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Loi applicable à l’action de l’assureur contre le responsable d’un accident de la circulation : application de la convention de La Haye du 4 mai 1971

Publié le 10/05/2023
Accident voiture assurance
Ronstik/AdobeStock

Les accidents de la circulation routière se traduisent juridiquement par une multitude de rapport de droit entre victime, responsable, assurés, assureurs et parfois tiers payeurs qui ont versé des prestations sociales à la victime. La situation se complexifie encore dans un contexte international. Certes la convention de La Haye du 4 mai 1971 prévoit l’application de la loi du lieu de l’accident à la question de la responsabilité de l’auteur de l’accident, elle prévoit aussi des règles pour l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable. En revanche, elle exclut de son champ d’application les recours subrogatoires des assureurs et autres tiers payeurs en son article 2. C’est précisément l’interprétation de l’article 2 de la convention de La Haye qui est au cœur de l’affaire jugée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 avril 2023. Il en ressort que « s’il résulte de l’article 2 de la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière qu’est exclue du champ d’application de la convention la détermination de la loi applicable à l’obligation contractuelle en vertu de laquelle un assureur est tenu d’indemniser la victime d’un accident de la circulation routière, en revanche, n’est pas exclue de son champ d’application la détermination de la loi applicable à l’obligation extra-contractuelle en vertu de laquelle la personne responsable du dommage est tenue d’indemniser la victime ou l’assureur subrogé dans les droits de celle-ci ».

Cass. 1re civ., 13 avr. 2023, no 22-13449

Le développement du transport routier international et la mobilité croissante des citoyens en Europe et ailleurs favorisent la multiplication d’accidents de la circulation hors de France et/ou entre véhicules immatriculés dans des pays différents.

D’où l’intérêt de la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière qui a permis d’unifier les règles de conflit de lois de 21 États dont la France.

Néanmoins, la jurisprudence faisant application de cette convention n’est pas aussi riche que l’on pourrait s’y attendre.

Non pas que la convention subisse dans l’Union européenne la concurrence d’un autre texte. En effet le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, précisément son article 28 paragraphe 1er, énonce qu’il n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l’adoption du présent règlement et qui règlent les conflits de lois en matière d’obligations non contractuelles1.

L’explication vient sans doute du fait que l’indemnisation des victimes d’accidents de la route est souvent le résultat d’accords transactionnels avec les compagnies d’assurance en dehors de toute procédure contentieuse.

Dès lors, il faut signaler l’arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2023 en ce qu’il fait application de la convention de La Haye de 1971 d’autant plus que la Cour y livre une précision, qui semble aussi inédite qu’utile, sur son champ d’application.

Il s’agissait en l’espèce d’un banal accident de la circulation survenu en Espagne, également partie à la convention. Un camion appartenant à une société française, auquel était attelée une remorque appartenant à un tiers et assurée par la société Gan assurance, percute en 2015 un portique de lavage en Espagne. La société espagnole propriétaire du portique est indemnisée par sa propre compagnie d’assurance, la société Generali, dans les limites de son contrat d’assurance. S’ensuit une transaction entre Generali, son assurée, et la société Gan. Cette transaction homologuée par un tribunal espagnol le 10 novembre 2016 prévoit le versement de diverses sommes par Gan assurance sans préjudice de son recours contre le propriétaire du camion à l’origine du dommage.

Dès lors, en décembre 2020, soit plus de quatre ans après, l’assureur Gan intente une action contre le propriétaire du camion afin de le voir condamner à lui payer la somme de 46 000 € correspondant au montant versé à la victime et à sa compagnie d’assurance. Or le propriétaire du camion lui oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en application des articles 1968 et 1902 du Code civil espagnol qui prévoient un délai d’un an à compter de la découverte par la victime des faits générateurs de la responsabilité.

Effectivement, en vertu de l’article 3 de la convention de La Haye de 1971, la loi applicable à la responsabilité délictuelle découlant d’un accident de la circulation routière est la loi interne du territoire sur lequel l’accident est survenu, d’où l’application de la loi espagnole.

Cependant, la société Gan actionnait l’auteur du dommage car elle était subrogée dans les droits de la victime. Elle se fondait sur l’article R. 211-4-1 du Code des assurances2.

