L’intention, élément survalorisé de la réticence dolosive ?

Publié le 01/02/2018

Réticence dolosive et manquement à l’obligation ont tous deux été consacrés par la réforme du droit des obligations. Dotés chacun d’un fondement et d’une sanction propres, les deux hypothèses doivent pouvoir être distinguées. Pourtant, la distinction pourrait s’avérer délicate en raison du critère essentiel choisi par le législateur, lequel tient à l’intention. L’opportunité de ce critère est en effet discutable, de même, au reste, que son bien-fondé.

Parmi les consécrations fondamentales opérées par la réforme du droit des obligations, figure incontestablement celle de l’obligation d’information, désormais inscrite à l’article 1112-1 du Code civil. Si cette consécration n’a en soi rien de révolutionnaire, elle est porteuse d’une forte valeur symbolique1. Surtout, elle s’accompagne d’une démarche dont le mérite est de vouloir clarifier les rapports qu’elle entretient avec un faux-ami lui aussi consacré : la réticence dolosive. Cette clarification est bienvenue, tant les relations entre ces deux notions sont demeurées confuses en raison du lien très fort unissant leur reconnaissance et leur développement respectifs2. N’est-ce pas l’assimilation progressive du silence aux manœuvres dolosives qui a permis l’émergence de différentes obligations d’information ? Il est vrai que, pendant longtemps, la tolérance d’un certain égoïsme dans les relations contractuelles justifiait le refus de sanctionner en tant que tel le silence gardé par les parties. À la fin du XIXe siècle3, certains auteurs se sont néanmoins prononcés en faveur de l’assimilation de la réticence d’information au dol, tandis que la jurisprudence a parfois paru s’ouvrir à la possibilité d’une telle sanction4. Partisan de cette approche, Demolombe affirmait ainsi que le dol peut consister « en des affaires mensongères ou des dissimulations ou des réticences fallacieuses »5. Bien sûr, il ne s’agissait pas encore d’affirmer l’existence d’une obligation générale d’information, mais l’idée selon laquelle, au regard de sa gravité et de sa contrariété « à la morale juridique »6, le silence pouvait être contraire à la bonne foi s’imposait progressivement. D’une conception essentiellement négative – sanction de la mauvaise foi – dans l’ancien droit, l’on est passé progressivement à une approche plus positive7, dans laquelle la bonne foi finit par devenir une source d’obligations pour les parties8. Ainsi, le silence de celui qui se tait alors que la nature du contrat suppose chez les parties une confiance réciproque peut être sanctionné9. De même, apparaît-il fautif lorsqu’il contrevient à une obligation spéciale d’informer10. L’admission de la réticence dolosive se révèle donc indissociable de la reconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information, qui en est devenue tant la condition préalable11, que le fondement12. Si depuis de nombreuses années, l’existence d’une telle obligation ne fait plus de doute, son autonomie est néanmoins restée fragile. Privée d’un fondement exprès et d’une sanction propre, sa violation est demeurée appréhendée essentiellement sur le terrain du dol, fut-il seulement incident. Rares sont les arrêts se fondant exclusivement sur l’ancien article 1382 pour sanctionner un manquement à l’obligation d’information13. La systématisation de la sanction de ce dernier par le truchement de la réticence dolosive a du reste conduit à des excès, la jurisprudence s’étant parfois montrée particulièrement souple dans la vérification de ses conditions essentielles14.

Dans ce contexte, la consécration d’une obligation d’information et de la réticence dolosive, chacune expressément dotée d’une sanction propre, est bienvenue. Désormais, l’article 1112-1 du Code civil fait obligation à celui « qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » de la lui donner, sous peine de voir sa responsabilité engagée. Quant à l’article 1137 du même code, il fait en son alinéa 2 de « la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » un cas de dol, sanctionné d’une nullité relative. La réforme a par ailleurs consacré les conditions traditionnelles de la réticence dolosive dégagées par la doctrine. Comme pour le dol proprement dit, le silence doit en principe avoir été déterminant du consentement15 et gardé intentionnellement. Manquement à l’obligation d’information et réticence dolosive se voient donc tous deux distingués et dotés de sanctions spécifiques. De ce fait, chacun gagne en autonomie, d’autant que la réticence dolosive ne repose pas sur un manquement à l’obligation formulée à l’article 1112-1 du Code civil16. Il reste toutefois qu’en matière de réticence, le silence doit porter sur une information dont le caractère déterminant pour l’autre partie est connu du rétenteur. S’il ne s’agit pas nécessairement d’une information déterminante au sens de l’article 1112-1, alinéa 3, du Code civil, le domaine des deux obligations d’information se recoupe partiellement. C’est ainsi essentiellement – si ce n’est exclusivement – au regard de l’intention qu’un manquement à l’article 1112-1 deviendra constitutif d’un dol et pourra, outre une action en responsabilité, donner lieu à une action en nullité. Or faire de l’intention le critère discriminant entre le simple manquement à l’obligation d’information et le manquement constitutif d’une réticence dolosive peut s’avérer discutable. Outre que la proximité entretenue entre les deux hypothèses fait craindre que le manquement à l’obligation d’information demeure trop dans l’ombre de la réticence dolosive, l’importance accordée à l’intention paraît excessive (I). Elle opère au détriment de la prise en compte du caractère déterminant du manquement, lequel est, pour sa part, insuffisamment mobilisé (II). L’ensemble perpétue alors une confusion quant à la nature de la réticence dolosive qui est avant tout un vice du consentement.

