Contrats

Rupture brutale de relations commerciales établies – appréciation du délai de préavis

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 23 janv. 2017, no 2015040293

La société Trumpf Systèmes Médicaux distribue les produits de la société Philips France, successeur des sociétés Agilent Technologies et Hewlett Packard, depuis 1984 pour les produits de contrôle monitoring et depuis 2002 pour des matériels d’imagerie.  Le 19 décembre 2013 Philips a rompu leurs relations commerciales à l’échéance du 30 juin 2015.

Estimant qu’elle aurait dû bénéficier d’un préavis de 24 mois, Trumpf a assigné Philips réclamant 1 218 624 € de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6-1, 5e du Code de commerce.

Le tribunal déboute Trumpf de sa demande aux motifs suivants :

« Attendu que le respect combiné de la liberté contractuelle et des prescriptions de l’article  L. 442-6-I, 5° du Code de commerce impose d’en limiter le domaine d’application aux cas où la relation commerciale revêt, avant la rupture, un caractère suivi, stable et habituel et où la partie qui s’en estime victime pouvait légitimement croire à la pérennité de la relation en anticipant raisonnablement pour l’avenir une certaine continuité de flux d’affaires avec son partenaire commercial, justifiant que l’intention de rompre soit précédée d’un délai de prévenance lui permettant d’organiser la recherche d’autres partenaires afin de maintenir l’activité de l’entreprise,

I – Sur les relations commerciales établies

Attendu que les parties s’opposent à la fois sur la durée de leur relation commerciale ainsi que son caractère établi, le tribunal décide d’examiner successivement ces 2 aspects.

Sur la durée de la relation :

Attendu que Trumpf présente ses relations avec Philips depuis 2001 comme une continuation de celles entretenues précédemment, dans le cadre de différents contrats, avec Hewlett Packard à partir de 1984 puis ensuite avec Agilent Technologies depuis 1999, Philips venant juridiquement et donc commercialement aux droits des 2 sociétés précédentes, ce que ne conteste pas Philips dans ses conclusions,

Attendu que la stabilité de la relation avant 2001 est prouvée sans conteste par la suite de contrats annuels et de leurs avenants tels que produits par Trumpf,

Attendu que le préambule du contrat de distribution n° 110009 signé le 28 décembre 2011 indique expressément que « le distributeur distribue et assure la promotion depuis plus de 25 ans de diverses gammes de dispositifs médicaux commercialisées successivement par les sociétés Hewlett Packard, Agilent et, à ce jour, Philips »,

Le tribunal, prenant en compte l’ensemble de ces éléments, dira que la durée de la relation commerciale entre les parties est bien celle de 29 ans indiquée par Trumpf.

Sur le caractère établi de la relation :

Attendu que Philips conteste le caractère établi de la relation au motif que, avant 2001, Trumpf ne produit aucun élément chiffré permettant de mesurer son intensité et que les chiffres produits quant au courant d’affaires entretenu avec elle-même depuis 2001 contiennent des manques, soit du 1er octobre 2003 au 30 juin 2004 et du 1er juillet 2008 au 30 juin 2011,

Mais attendu que le tribunal a déjà constaté supra le soin pris par les parties de renouveler leurs relations chaque année, soit par contrat, soit par avenant, témoignant ainsi d’une évidente volonté de stabilité,

Attendu que les éléments chiffrés produits par Trumpf quant à sa relation avec Philips attestent suffisamment du caractère suivi, stable et habituel de la relation commerciale des parties, le tribunal dira que la relation entretenue par Trumpf avec Philips présente bien le caractère d’une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce.

II – Sur la rupture des relations commerciales :

Attendu que par lettre en date du 19 décembre 2013, Philips adressait à Trumpf une lettre RAR portant en objet les mentions suivantes :

« Nos refs :

Contrat 110009

Rupture de nos relations commerciales », lettre ainsi rédigée :

« Monsieur,

Nous faisons suite à la réunion qui a eu lieu à Suresnes le 16 décembre au cours de laquelle Philips Healthcare vous a annoncé sa décision de réorganiser son réseau de distribution PCCI-intra-hospitalier.

Par conséquent, par la présente, comme nous vous l’avons indiqué au cours de cette réunion, nous mettons un terme à nos relations commerciales. Nos deux sociétés étant liées par un contrat de distribution jusqu’au 28 février 2014, la rupture de nos relations commerciales prendra effet au 30 juin 2015 soit un préavis de 18 mois.

Nous vous ferons parvenir courant janvier un projet d’avenant au contrat dans lequel les conditions commerciales pour la durée du préavis seront applicables »,

Attendu qu’il est constant que l’appellation du dernier contrat en vigueur entre les parties, signé le 28 décembre 2011, est « contrat n° 110009 » et qu’il a fait l’objet de 2 avenants en date du 29 mai 2012, l’un baptisé « Annexe 1, gamme monitorage » (PCCI), l’autre « Annexe 2, gamme radiologie mobile » (X-Ray), tous documents renouvelés annuellement par la suite,

Attendu que la lettre vise en objet ce même contrat n° 110009 et fait immédiatement référence à la « Rupture de nos relations commerciales »,

Le tribunal considère que, sauf à se méprendre gravement sur le sens des mots, le professionnel qu’est Trumpf ne peut prétendre s’être trompé ; retient en conséquence que la rupture signifiée est bien une rupture totale des relations commerciales et qu’elle a donc bénéficié d’un préavis de 18,5 mois à ce titre.

Attendu que Trumpf demande à ce que la durée de ce préavis soit portée à 24 mois, soit 5,5 mois de plus,

Attendu qu’il appartient à la partie qui se dit victime d’une rupture brutale de justifier de la durée du préavis demandé, son unique objet étant de rechercher un autre partenaire commercial en remplacement de celui qui vient de lui faire défaut, et ce afin de maintenir l’activité de l’entreprise,

Mais attendu que ni dans ses écritures ni au cours du débat qui s’est instauré à l’audience, Trumpf n’a apporté d’élément probant quant à la justification de ce laps de temps supplémentaire, alors que le préavis accordé a déjà été d’une durée très significative,

Attendu que la durée d’un préavis ne saurait se confondre avec une indemnité de fin de contrat, calculée mécaniquement en nombre de mois par rapport à la durée de la relation,

Le tribunal dira que le préavis de 18,5 mois accordé est suffisant et que Philips ne s’est pas rendue coupable d’une rupture brutale de relation commerciale établie ; déboutera Trumpf de sa demande à ce titre ».