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Arrêt Larzul 2 ou l’évolution du régime des nullités des décisions sociales à vitesse d’escargot

Publié le 13/07/2023
Arrêt Larzul 2 ou l’évolution du régime des nullités des décisions sociales à vitesse d’escargot
kubra konca/AdobeStock

En se fondant pour la première fois sur le dernier alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce, la Cour de cassation affirme qu’une décision sociale adoptée en violation d’une clause statutaire peut être annulée.

Toutefois, la portée de cette cause de nullité doit encore être précisée. D’une part, son champ d’application est très limité ; d’autre part, la chambre commerciale ajoute une nouvelle condition de mise en œuvre : il faut que la violation soit de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

Cass. com., 15 mars 2023, no 21-18324

Si les relations entre droit et gastronomie apparaissent tantôt sous des jours heureux, notamment en la figure de Brillat-Savarin, elles apparaissent parfois sous un jour plus contentieux1 comme en l’espèce. Il n’est pas certain que l’arrêt rendu le 15 mars 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation réconciliera les juristes avec les plats d’escargots. Mais il ne faut jurer de rien.

Qui eût cru que les déboires de la célèbre société de production d’escargots Larzul, après avoir consacré une jurisprudence célèbre restreignant les causes de nullité des actes et décisions sociétaires en cas de violation des statuts, permettraient, 23 ans plus tard, de les ouvrir quelque peu ?

Le 14 décembre 2004, un protocole d’accord est conclu entre deux sociétés : Vectora (associée unique de la SASU Larzul) et la société Française de gastronomie, dite FDG (associée unique de la société UGMA). Par ce contrat, Vectora s’engage à augmenter le capital de la société Larzul et à en réserver la souscription à UGMA et à FDG. Le 30 décembre 2004, la société Vectora approuve l’augmentation de capital de Larzul. À l’issue de l’opération, cette dernière comptait trois associés : Vectora, FDG et UGMA. Par la suite, le 31 janvier 2005, la société Vectora a cédé un certain nombre d’actions de Larzul à la FDG.

Cependant le 24 janvier 2012, les délibérations de la société Vectora du 30 décembre 2004 ont été annulées, entraînant la caducité du traité d’apport du 14 décembre 2004.

Postérieurement à cette décision, la FDG n’a été convoquée à aucune assemblée générale de la société Larzul2. Ainsi, la société FDG a assigné la société Larzul en annulation de toutes ses assemblées générales ainsi qu’en annulation des décisions collectives subséquentes à compter de la date à laquelle elle affirme avoir été privée de ses droits d’associé : le 3 avril 2012.

L’effet rétroactif de la caducité du traité d’apport, non précisée par l’arrêt, est de faire perdre le statut d’associé tant à UGMA qu’à FDG. Cela ne souffre aucune discussion pour la première société, mais la situation de la deuxième est plus floue. Sa qualité d’associé dépend de l’efficacité ou non de sa titularité des droits sociaux acquis de Vectra dans Larzul le 31 janvier 2005.

Larzul soutenait en appel que la cession était étroitement liée au contrat d’apport et devait en conséquence connaître le même sort. La cour d’appel de Rennes a néanmoins considéré sans plus de précisions que la FDG était toujours associée de Larzul3. Ces mêmes juges ont fait droit aux demandes de la société FDG au motif que les décisions adoptées par la société Larzul sans convocation de la FDG méconnaissaient des dispositions d’ordre public des articles L. 223-28 et L. 223-29 du Code de commerce, notamment le droit pour les associés de participer aux décisions collectives.

