Mentions sur facturation : l’estompage du dispositif transitoire issu de l’ordonnance du 24 avril 2019

Publié le 16/10/2019

L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 contient en son article 5, III, un dispositif transitoire portant uniquement sur la qualification des manquements aux mentions sur factures. Silence est fait sur l’articulation dans le temps des sanctions pénales remplacées par des sanctions administratives. La volonté répressive des rédacteurs plaide en faveur d’une non-application immédiate des sanctions nouvelles.

L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce a modifié, entre autres, les règles relatives à la facturation. Le nouvel article L. 441-9 du Code de commerce énonce désormais qu’entre professionnels :

« I.- Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle fait l’objet d’une facturation.

Le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services au sens du 3 du I de l’article 289 du Code général des impôts. L’acheteur est tenu de la réclamer.

Le vendeur et l’acheteur conservent chacun un exemplaire de toute facture émise dans la limite de durée prévue par les dispositions applicables du Code général des impôts. La facture émise sous forme papier est rédigée en double exemplaire.

Sous réserve du c du II de l’article 242 nonies A de l’annexe II au Code général des impôts, dans sa version en vigueur au 26 avril 2013, la facture mentionne le nom des parties ainsi que leur adresse et leur adresse de facturation si elle est différente, la date de la vente ou de la prestation de service, la quantité, la dénomination précise, et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus ainsi que toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de la prestation de services et directement liée à cette opération de vente ou de prestation de services, à l’exclusion des escomptes non prévus sur la facture.

La facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir. Elle précise les conditions d’escompte applicables en cas de paiement à une date antérieure à celle résultant de l’application des conditions générales de vente, le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture ainsi que le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier en cas de retard de paiement. Le règlement est réputé réalisé à la date à laquelle les fonds sont mis, par le client, à la disposition du bénéficiaire ou de son subrogé.

La facture mentionne le numéro du bon de commande lorsqu’il a été préalablement établi par l’acheteur.

II.- Tout manquement au I est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale.

Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».

Le texte modifie doublement l’ancien dispositif prévu aux articles L. 441-3 à L. 441-5 du Code de commerce.

D’une part, il introduit deux nouvelles obligations pesant sur l’auteur de la facture ; il faut désormais obligatoirement mentionner :

  • l’adresse de facturation si celle-ci est différente de l’adresse de l’acheteur ;

  • le numéro de bon de commande lorsqu’il a été préétabli par l’acheteur.

D’autre part, les sanctions des omissions relatives aux mentions sur facturation sont modifiées. Si antérieurement à l’ordonnance il s’agissait d’un délit pénal, les manquements sont aujourd’hui sanctionnés par une amende administrative.

En effet, lesdits manquements étaient sanctionnés par une amende de 75 000 € pour une personne physique, de fait, 375 000 € pour une personne morale1. Cette amende pouvait être portée à 50 % du montant qui a été facturé ou aurait dû l’être2. Enfin, les personnes morales pouvaient être condamnées, au surplus, à une exclusion des marchés publics pendant une durée pouvant aller jusqu’à 5 ans3.

Depuis l’ordonnance, à ces sanctions pénales se sont substituées des sanctions administratives. L’exclusion des marchés publics et l’amende égale à 50 % du montant à facturer ont été supprimées pour être remplacées par une amende administrative de 75 000 € pour les personnes physiques et 375 000 € pour les personnes morales. En revanche, le doublement de l’amende est prévu en cas de réitération des manquements dans les deux ans de la décision de sanction précédente.

Le tableau ci-après récapitule l’évolution des sanctions :

Avant l’ordonnance

Depuis l’ordonnance

Amende personne physique

75 000 € ou 50 %

75 000

Amende personne morale

375 000 € ou 50 %

375 000 €

Exclusion de marchés publics pendant 5 ans

Oui

Non

Réitération des manquements

Doublement de l’amende pénale

Doublement de l’amende administrative

Le III de l’article 5 de l’ordonnance énonce, de façon lacunaire, que « les dispositions de l’article L. 441-3 du Code de commerce relatives aux factures restent applicables, dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, aux factures émises avant le 1er octobre 2019 ».

Ainsi les mesures transitoires visent uniquement l’ancien texte, qui érigeait au rang de délit pénal l’omission de mentions sur factures et non pas les textes relatifs aux sanctions. À rebours, certainement, de leur volonté, les rédacteurs de l’ordonnance ont par là même jeté le doute sur l’application dans le temps du dispositif en ce qui concerne les sanctions. La question mérite d’être posée : simple oubli ou décorrélation volontaire de la qualification et des sanctions en matière de mentions sur facture ?

