Quand la transmission du contrat d’assurance précède le transfert de propriété du bien vendu…

Publié le 03/07/2019

Un bien immobilier est vendu mais vandalisé avant que son transfert de propriété, conventionnellement retardé, ne se soit produit. Qui, du vendeur ou de l’acquéreur, est bénéficiaire du contrat d’assurance ? En d’autres termes, quel est l’évènement générateur de la transmission de ce dernier à l’acquéreur ? C’est à cette question que la Cour de cassation répond de manière innovante dans l’arrêt du 7 mars 2019. Substituant au critère traditionnel du transfert de propriété celui de la vente, elle semble opérer un revirement de jurisprudence. Cette décision est juridiquement contestable ; elle est toutefois économiquement opportune.

Cass. 3e civ., 7 mars 2019, no 18-10973, PB

« Le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite. Sinueux, capricieux, incertain tel il nous est apparu… Flexible droit ! »1. Tels furent les mots du doyen Carbonnier, écrits dans les premières pages de son magistral ouvrage dont la vocation avouée était d’offrir une « [légère] revanche » au droit, par le démenti de sa prétendue « raideur »2. L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 mars 2019 aurait probablement mérité citation en son sein ; il est en effet une nouvelle illustration de ce que notre droit peut être flexible.

En l’espèce, une promesse synallagmatique de vente d’un immeuble a été consentie par deux sociétés à un acquéreur, auquel s’est substituée la société Axiatis. Fait notable, ce compromis reporte le transfert de propriété du bien à la date de la réitération de la vente par acte authentique. Peu avant cette dernière toutefois, l’immeuble est vandalisé et dégradé ; un litige naît alors entre les parties, les vendeurs demandant la caducité de la promesse, tandis que l’acquéreur les assigne en perfection de la vente et en paiement notamment d’une somme destinée à la remise en état des lieux. L’assureur de l’immeuble est appelé à l’instance.

Bien que la cour d’appel de Douai considère la vente parfaite, l’acquéreur est débouté de ses diverses demandes. La remise en état du bien dans l’état qui était le sien au jour de la conclusion de la promesse, d’abord, est « impossible dès lors qu’il devait donner lieu à une réhabilitation lourde pour pouvoir connaître une utilisation quelconque ». La responsabilité des venderesses, ensuite, ne peut être retenue, les juges du fond ayant souverainement constaté « que la mesure du préjudice subi par l’acquéreur était le surcoût de la reconstruction, dont ni la réalité ni l’ampleur n’étaient démontrés ». La subrogation de l’acquéreur dans les droits des sociétés venderesses à l’égard de l’assureur de l’immeuble, enfin, n’est pas réalisable, à défaut pour lui d’avoir eu la qualité de propriétaire des biens assurés au jour du sinistre.

Le pourvoi formé par la société Axiatis devant la Cour de cassation repose sur deux moyens.

Le premier critique le rejet de la demande en exécution forcée et en responsabilité contractuelle, mais il est jugé non fondé par la Cour de cassation, laquelle renvoie à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Le second, qui nous retiendra surtout, porte sur l’aspect assuranciel du litige. La difficulté tient ici à ce que les dégradations sont survenues après la conclusion du compromis mais avant sa réitération par acte authentique, c’est-à-dire après la vente mais avant le transfert de propriété. La problématique est donc la suivante : à quel moment l’assurance du bien vendu est-elle transmise à son acquéreur lorsque le dommage se produit lors de cette période intermédiaire ? La Cour de cassation y répond au visa de l’article L. 121-10 du Code des assurances, dont elle reproche la violation aux juges du second degré. En écartant la subrogation, « alors qu’elle avait relevé que le sinistre était survenu après la conclusion de la promesse de vente et que, sauf clause contraire, l’acquéreur du bien assuré se voit transmettre l’ensemble des droits nés du contrat d’assurance souscrit par le cédant et peut en conséquence réclamer le versement entre ses mains de l’indemnité due au titre du sinistre, alors même que celui-ci serait antérieur au transfert de propriété, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

L’attendu cité semble d’importance, et l’arrêt de principe, puisqu’il est de cassation partielle et publié au Bulletin. Surtout, il paraît opérer un revirement de jurisprudence en ce qu’il remet en cause l’évènement générateur de la transmission du contrat d’assurance de la chose vendue à l’acquéreur (I). La recherche de la justification de cette nouvelle solution invite toutefois à la prudence ; sa raison d’être est plus opportune que cohérente, plus économique que juridique ; sa portée s’en trouve probablement quelque peu atténuée (II).

