Refus de renouvellement du bail et nullité du contrat de location-gérance

Publié le 02/07/2018

« Le contrat de location-gérance conclu en violation des conditions exigées du loueur (…) est atteint d’une nullité absolue et (…) la déchéance du droit à renouvellement du bail, prévue par l’article L. 144-10, est encourue dès lors que le preneur consent un contrat de location-gérance atteint par la nullité prévue à l’alinéa 1er du même texte ».

Cass. 3e civ., 22 mars 2018, no 17-15830

1. Au même titre que la durée1 du bail commercial, le droit au renouvellement du bail commercial constitue une mesure légale de protection accordée au preneur d’un local commercial dans le cadre de l’exercice de son activité économique. Ce droit est minutieusement encadré2 par les dispositions du Code de commerce. C’est ainsi qu’il peut être remis en cause et, par conséquent, faire l’objet d’une déchéance lorsque son bénéficiaire a commis une faute3. La troisième chambre civile de la Cour de cassation l’a fort utilement rappelé dans l’arrêt rendu le 22 mars 2018. Les faits ayant donné lieu à ce litige méritent d’être rappelés. Un contrat de bail commercial est signé le 1er avril 2004 entre Mme X, locataire, et la société Vengeance, bailleresse. En date du 20 mars 2006, Mme X met son fonds de commerce en location-gérance. La société Vengeance délivre au preneur du local commercial respectivement le 7 mai et le 22 mai 2012 deux congés avec refus de renouvellement du bail commercial pour absence d’exploitation du fonds mis en gérance conformément à la loi. Mme X assigne la société Vengeance en contestation des congés. Le litige est porté devant les juridictions de fond, notamment la cour d’appel de Pau. Par arrêt rendu le 10 janvier 2017, cette cour donne gain de cause au preneur du local commercial. Pour la cour d’appel, d’une part, la faute commise par le locataire n’est pas caractéristique d’un motif grave et légitime justifiant la privation d’une indemnité d’éviction à la suite du refus du renouvellement. D’autre part, la bailleresse ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’elle a subi du fait de la faute commise. Un pourvoi est formé par la société Vengeance contre l’arrêt de la cour de Pau. D’après l’auteur du pourvoi, le refus du renouvellement du bail sans indemnité d’éviction est pleinement justifié. Au regard de tout ce qui précède, se pose une question notable : la déchéance du droit au renouvellement d’un bail commercial sans indemnité d’éviction peut-elle être encourue consécutivement à un manquement commis par le preneur du local commercial ? La troisième chambre civile de la Cour de cassation répond par l’affirmative. Très concrètement, les juges de la haute juridiction, dans l’arrêt rendu le 22 mars 2018, affirment sans ambages que « le contrat de location-gérance conclu en violation des conditions exigées du loueur (…) est atteint d’une nullité absolue et que la déchéance du droit au renouvellement du bail, prévue par l’article L. 144-10, est encourue ». Cette décision laisse présager la déchéance du droit au renouvellement du bail commercial consécutivement à la nullité du contrat de location-gérance (I). Cette décision de la Cour de cassation apparaît conforme à la législation applicable en matière de baux commerciaux (II).

I – La déchéance du droit au renouvellement du bail consécutive à la nullité du contrat de location-gérance

2. La lecture de l’arrêt du 22 mars 2018 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation permet de mettre en exergue un argument fort évocateur justifiant la déchéance du droit au renouvellement du bail commercial : la violation par le preneur d’une condition exigée du loueur. Il s’agit alors de l’absence d’exploitation du fonds de commerce mis en gérance pendant au moins deux ans (A). À cela, il convient d’indiquer la régularité des congés donnés par la société Vengeance (B).