Aussi s’agit-il de définir l’articulation de ces sanctions et leur application dans le temps.

Si l’apparente carence des mesures transitoires interdit toute certitude quant à l’application dans le temps des dispositions nouvelles (I), le recours aux règles classiques d’application dans le temps de la loi pénale laisse accroire que les règles relatives aux sanctions trouveront à s’appliquer en même temps que les règles relatives à la caractérisation du manquement, à savoir à partir du 1er octobre 2019 (II).

I – La carence du dispositif transitoire, source d’insécurité juridique

Le remplacement des sanctions pénales par des sanctions administratives n’emporte aucune conséquence directe sur l’application dans le temps du nouveau dispositif (A). Un tel basculement avait eu lieu en matière de délais de paiement en 2014 avec la loi Hamon et la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux TPE. Ainsi, la tentation était-elle grande de résoudre la présente question par analogie avec les dispositifs successifs relatifs aux délais de paiement. Toutefois, une telle assimilation ne semble pas pertinente (B).

A – L’indifférence de la nature de la sanction, pour une approche pragmatique de la loi répressive

Le remplacement de sanctions pénales par des sanctions administratives n’influe pas directement sur l’application dans le temps des dispositions successives. En effet, les principes régissant la rétroactivité de la loi pénale sont applicables aux sanctions administratives, sans aucune distinction.

Sur le fondement de l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que « le principe de rétroactivité (…) ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s’étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire »4.

Le point est désormais acquis et a trouvé de nombreuses applications en matière fiscale. Ainsi faut-il préférer l’expression de « loi répressive » plutôt que de « loi pénale », aux fins d’englober toutes les sanctions présentant un caractère punitif.

Découle de ce principe, la règle selon laquelle la loi répressive doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux auteurs d’infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée ; que cette règle s’applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi aux sanctions administratives5.

Partant, l’application dans le temps des dispositifs successifs devra être traitée de la manière suivante :

  • soit les sanctions nouvelles sont plus sévères, auquel cas la règle est la non-rétroactivité de la loi répressive nouvelle6 ;

  • soit les sanctions nouvelles sont plus douces, la rétroactivité in mitius devenant alors la règle ; à savoir une application rétroactive de la loi nouvelle, plus favorable7.

Cette alternative soulève une autre difficulté. En effet, déterminer si la loi nouvelle est plus douce ou plus sévère revêt, dans le présent cas, une difficulté particulière et fera l’objet de développements ex infra.

Au préalable, il convient de constater l’impossibilité d’effectuer une analogie avec le dispositif, pourtant semblable, sur les délais de paiement.

B – L’inefficace analogie avec la dépénalisation des manquements relatifs aux délais de paiement

La dépénalisation des manquements relatifs aux délais de paiement s’est faite en deux étapes.

D’abord, la loi Hamon8 a introduit les sanctions administratives. Puis la loi Pinel9 a supprimé les anciennes sanctions pénales. Les dispositions de dépénalisation au profit de l’amende administrative sont entrées en vigueur au 3 octobre 201410. Cette dépénalisation en cascade constitue une première différence avec le présent dispositif relatif aux mentions sur facturation.

Deuxième différence, l’absence de découplage dans le texte, des règles relatives à la constitution des manquements et des règles relatives aux sanctions. En effet, comme évoqué ex supra, l’ancien dispositif relatif aux mentions sur facturation était réparti entre trois articles du Code de commerce11. Le dispositif sur les délais de paiement était pour sa part concentré à l’article L. 441-6 du même code. Partant, aucune incertitude n’a pu naître sur l’entrée en vigueur du texte nouveau sur la base d’un découplage des règles relatives au manquement en lui-même et des règles relatives aux sanctions, puisque cet ensemble de règles était contenu, avant et après la refonte, dans le même article.

Enfin, dernière différence, la clarté des mesures transitoires. La loi du 18 juin 2014 précitée prévoyait, au II de son article 68 que les manquements relatifs aux délais de paiement « commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi [étaient] régis par l’article L. 441-6 du même code dans sa rédaction en vigueur au moment des faits ».

Autrement dit, les seuls faits commis à partir de l’entrée en vigueur de la loi pouvaient être sanctionnés par une amende administrative.

