.
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5.
Amendements Alauzet, de Courson, Chassaigne : AN, 2e séance, 27 juin 2013 ; amendements Dallier et Procaccia, Labbé : AN, séance, 12 sept. 2013.
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6.
Cons. const., 13 mars 2014, n° 2014-690 DC.
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7.
Bigot J., art. préc.
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8.
v. égal. Krajeski D., obs. préc.
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9.
Amendements Alauzet, de Courson, Chassaigne : AN, 2e séance, 27 juin 2013.
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10.
Sainctelette C., « De la responsabilité et de la garantie », 1884, in Carval S., La construction de la responsabilité civile, 2001, PUF, p. 312.