I – L’excessive valorisation du caractère intentionnel

L’importance accordée à l’intention peut être discutée, non au regard de la nature de la réticence dolosive, laquelle est très certainement intentionnelle, mais parce qu’elle est en partie excessive. Faire de cet élément le critère de distinction est discutable, en premier lieu parce que peu praticable, il risque de rendre malaisée la distinction (A), et en second lieu parce qu’un tel choix perpétue une ambiguïté quant à la fonction de la nullité (B).

A – Une distinction malaisée

L’intention est très certainement un élément fondamental de la réticence dolosive. Exigée à l’article 1137, alinéa 2, du Code civil, elle est présentée comme « l’élément essentiel » de distinction dans le rapport relatif à la réforme. Que l’accent soit mis sur cette particularité se conçoit d’ailleurs aisément, le dol étant par nature un comportement intentionnel. Depuis le droit romain, il est une tricherie, une malhonnêteté. Alors appréhendé comme un délit, il était sanctionné à raison de la mauvaise foi de son auteur. Cette dimension délictuelle du dol s’est perpétuée et il est possible de voir, encore aujourd’hui, le dol présenté comme « une sorte de délit civil »17. À la différence du manquement n’ouvrant droit qu’à réparation, il suppose un élément intentionnel, dirigé vers la volonté de tromper le cocontractant, élément d’ailleurs présenté de longue date comme étant « la caractéristique » du dol18.

Bien qu’il soit un élément fondamental de la réticence dolosive, faire de l’élément intentionnel le critère de distinction peut être source de difficultés. Car l’intention demeure une donnée particulièrement difficile à démontrer. Parce qu’elle appartient au for intérieur, elle ne peut que s’induire des faits accomplis et, éventuellement, de leur contexte. En cette matière comme en d’autres, des présomptions sont non seulement admises, mais encore essentielles à la démonstration de l’intention de tromper19. C’est donc principalement au regard de la nature de l’information retenue que pourra s’apprécier l’intention en matière de réticence dolosive.

Classiquement, celle-ci présente un élément psychologique composé tant de la connaissance de l’information tue – donnée commune à la réticence dolosive et à l’obligation d’information20 – que du « but frauduleux et répréhensible » – donnée caractéristique de la première seulement21. Les auteurs admettent toutefois que l’intention proprement dite pourra s’induire « de la connaissance tout à la fois de l’information et de son importance pour le cocontractant »22. Celui qui, sachant une information dont il sait le caractère essentiel, la tait n’est-il pas nécessairement de mauvaise foi ? Il reste que cette double connaissance peut elle-même s’avérer difficile à démontrer de sorte qu’elle peut, à son tour, être présumée de la nature de l’information non divulguée23. Le silence gardé sur une information particulièrement importante n’est-il pas, en lui-même, douteux ? L’on perçoit alors toute la difficulté et la fragilité de la frontière entre le simple manquement à l’obligation d’information tel que prévu à l’article 1112-1 du Code civil et la réticence dolosive, telle que prévue à l’article 1137, alinéa 2, du même code. En effet, au terme du premier, le silence n’est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur que s’il porte sur des informations objectivement déterminantes du consentement de l’autre partie. Du reste, le même article répute déterminantes les informations en « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat »24. Si le silence peut ici n’être gardé que par négligence, il n’en demeure pas moins que la nature et l’importance de l’information retenue le rendent suspect. Surtout, face à des informations objectivement déterminantes et réputées l’être par la loi, n’est-il pas à craindre que le débiteur de l’obligation de l’article 1112-1 du Code civil se retranchera en vain derrière son ignorance du caractère déterminant de l’information tue25 ? Et ce, d’autant que les circonstances dans lesquelles l’information est due – notamment la relation de confiance entre les parties26 – rendent encore plus douteux le silence conservé. Par suite, si le simple manquement à l’obligation d’information a pour champ d’application privilégié la négligence, la proximité entre ce dernier et la réticence dolosive qui résulte de l’encadrement très strict des informations concernées par l’article 1112-1 du Code civil risque fort de rendre le critère de distinction peu praticable. Certes, en cas de doute sur l’intention de tromper, la responsabilité pourra être subsidiairement recherchée à raison du manquement à l’obligation d’information. De même, la croyance de la connaissance partagée de l’information, si elle est démontrée, pourra faire obstacle à la caractérisation du dol. Mais, en pratique, la répartition des hypothèses pourrait se révéler malaisée, sauf à ce que la jurisprudence refuse de présumer l’intention de la rétention d’une information essentielle.