D’ailleurs, la commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC), a confirmé cette application dans le temps en apportant les précisions suivantes :

« Avec la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux TPE, c’est tout le dispositif relatif aux délais de paiement qui a été dépénalisé. Ainsi, aux termes de l’article L. 441-6 VI du Code de commerce : “Sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéa du I du présent article” »12.

L’ensemble de ces différences ne permet pas d’utiliser efficacement la dépénalisation du dispositif relatif aux délais de paiement comme élément de comparaison. D’abord parce que les mesures transitoires étaient d’une plus grande clarté ; ensuite et surtout parce que l’unité textuelle de qualification du manquement et de quantification des sanctions ne soulevait pas les mêmes difficultés.

Le recours aux règles classiques régissant la rétroactivité de la loi répressive semble finalement être le seul outil efficace de détermination de l’application dans le temps des nouvelles sanctions relatives aux mentions sur facturation.

II – Le recours aux règles classiques de rétroactivité de la loi répressive, pour un regain de sécurité juridique

Si le principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère, ayant pour corollaire la rétroactivité in mitius de la loi répressive plus douce, semble simple, il pose de sérieuses difficultés en matière de loi indivisible (A). Dans le même sens, le traitement de la réitération des manquements appelle des développements particuliers (B).

A – L’inapplicabilité immédiate des sanctions administratives aux faits commis antérieurement à l’ordonnance

Comment affirmer qu’une loi nouvelle est plus sévère ou, a contrario, plus douce que la loi ancienne ? Certaines comparaisons peuvent être moins aisées que d’autres. Ainsi une peine d’amende plus élevée est-elle plus douce ou plus sévère qu’une peine légère d’emprisonnement ? La jurisprudence considère que l’amende est toujours plus douce que la prison, quels que soient les taux13.

Mais lorsque sont en concurrence deux peines privatives de liberté de nature différente, les juges doivent se livrer à une appréciation in concreto et il a par exemple été jugé que la fermeture d’établissement est plus grave qu’une amende14.

« Les hypothèses délicates sont celles où chacune des lois en conflit est à la fois plus douce et plus sévère que l’autre. Une première situation est celle où la loi nouvelle, tout en augmentant le maximum de la peine encourue, diminue le minimum, ou vice-versa. Cette difficulté est d’ailleurs plus apparente que réelle puisque la considération du minimum n’est pas en soi déterminante, les circonstances atténuantes permettant de franchir cette barrière somme toute symbolique ; donc seul le maximum fournit le critère satisfaisant (Cass. crim., 14 avr. 1883). Avec le nouveau Code pénal qui n’édicte plus que des maxima, il ne peut qu’en aller de même, a fortiori »15.

Mais les choses se compliquent singulièrement lorsque l’hétérogénéité des règles nouvelles et anciennes ne permet pas d’appréciation évidente de l’évolution de la sévérité. Deux cas doivent être distingués.

Soit la loi nouvelle est divisible, auquel cas il convient de faire une application distributive des dispositions, seules les plus douces rétroagissant. Soit la loi nouvelle est indivisible, auquel cas la jurisprudence emploie deux méthodes alternatives : ou bien elle apprécie la loi nouvelle par rapport à la disposition principale, ou alors elle dégage une tendance de fond sur sa sévérité.

En l’espèce, l’ordonnance du 29 avril 2019 semble divisible, certes. En ce sens qu’elle vise des dispositifs différents qui, bien que regroupés au sein du même titre du Code de commerce, peuvent tout à fait faire l’objet de sanctions autonomes. En revanche, le nouvel article L. 441-9 du Code de commerce apparaît, pour sa part, indivisible. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la divisibilité d’un texte ne peut être décrétée avec certitude que si ses dispositions ont des domaines d’application bien distincts16. À titre d’exemple, est divisible la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 qui a élargi les infractions de pratiques commerciales trompeuses à d’autres pratiques que les actes de publicité, en ce qu’elle a supprimé la présomption de responsabilité du dirigeant pour le compte de la personne morale17. Mais même dans cet exemple discutable où les juges se livrent à un charcutage des textes18, il n’est pas possible d’affirmer que l’incrimination et la sanction de la même infraction puissent être divisibles.

Dans une autre espèce, la loi du 23 décembre 1980 avait été considérée comme divisible. En étendant la notion de viol, elle correctionnalisait les attentats à la pudeur19.

En ce cas, soit les magistrats recherchent la disposition principale qui donnera son empreinte au texte entier, soit ils se prêtent à une appréciation globale sur chacune des lois en présence.

