Le médiateur de l’AMF met en garde contre les arnaques aux cryptoactifs

Publié le 21/05/2019

Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a présenté le 18 avril dernier à la presse son rapport annuel pour l’année 2018. Après avoir marqué le pas en 2017, le nombre de saisines repart à la hausse (+ 6 %). Outre l’apparition de nouvelles escroqueries aux cryptoactifs qui remplacent les diamants et le Forex, le médiateur est essentiellement sollicité en matière d’épargne-salariale et de transfert de PEA.

C’est l’éternelle course du gendarme contre le voleur. Alors que grâce à la loi Sapin qui lui a permis d’interdire la publicité pour le Forex, l’AMF a réussi à endiguer le flot de déconvenues des épargnants séduits par les annonces « devenez trader » – les dossiers en matière de trading spéculatif sur Forex ou options binaires diminuent toujours : 51 en 2018 contre 98 en 2017, le danger s’est déplacé ailleurs. Il y a eu les diamants d’investissement à partir de 2017 et voici que 2018 a vu fleurir les offres de placements en cryptoactifs : 35 dossiers. Les escrocs surfent sur la hausse du Bitcoin en 2017 pour attirer des épargnants novices. Ces investissements sont toujours présentés comme antisystème (l’État et les banques vous volent) et très rentables : de 10 % à… 300 % par mois (prétendent-ils) ! Selon le profilage établi par l’AMF, les victimes sont âgées de 31 à 77 ans, vivent le plus souvent dans de petites bourgades, sont majoritairement retraités et non cadres. Les pertes vont de 500 à 104 000 euros. Le démarchage se fait par téléphone. Les escrocs n’hésitent pas à créer des espaces personnels sur leurs sites internet pour leurs clients et à verser eux-mêmes des intérêts attractifs pour convaincre leurs victimes d’investir toujours plus. Certains se font passer pour de grandes banques. La fraude est découverte lorsque les personnes tentent de récupérer leurs fonds et la plus-value promise. Les escrocs réclament alors le versement d’une taxe pour procéder soi-disant au transfert des fonds, puis disparaissent dans la nature, sans avoir remboursé quoi que ce soit. « Le traitement de ces dossiers en médiation est évidemment inenvisageable puisqu’il s’agit d’escroqueries de sociétés fantômes et que les fonds sont partis à l’étranger depuis longtemps. Le médiateur se doit alors de transmettre ces dossiers, conformément à l’article 621-20-1 du Code monétaire et financier, directement aux services spécialisés de l’AMF qui est tenue d’en alerter le procureur de la République », précise le rapport. Montant de la fraude estimée en 2018 : 55 M€.

PERCO et PEA au centre de l’attention

En dehors de ces escroqueries, le médiateur intervient aussi et surtout dans des domaines d’activité classiques où les litiges naissent d’un dysfonctionnement dans la relation entre l’établissement et le client. Un domaine que Marielle Cohen-Branche connaît bien puisqu’elle a été directrice juridique de banque et que par ailleurs elle est médiatrice de l’AMF depuis novembre 2011. Trois grands sujets mobilisent particulièrement son attention depuis plusieurs années. Le premier concerne l’épargne salariale. Le médiateur a traité 217 dossiers l’an dernier. Parmi les sujets de réclamation récurrents figurent les frais de garde. Le scénario est toujours le même : un salarié quitte son entreprise et s’aperçoit souvent trop tard que la garde, qui était gratuite lorsqu’il était dans l’entreprise, est facturée à compter de son départ. Si les fonds sont modestes, ils peuvent être rapidement absorbés. En 2018, ces saisines ont toutefois légèrement diminué : 15 % contre 17 % l’année précédente. En revanche, les questions liées au fonctionnement de l’épargne salariale sont en progression : de 19 % à 26 %. Cela concerne les salariés dont la prime de participation a été affectée par défaut pour partie (50 % de la prime), sur leur dispositif d’épargne retraite à savoir le PERCO, lorsqu’il en existe un. Cela peut être le fruit d’une erreur, d’un oubli ou d’une absence de réponse du salarié dans les délais. Le problème, c’est que les avoirs sont alors bloqués jusqu’à la retraite. Certes, il y a des cas de déblocage mais très limités et dans ce cas aussi, les frais peuvent rapidement dévorer les fonds. Enfin, le troisième sujet concerne le fonctionnement des PEA pour lequel le nombre de saisines a augmenté de 30 % : 70 cas contre 53 en 2017. L’essentiel porte sur les durées anormales de transfert entre deux établissements. Outre ses interventions dans les dossiers individuels, le médiateur peut émettre des recommandations de bonnes pratiques ou proposer des réformes. Ici, Marielle Cohen-Branche a opté pour des recommandations générales destinées à accélérer et fluidifier ces transferts, notamment en cas de titres non cotés au sein de l’enveloppe. Après un avis favorable du Comité consultatif du secteur financier en septembre 2018, cette procédure est désormais facilitée.

