« Les entreprises qui ne prennent pas le virage de la transition digitale se condamnent »

Publié le 07/12/2020

Face à la crise sanitaire de la Covid-19, la transformation digitale et le numérique sont devenus des enjeux majeurs pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Des outils qui ont permis à certaines sociétés de maintenir une activité économique pendant les périodes de confinement. Pour les entrepreneurs et artisans, des efforts sont encore nécessaires dans l’appropriation du digital. Administrateur du syndicat CINOV numérique et consultant-formateur sur les usages du numérique en Île-de-France, Jean-Philippe Déranlot décrypte pour Actu-Juridique le sujet de la transformation digitale sur le territoire francilien.  

Actu-juridique : Quelle est la situation de la transformation digitale des TPE et PME ?

Jean-Philippe Déranlot : L’illectronisme ou autrement dit la fracture numérique touche en France 17 % de la population, en France. Nous retrouvons cette fracture dans les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises. Il y a un nombre de sociétés dont les dirigeants ont 50 ans passés et qui ne sont pas nés avec le numérique ou un smartphone dans la main. Ces personnes-là ont eu du mal à se mettre au numérique. Aujourd’hui, ils ont tendance à dire : ce n’est plus à moi de le faire, ce sera à celui qui prendra ma succession.

« La compétence numérique en France coûte en moyenne 8 500 € par salariés »

Puis, concrètement, la compétence numérique en France coûte en moyenne 8 500 € par salariés. La raison est simple : qu’on soit dirigeant ou collaborateur dans une entreprise, si on ne sait pas bien utiliser le numérique, on va mettre probablement plus de temps à réaliser une mission. Ce temps perdu à faire autrement, sans outils technologiques, pèse 8 500 € de masse salariale en moyenne par collaborateur dans une société. Pour un chef d’entreprise, l’impact est plus redoutable puisqu’il doit avoir la disponibilité pour pouvoir gérer, manager sa structure et développer commercialement son activité. Il est évident que la situation de la Covid-19 a été un fantastique accélérateur. On n’avait pas le choix. D’une façon générale, pour pouvoir faire une réunion avec ses clients, pendant le confinement, les chefs d’entreprise, artisans ou commerçants n’avaient pas d’autres solutions que le système de visioconférence.

AJ : En quoi la transformation digitale est un enjeu stratégique pour les TPE et PME ?

J.-P.D. : Il y a quatre volets pour lesquels la transformation numérique est un enjeu majeur. D’abord, la gestion de l’entreprise courante à travers les outils bureautiques, éventuellement ses outils de production. Toute société qui se respecte doit émettre des fiches de paie, des factures, faire sa comptabilité. On ne peut pas le faire sans outil informatique. Beaucoup d’opérations administratives se font aujourd’hui en ligne. Ensuite, il y a l’organisation du travail via le numérique. Le cas appliqué typique, c’est l’artisan du BTP qui va être sur le terrain pour suivre ses chantiers, rencontrer ses clients. Pour connaître ses disponibilités et pouvoir les partager avec ses collaborateurs, il va pouvoir avoir accès à un agenda sur smartphone de ses équipes.  Le troisième volet est la visibilité de l’entreprise via son site web, son blog, sa chaîne Youtube ou éventuellement les réseaux sociaux. Enfin, le quatrième volet, dont on parle souvent mais ne représente qu’une partie des entreprises, est la vente en ligne. Ce sont le plus souvent les commerçants dans le prêt-à-porter, qui sont concernés par la vente en ligne.

« Les entreprises qui ne prennent pas le virage de la transition digitale se condamnent »
Funtap / AdobeStock

AJ : Quels sont les secteurs d’activité concernés par la transformation digitale ?

J.-P.D. : Absolument tous les secteurs. Maintenant, il y en a qui vont être plus fortement impactés en positif ou en négatif, en fonction de l’appropriation du numérique. Typiquement, le domaine d’activité le plus impacté dans ces conditions c’est l’habillement et la mode. Le deuxième, ce sont les produits culturels. Le troisième c’est le voyage et le tourisme même si ce secteur est particulièrement impacté par la crise aujourd’hui. Puis ensuite, il y a les jeux, les objets techniques de l’électroménager et des biens de consommation courante comme les produits de beauté promus par des Youtubeuses sur internet.

AJ : Dans votre expérience, à travers votre activité en Île-de-France, quels exemples de transition numérique réussie avez-vous ?