La société Larzul s’est donc pourvue en cassation, articulant un moyen divisé en plusieurs branches. Pour s’en tenir aux deux principaux : la société Larzul reprochait aux juges rennais d’avoir violé la loi, tout d’abord, en fondant l’annulation des délibérations sur des dispositions applicables aux sociétés à responsabilité limitée (C. com., art. L. 223-28 et C. com., art. L. 223-29) alors qu’elle revêt la nature d’une société par actions simplifiée. Ensuite, elle reprochait aux juges du fond d’avoir violé les articles L. 227-5, L. 227-9 et L. 235-1 du Code de commerce en annulant les délibérations de l’assemblée générale au motif que leur adoption avait été faite en contravention de dispositions statutaires de SAS déterminant les décisions devant être prises collectivement par les associés et prévoyant les formes et conditions dans lesquelles ces décisions sont adoptées. En effet, selon le dernier de ces textes, la nullité d’actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats.

La Cour de cassation censure pour violation évidente de la loi l’arrêt rendu par la cour d’appel, au motif que les dispositions relatives aux sociétés à responsabilité limitée ne sont pas applicables aux SAS.

Toutefois, une question importante demeure : la violation d’une disposition statutaire de SAS relative à l’adoption des décisions collectives d’associés peut-elle justifier la nullité d’une décision sociale ?

La Cour de cassation répond ici par l’affirmative, ce qui est remarquable, tant le principe posé s’écarte de la jurisprudence antérieure.

Elle affirme dorénavant : « L’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du Code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun (…) de l’article L. 235-1, alinéa 2 (…) doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Les décisions précédentes se fondaient sur l’article L. 235-1, alinéa 2 pour limiter la nullité des décisions adoptées en violation de clauses statutaires aménageant conventionnellement la règle posée par une disposition impérative4. D’ailleurs, la Cour a jugé par le passé que l’article L. 227-9, alinéa premier, ne constituait pas une telle disposition impérative aménageable5.

Publiée au Bulletin et motivée de manière développée en citant sa jurisprudence antérieure, la décision rendue ici par la Cour de cassation adopte les atours du revirement de jurisprudence. Pourtant, au sens strict, la question était nouvelle. En effet, le débat est ici tranché sur le fondement de l’article L. 227-9, alinéa 4, du Code de commerce. Or cette dernière disposition n’a encore jamais été mobilisée par la Cour régulatrice6.

Pour le dire autrement, la Cour de cassation sort l’article L. 227-9, alinéa 4, de l’ombre dans laquelle l’article L. 235-1, alinéa 2, semblait l’avoir injustement cantonné afin d’ouvrir une cause de nullité des décisions prises en violation des clauses statutaires propres aux sociétés par actions simplifiées7. Pourtant cette disposition a été introduite par une loi du 12 juillet 19998 !

La décision consacre donc l’efficacité de l’article L. 227-9, alinéa 4, comme fondement de la nullité d’une décision transgressant les stipulations statutaires adoptées sur le fondement du premier alinéa du même article. En creux, c’est bien l’importance des statuts en tant que colonne vertébrale de la SAS qui est reconnue.

Cependant, si l’ouverture progressive des nullités de décisions violant les statuts de SAS apparaît progressivement (I), il n’est pas aisé d’en prendre la mesure (II).

I – Une ouverture progressive

Au fil de sa motivation développée, la Cour de cassation reconnaît à mots à peine voilés que l’ouverture de l’action en nullité des décisions adoptées en violation des statuts était restreinte de manière assez drastique (A) et que la présente solution l’ouvre maintenant de manière mesurée (B).

A – L’apparent monopole de l’article L. 235-1, alinéa 2

En l’espèce, la société FDG, associée de la SAS Larzul, invoquait la violation des statuts résidant dans l’absence de sa convocation aux assemblées générales au soutien de sa demande tendant à les faire annuler. Était donc en jeu la question générale de la nullité des décisions sociales. La matière répond à des objectifs contradictoires. Alors que la sécurité juridique commande de restreindre leur admission, l’effectivité de la réglementation des sociétés commande à l’inverse d’en ouvrir l’action.

Mais ce débat prend une tournure particulière quand la nullité tend à sanctionner non pas l’ordre public sociétaire, garantie d’intérêt général posée par le législateur, mais les stipulations statutaires. En effet, la violation d’une obligation de faire ou de ne pas faire contenue dans une convention se résout traditionnellement par les sanctions de l’inexécution (aujourd’hui C. civ., art. 1217 et s.) et non par la nullité de l’acte juridique qui y contrevient.

