« Dans les médiations successorales, il est surtout question d’amour »
Pour faire connaître ses métiers au grand public, l’Association nationale de la médiation organise pour la troisième année consécutive une « Semaine de la médiation », du 9 au 16 octobre. Des conférences et des rencontres ont lieu dans toute la France. La médiatrice, Delphine Chauveinc, nous parle de l’intérêt de son métier dans le cadre de successions. Rencontre.
Actu-juridique : Comment êtes-vous devenue médiatrice ?
Delphine Chauveinc : Avocate au début de ma vie professionnelle, j’exerçais en droits de la famille. Je me suis arrêtée de travailler quelques années, et lorsque j’ai repris, je me suis orientée vers la médiation familiale. C’est finalement le même sujet, pris sous un angle différent. Je trouve ce dernier plus porteur. En médiation, on sort de l’affrontement et on cherche à dépasser le conflit. Pour les personnes concernées, c’est plus satisfaisant de construire une sortie de crise que de se voir imposer une solution judiciaire, à l’issue d’une procédure longue, coûteuse et douloureuse. Cela permet de retrouver une certaine autonomie en étant impliqué dans la résolution du conflit.
Actu-juridique : Qu’est-ce que la médiation familiale que vous pratiquez ?
D.C. : C’est une médiation qui a vocation à résoudre tout conflit qui a lieu dans le cadre familial : entre deux personnes d’un couple qui se sépare ou divorce, entre un adolescent et ses parents, entre des parents et des grands-parents qui ne voient plus leurs petits-enfants, ou entre les différents membres d’une famille dans le cadre d’une succession. Les personnes peuvent nous solliciter directement après avoir entendu parler de la médiation par le bouche-à-oreille ou avoir été orientées vers la médiation par leur avocat ou leur notaire qui peuvent être prescripteurs.
La médiation peut intervenir dans un cadre judiciaire. Elle est considérée comme conventionnelle si elle intervient avant toute audience. On parle de médiation judiciaire si elle intervient en cours de procédure : soit dans le cadre d’un jugement avant dire droit, avant toute décision au fond, soit si le juge a tranché le litige mais estime que le conflit risque de perdurer. Dans ce cas, la décision de justice est assortie d’une proposition d’aller rencontrer un médiateur familial. Si le juge a recueilli l’accord de toutes les parties, la médiation est ordonnée. La pratique de la médiation peut différer d’un tribunal à un autre.
AJ : Les intéressés doivent-ils nécessairement suivre la décision du juge ?
D.C. : Même lorsque la médiation est ordonnée par un juge, il n’y a pas réellement de sanction si la médiation ne se met finalement pas en place (et le médiateur n’indiquera pas les raisons de la non mise en place), sauf que la partie qui a accepté la médiation aura beau jeu de relever que son adversaire ne souhaite pas s’engager en médiation.
AJ : Comment se déroule la médiation ?
D.C. : Je commence par un entretien individuel avec chacune des parties. Je prends une heure avec elles pour leur expliquer les règles, afin qu’elles comprennent bien ce à quoi elles s’engagent en rentrant en médiation. J’essaye de comprendre ce qu’elles en attendent. C’est le seul entretien que je mène en tête-à-tête, l’unique moment où chacun peut m’expliquer librement sa version des faits. J’essaye de comprendre où chacun se situe dans le conflit, je reviens également sur l’historique de la relation et du conflit. À l’issue de l’entretien préalable, les personnes décident ou non de s’engager en médiation. Une médiation compte en moyenne 3 séances. À la fin de chacune d’entre elles, je fais le bilan de ce que j’ai perçu. Je propose de reprendre ou non rendez-vous. Lorsque les médiations sont ordonnées par un juge, elles le sont pour trois mois renouvelable une fois. Lorsqu’il s’agit d’une médiation dite conventionnelle, à l’initiative des intéressés, c’est plus souple. Mais le principe est que chacun retrouve rapidement son autonomie. Une médiation dure rarement plus de 6 mois.
AJ : Quels sont les résultats escomptés ?
