Sûreté consentie par une SCI : les critères de contrariété à l’intérêt social se précisent !

Publié le 17/04/2018

La sûreté consentie par une SCI, en garantie des dettes d’un tiers, est valable si sa mise en jeu n’entraîne pas la disparition de son entier patrimoine : c’est le cas quand la valeur de l’immeuble qui lui sert d’assise est supérieure à la créance garantie, de sorte que les sommes devant revenir à la société permettent la réalisation de son objet social.

Cass. 3e civ., 21 déc. 2017, no 16-26500, ECLI:FR:CCASS:2017:C301349

Troisième chambre civile et chambre commerciale de la Cour de cassation exigent, à peine de nullité absolue1, que la sûreté consentie par une société civile, ne soit pas contraire à son intérêt social2. Les deux chambres s’emploient au fil du temps à préciser les critères de cette contrariété. Celle-ci résulte d’un risque de disparition dont la jurisprudence permet, aujourd’hui, de délimiter les contours, mais ce risque, loin d’être analysé de manière isolée, implique une appréciation globale de l’opération : il peut être compensé par une contrepartie suffisante, de nature à le justifier au regard de l’intérêt social.

I – Le risque de disparition de la société

Jamais définie en jurisprudence, la notion d’intérêt social ne fait pas l’objet d’une conception unitaire en doctrine. Certains le définissent comme l’intérêt commun des associés, quand d’autres y voient celui supérieur de la société, M. Paillusseau ayant également proposé une analyse économique, afin de prendre en considération celui des salariés et des créanciers de la société3. En refusant que la seule conformité de l’opération à l’objet statutaire, défini par les associés, ou que le vote de ces derniers, fût-il unanime, suffise en la matière, la troisième chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation consacrent les propositions qui visent des intérêts supérieurs à ceux des associés. L’appréciation par le juge, de l’opportunité de la décision, reste toutefois limitée puisque la contrariété à l’intérêt social implique un risque de disparition de la société. La solution, loin d’être nouvelle, tend à se généraliser si l’on prend en considération certaines décisions rendues, dès les années 1990, en matière de lettre d’intention4. On rappellera, à ce titre, un arrêt par lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation, a jugé que l’engagement « de faire ses meilleurs efforts », pour permettre à sa filiale de faire face à ses obligations, ne pouvait aller jusqu’à menacer la survie d’une société-mère. Cette référence à l’intérêt social contribue à une exigence de proportionnalité en droit des sûretés. S’agissant du cautionnement hypothécaire, consenti par une SCI en garantie des dettes d’un tiers, la sûreté sera ainsi sanctionnée de nullité absolue, lorsque, portant sur l’unique immeuble de son patrimoine, sa réalisation provoquerait la disparition de la société. La troisième chambre civile de la Cour de cassation vient toutefois d’apporter une précision importante en la matière, en jugeant que l’hypothèque ainsi consentie, restait valable, lorsque la valeur de l’immeuble qui en était l’objet, excédait le montant de l’engagement de la SCI, de telle sorte que la mise en jeu de la garantie ne pouvait pas entraîner la disparition de l’entier patrimoine de la société : la haute juridiction s’est, à ce titre, retranchée derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui avaient considéré que la SCI pouvait réinvestir les sommes lui revenant après la vente, en vue de réaliser son objet social. Cette décision rassurera sans doute les bénéficiaires de ce type de sûretés, car la prudence invite le créancier à prendre une hypothèque sur un bien d’une valeur supérieure aux droits qu’il entend garantir : il s’agit, en particulier, de s’assurer une marge destinée à se prémunir contre les aléas du marché immobilier, ou ceux liés à une vente forcée du bien. Elle n’en suscite pas moins certaines réflexions et interrogations. Des réflexions tout d’abord. S’agissant d’une question de validité, c’est au moment de la conclusion de la garantie qu’il convient de se placer pour apprécier le risque de disparition, indépendamment d’une éventuelle diminution de la valeur de l’immeuble au moment de la réalisation de la sûreté. On notera, par ailleurs, que l’annulation de la sûreté n’est pas liée à la reconnaissance d’une éventuelle faute dans la distribution du crédit, en particulier à la probabilité du risque de défaillance du débiteur.

