Banque et finance

Nullité du taux effectif global – réticence dolosive – prescription

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 30 sept. 2017, no 2015001951

La société Entrepôts de Thumeries a contracté entre 2006 et 2010 auprès de la Société Générale plusieurs prêts destinés à des acquisitions immobilières et à des opérations de construction ainsi que des swaps de couverture de taux. En décembre 2014, le cabinet BPEX, mandaté par Entrepôts de Thumeries, a conclu au caractère erroné des TEG stipulés dans chacun des emprunts.

Le 29 décembre 2014, Entrepôts de Thumerie assigne la Société Générale et demande que soit prononcée la nullité des stipulations d’intérêts des différents prêts avec substitution du taux légal ainsi que la nullité des conventions de swap pour dol et erreur.

La Société Générale soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action pour les prêts de 2006, 2007 et 2008 ainsi que les swaps et, pour le prêt de 2010, soutient la conformité du TEG aux dispositions du Code monétaire et financier.

Le tribunal dit prescrites les demandes des Entrepôts de Thumeries, à l’exception de celle concernant le prêt de 2010 à laquelle il fait droit  aux motifs suivants :

« Sur l’irrecevabilité pour prescription de l’action en nullité des clauses d’intérêts soulevée pour les 5 prêts conclus entre 2006 et 2008 :

À l’appui de sa demande, la Société Générale soutient que :

  • l’action en nullité se prescrit, selon les termes de l’article 1304 du Code civil par 5 ans ;

  • pour les prêts consentis à des professionnels pour les besoins de leur activité, la jurisprudence constante fixe le point de départ de la prescription au jour de la signature du contrat de prêt ;

  • l’emprunteur doit être considéré comme un professionnel au sens de l’article L. 312-3 du Code de la consommation même si la Société Générale l’avait qualifié de client non professionnel au sens de la directive communautaire MIF ;

  • l’emprunteur disposait de l’ensemble des éléments permettant de vérifier l’exactitude du TEG dès réception de l’offre de prêt ;

  • le rapport du cabinet BPEX a vérifié les TEG sur la base des seuls éléments contenus dans les contrats.

Entrepôts de Thumeries réplique que :

  • le délai de prescription quinquennale ne commence à courir qu’à compter de la révélation à l’emprunteur du caractère erroné du TEG ;

  • la société était qualifiée de non professionnel par la banque ;

  • elle n’a eu connaissance des erreurs que par le rapport du cabinet BPEX ;

  • la violation des obligations contractuelles postérieures à la signature des prêts justifie le prononcé de la nullité de la clause d’intérêt en l’absence de toute prescription quinquennale.

Sur ce :

Attendu qu’il n’est pas contesté que les prêts litigieux ont été mis en place pour les besoins de l’activité de la société qui doit être considérée comme un professionnel au sens de l’article L. 312-3 du Code de la consommation, peu important que la Société Générale l’ait qualifiée de non professionnel au sens de la directive communautaire MIF du 21 avril 2004 ;

Attendu que pour des prêts consentis à un professionnel dans le cadre de son activité, le point de départ de la prescription est celui du jour de la signature de la convention de prêt et ce, d’autant, qu’il n’est pas démontré que les informations communiquées ne permettaient pas à l’emprunteur de détecter le caractère supposé erroné du TEG figurant dans les contrats de prêt ;

Attendu que pour les 5 prêts conclus entre 2006 et 2008, le point de départ de la prescription est antérieur au délai de prescription de 5 ans ; que le fait que la Société Générale ait pu commettre des erreurs dans la mise en œuvre du contrat de prêt est inopérant sur l’action en nullité de la clause d’intérêt contractuelle contenue dans le prêt, erreur qui ne pourrait être sanctionnée que par des dommages et intérêts pour non-respect des engagements contractuels ;

Le tribunal, en conséquence, dit l’action prescrite et déclarera irrecevable l’action en nullité des clauses d’intérêts contenues dans les 5 prêts conclus entre 2006 et 2008 ;

Sur l’irrecevabilité de l’action en dommages et intérêts et en nullité au titre des 2 contrats de swap signés le 21 avril 2008 :

À l’appui de sa demande, la Société Générale soutient que :

  • la loi du 17 juin 2008 étant entrée en vigueur le 19 juin 2008, le délai de prescription a expiré le 19 juin 2013 ;

  • le point de départ du délai de prescription pour manquement à l’obligation d’information ou aux devoir de mise en garde ou de conseil court à compter de la conclusion du produit financier ;

  • le point de départ de la prescription de l’action en nullité pour dol correspond au jour de la découverte de la tromperie soit, en l’espèce, au plus tard au dernier trimestre 2008.

