Éric Dupond-Moretti plaide en faveur de l’amiable à la rentrée du CNB
Lors de la grande rentrée des avocats organisée par le CNB jeudi 28 septembre, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a consacré la moitié de son discours à l’amiable. Fabrice Vert, premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris, membre du Conseil national de la médiation, membre du conseil national du syndicat Unité Magistrats, revient sur ces propos et en éclaire les enjeux.
L’amiable, qui a longtemps été délaissé en France par les acteurs judiciaires, notamment en raison d’un excès de juridisme, selon l’expression d’un illustre « inventeur » de la médiation judiciaire, le premier président Pierre Drai, est au cœur de l’actualité de la rentrée judiciaire.
Et la grande rentrée des avocats 2023 organisée par le Conseil national des barreaux n’y échappe pas. Le garde des Sceaux, avocat de profession, présent à cet évènement, sous les applaudissements de l’amphithéâtre comble de la Maison de la Chimie, a détaillé les premières avancées de sa politique nationale volontariste de l’amiable, dont l’une des pièces maîtresses, inspirée de modèles étrangers qui ont fait leurs preuves, est l’audience de règlement amiable.
La justice, et singulièrement la justice civile, celle qui traite chaque année des centaines de milliers d’affaires de la vie quotidienne fait face à un monceau de litiges à traiter[1]et traverse une crise structurelle en raison de plusieurs facteurs finement analysés dans le rapport issu des états généraux de la justice réclamés par les chefs de la Cour de cassation de l’époque.
Suite à ce rapport qui préconise notamment de développer les principes de proportionnalité et loyauté procédurales, le ministre de la justice a considéré que le moment était venu d’engager une véritable politique nationale de l’amiable, étant observé qu’il a été prouvé, dans certaines juridictions, qu’un développement significatif de la médiation et de la conciliation permettait de traiter un pourcentage non négligeable du contentieux et de prévenir de futurs procès[2].
Les vertus de l’audience de règlement amiable
L’un des reproches récurrents brandis par les sceptiques de la voie amiable, c’est d’affirmer que le justiciable qui saisit la justice souhaite voir son juge, et ne serait pas intéressé de rencontrer un médiateur ou un conciliateur de justice. Désormais, son souhait de rencontrer un juge sera comblé par cette nouvelle offre que constitue l’audience de règlement amiable, mais qui ne vient pas en concurrence des autres modes de règlement des différends, qui doivent rester fluides entre eux.
Dans son discours enthousiaste, dont près de la moitié était consacrée à l’amiable, Éric Dupond-Moretti a insisté devant le CNB sur ce changement de paradigme dans l’office du juge et a expliqué que « l’audience de règlement amiable, permet, quant à elle, de confier à un juge qui n’est pas celui saisi du litige la mission d’amener les parties à trouver une solution au conflit qui les oppose dans un cadre confidentiel. Cette audience se distingue ainsi par le rôle central du juge qui, en rappelant les grands principes de droit applicables à la matière, va permettre aux parties d’affiner leurs positions et de les faire converger ».
Tous gagnants : le justiciable, le juge et l’avocat
Si le juge aura une place essentielle dans ce mode amiable, l’avocat y tiendra également une place centrale et le ministre de prévoir que « l’assistance de l’avocat va prendre une dimension nouvelle : vous contribuerez à la recherche d’une solution au litige aux cotés du magistrat dans l’intérêt de vos clients, leur évitant ainsi des procédures souvent longues et coûteuses. L’avocat sera également gagnant car il verra sa clientèle, satisfaite, revenir. ll verra également sa réputation grandir et son activité se développer. Car les avocats québécois nous l’ont dit : il existe un vrai modèle économique pour les cabinets qui pratiquent l’amiable. À vous de faire signer des conventions prévoyant un honoraire de résultat en cas de recours concluant à l’amiable ; à nous de revaloriser l’aide juridictionnelle pour qu’un avocat qui obtient un accord par le biais de l’amiable soit mieux rémunéré que s’il choisit la voie contentieuse. »
Une campagne conjointe du ministère de la justice et du CNB
Et les lignes bougent avec une implication importante des avocats puisqu’une prochaine campagne publicitaire innovante et dynamique pour faire la promotion des modes amiables sera organisée conjointement par le ministère de la Justice et le CNB.