La question se posait donc de savoir si l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce pouvait justifier la nullité d’une décision contrevenant aux statuts. Dit brièvement, cet article limite les causes de nullité des décisions ne modifiant pas les statuts aux violations des règles impératives du livre II du Code de commerce ou du droit commun des contrats.

Pour une doctrine classique, la disposition impérative du livre II doit s’entendre d’une loi ou d’un règlement et ne peut donc pas concerner une clause statutaire9.

Pourtant, d’autres auteurs soutenaient qu’une stipulation statuaire, accédant à la force obligatoire reconnue au contrat (aujourd’hui C. civ., art. 1103) devait être considérée comme impérative et, par conséquent, sa violation comme une cause de nullité visée à l’article L. 235-1, alinéa 210.

La jurisprudence a longtemps paru partagée. Si la troisième chambre civile semblait peu encline à admettre la nullité d’une délibération causée par la violation d’une clause statutaire11, la chambre commerciale l’avait pourtant reconnue à plusieurs reprises12.

C’est finalement un arrêt rendu en 2005 en matière de GIE qui décide sans ambages « qu’il résulte de l’article L. 251-5 du Code de commerce que la nullité des actes ou délibérations d’un groupement d’intérêt économique ne peut résulter que de la violation des dispositions impératives des textes régissant ce type de groupement ou de l’une des causes de nullité des contrats en général ; que le non-respect des stipulations des statuts n’est pas sanctionné par la nullité ». Or, la similarité des articles L. 251-5, L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce et 1844-10 du Code civil donne à penser que la solution donnée aux GIE valait également pour les sociétés tant commerciales que civiles13.

Toutefois la généralité du principe ainsi posé est exagérée dans la mesure où une clause statutaire peut reproduire une disposition inscrite dans la loi. De plus, la loi peut déléguer de manière impérative aux statuts la prévision de certaines modalités d’adoption des décisions sociales.

C’est ainsi que par une première décision Larzul14, la Cour de cassation, tout en réaffirmant le principe de l’arrêt de 2005, cette fois-ci sur le fondement de l’article L. 235-1, alinéa 2, a cependant prévu un assouplissement : « Sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité ».

L’incertaine identification des dispositions impératives aménageables conventionnellement a fait couler beaucoup d’encre malgré les précisions apportées par la Cour de cassation dans son rapport annuel de 201015. La jurisprudence est venue progressivement préciser les différentes dispositions impératives aménageables, dont la violation constitue une cause de nullité.

Il en va ainsi de la possibilité donnée aux associés de SARL de limiter la cessibilité des parts sociales entre eux aux termes des articles L. 223-14 et L. 223-16 du Code de commerce16. Relèvent également des dispositions impératives aménageables (sur le fondement de l’article 1844-10 du Code civil cette fois-ci) le premier alinéa de l’article 183617, l’article 185218 ou encore l’article 1844, alinéa 3, du Code civil19.

N’ont en revanche pas été qualifiées de dispositions impératives aménageables l’article L. 227-5 du Code de commerce, prévoyant que les statuts de SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, ni le premier alinéa de l’article L. 227-9, disposant que les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient20.

L’arrêt commenté confirme d’ailleurs cette dernière solution. La « disposition statutaire qui réserve, dans ces sociétés, certaines décisions à la collectivité des associés, n’aménage aucune disposition impérative, tirant au contraire parti de la liberté que l’article L. 227-9, alinéa premier, laisse aux rédacteurs des statuts »21.

On comprend évidemment la politique jurisprudentielle de cantonnement des causes de nullité des décisions sociétaires dans une logique de sécurité juridique. Il importe d’éviter le risque de nullité en cascade. Toutefois, son application au cas particulier des SAS s’avère à tout le moins rigide. Il apparaît en effet contradictoire d’affirmer la liberté statutaire de cette société tout en privant les associés « des moyens d’assurer la bonne exécution des règles qu’ils se sont fixées »22.