En revanche, la référence à la possibilité de poursuivre l’activité de la société, malgré la réalisation de la sûreté, implique la réunion de deux conditions : que l’objet statutaire n’ait pas été limité à des opérations propres à l’immeuble hypothéqué ; que les sommes revenant à la société soient suffisantes en la matière, ce qui semble relever du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Les bénéficiaires de la sûreté seront à ce titre prudents de respecter une certaine marge entre le montant de leur créance et la valeur du bien remis en garantie, en particulier ceux de second rang et autres rangs inférieurs, appelés à tenir compte des sûretés déjà inscrites.

Au-delà de ces réflexions, l’arrêt rendu par la haute juridiction suscite certaines interrogations.

Outre le montant de la marge à respecter, on peut en effet s’interroger sur la solution à adopter en cas de surévaluation du bien. Le créancier serait sans doute responsable si ses services y procédaient eux-mêmes, mais quelle solution retenir s’il fondait son analyse sur l’estimation réalisée par un notaire, ou une agence immobilière ? Il ne commettrait sans doute aucune faute, en dehors d’une anomalie apparente pouvant toujours être reprochée à un banquier ! La question ne s’en pose pas moins de savoir si cette attitude aurait une influence quant à la validité de la sûreté. Faudrait-il retenir pour apprécier cette dernière, un critère objectif, c’est-à-dire, la valeur réelle du bien, en considérant que son insuffisance faisait peser un risque inacceptable de disproportion de l’engagement, ou faudrait-il retenir, la valeur supposée au regard de l’apparence créée par l’estimation fournie ? Une autre question mérite d’être posée : dans l’arrêt rendu par la troisième chambre civile, les juges du fond avaient pris en considération la valeur de l’immeuble au moment de la constitution de l’hypothèque, mais quelle solution adopter si, compte tenu des remboursements effectués, le prix de vente devait permettre, malgré tout, un réinvestissement de nature à assurer la réalisation de l’objet social ? Considérer la sûreté comme valable ne serait sans doute pas choquant au regard des solutions applicables en matière de cautionnement contracté par une personne physique. Le créancier peut en effet efficacement appeler celle-ci à exécuter son engagement, si la disproportion qui existait au moment de la conclusion de la caution, a depuis disparu.

Pour autant, alors que cette solution est expressément prévue par les textes qui régissent cette sûreté5, aucun ne prévoit cette solution à propos de celles consenties par une société. Au contraire, la sanction affirmée par la jurisprudence, la nullité absolue, invite à se placer au moment de l’engagement de cette dernière pour apprécier le risque de sa disparition.

L’existence d’un tel risque est-il suffisant pour déterminer la contrariété de la sûreté à l’intérêt social ? Une réponse négative s’impose ! Les arrêts rendus à ce propos conduisent à une analyse plus globale invitant à s’interroger sur l’existence d’une éventuelle justification du risque.

II – La justification du risque

En faisant référence à la fois au risque de disparition de la société et à l’absence de contrepartie reçue par celle-ci, certains arrêts ont soulevé la question du caractère cumulatif, ou alternatif, des critères de contrariété à l’intérêt social6. Un arrêt validant la sûreté alors même qu’elle grevait l’entier patrimoine de la société7, permet d’affirmer que c’est la réunion des deux qui conduit à la nullité de l’engagement. Ainsi, le risque de disparition de la société peut être justifié de plusieurs manières. Il est d’abord possible que le crédit consenti assure la constitution du patrimoine social. On peut à ce titre citer une affaire où une banque avait accordé un crédit à un associé afin de libérer son apport en numéraire ce qui avait fourni à la SCI les moyens d’acquérir son patrimoine immobilier. L’opération avait été garantie par le cautionnement solidaire de la SCI qui avait, par ailleurs, consenti une promesse d’affectation hypothécaire sur les immeubles acquis. Bien que l’engagement pris, exposa la société à un risque de disparition, il n’en fût pas moins considéré comme conforme à son intérêt social : sans lui, la société n’aurait pas pu se doter d’un patrimoine immobilier pour tirer des revenus du bail, consenti au débiteur garanti8.