En définitive, cet élément pourrait donc ne pas être totalement satisfaisant. Surtout, et plus fondamentalement, le choix de l’intention comme critère essentiel de distinction perpétue une confusion quant à la cause de la nullité en matière de réticence dolosive.

B – Une ambiguïté perpétuée

La sanction naturelle du dol est la nullité. Sanction civile, elle se teinte en ce domaine d’une dimension punitive à l’égard du cocontractant malhonnête, ce qui s’explique sans doute par les origines du dol. Bien qu’il ne soit pas un vice du consentement en droit romain, à partir de 66 avant J.-C., les manœuvres et tricheries pouvaient faire l’objet d’une action, mais celle-ci était essentiellement répressive. Cette dimension délictuelle s’est perpétuée dans l’ancien droit et jusqu’à son admission comme vice du consentement27. De nos jours, la nullité semble avoir pris la suite de la répression, ce qui transparaît dans le fait qu’elle est encourue à raison de la déloyauté du comportement ayant provoqué l’erreur. Parce que l’erreur résulte d’une faute intentionnelle, son admission est facilitée28 afin de ne pas porter sur une qualité essentielle de la prestation. Si les auteurs développent assez peu les raisons d’un tel assouplissement29, l’explication la plus fréquemment avancée tient à la déloyauté du cocontractant, que la nullité vient sanctionner30. Cette dernière prend alors sa cause autant dans le vice du consentement que dans le caractère blâmable du comportement de l’auteur du dol.

Bien que la dimension punitive de la nullité ne soit pas unanimement admise en doctrine31, il reste que ce sont bien des considérations d’ordre moral qui conduisent à appréhender le dol comme un vice du consentement autonome et qui donnent à la nullité, par suite, une forte coloration répressive32. La nullité n’est pas tant la sanction et la réparation d’une anomalie dans la formation du contrat que la punition de la déloyauté et de la mauvaise foi de l’auteur du dol. Ce sont ces dernières qui conduisent également à un régime en faveur de la victime de la tromperie. Ainsi, est-il de principe que l’erreur provoquée est toujours excusable33. La mauvaise foi justifie aussi bien l’élargissement de l’admission de l’erreur que l’assouplissement de son régime.

De manière générale, la réforme a pérennisé la fonction punitive de la nullité et ce, notamment en valorisant l’intention comme critère d’identification de la réticence dolosive. L’accent est mis sur la gravité du comportement et son caractère moralement blâmable, lesquels justifient la sévérité de la sanction. La logique est davantage une logique pénale, dans laquelle le degré de répression dépend du caractère intentionnel ou non du comportement. Pourtant, la nullité semble devoir avoir un but objectif, « celui de rétablir la légalité bafouée par la conclusion d’un contrat au mépris d’une règle impérative de formation »34. Sa fonction n’est pas – ou ne devrait pas être – punitive35. Que la sanction du dol soit empreinte de considérations morales n’est pas douteux36, mais il reste regrettable que la nullité apparaisse essentiellement justifiée par la mauvaise foi de l’une des parties et se teinte à ce titre d’un aspect punitif.