I – L’affirmation de la remise en cause de l’évènement générateur de la transmission de l’assurance

Selon l’article L. 210-10 du Code des assurances, visé par la haute juridiction le 7 mars 2019, l’assurance de la chose aliénée est transmise de plein-droit à l’acquéreur3. Aucune formalité n’a à être effectuée4. Il suffit, pour que la transmission opère, que quelques conditions soient réunies, au premier rang desquelles l’existence d’une aliénation, évènement générateur de la substitution de l’acquéreur au vendeur dans le bénéfice de l’assurance5. La proximité temporelle d’un sinistre et d’une aliénation attise toutefois les tensions entre des contractants aux intérêts divergents et complexifie souvent la détermination du bénéficiaire de l’assurance. Pour démêler ces litiges, la jurisprudence a entendu préciser le moment à compter duquel la transmission de plein droit doit avoir lieu. Le critère traditionnellement consacré, et d’ailleurs appliqué par les juges du fond dans l’affaire commentée, est celui du transfert de propriété de la chose (A). Par son arrêt du 7 mars 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation pourrait toutefois remettre en cause cette jurisprudence (B).

A – Le transfert de propriété, critère traditionnel de la transmission de l’assurance

Classiquement, l’aliénation génératrice de la transmission de plein droit du bénéfice de l’assurance à l’acquéreur s’entend du transfert de la propriété, ou éventuellement de la nue-propriété6, de la chose7. La Cour de cassation l’a en effet affirmé à de nombreuses reprises.

Deux arrêts, bien que relativement anciens, méritent particulièrement citation, en raison de la similitude des faits de leur espèce avec ceux de l’affaire qui nous retient. Le premier date du 24 janvier 19848, le second du 20 novembre 19909. Dans les deux cas, comme dans l’arrêt commenté, le sinistre est survenu entre la conclusion d’une promesse synallagmatique de vente et sa réitération par acte authentique, à laquelle est conventionnellement reporté le transfert de propriété. La chose vendue ayant été dégradée, la question se pose de l’identité du bénéficiaire de l’indemnité d’assurance dédiée à sa réparation. La réponse apportée par la Cour de cassation en 1984 est identique à celle, expressément formulée, en 1990. Au visa de l’article L. 210-10 du Code des assurances, les hauts magistrats écrivent dans un chapeau interprétatif que « ce dernier texte subordonne, en cas d’aliénation de la chose assurée, la transmission de l’assurance au transfert de propriété ». Ce dernier ayant été fixé à la date de la réitération de la vente sous la forme authentique dans les deux litiges, il faut en déduire que le vendeur, encore propriétaire du bien à la date du sinistre, demeure seul bénéficiaire de l’assurance.

Il est par ailleurs intéressant de faire le parallèle avec quelques autres décisions relatives à la transmission, non pas du contrat d’assurance, mais de l’indemnité versée en son application. D’une part, car l’enjeu est sensiblement le même dans les deux hypothèses : il s’agit d’identifier qui bénéficiera in fine du paiement de l’indemnité. D’autre part, car l’évolution qu’a subie la jurisprudence en ce second domaine a peut-être influencé les juges dans la présente affaire10. Plusieurs arrêts ont notamment été rendus en matière d’assurances de dommage-ouvrage. Nous citerons, pour illustration, celui du 10 juin 1997 ; il fut l’occasion pour la première chambre civile d’approuver une cour d’appel qui, après avoir constaté l’absence de convention entre l’ancien propriétaire de l’immeuble et l’adjudicataire « quant au transfert éventuel du bénéfice de l’indemnité d’assurance » de dommage-ouvrage, dont le cahier des charges de la vente ne faisait pas non plus état, a justement décidé « que le bénéficiaire de l’indemnité était la personne qui était propriétaire au moment du sinistre »11. La Cour de cassation a également plusieurs fois affirmé cette solution en présence d’un dommage causé par une catastrophe naturelle, même lorsque l’arrêté interministériel constatant cet état est pris postérieurement à la vente12.