Ainsi la Cour de cassation a-t-elle estimé que si la loi du 28 décembre 1979 a élevé le montant minimum exigé par l’article 474, alinéa 2, du Code pénal pour que la récidive soit indépendante du lieu où la première contravention a été commise, elle l’a fait corrélativement à l’augmentation générale du montant des amendes encourues en matière de contraventions de police. Un prévenu ne peut bénéficier de l’application rétroactive des dispositions relatives à ce montant, ces dispositions étant inséparables des autres parties de la loi plus sévère qui est indivisible20.

Toute la difficulté réside donc dans l’appréciation de l’évolution de la sévérité du dispositif.

Un auteur a estimé la peine plus légère en raison de la suppression de l’amende de 50 % du montant à facturer et de la possibilité d’exclusion des marchés publics pendant 5 ans21.

Ce point de vue s’entend mais semble faire abstraction de l’élargissement corrélatif du nombre de mentions obligatoires sur factures.

Première solution :

Pour apprécier la sévérité de la loi nouvelle, il convient de prendre en compte l’appréciation prétorienne de telles situations ainsi que l’intention du législateur en l’espèce.

La jurisprudence expose un cas d’élargissement du champ de l’infraction corrélée à un abaissement de la peine. À propos de la création du délit de harcèlement moral, les dispositions de cette loi nouvelle sont plus douces puisqu’elle prévoit des peines moins élevées que celles propres au délit de violence avec préméditation autrefois applicables en l’hypothèse. Mais les dispositions de la loi nouvelle sont également plus sévères dans la mesure où le nouveau délit est constitué dans des cas où le comportement réprimé n’a pas eu pour effet d’altérer la santé de la victime22. Et en définitive, la loi nouvelle comprenant des dispositions indivisibles ne saurait rétroagir23.

Autrement dit, le fait que l’infraction puisse être caractérisée dans un cas supplémentaire avec la loi nouvelle a supplanté l’abaissement de la peine. Exactement comme il devrait en être en matière de mentions sur factures.

En outre, l’intention du législateur est sans équivoque :

« Actuellement pénalement sanctionné (amende de 75 000 €), ce texte ne donne lieu le plus souvent qu’à des transactions ou des suites pédagogiques (…).

Il s’agit de poursuivre le mouvement de dépénalisation des pratiques restrictives de concurrence, entamé par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation pour les délais de paiement et le respect du formalisme contractuel. L’objectif est donc d’accroître le caractère dissuasif en renforçant l’effectivité d’application des sanctions par la transformation de la sanction pénale en sanction administrative. Les obligations formelles sont assorties d’une sanction administrative de 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l’autorité compétente pour prononcer cette amende »24.

De la main des rédacteurs, l’aveu est fait d’une volonté de durcir les sanctions. Sans trop de certitude, il est toutefois légitime de considérer que la loi nouvelle est plus sévère et de conclure à une non-rétroactivité de celle-ci. En somme, tous les manquements commis sur des factures émises avant le 1er octobre 2019, peu important l’absence de clarté des mesures transitoires, devront être sanctionnés pénalement conformément aux textes en vigueur au moment des faits.

Solution alternative :

En toute hypothèse et pour les raisons précédemment exposées, la transformation d’une sanction pénale en sanction administrative ne peut suffire à la considérer plus douce.

Cet argument échouerait de façon certaine. L’argument reposant uniquement sur l’abaissement de la peine ne paraît pas non plus convaincant dans la mesure où il fait abstraction de la complexité de la loi.

B – Le traitement de la réitération aux manquements dans le silence de l’ordonnance

Si le texte ancien, prévoyant une sanction pénale, était régi par les principes classiques de la récidive, le nouveau texte prévoit, pour rappel, un doublement de l’amende en cas de réitération des manquements. L’hypothèse est la suivante. Des faits ont été commis et sanctionnés pénalement sous l’empire de l’ancien texte. Les mêmes faits ont été commis avant l’ordonnance du 24 avril 2019 mais n’ont pas encore été sanctionnés. En telle hypothèse, les faits les plus récents doivent-ils être sanctionnés en application des règles de la récidive pénale, de la réitération aux manquements administratifs ou, la nature distincte des sanctions fait obstacle à la prise en compte des faits plus anciens ?

Les articles L. 132-12 à L. 132-14 du Code pénal énoncent les règles relatives à la répression de la récidive des personnes morales. Sans qu’il soit utile de citer les textes intégralement, le tableau ci-après dresse un état récapitulatif de l’appréhension de la récidive des personnes morales par le Code pénal.