En effet, parce que la nullité relative vient sanctionner une règle ayant « pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé »37, elle rejoint partiellement l’équité, par la protection de la partie la plus faible. D’ailleurs, cette considération d’équité, centrée sur la protection de la partie trompée, s’observait déjà en droit romain, dans lequel l’actio doli avait une fonction indemnisatrice marquée38. De même, l’exceptio doli qui permettait à la victime de paralyser toute action issue d’un acte entaché de dol, ou la restitutio in integrum laquelle permettait de tenir l’acte pour non avenu et de rétablir les parties dans leur état antérieur, reposaient sur une idée d’équité39. Il n’apparaît pas juste que le cocontractant malveillant puisse bénéficier du contrat conclu, de même qu’il n’apparaît pas juste de considérer tenu à ses obligations le cocontractant victime40. Ces considérations d’équité se retrouvent aujourd’hui dans la sanction de nullité41. Il s’agit de ne pas faire supporter à la victime d’une tromperie un contrat qu’elle n’a pas voulu comme tel. La nullité emporte à ce titre la disparition du contrat illicite. Mais son objectif demeure la sanction de l’imperfection du consentement, lequel affecte la force obligatoire du contrat, ainsi que la protection de la partie victime. Il n’est pas la punition de la partie malveillante. Par suite, si l’admission du dol et de la réticence dolosive au nombre des vices du consentement est un progrès, le pas supplémentaire n’aurait-il pas dû conduire à faire du vice, et non de l’intention, le caractère discriminant 42 ?

II – L’insuffisante mobilisation du caractère déterminant

La survalorisation de l’intention en matière de réticence dolosive se fait au détriment de la prise en compte du caractère déterminant du silence gardé sur le consentement de la partie victime. Alors que la théorie des vices du consentement devrait conduire à en faire le critère fondamental de distinction entre le simple manquement à l’obligation d’information et de la réticence dolosive, il apparaît relativement en retrait. Ayant une importance décisive dans la théorie des vices du consentement (A), il prend ainsi et de manière discutable une importance relative dans la distinction du simple manquement à l’obligation d’information et du manquement constitutif d’une réticence dolosive (B), pour se révéler en l’état n’être pas plus satisfaisant que le critère relatif à l’intention.

A – Une importance décisive dans la théorie des vices du consentement

Le dol est, en droit français, un vice du consentement. En tant que tel, l’un de ses caractères essentiels tient à son influence sur le consentement, laquelle affecte la force obligatoire de la convention. La théorie des vices du consentement est en effet intimement liée à l’essor du consensualisme43. Dès lors que la force obligatoire du contrat vient de la volonté de s’engager, le consentement doit être protégé. Comme le rappelle l’article 1130 du Code civil, le dol doit donc avoir été tel que sans lui, l’une des parties n’aurait pas contracté. S’il est une cause de nullité, c’est parce qu’il affecte le consentement. Plus précisément, le dol atteint le consentement par l’erreur qu’il provoque ou qu’il exploite44. Ancienne, l’affirmation vaut toujours : le dol n’est une cause de nullité qu’à raison « de l’erreur qu’il produit »45. Il « n’atteint ses fins qu’en créant une erreur, c’est par là qu’il vicie le consentement »46.

En tant que sanctions, nullité et responsabilité sont toutes les deux une réponse à une illicéité. L’illicite, fondement de la nullité, consiste dans la violation d’une norme impérative régissant la formation du contrat47, tandis que l’illicite en matière de responsabilité dépend de la norme violée par la faute. Certes, en matière de dol, les deux se rejoignent, car le dol est par essence une faute, autrement dit un acte en violation de l’obligation de bonne foi et de loyauté contractuelle. Mais la norme que la nullité a vocation à rétablir tient avant tout, dans la théorie des vices du consentement, à l’exigence d’un consentement éclairé. Cette théorie est le fruit d’un délicat équilibre entre les solutions résultant du consensualisme et l’impératif de sécurité des conventions. Le souci d’assurer leur solidité a conduit à limiter l’effet du premier en n’admettant que de manière restreinte l’erreur, tandis que les préoccupations morales de protection du contractant et de sanction de la déloyauté ont encouragé à l’inverse un infléchissement des solutions imposées par la sécurité juridique en matière de dol48. La faute justifie alors un assouplissement des règles relatives à l’admission de l’erreur. Il n’en demeure pas moins que l’autonomie du dol n’est pas parfaite et que sa cause ainsi que le fondement de la nullité demeurent l’erreur, le « divorce entre les deux volitions »49. La réticence dolosive n’est pas seulement un manquement intentionnel à une obligation d’information, lequel constitue la faute ouvrant une action en responsabilité, sous réserve d’un préjudice,. Elle est un vice du consentement parce qu’elle l’atteint, affectant par là même la force obligatoire de la convention50. Le tort du législateur n’est ainsi pas d’avoir rappelé l’importance de la dimension intentionnelle de la réticence dolosive. Mais n’est-il pas d’avoir fait du manquement à l’obligation d’information et de la réticence deux atteintes au consentement distinguées par l’intention51 ? Le critère principal de distinction ne devrait-il pas plutôt tenir au vice, autrement dit au caractère déterminant de l’erreur résultant du silence gardé sur le consentement ? Ce caractère n’est certes pas ignoré, pour être au contraire expressément affirmé comme règle générale. Néanmoins, son importance se révèle secondaire en ce qu’il n’apparaît pas véritablement mobilisé comme élément de distinction entre le simple manquement à l’obligation d’information et le manquement constitutif d’une réticence dolosive.