Le ministre a également rappelé que parmi les neuf ambassadeurs de l’amiable, se trouvent plusieurs avocats, qui vont faire le tour de toutes les cours d’appel, pour accompagner ce changement profond pour les pratiques professionnelles des magistrats et des avocats. La prochaine visite aura lieu le 2 octobre à Grenoble, avec la présence annoncée du garde des Sceaux.
Et très prochainement, devrait sortir une circulaire très détaillée précisant les modalités pratiques de mise en œuvre de la césure et de l’audience de règlement amiable instaurés par le décret du 29 juillet 2023.
Mesurons le chemin de l’amiable parcouru (installation du Conseil national de la médiation, le décret sur l’ARA et la césure, le décret redonnant naissance à l’article 750-1 du CPC sur l’amiable préalable obligatoire, les ambassadeurs de l’amiable…) depuis la rencontre Place Vendôme avec Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice et son cabinet, à la suite du dépôt du rapport Sauvé, où accompagnant Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité Magistrats, nous avions insisté sur la nécessité de développer une politique nationale de l’amiable dans l’intérêt du justiciable en faisant toute une série de propositions dont certaines ont déjà été mises en œuvre. Le chantier de l’amiable reste encore vaste pour faire de la voie amiable une voie habituelle de règlement des conflits, mais les directions de la Chancellerie, le Conseil national de la médiation, l’ENM, l’ENG sont déjà mobilisés sur les problématiques de formation, de structuration dans les juridictions, de codification harmonieuse de l’ensemble des dispositifs, de mesures incitatives, d’outils statistiques etc.
Les magistrats s’investissent pour donner vie à ce circuit procédural de l’amiable. Ainsi, la cour d’appel de Paris organise un colloque le 17 octobre prochain, à l’initiative du premier président Jacques Boulard, au cours duquel l’ARA et la césure seront évoqués. Le 16 octobre 2023, le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, organise un séminaire à l’occasion duquel la mise en œuvre effective de ces mécanismes sera également au programme.
Une meilleure acculturation sur le terrain
Sur le terrain, on voit déjà se dessiner une meilleure acculturation par les acteurs judiciaires de l’amiable. Désormais, il n’est plus exceptionnel de voir un avocat proposer une mesure de médiation, ou demander au juge une injonction de rencontrer un médiateur ou un conciliateur de justice au cours d’une instance judiciaire, ou même avant de saisir le juge. Et se multiplient les audiences où l’on organise des permanences de médiateurs et de conciliateurs de justice.
L’audience de règlement amiable, si elle est accompagnée des moyens et si des objectifs sont fixés aux juridictions, comme cela se fait devant les juridictions administratives en matière de médiation, permettra au juge, avec les avocats, de se saisir enfin de son rôle de conciliateur.
Et comment ne pas conclure toujours avec le premier président Pierre Drai, : « Rien de ce qui est judiciaire ne peut être étranger à la médiation, tant il est vrai que l’œuvre de justice impose qu’un peu d’humanité ou de compréhension vienne briser, lorsque le juge l’estime opportun ou utile, l’effet mécanique et parfois aussi kafkaïen du déroulement des procédures » (Annonces de la Seine, 12 novembre 2007).
[1] un an après le début de la pandémie, l’inquiétant engorgement du tribunal judiciaire de Paris, Gabriel Thierry Dalloz Actualité 15 avril 2021
[2] Médiation : immersion avec le juge des référés du TGI de Créteil, Affiches parisiennes 18 décembre 2018
Référence : AJU392187