Or, l’article 2 de la convention exclut un certain nombre de matières, dont les recours et subrogations concernant les assureurs (art. 2-5°). Il a déjà été jugé dans ce cas que la question relève de la loi du contrat d’assurance3, ce qui en l’espèce conduisait à l’application de la loi française.

La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a néanmoins déclaré l’action de l’assureur prescrite en application de la loi espagnole. Pour ce faire, elle revient sur la notion de recours subrogatoire au sens de la convention (I). Le résultat est heureux mais il convient de le mettre en perspective avec la jurisprudence antérieure pour en apprécier la portée (II).

I – La notion de recours subrogatoire au sens de la convention de La Haye selon la Cour de cassation

La convention de La Haye a défini l’accident de la circulation routière pour circonscrire son champ d’application en son article 1er, mais c’est là le seul effort de définition.

S’agissant du recours subrogatoire, il faut s’en remettre au rapport explicatif de la convention4. Il ressort des commentaires de l’article 2-5 qu’un problème spécial de recours se pose en matière d’assurance. Particulièrement se pose le cas de subrogation de l’assureur aux droits de la victime qu’il a dédommagée contre l’auteur du dommage et le cas du recours de l’assuré, responsable de l’accident qui a indemnisé la victime, contre son propre assureur. Or, la conférence de La Haye a décidé d’exclure ces questions du champ d’application de la convention car elles sont de nature contractuelle5.

Parallèlement, l’article 2-6 exclut aussi les recours exercés par ou contre les tiers payeurs, c’est-à-dire les organismes de sécurité sociale, d’assurance sociale, et autres organismes similaires car ces problèmes sont résolus par les règles statutaires dont relève l’organisme social et qui sont généralement des règles de droit public.

À première lecture, on comprend que les recours des tiers payeurs, qu’il s’agisse des assureurs ou d’organismes sociaux, ne sont pas couverts par la convention et qu’ils relèvent d’une autre règle de conflit de lois. La position soutenue par la Cour de cassation semble alors incongrue.

Mais il faut être beaucoup plus nuancé face à une relation juridique multipartite. En effet, un recours subrogatoire implique de prendre en considération deux rapports de droits :

• le rapport de droit qui unit la victime et son assureur, ou l’organisme payeur comme un fonds public de garantie automobile (par exemple en France : le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages), d’une part ;

• le rapport de droit qui existe entre la victime et l’auteur du dommage, d’autre part.

Dès lors, la détermination de la loi applicable au recours subrogatoire s’opère en deux temps comme la Cour de cassation l’indique dans l’arrêt sous commentaire.

En premier lieu, il faut considérer le rapport de droit entre la victime et sa compagnie d’assurance, afin de déterminer si cette dernière peut être subrogée dans les droits de la victime qu’elle a indemnisée. Cette question est préalable à celle de la mise en œuvre de l’action subrogatoire de l’assureur contre le responsable de l’accident. Cette première question est bien exclue du champ d’application de la convention de La Haye. Il s’agit en réalité, comme le souligne la Cour de cassation, de déterminer « la loi applicable à l’obligation contractuelle en vertu de laquelle un assureur est tenu d’indemniser la victime d’un accident de la circulation routière ».

En second lieu, une fois que le principe de la subrogation aux droits de la victime est acquis, l’assureur est placé dans la même situation que l’assuré victime. En effet, le mécanisme de subrogation entraîne une transmission à l’assureur de la créance de la victime contre le responsable, il ne donne pas naissance à une nouvelle créance6. Effectivement, la subrogation n’est autre que la « substitution d’une personne à une autre dans un rapport de droit en vue de permettre à la première d’exercer tout ou partie des droits qui appartiennent à la seconde »7.

Il semble alors logique que l’assureur subrogé aux droits de la victime soit soumis à la convention et aux règles de conflit de lois qu’elle édicte. Il convient donc de rechercher la loi applicable à l’obligation extra-contractuelle en vertu de laquelle la personne responsable du dommage est tenue d’indemniser la victime et, de toute évidence, cette question relève du champ d’application de la convention de La Haye sur la loi applicable aux accidents de la circulation.

Il en résulte qu’il fallait en l’espèce appliquer l’article 3 de la convention de La Haye de 1971 en vertu duquel la loi applicable à la responsabilité de l’auteur d’un accident de la circulation est la loi interne du pays où est survenu l’accident, soit la loi espagnole. S’agissant plus précisément de la prescription de l’action en responsabilité, la Cour de cassation aurait pu se fonder sur l’article 8 de la convention qui prévoit au point 8 que la loi applicable détermine « les prescriptions et les déchéances fondées sur l’expiration d’un délai, y compris le point de départ, l’interruption et la suspension des délais »8.