L’intérêt du groupe peut également être pris en compte dès lors que la disparition de celui-ci entraînerait celle de la société garante. Il en va ainsi lorsque, dans le cadre d’un plan de sauvegarde, la sûreté vise à garantir le remboursement d’avances nécessaires à la continuité de l’exploitation des autres sociétés du groupe9 : le risque probable de disparition de la SCI, en l’absence de crédit accordé à ces dernières, justifie le risque possible lié au défaut de remboursement des avances garanties. L’intérêt du groupe peut-il justifier le risque pris dans d’autres circonstances ? Rien n’est moins sûr ! Sans doute la chambre commerciale de la Cour de cassation a-t-elle jugé qu’une SCI avait intérêt à favoriser le développement de sa société-mère dont elle avait garanti les engagements à l’égard d’un tiers. Il s’agissait toutefois, dans son arrêt, de se prononcer sur le caractère gratuit de l’acte consenti pendant la période suspecte, et en conséquence, sur son annulation au regard de l’article L. 632-1 du Code de commerce10 : il n’est pas certain que la reconnaissance, en la matière, d’une contrepartie liée au développement de la société-mère, pour refuser la qualification d’acte gratuit, puisse compenser au regard de l’intérêt social, le risque pris par la garante sur son patrimoine. Certains arrêts, plus anciens, invitent à la plus grande réserve en la matière11.

D’autres contreparties peuvent également être prises en considération pour apprécier la conformité de la sûreté à l’intérêt social. On peut penser à l’existence de sûretés croisées, ou à celle d’une rémunération de la sûreté litigieuse. On rappellera, sur ce dernier point, qu’une telle rémunération ne peut cependant être que ponctuelle, afin de ne pas conférer à la société la qualité de commerçant et de respecter le monopole accordé aux établissements de crédit12. La contrepartie peut-elle résulter des loyers attendus par un locataire dont la SCI garantirait les engagements à l’égard d’un tiers ? Des arrêts, rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation, pourraient être cités en ce sens13, mais la solution reste incertaine au regard d’un autre arrêt, rendu par la troisième chambre civile de la haute juridiction. Dans ce dernier arrêt, la troisième chambre civile a pris en considération le défaut de proportionnalité entre l’engagement souscrit et l’avantage retiré du cautionnement, pour juger que la SCI avait agi contre son intérêt14. Cette dernière décision invite à se demander si la contrepartie doit être suffisante pour valider la sûreté. Ce critère n’a semble-t-il pas été utilisé dans les autres arrêts prononcés par la Cour de cassation en la matière : il est vrai qu’il est source d’une grande insécurité pour le créancier, obligé de procéder à un contrôle de l’opportunité d’une décision de gestion dont on peut s’interroger sur la compatibilité avec le principe de non-ingérence qui s’impose à tout banquier15.

