« On ne pose pas la question de fond : quelle régulation voulons-nous en Europe ? »

Publié le 03/09/2018

La publication au mois de juin dernier du rapport de Cambourg sur l’avenir de la profession de commissaires aux comptes dans le contexte de la remontée des seuils soulève un grand nombre de débats. Olivier Salustro estime que la principale question a été occultée du débat, à savoir quelle régulation veut-on en France et en Europe  ? Pour lui, l’audit légal obligatoire est indispensable à la protection de l’intérêt public dans une économie comme la nôtre.

Les Petites Affiches 

Vous avez créé, au moment de l’annonce de la remontée des seuils d’audit – CAC en mouvement – de quoi s’agit-il  ?

Olivier Salustro

C’est un collectif de compagnies régionales, précisément 17 sur un total de 33, qui se sont réunies pour créer une plate-forme, cac-enmouvement.fr, dans le but de défendre une certaine vision de la profession et de proposer des solutions au gouvernement. Notre site nous permet de faire connaitre nos propositions, par exemple sur la création d’un audit adapté aux PME, mais aussi à travers la publication du projet de loi PACTE et des positions de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et celles du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), d’organiser la consultation de toutes les parties intéressées (entreprises, commissaires aux comptes et décideurs locaux) ce qui précisément n’a pas été mis en œuvre par le gouvernement. Je précise que ce mouvement est apolitique et asyndical. « CAC en mouvement » rassemble plus des deux tiers de commissaires aux comptes inscrits. Nous faisons également du lobbying notamment auprès des présidents de région pour leur expliquer les enjeux de la réforme et l’importance de défendre la régulation dans les territoires. Nous nous battons ensemble pour démontrer l’utilité de notre métier et défendre nos confrères.

LPA

Quel regard global portez-vous sur le rapport de Cambourg  ?

O. S. 

Je regrette qu’il n’aborde pas la question de fond qui est  : quelle régulation souhaitons-nous en France et en Europe  ? Les entreprises anglo-saxonnes se financent sur les marchés financiers, elles relèvent naturellement de la surveillance des régulateurs de marché et accessoirement de la profession d’audit, étant précisé que l’audit n’est pas obligatoire. À l’inverse, notre tissu économique est composé à 98 % de TPE/PME qui fonctionnent essentiellement grâce aux crédits interentreprises et aux crédits bancaires. Dans un tel schéma, il est capital d’organiser une régulation déconcentrée à travers un audit légal obligatoire comme c’est le cas jusqu’à présent en France, mais également dans la plupart des autres États membres. Or ce débat sur la régulation a été totalement éludé de la réforme. Indépendamment de cela, le rapport est une compilation des solutions proposées par les uns et les autres, certaines sont intéressantes, d’autres non.

LPA

La mesure phare est la création d’un audit légal PE si longtemps refusée par les instances nationales par crainte de créer un audit à deux vitesses…

O. S. 

L’audit proposé est optionnel. Or, à mon sens, le caractère optionnel du contrôle des comptes va à l’encontre de l’intérêt général. Par ailleurs, le dispositif transitoire pose à mon avis un problème juridique. On nous explique que l’audit légal PE sera obligatoire durant la phase transitoire de trois ans et que ce sera une alternative à l’audit légal classique également obligatoire durant la même période. Puis, à l’issue de ces trois ans, l’audit légal PE deviendra optionnel. Cela me paraît compliqué de transformer une mission obligatoire en mission facultative. En tout état de cause, je rejoins le H3C qui a eu l’occasion de dire que la protection de l’intérêt général n’est assurée que par un audit légal obligatoire. Contrairement aux États-Unis, nous pensons en Europe que l’intérêt général ne se réduit pas à la somme des intérêts particuliers. Or c’est ce débat que la réforme est en train d’escamoter.

LPA

S’agissant des groupes, le gouvernement prévoit que le calcul du seuil se fera globalement et non par entité et que le groupe qui sera au-dessus de 8 millions d’euros devra faire auditer la société de tête. Votre profession rétorque que les vrais risques sont dans les filiales. Le rapport de Cambourg préconise en conséquence la création d’un seuil intermédiaire de 4 millions d’euros pour les filiales, qu’en pensez-vous  ?

