La fièvre des NFT bouleverse le marché de l’art
Définition, réglementation, fiscalité ; l’apparition des Non-Fongible Token (NFT) – jetons non fongibles, en français – il y a quelques années, dans le domaine de l’art contemporain, pose de nouveaux défis au régulateur. En effet, les NFT se sont considérablement développés ces deux dernières années.
Les NFT renvoient à un fichier de données non fongibles situé sur une chaîne de blocs – blockchain – destiné à garantir l’authenticité d’une œuvre originale ou de sa reproduction, voire à constituer l’œuvre originale elle-même. Il peut, en effet, porter sur une création numérique unique ou constituer une version « tokenisée » de créations préexistantes, quel qu’en soit le genre. Leur marché est actuellement estimé à plusieurs milliards d’euros. En septembre 2021, d’après le rapport Hiscox sur le marché de l’art en ligne 2021, alors que ce marché avait atteint un plateau depuis plusieurs années, les cartes se sont trouvées complètement rebattues par la pandémie, en 2020, qui a favorisé un nouvel essor du digital. Fin septembre, les ventes d’œuvres d’art et d’objets de collection cryptés en NFT ont atteint environ 3,5 milliards de dollars grâce aux nouvelles possibilités offertes par cette technologie en matière de collection artistique, à la fois physique et en ligne. L’essor des NFT est facilité par la généralisation des paiements en crypto-monnaie. En effet, de nouvelles plateformes en ligne vont accepter ces paiements en crypto-monnaie – 38 % d’entre elles prévoient de le faire d’ici un an, ce qui représente une hausse notable par rapport à l’année dernière (15 %). Plus généralement, le rapport souligne une augmentation importante du nombre de plateformes d’art en ligne qui ont l’intention d’intégrer la technologie blockchain dans leur activité. En effet, alors qu’elles n’étaient que 30 % en 2020, 41 % des ces plateformes prévoient désormais d’utiliser cette nouvelle technologie.
Des prix records
Les records s’enchainent en salle de vente. En effet, la maison de ventes aux enchères britannique Christie’s a annoncé avoir vendu plus de 150 millions de dollars d’œuvres numériques, en 2021. En mars dernier, la vente de l’œuvre Everydays : the First 5000 Days du graphiste américain Beeple, assemblant 5 000 images numériques de sa création, a été adjugée 69,3 millions de dollars ; cette vente a créé un événement dans le milieu de l’art et a fait de Beeple le troisième artiste vivant le plus cher après Jeff Koons et David Hockney. En novembre 2021, Human One du même artiste a été adjugé 29 millions de dollars par la maison de vente.
Les acteurs de l’art contemporain embrayent le pas
De nombreux acteurs culturels reconnus – artistes, maisons de vente, plateformes intermédiaires ou encore musées – rejoignent le marché des NFT. Ainsi, le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg propose, sous forme de NFT, la Madone Litta de Léonard de Vinci, Le Lilas de Vincent van Gogh ou encore le Coin de jardin à Montgeron de Claude Monnet. De son côté, le British Museum a également commencé à commercialiser des reproductions numériques d’œuvres physiques de leur collection, sous forme de NFT. En décembre dernier, lors de l’édition de la foire d’art contemporain Art Basel à Miami, des expositions et des ventes de NTF on eu lieu. Une première ! Des artistes très reconnus comme Damien Hirst s’intéressent d’ailleurs de très près au phénomène. En effet, en juillet dernier, l’artiste britannique a proposé à la vente The currency, une série de 10 000 de ses spots paintings sous forme de NFT.
Un marché contrasté
Pour autant, le marché des NFT ne se limite pas aux œuvres d’art contemporain ; il n’en représente même qu’une partie minoritaire. En effet, la plus grande part de ce marché est constituée de simples vignettes numériques, le plus souvent créées grâce à des logiciels. Parmi les plus connues, on trouve notamment les séries des Bored Ape Yacht Club, et des Mutant Ape Yacht Club. Ainsi, au début de l’année 2021, les 10 000 pièces de la série Bored Ape Yacht Club ont franchi la barre du milliard de dollars de ventes. De nombreuses célébrités, dont notamment des rappeurs très célèbres comme Eminem, ont acquis ces images de singes. Le célèbre rappeur a, en effet, fait l’acquisition de la NFT Bored Ape # 9055 pour la modique somme de 462 000 dollars. La série des 10 000 CryptoPunks, des visages pixélisés à la façon des anciennes consoles de jeux, a également signé des records. En mars dernier, la vignette Punk # 3100 a été acquise 4 200 ethereum, ce qui correspond à 7,6 millions de dollars. Ce mélange des genres, qui mêle art contemporain et objets numériques spéculatifs, n’aident pas à la compréhension du marché et souligne la difficulté de définir précisément le phénomène des NFT ; les repères en matière d’œuvre d’art s’en trouvent brouillés.
