Et si la France montrait l’exemple en créant un audit dédié aux PME ?

Publié le 08/08/2018

Remis au mois de juin dernier au garde des Sceaux et au ministre de l’Économie, le rapport du groupe de travail, piloté par Patrick de Cambourg, sur l’avenir de la profession de commissaire aux comptes propose un audit adapté aux PME ainsi que diverses pistes pour amortir le choc que va constituer pour la profession la remontée des seuils d’audit au niveau européen. On estime en effet la perte de chiffres d’affaires à 800 millions sur un volume annuel de 2,4 milliards d’euros. Jean-Luc Flabeau, président d’ECF, est un fervent défenseur de la création d’un audit adapté aux PME. Il nous en explique les enjeux et commente pour nous le séisme que représente la remontée des seuils.

Les Petites affiches

Le groupe de travail piloté par Patrick de Cambourg a remis en juillet son rapport sur l’avenir de la profession de commissaire aux comptes. Quel est votre sentiment général sur les propositions qui sont faites ?

Jean-Luc Flabeau 

Ce rapport est globalement satisfaisant dans la période de forte incertitude actuelle. Si l’on m’avait présenté ses préconisations avant l’annonce de la remontée des seuils d’audit obligatoire, j’aurais bien évidemment trouvé qu’il était très négatif, mais en l’état, il faut s’en satisfaire car il tire parti au mieux de la situation. Notamment parce ce qu’il s’emploie à défendre l’audit légal en préconisant un audit dédié aux petites entreprises et parce qu’il organise une période transitoire de trois ans durant laquelle il maintient un audit obligatoire tout en permettant aux professionnels et aux entreprises de se familiariser avec l’audit adapté. Grâce à ce dispositif, la profession conserve une présence dans les entreprises et a une chance de convaincre de son utilité.

LPA

Suite à l’annonce par le gouvernement de la remontée des seuils, ECF a été le premier à répondre par une proposition d’audit adapté aux PME, suivi par la CNCC et d’une certaine façon par le H3C. Que s’est-il passé pour que soudain cet audit adapté jusqu’ici décrié suscite un intérêt nouveau ?

J.-L. F. 

Quand je lis en effet en page 16 du rapport qu’il est « possible et souhaitable de promouvoir un audit adapté aux PME », je songe que ça fait 15 ans que nous défendons en vain cette idée chez ECF, depuis l’adoption de la loi de sécurité financière qui a durci en France la réglementation de l’audit en réaction aux scandales financiers de l’époque. Les nouvelles règles ont été pensées alors sur le modèle des grands groupes cotés et nous avons tout de suite vu que ça ne conviendrait pas aux PME. La nouvelle directive européenne adoptée en 2015 a aggravé le phénomène. Certes, la réglementation est produite par les pouvoirs publics, mais la Compagnie nationale est allée parfois plus loin que les régulateurs eux-mêmes. Tout le monde est parti dans une course à la réglementation en oubliant les besoins des PME mais aussi des auditeurs. Nous avons de plus en plus de mal à intéresser les jeunes à ce métier en raison des formalités auxquelles nous sommes astreints au cas où nous-mêmes serions contrôlés. Le projet de loi PACTE m’inquiète énormément, mais il a le mérite de faire réagir. La compagnie a évolué dans ses positions, le H3C aussi.

LPA

La proposition d’audit légal PE n’est pas tout à fait la même que la vôtre…

J.-L. F.

