La réforme de l’audit inquiète toujours les auditeurs
Rotation obligatoire des cabinets tous les dix ans, accroissement du rôle des comités d’audit, modification de l’encadrement des prestations complémentaires à l’audit, telles sont quelques-unes des innovations majeures issues de la réforme européenne de l’audit. Celle-ci est applicable en France depuis le 17 juin dernier. Mais le cadre réglementaire demeure incertain, notamment en raison des corrections qui ont dû être apportées à l’ordonnance de transposition. Yves Nicolas analyse pour nous les zones à risques de la réforme. Il nous confie également ses craintes sur les possibles conséquences indésirables du nouveau régime de l’audit légal.
Les Petites Affiches – La transposition de la réforme européenne de l’audit supposait l’adoption d’une ordonnance ainsi que de plusieurs décrets. Ces textes sont-ils achevés ?
Yves Nicolas – L’ordonnance de transposition1 de la réforme adoptée le 17 mars dernier est entrée en application le 17 juin. Elle a depuis été suivie de quelques amendements car elle demandait plusieurs modifications techniques nécessaires. Je regrette d’ailleurs que nous n’ayons pas davantage participé à la coconstruction de cette transposition, n’ayant été consultés que sur différents points du texte mais pas suffisamment sur l’ensemble du projet d’ordonnance. Par ailleurs, la Chancellerie a consulté au-delà de la profession de sorte qu’il nous a sans doute manqué un rapport institutionnel qui aurait renforcé la cohérence des travaux. La Chancellerie nous a entendus. Trois sujets ont d’ailleurs pu être corrigés par voie d’amendement dans la loi Sapin II2.
LPA – L’un des points critiqués portait sur l’extraterritorialité de la réforme. De quoi s’agissait-il exactement ?
Y. N. – Prenons l’exemple du commissaire aux comptes d’un groupe français qui a une filiale dans d’autres pays européens, ce qui est généralement le cas, et notamment en Allemagne. Dans ce pays, grâce aux options de l’ordonnance européenne, les auditeurs peuvent répondre à des besoins de reporting fiscal pour le groupe qu’ils auditent. Mais c’est interdit en France. Dans la rédaction initiale de l’ordonnance, si les auditeurs allemands de la filiale du groupe français décidaient de répondre à des questions fiscales, cela obligeait le commissaire aux comptes français du groupe à démissionner. Or les deux pays ont transposé la même directive et le même règlement, simplement la France et l’Allemagne n’ayant pas levé les mêmes options, la France considère comme interdite cette activité des auditeurs allemands à l’aune de ses propres règles. C’est cela que nous avons qualifié d’extraterritorialité de la loi française. La Compagnie a préparé un amendement que le Gouvernement est venu appuyer avec son propre texte. Si nous avions pu consulter en amont le texte intégral du projet d’ordonnance, nous aurions mis en garde contre ce défaut du texte.
LPA – Un autre sujet de difficulté portait sur l’effet couperet de l’entrée en application de la rotation, autrement dit du changement obligatoire de cabinets tous les dix ans…
Y. N. – La directive européenne prévoit en effet l’obligation pour les entités d’intérêt public (dites « EIP » : groupe cotés, banques, assurances…) de changer de commissaire aux comptes tous les dix ans, sauf en cas de cocommissariat où ce délai passe à 24 ans. Il est prévu que les auditeurs légaux qui ont un mandat de plus de 10 ans et de moins de 20 ans doivent démissionner s’ils n’ont pas été renouvelés par voie d’appel d’offres le jour de l’entrée en vigueur de la réforme. Cela veut dire en pratique qu’à la date du 17 juin, de nombreux auditeurs se sont retrouvés brutalement dans l’illégalité et les entreprises également. Il a donc fallu préciser par voie d’amendement que le commissaire aux comptes en exercice pouvait finir dans le cadre de son mandat l’exercice en cours, en pratique jusqu’au 31 décembre. Sur les 4 000 EIP qu’on dénombre en France, environ 150 étaient potentiellement concernées dans la mesure où elles n’ont qu’un seul commissaire aux comptes. L’obligation d’en avoir deux est en effet uniquement imposée aux entreprises qui établissent des comptes consolidés. Il existe donc de nombreuses EIP qui n’ont qu’un seul commissaire aux comptes. Le plus étonnant dans cette erreur de rédaction de la directive, c’est que les mandats de plus de 20 ans bénéficient, quant à eux, d’une période de transition très longue, alors même que l’objectif de la réforme à travers la rotation est de mettre fin aux mandats à durée excessive !
LPA – Le troisième amendement porte sur les comités d’audit. De quoi s’agit-il exactement ?