B – Une importance relative dans la distinction du manquement simple à l’obligation d’information et de la réticence dolosive

Le principe selon lequel le dol doit avoir été tel que sans lui, l’autre partie n’aurait pas contracté est expressément rappelé à l’article 1130 du Code civil. À ce titre, le caractère déterminant de l’erreur provoquée paraît être un élément de distinction entre le simple manquement à l’obligation d’information et le manquement constitutif d’une réticence dolosive. En effet, l’obligation de l’article 1112-1 du Code civil vise certes à garantir un consentement éclairé, mais la responsabilité du débiteur de l’obligation pourra être engagée indépendamment d’un tel résultat. La seule exigence de cet article est que l’information ait été d’une importance « déterminante pour le consentement de l’autre ». Mais la démonstration d’une erreur n’est pas exigée et la responsabilité sera engagée que le silence ait porté atteinte au consentement ou non.

S’il est a priori un critère de distinction, il semble pourtant que le législateur n’ait pas entendu le mobiliser comme tel (1). En encadrant assez strictement l’obligation d’information, il pourrait avoir rendu ce critère ineffectif (2).

1 – Un critère non distinctif

Le caractère déterminant n’apparaît pas véritablement décisif pour deux raisons. Tout d’abord, son importance en matière de dol pourrait être à relativiser dès lors qu’aux termes de l’article 1139 du Code civil, l’erreur provoquée est une cause de nullité quand bien même elle porterait sur la valeur ou un simple motif du contrat. Faut-il alors considérer que l’erreur ne sera prise en compte que sous réserve de la démonstration qu’elle a été telle que, sans elle, le contrat n’aurait pas été conclu, ou à des conditions substantiellement différentes, ou bien comprendre que l’objet de l’erreur suffit dans ces cas particuliers ? Car là où l’article 1135 du Code civil conditionne l’erreur sur les motifs au fait que les parties en aient fait un élément déterminant, l’article 1139 reste, quant à lui, muet.

Ensuite, dans le rapport relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, le caractère déterminant n’apparaît pas véritablement appréhendé comme un critère de distinction. Le seul exemple proposé de manquement à l’article 1112-1 du Code civil non constitutif d’une réticence dolosive est particulièrement éloquent. Il porte sur le cas dans lequel le créancier de l’obligation découvre finalement l’information tue avant la conclusion du contrat et renonce alors à s’engager. Il ne s’agit certes que d’un exemple, mais qui est particulièrement significatif quant à la manière dont la violation de l’obligation d’information a été appréhendée. L’hypothèse visée n’est pas celle dans laquelle le silence n’aura finalement pas été déterminant, elle est celle dans laquelle le contrat n’aura finalement pas été conclu, si bien qu’aucun vice du consentement n’est alors concevable. À l’inverse, lorsque le contrat a été conclu, la conséquence naturelle de manquement à l’obligation d’information semble être d’avoir affecté le consentement, lequel n’a pas été totalement et parfaitement éclairé. Le manquement à l’obligation d’information et la réticence dolosive paraissent ainsi tendus vers la même idée, parce que l’obligation d’information a une vertu préventive et garantit un consentement éclairé. Sa violation a donc pour conséquence logique – même si elle n’est pas formellement exigée – d’affecter le consentement de l’autre partie. Parce que la nullité a une vertu curative52, elle en est, en un sens, la sanction naturelle.

Il semble donc que tout silence gardé sur une information déterminante affecte le consentement de l’autre partie lorsque le contrat sera effectivement conclu. Sous réserve de la vérification de l’intention, la réticence dolosive serait alors systématiquement caractérisée car l’objet du silence emporte le caractère déterminant de l’erreur. Autrement dit, du caractère déterminant de l’information tue s’induit de facto le caractère déterminant du silence gardé, de sorte que le caractère déterminant ne peut plus être un élément de distinction.

