L’audit adapté aux PME n’est plus un tabou

Publié le 22/08/2018

En décidant de remonter les seuils d’audit légal au niveau européen, soit 8 millions de chiffre d’affaires contre des seuils compris actuellement entre 2 et 3 millions en France, le gouvernement va déclencher un séisme dans la profession de commissaire aux comptes. On estime en effet que l’impact de la mesure est compris entre 600 et 800 millions d’euros de perte de chiffre d’affaires sur un volume annuel global annuel de 2,4 milliards. À la demande du gouvernement, un groupe de travail piloté par Patrick de Cambourg propose un certain nombre de mesures destinées à amortir le choc. Explications.

Certes, la profession de commissaire aux comptes se doutait qu’un jour ou l’autre un gouvernement déciderait d’aligner les seuils français d’audit obligatoire sur le seuil européen de 8 millions d’euros de chiffre d’affaires. Mais jusqu’ici la profession avait toujours réussi à échapper à la réforme. Cette fois, ça y est, la mesure est inscrite dans le projet de loi PACTE. Elle s’appuie sur un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) publié en mars dernier qui conclut que les commissaires aux comptes n’ont pas démontré leur utilité dans les PME, ni au regard de la fiabilité des comptes et de la base fiscale, ni sur le terrain de la fraude, pas plus que s’agissant des difficultés des entreprises ou encore de l’accès au crédit. Par ailleurs, leur présence serait aux yeux de Bercy trop souvent redondante avec celle de l’expert-comptable. C’est en s’appuyant sur ce rapport que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, avec l’accord de la ministre de la Justice Nicole Belloubet qui est le ministre de tutelle de cette profession, a décidé d’exonérer quelque 153 000 entreprises (sur un total estimé de 196 000 entreprises commerciales auditées en France) de l’obligation de faire contrôler leurs comptes. L’économie est estimée à 5 000 euros en moyenne par entreprise et par an. Les auditeurs, quant à eux, vont perdre entre 600 et 800 millions d’euros d’honoraires, sur un total annuel de 2,4 milliards. Conscient du séisme occasionné dans la profession, le gouvernement a confié à un groupe de travail présidé par Patrick de Cambourg, président d’honneur du Groupe Mazars et président de l’Autorité des normes comptables (ANC), le soin de rédiger un rapport sur les mesures susceptibles d’accompagner la réforme. Le rapport, publié fin juin, s’articule autour de 6 grandes thématiques : l’audit des PME, l’audit des groupes de sociétés, les mesures transitoires, les pistes de développement de la profession et enfin la gouvernance des instances comptables.

L’audit légal adapté aux PME n’est plus tabou

L’innovation majeure du rapport consiste dans la création d’un audit légal dédié aux petites entreprises, dénommé « audit légal PE ». L’élaboration d’un référentiel d’audit adapté aux PME est un serpent de mer de la profession. Jusqu’à il y a peu, l’idée a toujours été écartée par les institutions au motif qu’elle risquait de donner naissance à un sous audit qui aurait pu dévaloriser la mission. Pourtant, de solides arguments pesaient en sa faveur. Depuis la loi de sécurité financière de 2003 qui a tiré les conséquences du scandale Enron jusqu’à la transposition de la dernière directive européenne sur l’audit transposée par une ordonnance de 2016, la mission n’a cessé d’évoluer vers un formalisme de plus en plus lourd. Si les grands groupes cotés supportent cette contrainte, au demeurant taillée sur-mesure pour eux, en revanche les PME y trouvent de moins en moins leur compte. Il est vrai que de leur propre aveu, les commissaires aux comptes passent souvent plus de temps à justifier le fait de ne pas procéder à certaines diligences inutiles qu’à réaliser l’audit lui-même. Lorsque le gouvernement a annoncé la remontée de seuils, le tabou de l’audit PME a volé en éclats. Les commissaires aux comptes ont estimé en effet qu’il leur restait une chance d’échapper à la catastrophe s’ils parvenaient à convaincre Bercy qu’ils étaient capables d’auditer les PME de façon plus efficace et moins chère. Les compagnies régionales et le syndicat Experts-comptables de France (ECF) ont ouvert le feu en proposant dès janvier de cette année un audit adapté. Leur méthode a consisté à supprimer toutes les diligences purement formelles pour ne laisser subsister que l’essentiel. Ainsi disparaissent par exemple le rapport sur les conventions réglementées ou encore la lettre de mission et les attestations de tiers. Au final, le gain de temps et d’honoraires s’élève à pas moins de 40 % ! La CNCC un peu plus tard a sorti elle-même un projet d’audit adapté. Même le H3C a fait une proposition en ce sens. Le régulateur ne craint pas la perte de chiffre d’affaires. Ce qui l’inquiète lui, c’est l’intérêt collectif. Pour le H3C un audit n’a de valeur que s’il est imposé aux entreprises. Soucieux de ne pas donner le sentiment de contredire le gouvernement, mais inquiet également des possibles effets de la réforme sur la sécurité économique, il a proposé que toutes les sociétés dispensées d’audit légal se soumettent néanmoins à un « examen légal » qui consisterait en un contrôle des indicateurs financiers clés de l’entreprise et des vérifications ciblées sur les principales sources de risques pour l’entreprise et son environnement en particulier ceux attachés à la continuité d’exploitation, aux délais de paiement, au crime financier et à la cybercriminalité.