La règle a donc une bonne assise en jurisprudence et la cour d’appel de Douai en fait une application fort classique dans son arrêt du 26 octobre 2017. « C’est au jour du sinistre que doit être appréciée la qualité de propriétaire des biens assurés donnant seule vocation au bénéfice de l’assurance », rappelle-t-elle. En l’occurrence, les dégradations se sont produites avant la réitération de la vente par acte authentique, à laquelle a été conventionnellement reporté le transfert de propriété. Les juges du fond en concluent alors logiquement que l’acquéreur, n’étant pas propriétaire à la date du sinistre, doit être débouté de sa demande de subrogation dans les droits des venderesses à l’égard de leur assureur.

Ce raisonnement subit toutefois la censure de la haute juridiction.

B – La vente, critère inédit de la transmission de l’assurance

La cour d’appel a, selon la Cour de cassation, violé l’article L. 210-10 du Code des assurances, en refusant la subrogation de l’acquéreur dans les droits des venderesses à l’égard de leur assureur, alors que « le sinistre était survenu après la conclusion de la promesse de vente ». Dans un attendu innovant, elle affirme que, « sauf clause contraire, l’acquéreur du bien assuré se voit transmettre l’ensemble des droits nés du contrat d’assurance souscrit par le cédant et peut en conséquence réclamer le versement entre ses mains de l’indemnité due au titre du sinistre, alors même que celui-ci serait antérieur au transfert de propriété13 ».

Par cette formule, la Cour de cassation semble substituer au critère classique du transfert de propriété celui de la vente. Si l’un et l’autre de ces évènements coïncident en principe, en vertu des articles 158314 et 1196, alinéa 1er,15 du Code civil, ils peuvent en effet être dissociés, notamment lorsqu’une clause contractuelle de report est insérée dans une promesse synallagmatique de vente16 valant vente, ce qui est le cas, selon l’article 1589 du Code civil, lorsque les parties se sont entendues sur la chose et le prix. Certes, une promesse peut ne pas valoir vente si les contractants ont soumis la perfection de l’acte à la réalisation d’une formalité ad validitatem. Mais la Cour de cassation considère de manière constante que la stipulation d’une clause de réitération de la vente par acte authentique n’empêche pas la promesse de valoir vente, à moins que les contractants l’aient explicitement souhaité17. Or le report du transfert de propriété à la signature de l’acte notarié ne suffit pas à établir que la promesse ne vaut pas vente, à défaut « d’autres circonstances de nature à démontrer que les parties avaient fait de la réitération par acte notarié un élément constitutif de leur consentement »18. En l’espèce, à en croire la première branche du second moyen des demandeurs, la cour d’appel avait « constaté la perfection de la vente passée entre les sociétés [venderesses], et la société [acheteuse] ». Les termes adoptés par la Cour de cassation dans la présentation des faits de l’espèce semblent le confirmer puisqu’elle évoque la réitération de « la vente » par acte authentique, les « vendeurs » et l’« acquéreur ». Or l’on sait quelle importance elle a pu donner, par le passé, aux mots employés pour déceler la volonté des parties à l’heure de la conclusion du compromis19. Nous notons par ailleurs le soin que prend la haute juridiction de préciser que le sinistre est survenu « après la conclusion de la promesse ». En d’autres termes, la vente est parfaite. La société Axiatis, à défaut d’avoir déjà la qualité de propriétaire de l’immeuble, a celle d’acquéreur à la date du sinistre. En tant que tel, elle s’est vu « transmettre l’ensemble des droits nés du contrat d’assurance souscrit par le cédant » et, à défaut de clause contraire, peut « réclamer le versement entre ses mains de l’indemnité due au titre du sinistre ». Peu importe que « celui-ci [soit] antérieur au transfert de propriété » ; peu importe que la société Axiatis ne soit pas encore propriétaire, pourvu qu’elle soit acquéreur à l’heure du sinistre. En d’autres termes, la transmission des droits du vendeur de la chose assurée à l’égard de son assureur se produirait à la date de la vente du bien, non de son transfert de propriété. Cette décision contredit explicitement la jurisprudence antérieure20, et semble subséquemment opérer un revirement, dont la portée doit toutefois sans doute être relativisée.

