Questions de droit transitoire sur l’application de l’ordonnance du 10 février 2016

Publié le 03/01/2019

Selon l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, les contrats conclus avant cette date demeurent soumis au principe de survie de la loi ancienne.

Cass. 1re civ., 19 sept. 2018, no 17-24347, ECLI:FR:CCASS:2018:C100837, FS–PB

1. Droit transitoire et ordonnance du 10 février 2016. Il est à peine croyable qu’on puisse simplement envisager l’application de l’article 1186 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 alors que la caducité du contrat en cas de disparition d’un élément essentiel de ce dernier est inapplicable à un contrat consenti avant l’entrée en vigueur de cette réforme1. En l’espèce2, en date du 18 juin 2013, Mme X a fait l’acquisition d’un climatiseur auprès de la Société méditerranéenne d’applications thermiques et de conditionnement (la SMATEC), laquelle a procédé à son installation à l’intérieur et à l’extérieur de son domicile. Le lendemain, elle a souscrit avec cette même société un contrat de maintenance d’une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction. La SMATEC a, par lettre du 15 mai 2015, fait savoir à Mme X qu’elle ne renouvellerait pas le contrat. Mme X a assigné la SMATEC pour obtenir le remboursement des frais de déplacement de l’unité extérieure et la réparation du préjudice résultant de la rupture abusive du contrat de maintenance. Le juge de proximité compétent a estimé qu’« en application des dispositions de l’article 1186 du Code civil, le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît, le jugement retient que si, lorsque le contrat d’entretien a été souscrit, l’accès au groupe extérieur était possible, la modification de la situation de l’immeuble rend depuis l’entretien impossible, de sorte que la demande de Mme X est sans objet. Mécontent de cette décision, le demandeur au pourvoi soutenait que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis aux dispositions du Code civil antérieures à celles issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; que, dès lors, en faisant application des nouvelles dispositions de l’article 1186 du Code civil, qui a opéré un changement substantiel du traitement de l’imprévision en matière contractuelle, à un contrat dont il ressortait de ses propres constatations qu’il avait été conclu en juin 2013, la juridiction de proximité a violé l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ». La Cour de cassation s’est montrée sensible à cette argumentation car en censurant le juge de proximité, la haute juridiction judiciaire procède à une interprétation stricte de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 (II) qui a pour effet de maintenir la survie de la loi ancienne (I).

I – La caducité du contrat demeure soumise au principe de survie de la loi ancienne

2. Caducité contractuelle et principe de survie de la loi ancienne. Cette décision démontre que la Cour de cassation applique le principe de survie de la loi ancienne (A) à la caducité du contrat (B).

A – Principe de survie de la loi ancienne

3. Sens de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016. Le principe de survie de la loi ancienne résulte de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 qui énonce que : « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne. Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance. Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation ». Ce dernier article tente de régler les difficultés complexes du droit transitoire3. Reste qu’il n’est pas certain, loin s’en faut, que l’article 9 n’ait de sens que si les articles qu’il vise entrent en vigueur immédiatement le lendemain de la publication de l’ordonnance, soit le 12 février 20164. La doctrine a beaucoup débattu sur ce point et comme le remarque le professeur Marc Mignot : « Il s’agit des articles prévoyant qu’un tiers ou une partie interroge une autre partie à un contrat pour connaître sa volonté ou l’étendue de son pouvoir (art. 1123, al. 3 et 4, 1158, 1183). L’instance introduite avant le 1er octobre 2016 demeure soumise à la loi ancienne (art. 9, al. 4). Le texte ne peut concerner que les dispositions de l’ordonnance de nature procédurale, à supposer qu’elles introduisent un changement par rapport au droit ancien (ex. art. 1180, al. 1er, 1151) »5. De plus, le maintien du principe de survie de la loi ancienne ne paraît se justifier que par le respect des intérêts des parties au contrat6. A contrario, l’application immédiate de la loi nouvelle résulte de l’article 2 du Code civil qui précise que : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

B – La caducité du contrat face à l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016

4. Arrêt de cassation. En l’espèce, la Cour de cassation précise qu’en faisant ainsi application de l’article 1186 du Code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 à un contrat dont il ressortait de ses propres constatations qu’il avait été conclu avant le 1er octobre 2016, la juridiction de proximité a violé le texte susvisé. En effet, l’article 1186 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que : « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement ». Le juge de proximité avait estimé qu’en vertu de l’article 1186 du Code civil, le contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. De plus, en première instance, il avait été remarqué que lorsque le contrat d’entretien a été souscrit, l’accès au groupe extérieur était possible en l’état de la situation de l’immeuble, ce qui a été modifié par la suite et qu’en conséquence la demande de Mme X relative à l’entretien était impossible et sans objet et devait être rejetée dans l’intégralité. Il est permis de penser que si le contrat d’entretien avait été renouvelé par tacite reconduction après le 1er octobre 2016, la solution aurait été bien différente7. En effet, dans cette hypothèse, il n’y a pas de survie de la loi ancienne et partant la loi nouvelle s’appliquant alors au contrat renouvelé.

II – L’application stricte du principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle

5. Les exceptions « extra-textuelles ». Aux termes de l’arrêt d’espèce, la Cour de cassation interprète strictement les exceptions « hors textes » au principe de survie de la loi ancienne au regard de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 (A). Quid juris des exceptions « hors textes » au regard de la loi de ratification du 20 avril 2018 (B) ?