Cette solution garantie la sécurité juridique de l’auteur de l’accident, qu’il soit défendeur à une action dirigée contre lui par la victime ou par son assureur (ou un tiers payeur) subrogé dans ses droits.

On soulignera que cette logique est également celle du règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. En effet, l’article 19 du règlement Rome II prévoit que lorsqu’une personne détient des droits à l’encontre d’une autre en vertu d’une obligation non contractuelle et qu’un tiers à l’obligation de désintéresser le créancier, la loi applicable à cette obligation du tiers détermine si et dans quelle mesure celui-ci peut exercer les droits détenus par le créancier contre le débiteur selon la loi régissant leur relation.

Quoi qu’il en soit, il faut signaler que La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de statuer sur la question de la loi applicable au recours subrogatoire mais elle avait alors exclu l’application de la convention de La Haye. La portée de l’arrêt du 13 avril 2023 doit cependant être relativisée.

II – La portée de la solution

Nous aurions probablement tort de vouloir systématiser la solution qui a été consacrée par la Cour de cassation. En effet, la cour d’appel avait pris soin d’analyser les règles de droit français sur lesquelles l’assureur se fondait pour exercer son recours, à savoir l’article R. 211-4-1 du Code des assurances. Certes il n’y a là rien d’anormal. Si on suit les étapes de notre démonstration, il convient dans un premier temps de vérifier l’existence d’une subrogation au regard de la loi régissant les relations entre l’assuré et son assureur. Néanmoins, les juges du fond ont vérifié que l’article précité ne conférait pas un droit propre autonome à l’assureur payeur contre le responsable. En d’autres termes, si en vertu du droit français l’assureur n’avait pas recueilli les droits de la victime, la question aurait été soustraite du champ d’application de la convention. Il se serait agi alors d’un « recours subrogatoire » au sens de la convention de La Haye mais pas au sens du droit français. Il faut en déduire que chaque fois que la loi qui institue un recours au profit de l’assureur ou du tiers payeur accorde à ce tiers un droit nouveau autonome de celui de la victime qui a été indemnisée, le régime de ce droit est exclu du champ d’application de la convention en tant que « recours subrogatoire ».

Dans un arrêt en date du 24 septembre 20149 rendu à propos de l’action d’un tiers payeur contre l’assureur du responsable, la Cour de cassation avait énoncé que la loi applicable à la subrogation aux droits de la victime régit le régime juridique de celle-ci et notamment la recevabilité du recours subrogatoire. Une telle solution introduisait donc une dualité de régime selon que l’action émane de la victime (application de la convention et de la loi du lieu de l’accident) ou d’un tiers payeur, assureur ou organisme social (application de la loi régissant les rapports de ce tiers avec l’assuré). Toutefois, dans cette affaire, la Cour de cassation, excluant l’application de la convention, avait relevé que les juges du fond avaient interprété le droit applicable à la subrogation et en avaient souverainement déduit que les droits du tiers payeur étaient des droits propres, indépendants de ceux de la victime. Un commentateur de l’arrêt avait cependant relevé le paradoxe : il n’était plus question de subrogation au sens du droit français10.

Quoi qu’il en soit les solutions de l’arrêt de 2014 et de la décision commentée semblent parfaitement s’articuler.

Parallèlement, on enseigne traditionnellement que, les recours subrogatoires étant exclus du champ d’application de la convention, ils relèvent d’une règle de conflit de droit commun laquelle désigne la loi du contrat d’assurance11. Quant au recours subrogatoire des organismes de sécurité sociale, il sera soumis à la loi dont ils relèvent12. Or, force est de constater que le débat semble avoir été déplacé sur le champ d’application de la loi de la subrogation.