Y. N. – La directive prévoit que les EIP doivent se doter d’un comité d’audit qui prend un certain nombre de décisions relatives aux auditeurs : lancer des appels d’offres, autoriser des missions complémentaires à l’audit, etc. Seulement le texte ne précise pas quel est le comité d’audit compétent au sein d’un groupe pour prendre ces décisions. Est-ce celui du groupe qui intervient pour toutes les entités, que ce soit la mère ou les filiales ? Ou bien le comité d’audit de la structure concernée directement par la décision à prendre ? Il a été finalement acté que chaque groupe déciderait de son organisation. Certains, très centralisateurs, ont choisi de gérer toutes les questions relatives aux auditeurs au niveau du comité d’audit de la holding, d’autres de le faire par filiale.
LPA – Dans la période entre le 17 juin et l’adoption définitive de la loi Sapin, les cabinets ont été en risque, non ?
Y. N. – Nous avions pris soin, compte tenu des enjeux importants pour des sociétés cotées, de demander au Haut conseil au commissariat aux comptes (H3C) sa position sur cette situation juridiquement incertaine. Il nous a répondu par une lettre officielle que, bien entendu, il tiendrait compte de la volonté exprimée par le Gouvernement et le Parlement d’amender l’ordonnance, même si au moment où pouvait se poser une question de cette nature le droit n’était pas encore stabilisé.
LPA – L’une des réformes consiste à autoriser aux commissaires aux comptes d’effectuer des missions complémentaires à condition qu’elles ne dépassent pas 70 % de la moyenne des honoraires d’audit sur trois ans et qu’elles soient autorisées par le comité d’audit qui hérite là d’une nouvelle mission. Auparavant, tout est interdit sauf quelques prestations définies par le H3C. De fait, on dit que certains comités d’audit à l’heure actuelle refusent d’accorder des missions de ce type par crainte de sanction. Qu’en pensez-vous ?
Y. N. – Les comités d’audit sont en effet extrêmement frileux et ils ont des raisons : s’ils se trompent, ils encourent une amende du H3C. Cela étant, l’hypothèse dans laquelle un cabinet accepterait une mission interdite est hautement improbable car il risquerait une interdiction d’exercer. Personne ne prendrait ce risque, ce serait du suicide ! Néanmoins, des associations d’entrepreneurs ont donné pour consigne à leurs membres de ne plus donner de missions complémentaires. Conséquence ? Elles sont confiées à des consultants non réglementés dont le chiffre d’affaires est en train de bondir. Le fait d’être soumis à une déontologie nous pénalise donc économiquement. Pour résoudre ce problème, nous avons travaillé avec l’Afep, le Medef, Middlenext, l’ANSA et l’IFA sur l’élaboration d’un guide à l’usage des comités d’audit pour les aider sur ces sujets. Le maintien de missions complémentaires est capital pour nous à double titre. D’abord, pour éviter la concentration. Pour les petits cabinets, les contraintes réglementaires, le coût des appels d’offres, la chute constante des prix de l’audit rendent cette activité de moins en moins rentable. Si les missions complémentaires disparaissent, ils arrêteront tout simplement l’audit. Pour les plus grands, pouvoir proposer des activités autres que l’audit à nos collaborateurs est le moyen d’attirer et de garder les meilleurs. Les Big Four n’excluent pas l’hypothèse de cesser un jour l’audit légal si le contexte réglementaire continue de s’alourdir et fait perdre à la profession toute attractivité, y compris économique.
LPA – L’ordonnance a été complétée par un décret3 qui définit les nouvelles missions du H3C. On a le sentiment à sa lecture qu’après être passée de l’autorégulation à la régulation partagée en 2003 avec la loi de sécurité financière qui réagissait à la bulle internet, cette fois, dans le prolongement de la crise des subprimes, la profession passe entièrement sous le contrôle d’un organe extérieur.
Y. N. – La réforme européenne confère en effet un pouvoir énorme au H3C. La Compagnie devient son délégataire sur la plupart des grands sujets. Le H3C était déjà en charge du contrôle qualité mais il ne peut plus déléguer ce contrôle à la Compagnie en ce qui concerne les EIP. Les autres contrôles pourront être délégués aux compagnies régionales, mais en tout état de cause les conclusions remonteront au H3C. Plus radicale est la réforme concernant les inscriptions. Elles relevaient jusqu’ici de la compagnie régionale compétente, sous l’égide de la cour d’appel. Désormais, elles sont gérées par le H3C, mais avec une possibilité de délégation en cours de négociation. C’est une mission très lourde car elle concerne non seulement les inscriptions, mais aussi toute modification juridique dans la vie du confrère et de son cabinet. Un autre sujet qui tombe dans le champ de compétence du H3C, c’est celui de la formation obligatoire de 20 heures annuelles homologuées par la compagnie. Ces formations seront donc orientées désormais par le H3C. En revanche, son contrôle devrait nous être délégué.
LPA – L’un des nouveaux pouvoirs du H3C consiste dans la possibilité d’infliger des amendes pécuniaires en matière disciplinaire. Jusqu’ici les commissaires aux comptes n’encouraient que des interdictions temporaires ou définitives d’exercer. Désormais, ils peuvent se voir infliger des amendes allant jusqu’à 250 000 €.