2 – Un critère ineffectif

Outre le fait qu’il n’a pas été mobilisé dans cette optique, le caractère déterminant n’apparaît pas de nature à permettre la distinction des hypothèses en raison du strict encadrement des informations visées à l’article 1112-1 du Code civil. Car si le manquement à l’obligation d’information peut ne pas engendrer de vice du consentement, il reste dans sa logique entièrement tourné vers une telle conséquence dès lors que l’obligation ne porte que sur des informations dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre. Certes, des auteurs font remarquer que l’information visée à l’article 1112-1 du Code civil ne devrait pas s’entendre « dans le seul sens des vices du consentement, c’est-à-dire une information qui a déterminé l’autre à contracter, ou sans laquelle l’autre n’aurait pas contracté »53. L’obligation d’information se distingue à ce titre de la réticence dolosive, pour ne porter que sur les informations « habituellement » déterminantes du consentement54. À l’inverse, pour la réticence dolosive, l’importance de l’information doit être appréciée concrètement, parce qu’elle dépend des conséquences du silence, autrement dit, du caractère déterminant de l’erreur qu’il a provoquée. Il reste que l’on peut craindre en pratique qu’une information communément admise comme déterminante du consentement soit par ailleurs fréquemment de telle nature que, si elle avait été connue de l’autre partie, elle n’aurait pas contracté. Face à une information « en lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties »55, dont l’importance est réputée fondamentale par le législateur, n’y a-t-il pas, au minimum, présomption d’atteinte lorsqu’elle n’est pas révélée ? La crainte est d’autant plus grande que le dol incident est désormais une cause de nullité. La distinction a été particulièrement discutée en doctrine, mais il semblait admis en jurisprudence une distinction entre le dol principal, ayant eu une influence sur la volonté de s’engager et le dol incident, n’ayant d’influence que sur les conditions de l’engagement56. Alors que le premier était une cause de nullité, le second ne permettait d’obtenir que des dommages et intérêts. La notion de dol incident a pu être doublement critiquée, pour ne pas être à proprement parler un dol57 et pour le caractère artificiel de la distinction58. Le législateur semble avoir entendu la critique, le dol incident pouvant désormais entraîner la nullité du contrat, s’il est tel que sans lui, l’autre partie n’aurait contracté qu’« à des conditions substantiellement différentes »59. Or la possibilité de demander la nullité de la convention lorsque le contrat aurait été conclu à des conditions significativement différentes atténue l’opportunité du caractère déterminant comme élément de distinction. Car si un doute est possible quant à l’influence sur la volonté de contracter du silence gardé sur une information essentielle, ce dernier semble pouvoir au moins emporter présomption de dol incident, susceptible d’entraîner la nullité de la convention60.