Une définition en cours
Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), dans une lettre de mission adressée à un avocat, le 2 novembre 2021, souligne : « Ce phénomène suscite des interrogations importantes et nouvelles sur le plan juridique relevant à la fois de la propriété intellectuelle et de la technologie utilisée, portant sur l’originalité de l’œuvre ainsi « tokenisée », sur la titularité des droits et leur mode de gestion, l’application de cette technologie aux collections publiques qui se caractérisent par leur inaliénabilité, le cadre financier à préconiser pour encadrer/limiter les risques de spéculation et de blanchiment d’argent, la fiscalité applicable, ou encore la traçabilité de l’œuvre et l’applicabilité de la rémunération pour copie privée ou du droit de suite, le recours à un système de smart contract sur la « blockchain » pour gérer le droit de suite et les conditions de revente, le risque de confusion possible dans le temps avec des œuvres originales ou de réutilisation frauduleuse… ». Ainsi, le CSPLA a confié à l’avocat Jean Martin une mission visant à fournir un état des lieux permettant d’identifier, d’analyser et d’évaluer ce phénomène dans ses divers aspects juridiques, au prisme de la propriété littéraire et artistique, dans l’intérêt des différents acteurs concernés et de son marché. Le rapport issu de ces travaux devrait être présenté d’ici le mois de juin 2022.
Des problématiques soulevées par les NFT en matière de fiscalité
Les NFT soulèvent un certain nombre de problématiques en matière juridique ainsi qu’en matière fiscale. S’ils sont actuellement considérés comme de simple actifs numériques, ils n’entrent que difficilement dans la définition des crypto-actifs de la loi Pacte du 22 mai 2019 qui définit un actif numérique comme « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ». Cette définition n’est pas adaptée aux biens non fongibles que constituent les NFT. Ainsi, comment réglementer ces crypto-actifs qui se distinguent des autres ? Le sujet s’est invité dans le vote de la loi de finances, suite, notamment, à un amendement présenté par le député LREM, Pierre Person. Il s’agissait, dans son esprit, d’exclure expressément ces derniers du régime général des plus-values de cession d’actifs numériques en créant un régime ad hoc aux jetons non-fongibles. L’idée était donc de prévoir une imposition des jetons non-fongibles en fonction de leur actif sous-jacent. Cet amendement n’a pas été adopté. Actuellement, les produits de la cession de ces actifs numériques est soumis à la flat tax, soit une imposition à l’impôt sur le revenu au taux forfaitaire de 12.8 % auquel il faut ajouter les prélèvements sociaux de 17.2 % pour atteindre, finalement, une taxation globale de 30 %. Par opposition aux autres actifs financiers, il n’est pas possible d’opter pour l’imposition au barème progressif et aucun abattement pour durée de détention n’est possible. Ainsi, les NFT se voient donc appliquer la fiscalité des actifs financiers, avec quelques aménagements. Ils ne bénéficient pas du régime fiscal applicable aux œuvres d’art qui prévoit, qu’en cas de vente d’une œuvre d’art, au-delà d’un seuil de cession de 5 000 euros, son propriétaire a le choix entre deux régimes d’imposition ; la taxe sur les objets et métaux précieux (au taux de 6,5 %) assise sur le taux de cession ou la valeur de l’œuvre et le régime de droit commun d’imposition des plus-values des particuliers. En cas d’option pour le régime de droit commun, le cédant sera imposé sur le montant de la plus-value réelle, égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition du bien majoré des frais de restauration et de remise en état. La plus-value est taxée au taux de 36,2 % – 19 % d’impôt et 17,2 % de prélèvements sociaux. Un abattement de 5 % par année de détention, au-delà de la deuxième année, est appliqué sur la plus-value avant impôt. La plus-value de cession se trouve donc totalement exonérée d’impôt au bout de 22 ans. En cas d’option pour le régime d’imposition des plus-values sur biens meubles, le vendeur doit être en mesure de justifier de la date et du prix d’acquisition du bien ou doit être en mesure de justifier que le bien est détenu depuis plus de 22 ans.
Référence : AJU003k2