Propos introductifs à la première table ronde
Le thème de cette table ronde renvoie aux échanges constants et nourris entre praticiens, qu’il s’agisse des avocats, toujours ingénieux pour pousser ou au contraire freiner l’accès aux preuves selon qu’ils sont en demande ou en défense, les huissiers qui se heurtent aux difficultés pratiques d’obtention des pièces dans le cadre des missions ordonnées par le juge ou ce dernier, qui est quant à lui confronté à des exigences parfois difficiles à concilier entre un nécessaire accès aux preuves et la préservation de secrets légitimes.
L’accès aux preuves est la condition sine qua non de la démonstration de la faute et du préjudice, sans oublier celle du lien de causalité, nécessaire à la réparation du préjudice et, face à cette exigence, le rôle conféré au juge en ce domaine ne cesse d’évoluer pour répondre aux demandes des parties, notamment dans le domaine du droit de la concurrence. Il lui faut concilier le besoin d’accès aux preuves, la nécessaire égalité des armes avec le besoin de protéger les secrets et notamment le secret des affaires en évitant les tentatives d’intrusions déloyales entre concurrents, qui ne sont pas toujours des vues de l’esprit. Le tout au regard de l’évolution des supports de l’information.
Pour ce faire, et dans un système de droit qui ne connaît pas de procédure comparable à la discovery ou à la disclosure anglo-saxonne, le juge, et en particulier le juge commercial, dispose de pouvoirs, non seulement avant tout procès, pour autoriser la recherche d’éléments de preuve mais aussi au cours de l’instance, pour enjoindre l’une ou l’autre des parties de communiquer des pièces sous le contrôle du juge.
Nous avons souhaité, dans le cadre d’un débat apaisé entre praticiens, nous interroger sur l’efficacité des procédures existantes compte tenu de certaines difficultés identifiées depuis quelques années, qu’il s’agisse de l’arme redoutable que constitue la mise en œuvre de l’article 145 du CPC ou encore de l’accès aux documents produits devant des institutions spécialisées.
L’utilisation de l’article 145 du CPC a donné lieu à une jurisprudence abondante et elle est depuis quelque temps confrontée à l’omniprésence du numérique dans les relations d’affaires. Nous aurons l’occasion d’en débattre entre praticiens.
Conscients de l’intérêt mais aussi des risques inhérents à cette procédure, le tribunal de commerce de Paris a opté pour la mise sous séquestre des pièces saisies par les huissiers, cette procédure permettant par un examen minutieux de limiter les pièces communiquées. Nous nous interrogerons pour savoir si ce dispositif suffit à faciliter mais aussi à sécuriser l’accès aux preuves.
La production d’office de pièces s’est par ailleurs étoffée par la communication d’éléments détenus par des autorités administratives permettant de démontrer des pratiques anticoncurrentielles et d’en solliciter la réparation devant le juge. Nous verrons comment cette production doit s’apprécier.
Mais la production de pièces ne doit pas heurter le principe ou se heurter au principe de loyauté. Madame le président Luc nous invitera ainsi à nous pencher sur le rôle fondamental du principe de loyauté dans le recueil des preuves et Me Duparc, huissier audiencier, nous proposera une réflexion approfondie sur les difficultés posées par ce principe pour l’exercice de ses missions et esquissera quelques propositions.
Après le rapport très complet de Madame le président Luc sur le rôle du juge dans l’administration de la preuve du préjudice et son appréciation critique, nous avons donc souhaité débattre avec Me Duparc de la question de la mise en œuvre de l’article 145 du CPC, dans un contexte où le numérique tient une place prépondérante dans les échanges professionnels, mais aussi, avec l’apport de Me Jockey, avocat, des évolutions possibles de cet article 145 et des travaux qu’il serait souhaitable d’initier dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Monsieur l’avocat général Mathon nourrira la réflexion quant à la définition du secret des affaires dans le contexte de la transposition de la directive adoptée par le Parlement européen le 14 avril 20161 et à la nécessité d’une procédure adaptée.
Vous l’avez compris, cette table ronde espère susciter une réflexion collective des professionnels intéressés par les aspects réglementaires mais aussi pratiques de la mise en œuvre de l’accès aux preuves. Codification, guide de bonnes pratiques… ?
En conclusion, je remercie l’ensemble des participants pour ces échanges nourris qui font apparaître la volonté de favoriser l’accès aux preuves dans le respect de bonnes pratiques judiciaires et du secret des affaires. Je ne doute pas de notre intérêt à poursuivre notre réflexion dans un autre cercle.
Notes de bas de pages
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1.
Dir. (UE) n° 2016/943 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) : JOUE L 157, 15 juin 2016.