Un taux d’exécution de 93 %

Comme chaque année, Marielle Cohen-Branche souligne à la fois le succès et les limites de la médiation. Au chapitre positif, il faut signaler l’efficacité de cette procédure. Le médiateur a émis 523 recommandations en 2018, parmi lesquelles 54 % étaient favorables au demandeur. Celles-ci ont connu un taux d’exécution de 93 % ! Quant au 46 % de dossiers dans lesquels le médiateur estime que le demandeur a tort, seuls 6 % des épargnants se sont déclarés non satisfaits par cette réponse. Le montant total des indemnisations obtenues en 2018 s’est élevé à 903 394 €. Il ne s’agit évidemment pas d’amendes ou de sanctions, mais de « gestes commerciaux » dont les montants sont compris entre 9 € et 286 000 €, avec une moyenne de 7 226 € et une médiane à 575 €. Seulement voilà, cette efficacité rencontre des limites. À commencer par le champ de compétence du médiateur. Ainsi, sur 1 438 dossiers reçus en 2018, seuls 815 s’inscrivaient dans son champ de compétence. Cela s’explique par le fait que les questions bancaires, assurantielles et fiscales ne relèvent pas de son champ d’intervention. Ce qui est compliqué à comprendre pour les épargnants qui perçoivent, non sans raison, toutes ces matières comme relevant de la finance et donc de l’AMF. Il peut arriver aussi que l’auteur d’une saisine ait déjà saisi un autre médiateur ou un tribunal, ou encore qu’il indique ne pas avoir fait de réclamation préalable auprès du professionnel. Autant d’hypothèses dans lesquelles le médiateur de l’AMF ne peut pas intervenir. Par ailleurs, le médiateur n’est compétent que si les acteurs concernés entrent dans le champ de la régulation. Contre les escrocs, il ne peut rien faire d’autre qu’alerter l’AMF qui à son tour saisit le parquet et, éventuellement, préconiser des réformes pour intervenir en amont. Enfin, Marielle Cohen-Branche dénonce régulièrement, au titre des freins au développement de la médiation, la complexité de sa réglementation. C’est ainsi qu’en ouverture de son rapport 2018, elle note « Le paysage français de la médiation, quant à lui, ne s’est pas simplifié en 2018, loin de là : un nouveau projet de loi de « programmation 2018-2022 et de réforme de la justice » vient d’être adopté. Il aborde des thèmes aussi délicats que celui de l’encadrement des sites de médiation en ligne ou celui du réhaussement des seuils de tentative de médiation obligatoire avant la saisine du juge. (…) On ne le rappellera jamais assez, les médiateurs de la consommation sont actuellement, en France, les seuls médiateurs amiables à être régulés et à être gratuits pour le consommateur ».

Gare aux vaches laitières

Marielle Cohen-Branche a été renouvelée en 2018 pour un nouveau mandat de 4 ans. Elle tient également un blog accessible sur le site de l’AMF qui lui permet, au travers de cas pratiques, de faire de la pédagogie auprès des épargnants. Son dernier billet, mis en ligne le 1er avril, porte sur la notion de « pair » en matière de remboursement d’une obligation. Il s’agit de la valeur nominale ou faciale de l’obligation, par opposition au prix d’émission qui peut se situer au-dessus ou en-dessous. En l’espèce, le demandeur avait confondu les deux et s’étonnait donc de percevoir un remboursement inférieur à ses attentes. La médiatrice lui a écrit pour lui expliquer que l’établissement n’avait commis aucune erreur. Au passage, elle en a profité pour donner cette recommandation aux épargnants « Pour éviter toute surprise sur le montant de la souscription et/ou du remboursement, le souscripteur potentiel doit donc, – outre le taux d’intérêt ou la qualité de l’émetteur –, examiner attentivement les conditions d’achat et de remboursement d’une obligation. La garantie d’être remboursé « au pair » ne se réalise qu’à la date d’échéance. Le souscripteur demeure en effet toujours libre de céder ses obligations en bourse, mais supporte dans ce cas un aléa, celui du marché ». Début avril, l’AMF a mis à jour sa liste noire des sites proposant des investissements douteux. Et ce faisant, elle a révélé un nouveau « placement en bien divers » à la mode dont l’objet consiste à investir sur… les vaches laitières moyennant une rentabilité de 8 à 10 %. Gageons que ces dossiers ne vont pas tarder à arriver sur le bureau du médiateur.

 

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