Ainsi s’explique que le débat se cristallise autour de l’interprétation et de la portée normative du dernier alinéa de l’article L. 227-9.

B – Le recours attendu à l’article L. 227-9, alinéa 4

L’arrêt étudié est un bel exemple – ce n’est pas toujours le cas – de l’utilité de la motivation enrichie. Les juges procèdent à une réelle explication de leur décision. Ils prennent soin de rappeler la spécificité des statuts de la SAS. La liberté y est au fondement. Abstraction faite des décisions que la loi réserve aux associés (C. com., art. L. 227-9, al. 2), c’est aux statuts de déterminer non seulement les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés, mais également les formes et conditions dans lesquelles elles le sont. Il est ainsi essentiel au bon fonctionnement de cette forme sociétaire et à la sécurité des associés que la possibilité d’annuler les décisions qui ne respecteraient pas ces stipulations soit reconnue23.

Cet argument pragmatique une fois donné, il restait à trouver le fondement juridique précis de la nullité de la décision adoptée en violation d’une clause statutaire stipulée en application de l’article L. 227-9, alinéa 1 sans remettre en question la jurisprudence préexistante fondée sur l’article L. 235-1, alinéa 2.

C’est l’article L. 227-9, alinéa 4, qui est finalement mobilisé par la haute cour près de vingt-quatre ans après son adoption. « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ». On peut s’étonner que cette disposition n’ait pas été mobilisée plus tôt par la pratique. Certes, l’interprétation de la lettre du texte n’était pas tout à fait évidente. Que fallait-il entendre par « dispositions » ? Au sens strict, il ne s’agit que des règles légales posées aux trois premiers alinéas de l’article L. 227-9. Au sens large, le texte vise toutes les clauses des statuts concernant les décisions devant être adoptées collectivement par les associées, ainsi que les formes et conditions dans lesquelles elles doivent être en vertu de l’article L. 227-9 du Code de commerce24.

C’est finalement la seconde acceptation qui est consacrée par l’arrêt du 15 mars 2023. Il précise en son point 16 « que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du Code de commerce (…) doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ». Les juges ajoutent que cet alinéa 4 a été institué pour compléter l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce. Il s’agit donc bien de deux fondements distincts de nullité.

Ainsi, et c’est bien l’apport de la décision commentée, quand bien même l’alinéa premier de l’article L. 227-9 ne constituerait pas une disposition impérative aménageable, la décision adoptée en violation de la clause statutaire organisant les formes et conditions dans lesquelles certaines décisions sont prises par les associés collectivement peut tout de même être annulée25. Le caractère essentiellement contractuel de la SAS nécessitait bien une protection des associés contre l’adoption de décisions sociales en violation des statuts que l’article L. 235-1, alinéa 2, ne pouvait seul assurer.

L’alinéa 4 de l’article L. 227-9 constitue bien une cause spécifique de nullité des décisions sociales.

II – La recherche du degré d’ouverture

La question du degré d’ouverture de l’action en nullité d’une décision sociale adoptée en violation de clauses statutaires se pose à deux niveaux : quant à son champ d’application (A), d’une part ; quant à sa mise en œuvre (B), d’autre part.

A – L’incertitude tenant au champ d’application de la nullité

En l’espèce, le fondement de la nullité de la décision contraire aux dispositions statutaires adoptées sur le fondement de l’article L. 227-9, alinéa premier réside dans l’alinéa 4 du même article. Même si cette solution constitue une avancée importante, elle apparaît triplement limitée.

Certes, l’avancée est déjà importante. On se souvient que dans l’affaire tranchée en 201726, la décision d’apporter les actifs immobiliers d’une SAS en violation d’une clause statutaire attribuant cette prérogative à l’assemblée générale n’avait pas été annulée au motif que l’article L. 227-9, alinéa premier ne constituait pas une disposition impérative aménageable éligible à la nullité fulminée par l’article L. 235-1, alinéa 2. Sans constituer à proprement parler un revirement, l’arrêt sous étude révèle que cette décision aurait pu être annulée sur le fondement de l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du Code de commerce.