J.-P.D. : J’ai deux exemples évidents mais pour autant pas courants. J’ai croisé le chemin d’une boutique de décoration « Secrets d’intérieurs » située aux Clayes-sous-Bois. La dirigeante de cette société a créé son site internet, pendant la crise sanitaire au début du second confinement. Son site web n’est pas extraordinaire mais elle fait 60 % de son chiffre d’affaires en période de confinement. Sans ce site, elle serait à zéro euro de chiffre d’affaires. Elle s’est débrouillée par elle-même.

Une autre boutique assez bluffante. Elle s’appelle « By la souris So » à Montesson, elle est aussi spécialisée dans la décoration. Cette société a fait son site internet pendant la première période du confinement au mois de mars. Au début, elle s’est lancée dans un projet technique. Elle a finalement changé de stratégie et aujourd’hui, son site est extraordinaire, d’une simplicité redoutable. Elle est au début du développement de ses ventes en ligne mais elle a investi 250 € pour faire son site internet. Ce n’est pas grand-chose.

Le point commun de ces entreprises, qui se sont investies dans le numérique, c’est le temps consacré. Tout ne se fait pas facilement, il faut du temps et du travail. Ces deux personnes ont appris le numérique, alors qu’elles n’y connaissaient quasiment rien. Ce type de transition est accessible à tout le monde. Il faut avoir la patience, se donner les moyens et l’énergie d’apprendre et de comprendre le fonctionnement de ces outils.

AJ : Dans votre expérience, à travers votre activité en Île-de-France, avez-vous rencontrer des échecs dans le cadre de transition digitale ?

J.-P.D. : Les situations qui m’ont marqué le plus, ce sont les artisans du bâtiment. Ils travaillent encore à l’ancienne. J’ai eu l’occasion de le vivre. Quand ils vont visiter un chantier et rencontrent un client, ils ne prennent aucune note, sauf les dimensions des travaux. Les artisans ont rarement une méthode de travail et une organisation autour du numérique.

« Les artisans ont rarement une méthode de travail et une organisation autour du numérique »

Cependant, j’ai été bluffé par une entreprise que je connais depuis un moment. Cette société s’appelle « Mobibam ». Le client passe commande d’un meuble sur mesure  via internet. La fabrication se fait dans la foulée sans aucune intervention humaine. La production est gérée par le client de A à Z. L’entreprise a mis en place un processus, qui permet aux robots de fabriquer seul le meuble. Les objets sont ensuite livrés en kit. Cette société est située à Boulogne-Billancourt. C’est une belle réussite de mélange entre l’artisanat et le numérique.

AJ : Avec la crise sanitaire, la transformation digitale est devenue essentielle pour les TPE-PME. Avez-vous des craintes pour les sociétés qui ne prennent pas le virage du digital ?

J.-P.D. : Ces entreprises se condamnent, tôt ou tard. Elles feront sûrement faillite dans quelques mois, dans un an ou un an et demi. Il y aura toujours des exceptions. Mais je ne vois pas comment les entreprises qui ne s’équipent pas, qui ne s’interrogent pas sur ses besoins en matériel informatique pour être plus efficace, peuvent s’en sortir.

« Il ne s’agit pas uniquement de s’acheter des équipements informatiques, il faut définir une stratégie et une méthode autour de cet investissement »

Il ne s’agit pas uniquement de s’acheter des équipements informatiques, il faut définir une stratégie et une méthode autour de cet investissement. Pendant de nombreuses années, des sociétés ont acheté un outil de gestion de leur relation client, en pensant que cet investissement allait résoudre tous ses problèmes de relation commerciale. Dans de nombreux cas, les difficultés se sont aggravées. Elles ont oublié qu’il fallait former le personnel, encadrer et manager le personnel avec de nouvelles méthodes. Ces entreprises ont cru qu’en achetant la solution technique, le problème allait être résolu.

AJ : Quels sont les aides proposées par l’État pour inciter à la transformation digitale des entreprises ?

J.-P.D. : D’abord le conseil régional d’Île-de-France propose un chèque numérique, pouvant aller jusqu’à 1 500 €, pour aider les entreprises à s’approprier le digital. Cette aide permet de mettre le pied à l’étrier. La boutique « By la souris So » à Montesson a créé un très bon site internet de vente en ligne pour 250 €. Par conséquent, je ne peux pas entendre que 1 500 € est une aide insuffisante. Puis, vous avez aussi le gouvernement, qui a annoncé un certain nombre d’aides pour pouvoir faciliter l’appropriation du numérique. Un programme qui s’inscrit dans le plan de relance du gouvernement à travers la plate-forme clique-mon-commerce.gouv.fr.