En cantonnant l’obligation d’information aux seules informations déterminantes et en admettant la nullité en cas de dol incident, la réforme a assumé la proximité entre simple manquement à l’obligation d’information et réticence dolosive. Ce faisant, elle réduit l’effectivité du critère tenant au caractère déterminant. Si ce critère pouvait déjà paraître imprécis61, pour ne pouvoir s’induire que de la nature des manœuvres opérées ou de l’importance de l’information tue, il n’apparaît plus être un élément de distinction tout à fait satisfaisant. Pourtant, l’impératif de sécurité juridique justifie un cantonnement des cas de nullités et il est à regretter que la réforme n’ait pas été l’occasion d’une meilleure répartition des hypothèses. Afin de s’inscrire dans la recherche, toujours délicate, d’un équilibre entre la théorie du consensualisme et l’impératif de solidité des conventions, la consécration d’une obligation précontractuelle d’information n’aurait-elle pas dû être l’occasion d’un rééquilibrage entre l’action en responsabilité, laquelle, par la réparation, permet en toute hypothèse de rétablir l’équilibre rompu par le silence gardé et la nullité, laquelle trouverait sa justification avant tout dans le vice provoqué ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cattalano-Cloarec G., « Obligation d’information et réticence dolosive, une obscure clarté ? », in Latina M. (dir.), La réforme du droit des contrats en pratique, 2017, Dalloz, p. 37
  • 2.
    Évoquant des relations quasi-incestueuses, Le Gal Pech S., « Les mystères de l’obligation d’information », JCP E 2011, 1915.
  • 3.
    Ainsi Pothier expliquait-il encore que la seule dissimulation d’une chose que l’autre partie aurait intérêt à savoir n’est contraire à la bonne foi que dans le for intérieur et n’est donc pas constitutif d’un dol. Pothier R.-J., Traité des obligations, 2011, Dalloz, n° 30.
  • 4.
    Denizot A., « La réticence dolosive avant 1958 », RTD civ. 2015, p. 765.
  • 5.
    Demolombe C., Traité des contrats, t. 1, 1868, Durand et Hachette, n° 172.
  • 6.
    Josserand L., Cours de droit civil positif français, 3e éd., 1939, Sirey, n° 98.
  • 7.
    En ce sens, Vouin R., La bonne foi, notion et rôle actuels en droit privé français, 1939, LGDJ, nos 20 et s.
  • 8.
    Cette approche, qui conduit à imposer des obligations positives d’aider autrui est, elle, relativement récente. Fabre Magnan M., De l’obligation d’information dans les contrats, 1992, LGDJ, n° 50.
  • 9.
    Ibid.
  • 10.
    De Juglart M., « L’obligation de renseignement dans les contrats », RTD civ. 1954, p. 1.
  • 11.
    V. Ghestin J., « Contre l’absorption du dol par la responsabilité civile », RDC 2013, p. 1162.
  • 12.
    Sur les hésitations relatives au fondement de la réticence dolosive, Rép. civ. Dalloz, v. Dol, 2014, nos 51 et s., Chauvel P.
  • 13.
    V. déjà Lucas de Leyssac C., « L’obligation de renseignement dans les contrats », in L’information en droit privé, dir. Y. Loussouarn et P. Lagarde 1978, LGDJ, p. 305.
  • 14.
    V. not. Lardeux G., « L’absorption du dol par la responsabilité civile », RDC 2013, p. 1179.
  • 15.
    Encore l’article 1139 du Code civil atténue-t-il le principe, en admettant que l’erreur provoquée sur un simple motif soit une cause de nullité. V. infra.
  • 16.
    L’existence d’une obligation d’information en reste sans doute la condition préalable, mais non celle de l’article 1112-1 : rapp. au président de la République relatif à l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016. Pour une analyse critique, Grimaldi C., « Quand une obligation d’information en cache une autre », D. 2016, p. 1009 et Grimaldi C., « Proposition de modification de l’article 1137, alinéa 2, du Code civil relatif à la réticence dolosive », RDC 2017, n° 114a6, p. 175. V. égal. Deshayes O., « La formation des contrats », RDC 2016, n° 112z6, p. 21 ; Cattalano-Cloarec G., art. préc.
  • 17.
    Carbonnier J., Droit civil, Les biens, les obligations, 2004, PUF, n° 957.
  • 18.
    Ivanus N., De la réticence dans les contrats, 1924, Jouve éd., p. 25. V. déjà Demolombe C., op. cit., n° 170.
  • 19.
    V. Chevalier J., Cours de droit civil approfondi, La charge de la preuve, 1958, Les cours de droit, p. 80, qui, s’agissant de la preuve par présomption, écrit : « C’est ainsi que seront toujours établis les faits psychologiques, les intentions, parce qu’ils sont insusceptibles de constatation directe ».
  • 20.
    L’article 1112-1 du Code civil fait peser l’obligation sur « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante ».
  • 21.
    V. Fabre-Magnan M., op. cit., n° 268 ; comp. Lardeux G., art. préc.
  • 22.
    Fabre-Magnan M., op.cit., n° 269.
  • 23.
    Ibid., n° 242. L’auteur donne d’ailleurs comme exemple l’hypothèse dans laquelle l’information serait en lien avec l’objet du contrat.
  • 24.
    C. civ., art. 1112-1, al. 3.
  • 25.