A – L’absence d’exploitation du fonds de commerce mis en gérance pendant une durée minimale de deux années

3. À travers son arrêt du 22 mars 2018, la haute juridiction s’est prononcée en faveur du refus du renouvellement du bail commercial sans indemnité d’éviction. Autrement dit, elle a décidé de déchoir le locataire de son droit au renouvellement du bail commercial. Cette décision est fondée sur l’absence d’exploitation du fonds de commerce mis en gérance pendant une durée minimale de deux années. Conformément à l’article L. 144-3 du Code de commerce : « Les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l’établissement artisanal mis en gérance ». La violation de cette condition entraîne, tel que le relève la Cour de cassation et conformément à l’article L. 144-10 du Code de commerce, une nullité absolue et par ricochet la déchéance du droit au renouvellement du bail. Dans le cadre de l’affaire soumise à l’appréciation des juges de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, Mme X a signé un bail commercial le 1er avril 2004 et a concédé son fonds de commerce en location-gérance le 20 mars 2006. L’on observe que le temps écoulé entre ces dates est inférieur à deux années. Force est de constater que la condition relative à la durée d’exploitation du fonds de deux années n’a pas été remplie. Cela a incontestablement eu pour conséquence le refus du renouvellement du bail et ce sans indemnité d’éviction au profit du preneur puisque la faute commise par elle est caractérisée. Ce refus de renouvellement a été fait suivant un processus régulier.

B – La régularité du processus du refus de renouvellement du bail commercial sans indemnité d’éviction

4. En droit commun, la durée du contrat est fixée librement par les parties contractuelles. En matière de baux commerciaux, afin d’offrir une garantie de stabilité au commerçant, le législateur impose une durée minimale de neuf ans4. Le bailleur ne s’en trouve pas pourtant dépourvu de prérogatives. En effet, il peut procéder au refus du renouvellement du bail commercial sans être tenu du paiement d’une indemnité d’éviction s’il justifie d’un motif grave et légitime vis-à-vis du locataire sortant5. Cela peut être considéré comme un élément de régularité du refus de renouvellement. Mais alors, la conclusion du contrat de location-gérance par Mme X en violation de la condition exigée constitue-t-elle un motif grave et légitime privatif de l’indemnité d’éviction ? La réponse est négative pour la juridiction de Pau. D’après celle-ci, la faute commise par Mme X dans son rapport avec le locataire-gérant ne saurait constituer un motif grave et légitime privatif de l’indemnité d’éviction dès lors que la société ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’elle a subi. Pour les juges de Pau, les rapports contractuels sont différents. Cet argument est inopérant car comme l’a relevé la même chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 22 mai 1979, « le motif grave ou légitime ne suppose pas nécessairement l’exigence d’un préjudice ». Dans une perspective voisine, il convient de souligner que le second élément de régularité du refus du renouvellement réside dans le respect des congés donnés au preneur du local préalablement avant l’expiration de la durée de neuf ans. À titre de rappel, deux congés ont été adressés à Mme X respectivement le 7 et le 22 mai 2012 et ce, avant le terme du contrat de bail commercial. Cela étant, il apparaît au vu de ce qui précède que la déchéance du droit au renouvellement du bail consécutive à la nullité de la location-gérance est conforme à la législation en matière de bail commercial.

II – Une position conforme à la législation applicable au bail commercial

5. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Pau le 10 janvier 2017 a fait l’objet d’une cassation et d’une annulation en toutes ses dispositions. Cette cassation est significative de la violation par la cour d’appel de Pau des textes de loi visés par la haute juridiction dont il est nécessaire de rappeler (A). La cassation de l’arrêt de Pau met également en évidence la validité du refus du renouvellement du bail commercial sans indemnité d’éviction. Ceci dit, la décision de cassation constitue donc une décision conforme à la loi (B).

A – Le rappel des textes de loi visés par la troisième chambre civile de la Cour de cassation

6. Sur la base d’un moyen unique articulé autour de deux textes de loi, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a sévèrement cassé l’arrêt de la cour d’appel de Pau. À la question de savoir si la déchéance du droit au renouvellement du bail était encourue du fait de la nullité absolue du contrat de location-gérance signé par le preneur du local commercial, la haute juridiction a tranché par une réponse affirmative. Le fondement de cette réponse s’arc-boute respectivement sur l’article L. 144-3 et l’article L. 144-10 du Code de commerce.