Y. N. – Ce n’est pas la seule nouveauté disciplinaire. En réalité, toute la discipline relève désormais du H3C. Jusqu’ici, cette compétence revenait aux chambres régionales, avec appel devant le H3C. Désormais, le H3C est juge de première instance des questions disciplinaires concernant des EIP avec recours devant le Conseil d’État. Les autres cabinets seront traités par des chambres régionales de discipline. Pour cette mission, le H3C a recruté un rapporteur général. Avant, quand il y avait une plainte contre un CAC, cela allait au PG de la cour qui en parlait à la Compagnie, et ça finissait souvent en conciliation. Beaucoup de plaintes sont absurdes, par exemple un actionnaire qui se plaint du CAC parce que le cours de l’action baisse. Le problème de la réforme c’est que le H3C va être obligé d’ouvrir une enquête. Il ne peut pas apprécier l’opportunité des poursuites et ne peut pas classer sans suite. L’instruction devient donc obligatoire. Pour en revenir aux sanctions pécuniaires, elles sont très lourdes et concernent non seulement le cabinet, mais aussi les associés et collaborateurs au sens large ainsi que les comités d’audit des entreprises.
LPA – Depuis le lancement de la réforme en 2010, la profession émet des craintes sur le fait que la sur-réglementation va nuire à la qualité de l’audit. Pourquoi ?
Y. N. – Les sept plus grands cabinets (les Big Four, Mazars, Grant Thornton et BDO) sont inspectés tous les ans ; ceux qui ont des mandats EIP tous les trois ans et les autres tous les six ans. Or les cabinets qui ont très peu de mandats EIP – on dénombre une centaine de cabinets qui n’ont qu’un seul mandat – sont tentés d’arrêter car les contraintes deviennent trop lourdes. Le H3C confond mandat EIP et cabinet EIP, on peut avoir 100 mandats et un seul EIP. À cela s’ajoutent les appels d’offres, lourds, complexes et coûteux. Depuis le départ nous mettons en garde sur ce sujet. La réforme avait pour objectif de déconcentrer le marché en raccourcissant de force les mandats pour obliger les cabinets à permuter. Mais le résultat c’est que les contraintes réglementaires sont si lourdes que seuls les grands ont les moyens de les supporter. Ce qui va renforcer la concentration.
LPA – Un autre décret doit réformer le code de déontologie pour tenir compte notamment du fait que la directive prévoit que tout ce qui n’est pas interdit au commissaire aux comptes est autorisé alors que jusqu’ici en France toutes les prestations étaient interdites excepté celles qui étaient expressément permises. Cette autorisation est néanmoins limitée par le fait que les honoraires des prestations non audit ne doivent pas dépasser 70 % du total des honoraires sur trois ans. Où en est-on ?
Y. N. – Plusieurs versions du projet de décret nous ont été soumises et ne nous convenaient pas, la Chancellerie a corrigé après avis du Trésor. La dernière version qui vient d’être envoyée au Conseil d’État mais aussi au H3C, à l’AMF et à l’ACPR pour avis nous paraît satisfaisante. Nous avons pointé le risque de sur-transposition et avons été entendus. Désormais, nous devons être attentifs pour que le texte ne se re-complexifie pas.
LPA – Que contient ce nouveau code de déontologie ?
Y. N. – Plusieurs éléments qui ne sont pas nouveaux mais nécessitaient une mise à jour suite à la réforme européenne. D’abord, la liste des missions interdites à l’auditeur. Ensuite, les différentes incompatibilités relatives aux liens professionnels, personnels, d’intérêt entre l’entreprise et le commissaire aux comptes. Les règles relatives aux liens personnels étaient très exagérées puisqu’elles nous interdisaient de devenir commissaire aux comptes si un membre de la famille proche avait un lien avec l’entreprise (ascendants, descendants, conjoint), ce qui est normal, mais aussi un membre éloigné. Par exemple, un cousin germain travaillant dans le groupe pouvait poser problème. Ces interdictions ajoutées aux contraintes de la rotation devenaient paralysantes. Et il en allait de même pour les liens financiers. Le texte a été corrigé. Nous savons que l’AMF et l’ACPR l’examineront pour avis et que le H3C attend ces avis pour lui-même se prononcer. Le code devrait sortir aux alentours de février. D’ici là, nous restons soumis au code actuel.
Notes de bas de pages
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1.
Ord. n° 2016-315, 17 mars 2016, relative au commissariat aux comptes.
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2.
L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; L. org. n° 2016-1690, 9 déc. 2016, relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte. Elles sont parues au JO n° 0287, 10 déc. 2016.
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3.
D. n° 2016-1026, 26 juill. 2016, pris pour l’application de l’ord. n° 2016-315, 17 mars 2016, relative au commissariat aux comptes.