Mais la solution demeure triplement limitée, non seulement aux sociétés par actions simplifiées, mais également aux décisions qui relèvent de l’article L. 227-9 et, plus précisément, à son alinéa premier. La Cour de cassation n’a encore jamais reconnu expressément que les décisions adoptées en violation de l’article L. 227-9, alinéa 2, pouvaient être annulées sur le fondement de l’alinéa 4 du même article. Demeure en effet la question de savoir si seule l’adoption d’une décision en violation du monopole légal de l’assemblée des associés est sanctionnée par la nullité ou bien si la violation des conditions prévues par les statuts pour la voter le serait aussi.

L’arrêt sous étude le laisse toutefois penser. En revanche, l’annulation des actes pris en violation des clauses de direction stipulées en vertu de l’article L. 227-5, si elle peut trouver dans la motivation pragmatique du présent arrêt un appui intéressant, reste dépourvue de fondement textuel. Ainsi, la jurisprudence Larzul 127 ne semble pas être remise en cause en l’état du droit positif.

Enfin, quoique la présente solution ne concerne que les sociétés par actions simplifiées, la grande souplesse des statuts de société civile et de société en nom collectif pourrait également justifier qu’on leur étende la solution commentée28.

B – L’incertitude tenant à la mise en œuvre de la nullité

Malgré les précisions apportées par la présente décision, des questions demeurent. La nullité dont il est question est ouverte à toute personne intéressée, y compris potentiellement les tiers. Néanmoins, on peine à voir quel intérêt général serait protégé pour justifier une telle nullité absolue (C. civ., art. 1179, al. 1er). N’est-il pas paradoxal de voir cette action en nullité aussi largement ouverte alors que la dynamique générale est de les restreindre ?

Certes, et c’est la deuxième certitude, la nullité prévue à l’alinéa 4 constitue une nullité facultative, la lettre du texte disposant que les « décisions (…) peuvent être annulées ». La pertinence de l’annulation est donc soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond. Selon un auteur, le juge tend à écarter la nullité lorsque l’irrégularité est purement formelle et que son absence n’aurait pas changé le sens du vote29. En conséquence, l’élargissement des titulaires de l’action en nullité est contrebalancé par la faculté qu’a le juge de ne pas la prononcer.

Mais un nouveau doute apparaît. Selon la Cour de cassation, l’action en nullité n’est ouverte à tout intéressé qu’à la condition que « la violation [soit] de nature à influer sur le résultat du processus de décision »30. Toutefois, la portée de cet obiter dictum est incertaine. S’agit-il d’une condition supplémentaire de mise en œuvre de l’action en nullité, laquelle ajoute substantiellement à la lettre de l’article L. 227-9, alinéa 4 ? Ou bien s’agit-il plutôt d’un énoncé doctrinal qui ne ferait que reprendre les conditions déjà énoncées de la mise en œuvre de l’action en nullité d’une délibération31 ?

Dans le premier cas, on aurait une multiplication des critères filtrant l’action. Tout d’abord, la violation des statuts doit être de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Ensuite, le juge conserve la faculté de ne pas prononcer la nullité. Enfin, la condition d’influence sur le résultat du processus de décision, évoque également la condition que la décision litigieuse fasse grief. Un courant jurisprudentiel exige cette condition pour agir en nullité d’une assemblée générale tenue en violation des règles de convocation32. S’agit-il de deux formules différentes pour une même condition ? Il est probable que non33. La notion de grief évoque le préjudice, la lésion de l’intérêt du demandeur à la nullité. En revanche, la condition posée par le présent arrêt se situe davantage dans l’effet potentiel du manquement qu’au plan du processus de décision. L’articulation de ces trois filtres imposés à l’action en nullité semble délicate.