II – La relativisation de la remise en cause de l’évènement générateur de la transmission de l’assurance

L’affirmation de la substitution de la vente au transfert de propriété comme évènement générateur de la transmission de l’assurance, bien qu’affirmée, doit probablement être relativisée. D’un point de vue juridique, la justification de cette décision laisse en effet sceptique, tant elle paraît boiteuse (A). D’un point de vue économique en revanche, elle est intéressante car opportune (B).

A – Une décision juridiquement boiteuse

L’avènement de la vente, à l’exclusion du transfert de propriété, comme élément déclencheur de la transmission du contrat d’assurance à l’acquéreur peut à première vue paraître fondé.

Il pourrait l’être déjà eu égard à la lettre de l’article L. 210-10 du Code des assurances, dont l’alinéa 1er dispose qu’« En cas (…) d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit (…) de l’acquéreur, (…) »21. Textuellement, l’« aliénation » génère la transmission, non le « transfert de propriété » ; l’« acquéreur » se substitue au vendeur dans le bénéfice de l’assurance, non le « propriétaire ».

La décision semble par ailleurs s’inscrire parfaitement dans un contexte jurisprudentiel de plus en plus favorable à la transmission des droits assuranciels et actions du vendeur à l’acquéreur de la chose assurée. Cette évolution in favorem est notable dans les deux domaines sus évoqués des assurances « catastrophe naturelle » et « dommage-ouvrage »22. Dans le premier, le revirement de jurisprudence, amorcé en 201023, puis renié en 201124 et 201325, fut finalement confirmé en 2014. La haute juridiction affirme désormais que « sauf clause contraire, l’acquéreur d’un immeuble a qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur des vendeurs garantissant les risques de catastrophe naturelle, même pour les dommages nés antérieurement à la vente26 »27. Dans le second, le revirement date d’un arrêt du 15 septembre 2016, dans lequel la troisième chambre civile a affirmé que « Sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages à l’ouvrage, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente28 »29. Par ces deux attendus, la Cour de cassation a ainsi consacré un principe de transmission de plein droit à l’acquéreur de la créance d’indemnité d’assurance compensant un sinistre de catastrophe naturelle ou un dommage-ouvrage antérieur à la vente30.

Comme dit31, la différence entre ces affaires et celle commentée tient à ce qu’elles portent les unes sur la transmission de l’indemnité d’assurance et l’autre sur celle de l’assurance elle-même. Or à l’heure de la recherche de leur justification, cette dissimilitude est importante. L’une des explications proposées aux revirements de 2014 et 2016 réside en effet dans ce qu’ils permettent une certaine harmonisation du droit des assurances et du droit de la responsabilité civile lorsque le sinistre ayant affecté la chose vendue est survenu avant la vente. De même que la créance de réparation contre le responsable de ce dommage est transmise au sous-acquéreur dans une chaîne translative32, la créance contre l’assureur du vendeur en indemnisation de ce sinistre est transmise à l’acquéreur. Cet alignement du droit des assurances sur le droit des obligations va « dans le sens de la cohérence générale du droit »33. L’arrêt du 7 mars ne serait-il pas simplement une pierre supplémentaire posée à l’édifice de cette cohérence ? L’étude du fondement de l’action directe en responsabilité contractuelle permet de répondre par la négative, car s’il est transposable au principe précité de transmission de la créance d’indemnité, il ne l’est pas à celui de la transmission de l’assurance au jour de la vente. Quel est ce fondement ? La question est connue et épineuse34. Après moult propositions doctrinales35, la jurisprudence a consacré la théorie défendue par Aubry et Rau36, dans son célèbre arrêt Besse37 : l’action contractuelle est transmise avec la chose parce qu’elle en est l’accessoire. C’est pourquoi il convient, en droit positif, de distinguer les chaînes de contrats translatives de propriété de celles qui ne le sont pas, l’action contractuelle n’étant transmise qu’au sein des premières38. En d’autres termes, le critère de la transmission est ici sans nul doute le transfert de propriété et non la vente.