Ainsi, dans un arrêt du 24 juin 2015 présenté comme un revirement par rapport à celui de 201413, la Cour de cassation avait exclu la question du recours subrogatoire du tiers payeur du champ d’application de la convention de La Haye de 1971, mais elle avait distingué l’existence du recours subrogatoire soumis à la loi de la subrogation et sa mise en œuvre soumise à la loi du lieu de l’accident. La Cour de cassation avait fondé la solution sur l’article 3 du Code civil, ce qui montrait bien qu’elle revenait au droit international privé commun. Néanmoins, en définitive le résultat concret est similaire à celui que l’on a obtenu dans l’affaire qui fait l’objet de notre commentaire, la loi appliquée à la mise en œuvre de l’action de l’assureur est la loi régissant les rapports entre la victime et le responsable et c’est la même que celle désignée par l’article 3 de la convention de La Haye.

S’agissant plus précisément de la prescription de l’action de l’assureur contre le responsable, un arrêt du 10 septembre 201514 avait approuvé les juges du fond d’avoir appliqué la loi française du lieu de l’accident et non la loi allemande applicable aux rapports entre la victime et le tiers payeur. Cette fois encore elle avait exclu l’application de la convention de La Haye et le débat s’était déplacé sur l’articulation entre la loi de la subrogation et la loi applicable à la responsabilité mais le raisonnement conduit à retenir la même solution concrète que dans la présente affaire.

La solution consacrée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 13 avril 2023 a le mérite de poser une ligne directrice pour analyser les relations tripartites induites par une subrogation mais elle témoigne aussi des difficultés nées du fait qu’à la différence d’un règlement européen dont l’interprétation uniforme est assurée par la Cour de justice de l’Union européenne, il n’en va pas de même de la convention de La Haye.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 13-11932 : GPL 5 juin 2014, n° GPL181m9, note C. Berlaud.
  • 2.
    C. assur., art. R. 211-4-1 : « Lorsqu’un train routier, tel que défini à l’article R. 311-1 du code de la route, est impliqué dans un accident de la circulation, la personne lésée peut exercer l’action directe au choix contre l’assureur du véhicule tracteur ou contre l’assureur de la remorque. L’assureur saisi de l’action doit garantir la responsabilité de l’ensemble du véhicule articulé à l’égard de la personne lésée, pour le compte de qui il appartiendra et dans les limites du contrat. L’assureur qui aura pris en charge l’indemnisation des personnes lésées, que ce soit l’assureur du véhicule à moteur ou celui de la remorque ou de la semi-remorque, disposera, le cas échéant, d’un droit de recours contre l’assureur de l’autre partie de l’ensemble articulé, ou contre toute autre partie qui porterait finalement la responsabilité des dommages ».
  • 3.
    Cass. 1re civ., 23 avr. 1992, n° 91-81687 : Bull. civ. I, n° 205.
  • 4.
    Rapport explicatif de M. Eric et W. Essén, Actes et documents de la Onzième session, 1968, t. III, Accidents de la circulation routière, p. 200 et s.
  • 5.
    Rapport explicatif de M. Eric et W. Essén, Actes et documents de la Onzième session, 1968, t. III, Accidents de la circulation routière, p. 205.
  • 6.
    H. Groutel, « Le recours subrogatoire de l’assureur », RGDA févr. 2018, n° RGA115j5.
  • 7.
    D. Archer, « Précisions sur la règle de conflit en matière de subrogation légale aux droits de la victime », LPA 29 oct. 2014, p. 5.
  • 8.
    En ce sens mais pour une application à l’action de la victime contre l’assureur du responsable : Cass. 1re civ., 15 juin 2022, n° 21-13306 : BJDA 2022, comm. 23, note P. Casson.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 13-21339 : LPA 29 oct. 2014, p. 5, note D. Archer.
  • 10.
    D. Archer, « Précisions sur la règle de conflit en matière de subrogation légale aux droits de la victime », LPA 29 oct. 2014, p. 5.
  • 11.
    JCl. Responsabilité civile et assurances, fasc. 534, nos 104 et s., V° Circulation internationale, B. Rajot. V. aussi Cass. 1re civ., 23 avr. 1992, n° 91-81687 : Bull. civ. I, n° 205 ; Rev. crit. DIP 1993, p. 446, note P. Bourel.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 17 mars 1970, n° 68-13577 : Bull. civ. I, n° 104 ; Rev. crit. DIP 1970, p. 688, note P. Lagarde ; JDI 1970, p. 923, note G. de la Pradelle.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 24 juin 2015, n° 13-21468 : LPA 22 juin 2016, n° LPA113m9, note C. Rochat.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, n° 14-13799 : Rev. crit. DIP 2016, n° 1, p. 119, note S. Corneloup.
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