S’il faut saluer la clarification apportée par le présent arrêt, son champ d’application demeure toutefois très limité. Elle n’épuise donc pas les différents projets, de l’Association nationale des sociétés par actions ou du Haut comité juridique de la place financière de Paris entrepris pour réformer le régime des nullités sociétaires34.

Il apparaît donc que le régime des nullités des décisions sociétaires se construit très progressivement et de manière impressionniste. Quoiqu’on en regrette toutefois la lenteur, on rétorquera peut-être : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    Contentieux que J.-P. Branlard chronique de manière gourmande dans La table et le droit, 2014, LexisNexis, et dans La marmite du juriste, 2017, LexisNexis.
  • 2.
    Cet élément de fait ressort de l’arrêt rendu, dans la même affaire, par CA Rennes, 15 juin 2021, n° 18/02443.
  • 3.
    CA Rennes, 15 juin 2021, n° 18/02443 : elle reprend à son compte la constatation par Cass. com., 9 sept. 2020, n° 19-15422 de la qualité d’associé de la FDG.
  • 4.
    Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14855, Larzul 1.
  • 5.
    L’alinéa premier n’est pas expressément visé, mais la motivation semble s’y rattacher, Cass. com., 26 avr. 2017, n° 14-13554.
  • 6.
    Déjà en 2017, v. D. Schmidt, « Le mauvais sort fait à l’article L. 227-9 du Code de commerce », Rev. sociétés 2017, p. 422.
  • 7.
    Cependant, pour une décision du fonds pouvant être interprétée en ce sens, CA Paris, 5-8, 27 nov. 2018, n° 16/16446, X c/Y : Dr. sociétés 2019, comm. 61, note R. Mortier.
  • 8.
    L. n° 99-587, 12 juill. 1999, qui ouvre aux personnes physiques l’accès à la SAS, art. 3.
  • 9.
    J. Hémard, F. Terré et P. Mabilat, Sociétés commerciales, t. I, 1972, Dalloz, n° 743, p. 569.
  • 10.
    Y. Guyon, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés, 5e éd., 2002, LGDJ, p. 163, n° 88, EAN : 9782275019529 ; J.-P. Legros, « La violation des statuts est-elle une cause de nullité ? », Dr. sociétés 1991, p. 1.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 19 juill. 2000, n° 98-17258 : à propos d’une délibération prise en violation d’une clause statutaire qui prévoyait la convocation du gérant non associé aux assemblées, la Cour de cassation a décidé que « la cour d’appel a retenu, à bon droit, que le non-respect des stipulations des statuts n’était pas sanctionné par la nullité ».
  • 12.
    Cass. com., 20 nov. 1990, n° 89-18156 – Cass. com., 24 juin 1997, n° 94-21425 : BJS oct. 1997, n° 315, p. 875, note J.-J. Daigre ; Rev. sociétés 1997, p. 792, note P. Didier ; RJ com. 1999, p. 122, note C. Cheymol et B. Dondero.
  • 13.
    Cass. com., 14 juin 2005, n° 02-18864 : RJDA 10/05, n° 1123, p. 976 ; BJS déc. 2005, n° 307, p. 1412, note P. Le Cannu ; RTD com. 2005, p. 782, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
  • 14.
    Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14855.
  • 15.
    Rapp. C. cass. 2010, p. 381.
  • 16.
    Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-25588 : JCP E 2015, 28, note M. Buchberger ; BJS mai 2015, n° BJS113m2, note J.-C. Pagnucco.
  • 17.
    Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-14348, Sté Bruxys : Dr. & patr. mensuel 2016, n° 259, p. 85, note  D. Poracchia ; Rev. sociétés, p. 169, note E. Schlumberger ; Dr. sociétés 2015, p. 26, note R. Mortier ; RTD com. 2015, p. 533, note A. Constantin : « Mais attendu qu’ayant exactement retenu que le principe d’unanimité, sauf clause contraire, pour modifier les statuts, posé par l’article 1836 du Code civil, relevait des dispositions impératives du titre visé par l’article 1844-10 du même code, la cour d’appel, sans être tenue d’interpréter un texte clair, en a déduit à bon droit que la méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts était sanctionnée par la nullité ».