La société Entrepôts de Thumeries réplique que :

  • la prescription quinquennale de l’action en nullité pour dol a pour point de départ la date où le cocontractant a effectivement connaissance des faits constitutifs du dol ;

  • la société Entrepôts de Thumeries était un opérateur non averti ;

  • elle n’a découvert le dol qu’à partir du rapport du cabinet BPEX le 22 décembre 2014 ;

  • la Société Générale avait connaissance de la future baisse des taux ainsi qu’en atteste une note interne rédigée le 3 juillet 2008 ;

  • le swap lui a couté 30 915,87 €.

Sur ce :

Attendu que selon les termes de l’article L. 110-4 du Code de commerce dans sa rédaction applicable antérieurement à la réforme de 2008 la prescription était de 10 ans ; que, dans sa nouvelle rédaction le délai de prescription a été ramené à 5 ans à compter de son entrée en vigueur le 19 juin 2008 ; que, en l’espèce, le délai de prescription a expiré le 19 juin 2013 ;

Attendu que la prescription de la demande fondée sur un manquement à l’obligation d’information ou au devoir de mise en garde et de conseil a pour point de départ la date de conclusion des contrats de swap ;

Attendu que, par ailleurs, la société Entrepôts de Thumeries pour s’opposer à la prescription invoquée soutient qu’elle a été victime d’un dol dont elle n’a eu connaissance qu’en 2014 avec le rapport du cabinet BPEX ; que, selon elle, le dol résulte de la non communication par la banque d’une note interne des services économiques concluant à une baisse des taux d’intérêts en 2009 ;

Attendu que, si cette note évoque bien une baisse des taux à l’horizon de 2009, elle ne prévoit qu’une baisse faible de ces taux ; que la baisse intervenue fin 2008 et début 2009 a été d’une ampleur et d’une brutalité liée à la crise des subprimes, dont la banque n’avait pas connaissance au moment de la conclusion des contrats ; que la réticence dolosive invoquée n’est pas établie sur le seul fondement de la note interne invoquée ; qu’en tout état de cause, la société disposait, au plus tard, au premier trimestre 2009 de tous les éléments lui permettant d’engager une action, ce qu’elle n’a pas fait ;

Attendu qu’il en résulte que l’action en dommages et intérêts et en nullité des 2 contrats de swap signés le 21 avril 2008 est prescrite ;

Le tribunal dira irrecevable cette action ;

Sur l’action en nullité de la clause d’intérêts conventionnels du contrat du 19 janvier 2010 sur le fondement de l’absence de taux de période et TEG dans l’offre de prêt du 6 janvier 2016 :

Attendu qu’il est produit aux débats une offre de prêt à taux variable de la Société Générale en date du 5 janvier 2010 ;

Attendu que cette offre de prêt est faite sans aucune réserve de la part de la Société Générale; qu’elle a donc pu être acceptée par Entrepôts de Thumeries ; que l’acceptation a été donnée le 6 janvier 2010 ;

Attendu que dans cette offre, il est écrit dans le point « taux effectif global » que le taux de période et le TEG sont « à déterminer » ;

Attendu que la banque n’a ni respecté un délai raisonnable pour l’acceptation de l’offre ni satisfait aux dispositions de l’article R. 313-1 du Code de la consommation qui dispose que « Le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l’emprunteur » ;

Attendu que la banque n’a manifestement pas respecté le formalisme imposé par la loi et qui est d’ordre public ;

Le tribunal dira la demande de la société Entrepôts de Thumeries fondée et prononcera la nullité de la clause d’intérêts contractuels du contrat du 19 janvier 2010 et sa substitution par le taux d’intérêt légal qui sera adapté année par année en fonction des variations imposées par la loi, celui-ci pouvant excéder le taux nominal initial du prêt en l’absence de dispositions légales contraires ;

Attendu que le prêt est venu à échéance en 2015, le tribunal condamnera la Société Générale à rembourser à la société Entrepôts de Thumeries l’excédent des intérêts perçus après avoir communiqué à cette dernière le résultat du calcul après substitution dans un délai d’un mois après signification du jugement ».

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