Notre démarche a consisté à prendre pour base de réflexion une mission type de 40 heures facturée environ 4 000 euros, ce qui correspond à l’audit d’une petite PME et à retirer tout ce qui relevait d’un formalisme inutile car inadapté. Tâche par tâche, nous avons dégraissé pour parvenir à une économie de 40 % du temps passé. Par exemple, nous avons retiré le rapport sur les conventions réglementées ou encore la lettre de mission et les confirmations de tiers. À l’arrivée, nous obtenons un audit de qualité égale mais débarrassé de tout ce qui était inutile à l’entreprise, à l’intérêt général et aux pouvoirs publics. Nous avons présenté nos travaux au congrès EFC du 6 février dernier et transmis nos conclusion à Bercy et au ministère de la Justice. À l’époque, notre projet s’inscrivait encore dans le cadre d’un audit obligatoire. Mais c’était en février. Lors des échanges que nous avons eus par la suite, nous avons compris que le gouvernement ne voulait plus entendre parler d’audit obligatoire dans les PME. Le rapport de Cambourg propose précisément un audit volontaire, je le regrette mais je pense qu’il n’y a pas d’autre solution. En tout cas en l’état. La situation peut évoluer. D’où l’importance de cette période transitoire. Alors que nous avons simplement ôté le formalisme inutile, la proposition d’audit légal PE du rapport retire aussi les actes inutiles, mais enrichit la mission d’une analyse des risques. Je ne suis pas totalement convaincu qu’on puisse réduire nos heures tout en faisant des missions supplémentaires. Le projet d’audit adapté de la Compagnie a suivi une logique similaire en proposant un audit PME enrichi dont le business plan me paraît, quant à lui, carrément intenable. Ce qui montre au passage que la Compagnie ne parvient pas à changer de logiciel et reste attachée à l’idée d’un audit unique. La commission de Cambourg a été plus prudente en faisant en sorte que le modèle soit viable pour les cabinets, mais j’ai quand même un doute sur la mission relative aux risques. La période transitoire doit nous permettre de convaincre les entreprises que cet audit adapté peut leur être utile et dont, au terme de la période de trois ans où il sera obligatoire, de continuer d’y souscrire volontairement. En l’état, tout le monde invoque le modèle anglais dont le taux de conversion de l’obligatoire vers le volontaire s’est élevé à 50 %. Personnellement, je suis convaincu que si la transformation est brutale, sans période transitoire ni proposition d’un nouvel audit, le taux de conversion sera très faible. D’où l’importance vitale de nous laisser le temps de convaincre en développant un vrai référentiel PME. Alors on pourra espérer une conversion de l’ordre de 50 ou 60 %.

LPA

Dans sa communication du 14 juin, qui est la transcription de la position qu’elle a transmise au groupe de Cambourg, le H3C estime que seul un audit obligatoire est conforme aux nécessités de la préservation de l’intérêt général. Qu’en pensez-vous ?

J.-L. F.

Je comprends la position du H3C au regard de sa mission de défense de l’intérêt général, et je la partage, bien sûr que l’idéal c’est un audit obligatoire, mais ce n’est pas la direction que prend le gouvernement. Si nous avions créé un département PME à la Compagnie comme ECF le réclamait, et développé un audit adapté aux PME, peut-être qu’aujourd’hui nous échapperions à la remontée des seuils. Au moins y aurait-il des voix pour défendre notre utilité. Malheureusement, nous avons laissé l’audit s’éloigner beaucoup trop des besoins des entreprises. Personne ne nous défend. Il faut donc, au non du principe de réalité, accepter l’idée d’un audit optionnel. Nous avons demandé à ce qu’on se donne rendez-vous dans trois ans pour dresser un bilan de la réforme. Il peut se passer beaucoup de choses en trois ans…. On a été trop loin en faveur de l’intérêt général au détriment de l’intérêt des entreprises. Il va falloir trouver une voie médiane qui concilie les deux.

LPA

Concernant les groupes, le rapport ajoute au projet gouvernemental consistant à calculer le seuil sur le chiffre d’affaires cumulé des entités du groupe et à auditer la mère, la proposition d’auditer aussi les filiales au-dessus de 4 millions de CA. Vous n’êtes pas satisfait, pourquoi ?

J.-L. F.

Un groupe de sociétés se caractérise par une plus forte complexité juridique, fiscale, comptable et financière qu’une société. Sans compter les dirigeants qui créent des groupes dans le but d’opacifier leur gestion, ce n’est pas la majorité mais ça existe. Dans ce cadre, supprimer l’audit dans les filiales n’est pas une bonne idée. À quoi bon contrôler la holding qui ne détient que des titres quand précisément l’activité et les facteurs de risques se situent dans les filiales qu’on n’auditera plus ? Prenons l’alerte, c’est toujours dans les filiales qu’il y a un problème, mais on ne pourra pas alerter car on ne sera pas auditeur de l’entité. Puisqu’on veut réduire la facture, mettons l’audit adapté dans les filiales. Le rapport de Cambourg ajoute un seuil de 4 millions pour qu’on audite les principales filiales, mais Bercy a supprimé les seuils et ne veut pas en réintroduire de nouveaux. Leur solution consisterait à ce que l’entreprise se mette d’accord avec le commissaire aux comptes sur le coût supplémentaire de l’audit des filiales. Ce n’est pas très convaincant mais sur ce point on est confronté à un véritable dogmatisme : il faut supprimer l’audit obligatoire dans les PME. Par ailleurs, cela va concentrer le marché de l’audit. Dans les petits groupes parfois la holding est confiée à un Big Four parce que les investisseurs veulent une marque internationale, tandis que les filiales sont confiées à des cabinets moyens. Si on n’audite plus que la société de tête, forcément on concentre le marché dans les mains des grands réseaux.

 LPA

Ce risque de concentration est attaché également aux propositions concernant les services autres que la certification des comptes ou SACC…

J.-L. F.