Pourquoi, dès lors, avoir retenu un critère différent en matière de transmission du contrat d’assurance ? Ce dernier n’est-il pas également un accessoire de la chose ? La lettre de l’article L. 210-10 du Code des assurances, qui pourrait fonder la présente décision, ne résulte-t-elle pas, sinon d’une confusion entre la vente et le transfert de propriété, au moins d’un maladroit raccourci rédactionnel ? Le transfert de propriété de la chose est un effet légal de la vente qui, il est vrai, se produit en principe « lors de la conclusion du contrat »39, mais qui s’en distingue puisqu’il peut, nous l’avons vu, « être différé [notamment] par la volonté des parties »40.

La théorie des risques peut enfin également être invoquée à l’appui de la démonstration de l’incohérence de cette décision. Rappelons qu’en vertu de l’article 1196, alinéa 3, du Code civil, « le transfert de propriété emporte transfert des risques de la chose ». Dès lors, le report, comme en l’espèce, du transfert de propriété à la signature de l’acte authentique, entraîne corrélativement report du transfert des risques à la date de cet évènement. Il faudrait en déduire que la transmission du contrat d’assurance précède le transfert des risques… Ce résultat est des plus curieux et rend la décision du 7 mars 2019 juridiquement contestable. Il faut avouer pour autant qu’elle est opportune.

B – Une décision économiquement opportune

Si l’arrêt commenté est juridiquement boiteux, peut-être est-il économiquement fondé. Pour le vérifier, il convient de rechercher qui des venderesses ou de l’acquéreur a en l’espèce l’intérêt d’assurance41, cette notion étant subjectivement appréciée en droit français42.

Curieusement, l’analyse de l’arrêt révèle qu’aucune des parties n’a en réalité subi de perte patrimoniale du fait des dégradations de l’immeuble vendu puisque, bien qu’ayant manqué à son obligation de délivrance de la chose dans l’état qui était le sien au jour de la vente (c’est-à-dire de la conclusion de la promesse)43, les venderesses ne devaient ni remettre le bien en cet état, ni dédommager l’acquéreur, ni même réduire le prix44. La demande de l’acquéreur tendant à l’exécution forcée en nature de cette obligation a en effet été rejetée, au motif qu’il est « impossible », ou du moins économiquement insensé, de remettre un bien dans un état « dégradé et affecté par l’usage de l’amiante »45, ce qui était le cas en l’espèce, les juges du fond ayant souverainement retenu que l’immeuble devait, dans son état initial, « donner lieu à une réhabilitation lourde pour pouvoir connaître une utilisation quelconque ». La demande en indemnisation n’a pas rencontré davantage de succès, faute pour l’acquéreur d’avoir établi la réalité et l’ampleur de son préjudice, dont la mesure ne pouvait être que le surcoût de la reconstruction selon la cour d’appel. En bref, les dégradations n’ont impliqué aucune dépense ou concession financière de la part des venderesses et n’ont pas causé de préjudice, du moins prouvé, à l’acquéreur. Il ne faut toutefois pas en déduire qu’aucun n’avait l’intérêt d’assurance. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le Rapport de la Cour de cassation pour l’année 2013. Cette dernière y explique sa décision d’admettre la transmission du droit d’action en responsabilité contractuelle du vendeur à l’acquéreur d’un bien endommagé avant la vente : « Outre la raison juridique, (…), liée à la théorie de l’accessoire, cette solution s’explique par la volonté de la Cour de conférer l’action, donc les fonds, à celui qui seul peut engager les réparations, l’acquéreur, nouveau propriétaire »46. Si la « raison juridique » évoquée dessert l’arrêt du 7 mars 201947, l’objectif économique poursuivi lui est transposable48. Il s’agit de confier la somme utile à la réparation du bien à celui qui s’en chargera effectivement. Et ce critère d’affectation est d’autant plus pertinent en matière d’assurance de chose que l’article L. 121-17 du Code des assurances dispose que « les indemnités versées en réparation d’un dommage causé à un immeuble doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d’assiette d’une manière compatible avec l’environnement dudit immeuble »49. En l’occurrence, la remise en état du bien, absorbée par sa réhabilitation, incombait à l’acquéreur. Il était donc économiquement opportun d’en faire le bénéficiaire de l’indemnité. Ce qui explique probablement la règle posée par la Cour de cassation. Le demandeur s’étant placé sur le terrain de la transmission du contrat d’assurance, il fallait admettre cette dernière pour que l’acquéreur, en qualité d’assuré, puisse être désigné bénéficiaire de l’indemnité. La solution retenue aurait-elle été identique si la charge des réparations était revenue aux venderesses ? Nous en doutons sérieusement.