  • 18.
    Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n° 20-17428 : Rev. Sociétés 2022, p. 167, note B. Dondero ; GPL 15 mars 2022, n° GPL433m3, obs. D. Gallois-Cochet ; Dr. sociétés 2022, comm. 29, note N. Jullian ; BJS mars 2022, n° BJS200t9, note S. Tisseyre ; RTD com. 2022, p. 323, obs. A. Lecourt ; JCP E 2022, 1179, note J.-B. Hauquel : « Le principe d’unanimité, posé par l’article 1852 du Code civil, à défaut de dispositions statutaires, pour prendre des décisions collectives qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants, relève des dispositions impératives au sens de l’article 1844-10 précité ».
  • 19.
    Cass. com., 13 janv. 2021, n° 19-13399 : GPL 27 juill. 2021, n° GPL425d5, note J. Delvallée ; BJS avr. 2021, n° BJS121y2, note A. Rabreau : « La cour d’appel a, par ces seuls motifs, et abstraction faite de ceux critiqués par le premier moyen, dès lors surabondants, retenu à bon droit et sans dénaturation que la décision prise par les nus-propriétaires de révoquer la gérante l’avait été en violation des règles statutaires relatives aux droits de vote, justifiant l’annulation de la consultation des associés ».
  • 20.
    Cass. com., 26 avr. 2017, n° 14-13554 : Rev. sociétés 2017, p. 422, note D. Schmidt ; Dr. sociétés 2017, comm. 141, note C. Coupet.
  • 21.
    Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18324, pt 14.
  • 22.
    C. Coupet, « Les nullités des actes et délibérations sociales de SAS : vers l’admission des clauses de nullité statutaires », in J.-C. Pagnucco (dir.), La SAS : 25 ans après, 2019, LexisNexis, p. 127.
  • 23.
    Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18324, pt 15.
  • 24.
    P. Le Cannu, « Le contentieux de la SAS – I : La nullité des décisions d’associé(s) fondée sur l’article L. 222-7 dernier alinéa du Code de commerce », revue Droit 2001, ER 012.
  • 25.
    A. Couret, « Nullité pour méconnaissance des dispositions statutaires : nouvelle étape », D. 2023, p. 671, spéc. n° 32.
  • 26.
    Cass. com., 26 avr. 2017, n° 14-13554.
  • 27.
    Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14855.
  • 28.
    A. Couret, « Nullité pour méconnaissance des dispositions statutaires : nouvelle étape », D. 2023, p. 671.
  • 29.
    V. Thomas, Sociétés et procédure civile, 2014, LexisNexis, préf. P. Le Cannu, n° 580.
  • 30.
    Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18324, pt 16.
  • 31.
    Sur les différentes portées normatives que peut revenir l’obiter dictum, v. S. Tournaux, « L’obiter dictum de la Cour de cassation », RTD civ. 2011, p. 45.
  • 32.
    Cass. ch. mixte, 16 déc. 2005, n° 04-10986 : Dr. sociétés 2006, comm. 36, note F.-X. Lucas ; Rev. Sociétés 2006, note B. Saintourens, p. 327 ; RTD civ. 2006, note R. Perrot, p. 372 ; RTD com. 2006, note M.-H. Monsèrié-Bon, p. 148 – Cass. com., 7 juill. 2015, n° 14-18705.
  • 33.
    J. Delvallée, « Arrêt Larzul 2 », Dalloz actualité, 28 mars 2023, spéc. nos 27 et s.
  • 34.
    A. Couret, « Nullité pour méconnaissance des dispositions statutaires : nouvelle étape », D. 2023, p. 671, spéc. n° 23 ; E. Guégan, Les nullités des décisions sociales, 2020, Dalloz.
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