Quand on a transposé la directive européenne, la France a choisi d’adopter une seule et même liste de services incompatibles avec l’audit légal alors que Bruxelles retenait une liste plus importante pour les EIP et une plus restreinte pour les non EIP. Ce choix revenait à entériner et poursuivre ce qui se pratiquait en France avant la directive. À la demande du gouvernement, la commission de Cambourg a traqué les cas de surréglementation et donc préconisé un alignement sur Bruxelles. Cela signifie en pratique dans dans les belles sociétés intermédiaires, les cabinets moyens vont perdre les missions qu’ils obtenaient en raison des règles d’incompatibilité qui limitaient la capacité d’action des grands réseaux. Cela va nécessairement réduire le nombre d’acteurs et donc concentrer davantage le marché.

LPA

Les pistes de développement de la profession dans le non-lucratif ne semblent pas vous convaincre, pourquoi ?

J.-L. F.

Si on parvient à se développer dans l’associatif et le public, cela ne peut être qu’à moyen terme, le temps de trouver des missions et de les mettre en place. Or comme je l’ai expliqué au ministère de l’Économie le jour de notre mobilisation nationale, la réforme des seuils va couper la tête d’une partie de la profession. Autrement dit, de nombreux cabinets auront disparu avant qu’on ait le temps de leur proposer des missions de compensation pour assurer leur survie.

LPA

Patrick de Cambourg évoque une perte de chiffre d’affaires comprise entre 600 et 800 millions d’euros, mais qu’il rapporte non pas au CA de 2,4 milliards tiré de l’audit légal d’audit mais à celui de l’ensemble de la profession comptable, soit 14 milliards… n’est-ce pas une manière de dire qu’il faut une seule profession et une seule institution ?

J.-L. F.

Nous devons aller vers une seule institution, à terme. J’insiste sur « à terme ». Déjà en 2016, ECF défendait l’idée d’un rapprochement des instances, mais nous étions les seuls… Nous venons de constater en direct la difficulté d’avoir deux institutions. Bercy a en quelque sorte invité les experts-comptables à ramasser la mise. Pour éviter cette mise en concurrence des instances et des professions par les pouvoirs publics, il faut les rapprocher. Aujourd’hui, tout le monde semble se rendre à cette idée, mais gare à l’emballement. Cela ne doit pas prendre la forme d’une fusion-absorption de la Compagnie par le Conseil supérieur. Les Big Four qui avancent à juste titre qu’ils constituent l’essentiel de l’audit légal en France n’entendent absolument pas se dissoudre dans le Conseil supérieur. Alors le rapprochement oui, mais soigneusement pensé. En tout état de cause, il faut attendre que la loi PACTE soit stabilisée avant d’ouvrir ce chantier.

LPA

La ministre de la Justice a annoncé le report des élections dans les compagnies régionales, cela vous irrite, pourquoi ?

J.-L. F.

Cet automne doivent avoir lieu en principe les élections pour le renouvellement de la moitié des élus des compagnies régionales. Le syndicat IFEC et la CNCC ont demandé le report des élections et la Chancellerie a fini par céder en invoquant le fait qu’à l’automne la loi PACTE serait en cours d’examen et qu’il valait mieux attendre l’adoption du texte pour que les électeurs se prononcent en toute connaissance de cause. Mais je pense précisément qu’ils sont tout à fait aptes à se prononcer en octobre, qu’ils ont pris la mesure des enjeux et qu’au contraire ils ont le droit de se prononcer.

LPA

Pensez-vous raisonnablement que l’audit légal PE a des chances d’intéresser Bercy ?

J.-L. F.

Bercy avance que la remontée des seuils va dans le sens d’un alignement de la France sur Bruxelles. En réalité, cela va concentrer le marché de l’audit alors même que la Commission européenne a clairement évoqué son objectif de déconcentrer le marché lors de l’adoption de la réforme européenne de l’audit. Aussi et surtout, l’adaptation de la comptabilité et de l’audit aux PME est une préoccupation qui est devenue mondiale. Il y a des réflexions sur ce sujet au sein de l’IASB mais aussi dans plusieurs pays. Ce qui manque à ce stade, c’est un grand pays qui s’empare du sujet et décide de concevoir un vrai référentiel dédié aux PME. Alors Bercy peut continuer à vouloir couper la tête des commissaires aux comptes pour faire plaisir aux entreprises, mais le ministère peut aussi prendre une voie plus vertueuse consistant faire en sorte que la France devienne le modèle de l’audit dédié aux PME. Nous avons exactement le tissu économique qui convient et nous pouvons être ce grand pays qui fera avancer les choses…

X