L’importance stratégique de la période transitoire

C’est donc fort de toutes ces propositions que le groupe de travail piloté par Patrick de Cambourg a conçu un « audit légal PE ». Celui-ci reposerait sur le triptyque suivant : la délivrance d’une attestation de sincérité et de régularité comptables, la remise d’un rapport prospectif sur les risques auxquels est confrontée l’entreprise et la délivrance d’attestations spécifiques à valeur ajoutée. L’idée consiste, comme dans la démarche d’ECF, à retirer toutes les diligences superflues. Mais le groupe de travail a voulu aussi apporter une valeur ajoutée aux entreprises en transformant certaines diligences accomplies en vue de la certification, mais dont l’auditeur conserve les conclusions pour lui, en attestations et rapports utilisables par le chef d’entreprise. Conscient que le gouvernement était fermement décidé à supprimer l’audit obligatoire en-dessous de 8 millions de chiffre d’affaires, le groupe de travail a choisi de proposer un audit légal PE optionnel. Mais pour laisser aux professionnels le temps de convaincre les entreprises, il a imaginé une période transitoire destinée à servir à la fois d’amortisseur pour la baisse du chiffre d’affaires et de tremplin vers une nouvelle relation auditeurs/entreprises. Ainsi, un an après la publication de la loi, les mandats d’audit des sociétés en-dessous de 8 millions s’interrompront pour que toutes les entreprises soient égales face au nouveau dispositif quelle que soit la durée des mandats d’audit restant à courir chez les unes et les autres. À partir de là, elle devront opter pour un audit légal classique ou un audit PE, sachant que les deux seront obligatoires pendant trois ans. Et ce n’est qu’à l’issue de cette période que la réforme prendra son effet. La période transitoire est censée laisser le temps aux cabinets de gérer la perte de chiffre d’affaires mais aussi de convaincre les entreprises de l’utilité du nouvel audit adapté. En Grande-Bretagne, le taux de conversion de l’audit légal à optionnel a été de 50 % mais beaucoup de professionnels doutent qu’il en soit ainsi en France si aucune mesure transitoire n’est mise en œuvre. D’où l’importance stratégique de ce dispositif. Reste à savoir si le gouvernement acceptera de retarder d’autant le cadeau d’environ 5 000 euros annuels d’honoraires qu’il entend faire aux PME et qui tombe au moment où celles-ci vont devoir s’organiser pour gérer le prélèvement à la source…

La question des groupes de sociétés

Concernant l’audit des groupes, le rapport de l’IGF a aperçu le risque qu’il y avait à ce qu’un groupe constitué de sociétés en dessous du seuil échappe à l’audit alors que le chiffre d’affaires global serait, lui, au-dessus du seuil. Il a donc préconisé que ce soit ce chiffre d’affaires qui soit pris en compte pour le calcul du seuil et que les groupes dépassant 8 millions d’euros soient astreints a faire auditer les comptes de la société mère. Le rapport de Cambourg y ajoute l’audit légal des filiales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 4 millions d’euros pour répondre aux objections des professionnels qui signalent que l’audit de la mère est souvent sans intérêt dès lors que l’activité et les risques sont dans les filiales.

Enfin, concernant l’avenir de la profession, le rapport préconise l’exploration de pistes de développement de nouvelles missions dans le secteur public et le secteur non lucratif. On se demande comment il va être possible de justifier qu’une profession jugée sans utilité démontrée dans les entreprises puisse s’avérer indispensable dans d’autres secteurs… Aussi et surtout, des responsables institutionnels alertent sur le fait qu’il y a urgence, or, les pistes évoquées par le rapport relèvent du moyen terme tandis que la mort annoncée de nombreux cabinets est imminente. Dernière proposition du rapport : créer une plate-forme commune entre la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et le Conseil supérieur des experts-comptables pour gérer la situation des professionnels touchés par la réforme. Ceux-ci exercent en effet généralement les deux métiers, d’où l’intérêt d’une action concertée des institutions. À terme, se dessine la fusion probable des deux professions en une seule… Une réforme de la gouvernance depuis très longtemps en débat et que la réforme des seuils rend brutalement d’actualité.

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