7. D’une part, aux termes de l’article L. 144-3 du Code de commerce, « les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l’établissement artisanal mis en gérance ». Et d’autre part, selon l’article L. 144-10 du Code de commerce, « tout contrat de location-gérance ou toute autre convention comportant des clauses analogues, consenti par le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce ne remplissant pas les conditions prévues aux articles ci-dessus, est nul. Toutefois, les contractants ne peuvent invoquer cette nullité à l’encontre des tiers.

La nullité prévue à l’alinéa précédent entraîne à l’égard des contractants la déchéance des droits qu’ils pourraient éventuellement tenir des dispositions du chapitre V du présent titre réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal ». Dans le cadre de ce litige, le rappel de ces textes de loi apparaît important dans la mesure où cela met en lumière le caractère impératif de nullité indiquée. La gravité du manquement de Mme X permet par conséquent de conclure que la décision de la Cour de cassation est conforme à la loi.

B – La conformité de la décision de la troisième chambre civile de la Cour de cassation à la loi

8. La décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est dénuée d’ambiguïté. Cette juridiction note que « le contrat de location-gérance conclu en violation des conditions exigées du loueur, qui n’ont pas pour finalité la protection des intérêts particuliers des parties, est atteint d’une nullité absolue et que la déchéance du droit à renouvellement du bail, prévue par l’article L. 144-10, est encourue dès lors que le preneur consent un contrat de location-gérance atteint par la nullité prévue à l’alinéa 1er du même texte ». L’analyse de cette décision nécessite de rappeler que le locataire est tenu conformément à la loi d’exploiter son fonds de commerce pendant une durée minimale de deux années avant de procéder à sa location-gérance. Or, au regard des faits, les années indiquées n’ont guère été respectées. Et conformément à la loi, le non-respect de cette prescription entraîne à l’égard du locataire une déchéance des droits susceptibles d’être accordés par les statuts des baux commerciaux. La contestation de refus du renouvellement du bail sans indemnité d’éviction élevée par ce locataire s’avère donc illégale peu importe que la faute commise par ce dernier n’ait causé aucun préjudice à la bailleresse sur le fondement de l’article 1382 ancien du Code civil.

9. Force est de constater que la décision du 22 mars 2018 rendue par les juges de la troisième chambre civile de la Cour de cassation est pleinement conforme à la législation applicable au bail commercial. Au-delà d’être conforme à celle-ci, cette décision s’inscrit dans la même perspective que la décision rendue par les juges de la chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 juin 20046. Sur la base des articles 4 et 11 de la loi du 20 mars 1956, devenus les articles L. 144-3 et L. 144-10 du Code de commerce, ils avaient prononcé la déchéance du droit au renouvellement du bail en notant que « (…) le contrat de location-gérance conclu en violation des conditions exigées du loueur, qui n’ont pas pour finalité la protection des intérêts particuliers des parties, est atteint d’une nullité absolue et comme tel insusceptible de confirmation ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    D’après l’article L. 145-4, alinéa 1er, du Code de commerce, la durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Pour une étude sur la durée du bail commercial, v. Sainturat M.-L. et Monéger J., « Durée du bail commercial », Loyers et copr. 2014, dossier 3 ; Pygauthier J.-L., « Durée et fin du bail commercial après les lois Pinel et Macron », JCP N 2016, 1085.
  • 2.
    Le droit au renouvellement est réglementé par les articles L. 145-8 et s. du Code de commerce.
  • 3.
    La faute du preneur du local commercial peut être de nature contractuelle ou de nature délictuelle.
  • 4.
    Lucas F.-X. et Poracchia D., Manuel de droit commercial, 2018, PUF, Droit fondamental, n° 227.
  • 5.
    Julien J. et Mendoza-Caminade A., Droit commercial, 2017, LGDJ, n° 505, le refus du renouvellement du bail commercial doit être articulé sur un « motif opposable ». Ces auteurs citent à titre illustratif l’exploitation d’une activité interdite, le non-paiement des loyers ou même une transformation des lieux loués.
  • 6.
    Cass. com., 9 juin 2004, n° 01-15713, D : Loyers et copr. 2004, n° 186, obs. Brault P.-H.