On rappellera, en conclusion, que l’interdiction d’une contrariété de la sûreté à l’intérêt social, ne s’impose pas lorsque la garante est une société de capitaux, ou une SARL. C’est ce qu’a jugé la chambre commerciale de la Cour de cassation à propos d’une hypothèque consentie par une SARL. La cour d’appel avait prononcé la nullité de la sûreté au motif qu’accordée sans contrepartie, elle portait sur l’unique immeuble de la société, appelée à disparaître dans l’hypothèse de sa réalisation. La haute juridiction a cassé cette décision sous visa de l’article L. 223-18 du Code de commerce, interprété à la lecture de l’article 10 de la directive n° 2009/101/CE du 16 septembre 200916 : sans doute faut-il en conclure que les interdictions édictées par le législateur17 et l’autorisation préalable qui s’impose en matière de SA18, suffisent à la protection de la société. Il est évidemment important que les règles d’appréciation de la sûreté consentie par une société restent simples : la sécurité du créancier et par là même, l’intérêt de la sûreté en dépendent ! On appellera d’ailleurs, au-delà des créanciers, les notaires à la plus grande prudence : chargés de s’assurer de l’efficacité juridique des actes qu’ils instrumentent, leur responsabilité pourrait être envisagée, sans que la qualité du créancier puisse être invoquée19, si la sûreté venait à être annulée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 18 oct. 2017, n° 16-17184 : RD bancaire et fin. 2017, comm. 243 ; BJS févr. 2018, n° 117h7, p. 76, obs. Schlumberger E. ; LPA 6 févr. 2018, n° 132n4, p. 11, note Houssin M.
  • 2.
    Storck M., « Sûreté accordée par une SCI : l’exigence de non-contrariété à l’intérêt social », Dr. sociétés 2015, étude 2.
  • 3.
    « Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP G 1984, I 3148. Pour une étude d’ensemble, Goffaux-Callebaut G., « La définition de l’intérêt social », RTD com. 2004, p. 35.
  • 4.
    Cass. com., 17 oct. 1995, n° 93-20459 : BJS janv. 1996, n° 9, p. 40, note Prieto C. (dans le cadre d’une lettre ne comportant qu’une obligation de moyen).
  • 5.
    C. consom., art. L. 314-18, L. 332-1 et L. 343-4.
  • 6.
    Pour un rappel des conditions : Cass. 3e civ., 13 oct. 2016, n° 15-22824 : LEDB déc. 2016, n° 110d3, p. 6, obs. Mignot M.
  • 7.
    Cass. com., 10 févr. 2015, n° 14-11760 : BJS mai 2015, n° 113m5, p. 234, note Danos F. ; Gaz. Pal. 13 oct. 2015, n° 243g2, p. 28, obs. C.B.
  • 8.
    Cass. com., 2 nov. 2016, n° 16-10363 : Dr. sociétés 2017, comm. 3, obs. Hovasse H. ; Banque et droit n° 171, janv.-févr. 2017, p. 63, obs. Rontchevsky N. ; JCP G 2017, spéc. n° 18, doctr. 511, obs. Simler P. et Delebecque P.
  • 9.
    Cass. com., 10 févr. 2015, n° 14-11760.
  • 10.
    Cass. com., 19 nov. 2013, n° 12-23020 : Bull. civ. IV, n° 168 ; RD bancaire et fin. 2014, comm. 9, obs. Cerles A.
  • 11.
    Cass. com., 13 nov. 2007, n° 06-15826 : Dr sociétés 2008, comm. 32, obs. Hovasse H.
  • 12.
    C. mon. fin., art. L. 511-5 ; Schiller S., Prieur J. et Carré J.-F., « Quel cautionnement peut accorder une société civile face à la divergence entre les chambres de la Cour de cassation ? », JCP N 2012, 1371, spéc. n° 46.
  • 13.
    Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-26968 (rendu à propos d’une SNC) : LEDB févr. 2012, n° 5, p. 3, obs. Mignot M. – Cass. com., 2 nov. 2016, n° 16-10363.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 15 févr. 2015, n° 14-21348 : Gaz. Pal. 10 déc. 2015, n° 249r5, p. 16, note Dumont-Lefrand M.-P. ; BJS janv. 2016, n° 114n4, p. 33, obs. Le Gueut T.
  • 15.
    Attard J., « Nullité d’une sûreté contraire à l’intérêt social de la société garante : confirmation de la divergence entre les différentes chambres de la Cour de cassation », LPA 26 févr. 2015, p. 9.
  • 16.
    Directive tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties dans les sociétés par actions et les SARL : Cass. com., 12 mai 2015, nos 13-28504 et 14-11028 : Bull. civ. IV, n° 80 ; D. 2015, p. 1096, obs. Lienhard A. ; BJS déc. 2015, n° 114j0, p. 650, note Mortier R. ; RDC 2016, n° 112u4, p. 56, note Barthez A.-S. ; Dupichot P., « L’Europe au secours des sûretés pour autrui consenties par les sociétés de capitaux », BJS déc. 2015, n° 114j3, p. 609.
  • 17.
    C. com., art. L. 223-21, L. 225-43, L. 225-91 et L. 225-216.
  • 18.
    C. com., art. L. 225-35 ; C. com., art. L. 225-68.
  • 19.
    Attard J., « Quels sont les devoirs du notaire en matière de sûretés ? », Defrénois, n° 132r4, à paraître.
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