D.C. : Dans le meilleur des cas, on arrive évidemment à un accord. Parfois, il arrive que cet accord ne soit que partiel et que la partie du litige sur laquelle les parties ne sont pas tombées d’accord soit soumise à un juge. Il arrive aussi que la médiation ne débouche pas sur un accord. Je pense néanmoins que, même dans ce cas, la possibilité de s’être parlé dans un cadre respectueux est du confort gagné. Les parties vont alors devoir saisir un juge et savent qu’elles devront se soumettre à sa décision. Mais elles arrivent à cette conclusion d’un commun accord, après avoir fait le constat ensemble qu’il leur était trop difficile de résoudre elles-mêmes le conflit. Ce n’est pas du tout pareil que de partir d’emblée dans une procédure judiciaire. Une médiation, ce n’est jamais du temps perdu.
AJ : Y a-t-il des conditions à remplir avant de se lancer dans une médiation ?
D.C. : Une médiation fonctionne lorsque l’on a réellement envie de trouver une solution. Même si le conflit est important, il faut avoir envie d’en sortir, avoir fait le constat que vivre dans le conflit prenait beaucoup d’énergie. L’engagement en médiation peut être difficile si les personnes sont envahies par le conflit au point de ne pas du tout pouvoir se mettre à la place de l’autre, ou si elles sont encore en pleine procédure. En matière successorale particulièrement, les conflits peuvent être très longs. Les personnes saisissent alors un médiateur pour sortir d’un conflit qui s’éternise et les ronge, quand bien même elles n’avaient pas dès le départ d’inclination pour la médiation.
AJ : Dans quel cadre intervenez-vous ?
D.C. : Les médiations sont plutôt majoritairement conventionnelles que judiciaires. Pour ma part, j’ai l’impression d’accueillir à parts égales ces deux types de médiation. J’interviens davantage en matière de divorce et de séparation, car, dans ce domaine, les avocats renvoient facilement leurs clients vers nous. En matière de successions, c’est moins le cas. Les notaires ne se sont peut-être pas complètement emparés de l’outil qu’est la médiation. Cela me semble dommage car la médiation aurait un intérêt pour leurs clients et pour eux également. Avoir l’aide d’un médiateur leur permettrait de se concentrer sur les aspects juridiques. Le médiateur est là pour permettre aux parties d’échanger, il travaille sur la relation et laisse les professionnels du droit trouver les solutions juridiques. Les métiers de médiateur et ceux d’avocats ou de notaires sont complémentaires.
AJ : Quelle est la spécificité des médiations en matière de succession ?
D.C. : Sur la forme, c’est une matière très technique. Le fait d’être une ancienne avocate m’aide. Je peux lire les jugements ou comprendre le vocabulaire des notaires sans difficulté. Sur le fond, Il y a beaucoup d’émotions dans les successions. La famille vit un deuil et celui-ci bouleverse l’équilibre collectif. Le décès peut mettre en évidence une mésentente familiale ou faire émerger d’autres dynamiques. Parfois, la famille tenait grâce au défunt, et, ce dernier parti, tout s’écroule. Des choses anciennes se rejouent. Derrière les histoires d’argent ou le partage des meubles se posent en réalité des questions sur la place des uns et des autres dans la fratrie, sur l’équilibre d’une famille recomposée. In fine, c’est la place de chacun dans le cœur du défunt qui est l’enjeu crucial. Il est surtout question d’amour. Il n’est pas rare de voir des personnes de 70 ans dire des choses comme « Tu as toujours été le préféré de maman » ou « Je n’ai jamais eu ma place dans cette famille » !
AJ : Comment travaille-t-on ce vécu très sensible ?