Premier terme

Deuxième terme

Délai de commission de la nouvelle infraction

Aggravation de la peine encourue

Crime ou délit puni de 100 000 € pour les personnes physiques

Crime

Pas de délai

Délit puni de la même peine

10 ans

Amende x 2

Sanctions prévues à l’article 131-39

Délit puni de 15 000 € pour les personnes physiques

5 ans

Délit puni de moins de 100 000 € pour les personnes physiques

Même délit ou assimilé

5 ans

Amende x 2

Le délai de commission de la nouvelle infraction court à compter du moment où la première décision de sanction est devenue définitive25.

Sous l’empire de l’ancienne loi, l’hypothèse de la récidive était donc traitée dans les conditions exposées à la dernière ligne du tableau puisque l’omission de mentions sur factures était sanctionnée par une amende pénale de 75 000 € pour les personnes physiques.

Deux hypothèses doivent donc être distinguées :

  • en considérant que la loi nouvelle est plus sévère et par conséquent que les sanctions pénales survivent pour les factures émises avant le 1er octobre 2019. Dans ce cas, les règles de la récidive pénale trouveront à s’appliquer ;

  • en considérant que la loi nouvelle est plus douce et par conséquent que les sanctions administratives s’appliquent immédiatement. Dans ce cas, les règles de la récidive pénale ne s’appliqueront pas.

En revanche, dans cette seconde hypothèse, le texte nouveau prévoit que « le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».

L’expression « réitération du manquement » concerne-t-elle seulement une première sanction administrative ou s’étend-elle à l’hypothèse de la condamnation pénale précédente ?

Encore une fois, ni doctrine ni jurisprudence n’ont été identifiées sur ce sujet.

Néanmoins, il y a dans le Code pénal 17 occurrences du terme « manquement ». Ce qui peut écarter l’intuition de circonscrire ce terme aux sanctions administratives. Le cas échéant, il faudra en conclure que malgré le changement de nature de la sanction, le doublement de l’amende en cas de réitération26 sera applicable.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L’article 131-38 du Code pénal prévoit le quintuplement de l’amende pour les personnes morales.
  • 2.
    C. com., art. L. 441-4 anc.
  • 3.
    C. com., art. L. 441-5 anc.
  • 4.
    Déc. Cons. const., 30 déc. 1982, n° 82-155 DC, p. 33.
  • 5.
    JCl. Administratif, fasc. 108-40 : Sanctions administratives, p. 66.
  • 6.
    C. pén., art. 112-1, al. 1 et 2.
  • 7.
    C. pén., art. 112-1, al. 3.
  • 8.
    Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le dispositif de sanctions est précisé par le décret n° 2014-1109 du 30 septembre 2014.
  • 9.
    Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.
  • 10.
    Date d’entrée en vigueur du décret précité.
  • 11.
    C. com., art. L. 441-3 à L. 441-5.
  • 12.
    CEPC, avis n° 16-1 relatif à une demande d’avis d’un avocat sur le caractère impératif des délais de paiement dans le cadre d’un contrat international.
  • 13.
    JCl. Pénal Code, fasc. 20 : Application de la loi pénale dans le temps, p. 58.
  • 14.
    Cass. crim., 30 déc. 1922.
  • 15.
    JCl. Pénal Code, fasc. 20 : Application de la loi pénale dans le temps, p. 59.
  • 16.
    Merle R. et Vitu A., Traité de droit criminel, t. 1, 1988, Cujas, n° 259.
  • 17.
    CA Lyon, 29 oct. 2008, n° 1012/07.
  • 18.
    Expression empruntée à Merle R. et Vitu A., Traité de droit criminel, t. 1, 1988, Cujas, n° 259.
  • 19.
    Cass. crim., 21 avr. 1982, n° 81-92914.
  • 20.
    Cass. crim., 5 janv. 1983, n° 81-91269.
  • 21.
    Pinat C.-S., « Transparence, pratiques restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées : nouvelle ordonnance », Dalloz Actualité, 1er août 2019.
  • 22.
    JCl. Pénal Code, fasc. 20 : Application de la loi pénale dans le temps, p. 64.
  • 23.
    TGI La Roche-sur-Yon, 22 avr. 2002 : note Rovinski J., Gaz. Pal. 1er août 2002, n° C8493, p. 18.
  • 24.
    Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.
  • 25.
    Jurisprudence constante de la chambre criminelle depuis 1884.
  • 26.
    Terme d’ailleurs utilisé en droit pénal pour les hypothèses n’entrant pas dans le champ de la récidive légale.