    Pour une position plus nuancée, Cattalano-Cloarec C., art. préc.
  • 26.
    C. civ., art. 1112-1, al. 1er.
  • 27.
    Deroussin D., Histoire du droit des obligations, 2e éd., 2012, Économica, p. 511 et s. ; Meynial E., « Note sur l’histoire du dol et de la violence dans les contrats de notre ancien droit », in Mél. P. Fournier, 1929, Sirey.
  • 28.
    Ghestin J., « La réticence, le dol et l’erreur sur les qualités substantielles », D. 1971, p. 247.
  • 29.
    Faisant ce constat, Cumyn M., La validité du contrat suivant le droit strict ou l’équité : étude historique et comparée des nullités contractuelles, 2002, LGDJ, n° 289.
  • 30.
    V. not. Guelfucci-Thibierge C., Nullité, restitutions et responsabilité, 1992, LGDJ, n° 466.
  • 31.
    Réfutant ainsi l’idée d’une approche répressive, Gaudemet E., Théorie générale des obligations, 2004, Dalloz, p. 71, y voyait seulement l’application « de considérations morales » et d’équité. Plus généralement, sur les hésitations relatives au caractère punitif ou réparateur de la nullité pour dol, Guelfucci-Thibierge C., op. cit., n° 365.
  • 32.
    V. Ripert G., La règle morale, 4e éd., 1949, LGDJ, n° 47 ; Cumyn M., op. cit., n° 289 ; Forray V., Le consensualisme dans la théorie générale du contrat, 2007, LGDJ, n° 459, pour qui l’anéantissement du contrat « a des allures répressives » ; Barthez A.-S., « Contre l’autonomisation de responsabilité civile en matière de dol », RDC 2013, p. 1155. La prise en compte du dol accompli par un tiers de connivence (C. civ., art. 1138, al. 2) s’inscrit du reste dans une logique répressive.
  • 33.
    La solution est parfois rattachée à la question du fondement de la réticence dolosive (v. not. Lardeux G., art. préc.), mais elle illustre également le souhait de sanctionner une attitude déloyale en supprimant un moyen de défense dont pourrait se prévaloir l’auteur du dol : Ghestin J., « La réticence dolosive rend toujours excusable l’erreur provoquée », JCP G 2011, 703.
  • 34.
    Guelfucci-Thibierge C., op. cit., n° 406.
  • 35.
    Ibid., n° 368 : « La confusion de la nullité relative avec une peine et une réparation correspond aux balbutiements juridiques de droits naissants ; leur distinction marque un progrès du droit sur lequel il serait fâcheux de revenir. »
  • 36.
    Ripert G., op. cit., spéc. n° 41.
  • 37.
    C. civ., art. 1179.
  • 38.
    Deroussin D., op. cit., p. 518
  • 39.
    Fransen G., Le dol dans la conclusion des actes juridiques, 1946, Duculot, p. 8-9.
  • 40.
    Deroussin D., op. cit., p. 518.
  • 41.
    Mettant en lumière le rapport très important entre la nullité relative et l’équité, Cumyn M., op. cit. ; Sadi D., Essai sur un critère de distinction des nullités en droit privé, 2015, Mare & Martin, spéc. n° 11.
  • 42.
    Comp. Ouerdane-Aubert de Vincelles C., Altération du consentement et efficacité des sanctions contractuelles, 2002, Dalloz, n° 410, soutenant que l’exigence de l’intention est « inutile et injustifiée ».
  • 43.
    V. Forray V., op. cit., nos 435 et s.
  • 44.
    Lardeux G., « La réticence dolosive n’est pas un dol comme les autres », D. 2012, p. 2986.
  • 45.
    Aubry C. et Rau C., Cours de droit civil français, t. 4, 4e éd., 1871, LGDJ, p. 304. Dans les mêmes termes, Demolombe C., op. cit., n° 175.
  • 46.
    Carbonnier J., op. cit., n° 957.
  • 47.
    Guelfucci-Thibierge C., op. cit., n° 404.
  • 48.
    Ghestin J., La notion d’erreur dans le droit positif actuel, 1971, LGDJ, n° 22.
  • 49.
    Josserand L., op. cit., n° 58.
  • 50.
    Guelfucci-Thibierge C., op. cit., n° 459, estimant que les manœuvres constituent une faute, mais ne se confondent pas avec la cause de la nullité qu’est le vice du consentement.
  • 51.
    Bien que l’une puisse rester hypothétique.
  • 52.
    Sadi D., op. cit., n° 11.
  • 53.
    Fabre-Magnan M., « Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme », JCP G. 2016, 706.
  • 54.
    Puig P., « La phase précontractuelle », Dr. et patr., n° 258, mai 216, p. 52 ; comp. Fabre-Magnan M., art. préc.
  • 55.
    C. civ., art. 1112-1, al. 3.
  • 56.
    V. Ghestin J., Loiseau G. et Serinet Y.-M., La formation du contrat, t. 1, 4e éd., 2013, LGDJ, nos 1466 et s.
  • 57.
    Guelfucci-Thibierge C., op. cit., n° 106 ; Fabre-Magnan M., op. cit., n° 367.
  • 58.
    Ripert G., op. cit., n° 47.
  • 59.
    C. civ., art. 1130 : v. Genicon T., « Le dol incident a-t-il vraiment disparu du droit français ? », RDC 2016, n° 113q9, p. 652.
  • 60.
    V. Mekki M., « Fiche pratique sur le clair-obscur de l’obligation précontractuelle d’information », Gaz. Pal. 12 avr. 2016, n° 262d5, p. 15, qui, s’interrogeant sur l’alinéa 3 de l’article 1112-1 écrit : « N’est-ce pas tout simplement ce qui a incité l’autre partie à conclure le contrat dans ces conditions ? »
  • 61.
    Ouerdane-Aubert de Vincelles C., op. cit., n° 211.
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