A – L’interprétation stricte des exceptions « extra-textuelles » au principe de survie de la loi ancienne

6. Les exceptions « extra-textuelles » : le caractère d’ordre public particulièrement impérieux et les effets légaux. D’aucuns estiment que la règle de survie de la loi ancienne en matière contractuelle n’est pas d’ordre public8 tant et si bien que la jurisprudence peut procéder à des interprétations en matière de droit transitoire. Pour autant, la jurisprudence estime que lorsqu’une disposition légale nouvelle relève d’un ordre public qualifié de particulièrement impérieux, cette dernière peut être appliquée immédiatement aux contrats en cours9. C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé que : « Attendu que les dispositions de la loi du 15 mai 2001 modifiant l’article L. 441-6 du Code de commerce, qui répondent à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses, sont applicables, dès la date d’entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours ; que les pénalités de retard pour non-paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les conditions générales des contrats »10. Concernant la deuxième exception au principe de la survie de la loi ancienne a trait à l’application immédiate des effets légaux du contrat11. À titre d’exemple, on peut citer un arrêt de la Cour de cassation qui a jugé que : « Mais attendu que les effets légaux d’un contrat étant régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent, la cour d’appel qui a exactement retenu que la loi du 4 août 2008, modifiant l’article L. 145-9 du Code de commerce et imposant de délivrer congé pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l’avance, était applicable aux contrats en cours et qui a relevé que le congé avait été donné le 30 mars 2009 pour le 30 septembre 2009, en a déduit, à bon droit, que le congé était valable ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé »12.

7. Jurisprudence et absence de loi ancienne. L’on sait que la jurisprudence, similaire au cas d’espèce, antérieure à la réforme du 10 février 2016, considère qu’un contrat dont l’exécution est devenue impossible est caduc13. La Cour de cassation juge dans ce cas : « Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt retient, par une interprétation souveraine de la volonté des parties au pacte d’actionnaires, que la clause d’exclusivité ne pouvait être comprise indépendamment du lien de collaboration ayant existé entre M. X et la société BMA et que son objet se limitait donc implicitement mais nécessairement aux conditions d’exercice de la collaboration des associés entre eux au bénéfice de la société BMA ; qu’il relève que M. X, qui avait été révoqué et licencié à l’initiative de la société BMA, avait ainsi été mis, du fait de circonstances non prévues par le pacte d’actionnaires, dans l’impossibilité de respecter cet engagement ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que l’engagement de M. X était caduc »14.

B – Les exceptions « extra-textuelles » au regard de la loi de ratification du 20 avril 2018

8. Modification de l’article 9, alinéa 2, de l’ordonnance du 10 février 2016. Aux termes des travaux parlementaires, l’article 9, alinéa 2, de l’ordonnance du 10 février 2016 a été modifié ainsi : « Y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». Pour la doctrine, « cette modification trouve son explication dans les travaux parlementaires : elle a manifestement pour objet de répondre à certaines décisions récentes de la Cour de cassation qui interprètent la loi ancienne à la lumière de la loi nouvelle, faisant ainsi échec à la volonté du législateur de ne pas appliquer la réforme aux contrats en cours »15. Force est de reconnaître que de beaux débats en perspective se dessinent pour les interprètes de la volonté du législateur en matière de droit transitoire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Pas d’application de la réforme du droit des contrats à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 », Éditions Francis Lefebvre – La Quotidienne, 12 oct. 2018.
  • 2.
    Pellier J.-D., « De l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 », Dalloz actualité, 15 oct. 2018, III ; « Le sort des contrats antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme du 10 février 2016 », Documentation expresse, n° 2018-17, 12 oct. 2018, Lamy, Simler P., Réforme du droit des contrats : application dans le temps de la notion de caducité ; JCl. Civil Code, Art. 1100 à 1386-1, fasc. unique : Réforme du droit des obligations. – Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018. « Pas d’application de la réforme du droit des contrats à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 », Éditions Francis Lefebvre – La Quotidienne, 12 oct. 2018.
  • 3.
    Roubier P., Le droit transitoire – Conflits des lois dans le temps, 2e éd., 1960, Dalloz-Sirey, réimp. Dalloz, 2008.
  • 4.
    Mignot M., « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (I) », LPA 26 févr. 2016, p. 8.
  • 5.
    Mignot M., « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (I) », LPA 26 févr. 2016, p. 8.
  • 6.
    Mignot M., « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (I) », LPA 26 févr. 2016, p. 8.
  • 7.
    « III. Le sort des contrats antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme du 10 février 2016 », Documentation expresse, n° 2018-17, 12 oct. 2018, Lamy.
  • 8.
    Malaurie P. et Morvan P., Introduction au droit, 4e éd., 2012, Defrénois, n° 274 ; Fages B. et Fleury P., « Présentation », Lamy droit des contrats, juill. 2018.
  • 9.
    Fages B. et Fleury P., « Le caractère d’ordre public particulièrement impérieux des dispositions nouvelles », Lamy droit des contrats, juill. 2018, n° 59.
  • 10.
    Cass. com., 3 mars 2009, n° 07-16527.
  • 11.
    Fages B. et Fleury P., « Les effets légaux du contrat », Lamy droit des contrats, juill. 2018, n° 60.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 3 juill. 2013, n° 12-21541.
  • 13.
    « Pas d’application de la réforme du droit des contrats à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 », Éditions Francis Lefebvre – La Quotidienne, 12 oct. 2018.
  • 14.
    Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-10548. « Pas d’application de la réforme du droit des contrats à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 », Éditions Francis Lefebvre – La Quotidienne, 12 oct. 2018.
  • 15.
    Fages B. et Fleury P., « Le traitement des exceptions “hors textes” par la loi de ratification du 20 avril 2018 », Lamy droit des contrats, juill. 2018.
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