D.C. : Il faut prendre en compte la dimension psychologique et sociologique de la succession. Tous les médiateurs sont d’ailleurs formés en sociologie de la famille. Le deuil est un processus long. Le cadre de la médiation est un peu différent, car un grand nombre de personnes peuvent être réunies, contrairement à une médiation dans le cadre d’un divorce qui nous voit intervenir seulement auprès des deux personnes de l’ancien couple. Quand on intervient dans une succession, on privilégie donc souvent la co-médiation. Pour être à l’écoute de chacun et entrer dans le cadre de référence de chacun, deux médiateurs sont nécessaires. L’autre spécificité est que les personnes concernées peuvent être très éloignées géographiquement. Ces médiations impliquent de réunir des gens de toute la France, voire de l’étranger.
AJ : Comment travaillez-vous dans ces cas où les familles sont éclatées ?
D.C. : La crise sanitaire a changé notre manière de travailler sur ces dossiers. Avant, afin de rentabiliser les déplacements, on s’organisait pour les faire venir pour une journée entière, qui ressemblait un peu à un marathon de médiation avec une séance le matin et une autre l’après-midi. Les outils de visioconférence rendent la médiation en partie possible à distance. Je n’avais jamais fait de séance en ligne jusqu’à il y a deux ans. Maintenant, il m’arrive de le faire. Rien ne remplace une rencontre, la réunion physique de personnes qui ont partagé des choses telles que de vivre sous le même toit ou d’être les enfants de mêmes parents. D’un autre côté, la visioconférence donne la possibilité de lever des obstacles à la médiation. Souvent les gens ont des barrières avant de commencer : ils peuvent imaginer que cela coûte cher, penser que c’est voué à l’échec… si en plus, il faut prendre un avion pour se rendre au rendez-vous, ils risquent de renoncer. La visioconférence peut permettre de dépasser cet obstacle. Je pense qu’il faut malgré tout faire quelques séances en présentiel, ne serait-ce que pour se rencontrer.
AJ : Quel est le coût d’une médiation ?
D.C. : À titre personnel, je travaille en partie au sein d’une association de médiation, CERAF Médiation, implantée à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, et en partie dans mon cabinet personnel, Tandem Médiation. Dans le premier cas de figure, comme dans toutes les associations conventionnées par la CAF, les tarifs sont indexés sur les revenus et varient entre 2 €et 131 € par personne et par séance. À titre d’exemple, quelqu’un qui gagne le SMIC paiera sa séance 8 €, et quelqu’un qui déclare 3 000 € de revenus mensuels paiera 41 €. Lorsque je travaille en libéral, mes honoraires vont de 80 € à 200 € par personne et par séance, là aussi en fonction des revenus déclarés. Ce système doit permettre à toute personne d’avoir recours à la médiation si elle le souhaite. Quels que soient le milieu socio-culturel et le lieu de vie de la famille, les ressorts des médiations sont les mêmes. Les sommes en jeu importent finalement assez peu…
AJ : Quelles sont vos plus belles réussites de médiations successorales ?
D.C. : Je me rappelle d’une médiation qui concernait une famille recomposée. Le défunt était très aimé de tous et les familles issues de la première et de la seconde union avaient été très liées. Certains enfants de la première union étant par exemple parrains ou marraines de leurs demi-frères et demi-sœurs. Quand je les ai rencontrés, ils étaient dans une procédure judiciaire depuis des années, et étaient tous malheureux de l’enchaînement de circonstances qui les avaient menés à cette action en justice. Ils ont décidé d’y mettre fin par respect pour leur époux et père bien-aimé. Une fois cette décision prise, ils sont parvenus à trouver un accord financier sans grande difficulté. J’ai également en mémoire une succession qui avait donné lieu à une indivision d’une propriété familiale. Une partie de la fratrie avait saisi la justice pour faire vendre le bien indivis. Ils ont finalement entrepris une médiation et ont pris conscience de la somme de malentendus, de non-dits et d’incompréhensions entre eux. À l’issue de la médiation, les frères et sœurs ont finalement décidé de garder cette maison qui était dans leur famille depuis plusieurs générations. Ils étaient satisfaits de perpétuer ainsi ce qui leur avait été transmis. Le médiateur n’est pas censé avoir de projet pour les personnes qu’il accompagne. Il n’empêche que c’est plaisant quand cela se termine de cette manière.
Référence : AJU002h1