O. S.

Rajouter un seuil témoigne que nos préoccupations ont été entendues, mais la proposition telle qu’elle est présentée n’est pas forcément une bonne idée. D’abord, beaucoup de petits groupes sont constitués de filiales qui sont en-dessous de ce seuil. Ensuite, certains risquent de procéder à des découpages d’activité pour demeurer sous la barre des 4 millions et s’épargner un audit obligatoire de leurs filiales. Au sein de « CAC en mouvement », nous préconisons un seuil intermédiaire de 3,5 millions d’euros, accompagné d’une obligation de couverture de 70 % du chiffre d’affaires du groupe. Autrement dit, il faut que 70 % du chiffre d’affaires ait été examiné par un auditeur, soit par un audit légal classique, soit par un audit adapté.

LPA

Votre audit adapté, qui est le même que celui d’ECF, se distingue de celui préconisé par le rapport de Cambourg…

O. S. 

Nous avons en effet ôté tout ce qui n’était pas utile, ce qui nous permet de proposer pour un prix 50 % inférieur, une qualité équivalente à celle d’un audit classique. Il arrive en effet que l’on passe plus de temps à justifier le fait qu’on ne procède pas à certaines diligences qu’à réaliser l’audit lui-même. On est passé en l’espace d’une dizaine d’années d’un audit intelligent à un audit purement formel, inscrit dans un schéma de précaution. C’est tout cela que nous avons révisé. Notre modèle d’audit adapté a été présenté dès le mois de janvier à la Compagnie nationale, mais à cette époque elle continuait à défendre son totem : « un audit est un audit », autrement dit à défendre un audit unique quelle que soit la taille de la société concernée. À cette époque, le H3C n’avait pas encore fait sa religion. C’est petit à petit que le mouvement n’a cessé de s’amplifier. Aujourd’hui, la CNCC prône un audit PME, tandis que le H3C préconise, si le gouvernement maintient la remontée des seuils – acte que le régulateur ne semble pas cautionner – un examen de la situation de l’entreprise qui ne serait pas un audit à proprement parler mais aurait un caractère imposé.

LPA

Pourquoi avoir attendu d’être au pied du mur pour admettre enfin la nécessité de cet audit adapté qui, s’il avait existé, aurait peut-être évité la brutale remontée des seuils  ?

O. S. 

Nous sommes une profession de techniciens qui n’ont pas compris qu’un jour ou l’autre le pouvoir politique ne se contenterait plus de mettre le sujet à l’ordre du jour tous les trois ans, puis d’entériner une légère modification d’un seuil ou d’un autre. Le changement a fini par arriver. Beaucoup d’entreprises ont du mal à comprendre notre utilité parce qu’elle s’exprime davantage en direction des tiers que de l’entreprise elle-même. Mais dans un monde de plus en plus interconnecté il faut maintenir une surveillance car la confiance est capitale, sinon le système peut très vite se gripper. Pour l’instant, les indicateurs économiques sont plutôt bons, on s’éveille d’une longue hibernation, mais c’est précisément dans ce genre de période qu’il faut préparer les lendemains moins chantants et anticiper les difficultés.

LPA

Quelle gouvernance voyez-vous pour la profession  ? Celle-ci peut-elle continuer à avoir deux institutions relevant de deux ministères de tutelle  ?

O. S. 

« CAC en mouvement » ne se prononce pas sur les questions politiques. À titre personnel, j’estime que la fusion n’aura de sens que si elle est réalisée de manière raisonnable et équitable et surtout pas dans le contexte de frénésie actuelle. Sur le fond, je pense que chaque institution devra conserver une autonomie. L’ADN de l’auditeur, c’est l’indépendance, et son corollaire, la responsabilité pénale, tandis que l’expert-comptable est un consultant et un accompagnateur. C’est cette différence qu’il faudra savoir organiser dans le cadre d’un rapprochement des institutions. Je comprends bien l’intérêt d’une profession unique qui en rassemblant experts-comptables, commissaires aux comptes et comptables d’entreprises nous donnerait un poids considérable, mais il ne faut pas y aller n’importe comment.

 

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