Ainsi, le critère absolu de la transmission des droits assuranciels du vendeur à l’acquéreur semble davantage résider dans la recherche de l’efficacité économique de l’indemnité allouée, que dans la date du transfert de propriété. C’est peut-être finalement dans l’application dissimulée de ce critère économique que réside le réel apport de cet arrêt. L’enseignement est le suivant : la fin économique justifie parfois des moyens peu juridiques.

N’est-ce pas une belle illustration de ce que notre droit sait être flexible ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Carbonnier J., Flexible droit, 10e éd., 2001, Paris, LGDJ, p. 8.
  • 2.
    Carbonnier J., Flexible droit, 10e éd., 2001, Paris, LGDJ, p. 8.
  • 3.
    Exceptions faites des véhicules terrestres à moteur (C. assur., art. L. 120-10, in fine) et des navires et bateaux de plaisance (C. assur., art. L. 121-11), et sauf résiliation (C. assur., art. L. 121-10, al. 2). Pour une critique de cet article, v. Vallier C., « Faut-il abroger l’article L. 210-10 du Code des assurances ? », Resp. civ. et assur. 2000, chron. 26.
  • 4.
    Par ex., il a été jugé que l’assureur ne peut pas la subordonner à une déclaration préalable du transfert de propriété : Cass. 1re civ., 4 juill. 1956 : RGAT 1956, p. 252.
  • 5.
    Il faut en outre qu’un contrat d’assurance soit en vigueur au moment de l’aliénation du bien. Les parties au contrat de vente ne doivent notamment pas s’être accordées pour reporter l’assurance sur la chose achetée en remplacement de celle vendue (Cass. 1re civ., 21 mars 1960 : Bull. civ. I, n° 164 ; RGAT 1961, p. 165) et que la chose transmise soit la matière d’un risque qui lui soit propre, auquel correspond une prime spéciale ou une partie divisible d’une prime totale (Cass. civ., 27 janv. 1948 : D. 1949, p. 458, note Besson A. ; RGAT 1948, p. 26).
  • 6.
    Cass. 1re civ., 10 juin 1986, n° 84-17087.
  • 7.
    Peu important la cause de ce transfert : vente, cession judiciaire de l’entreprise dans le cadre d’une procédure collective, succession…
  • 8.
    Cass. 1re civ., 24 janv. 1984, n° 82-14.841 : Bull. civ. I, n° 31.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 20 nov. 1990, n° 89-12534 : Bull. civ. I, n° 251; JCP G 1992, II, 21841, note Dagot M.
  • 10.
    V. Cass. 3e civ., 7 mai 2014, n° 13-16400 : RDC 2015, n° 111j6, p. 77, note Leduc F. ; D. 2014, p. 1152 ; Resp. civ. et assur. 2014, n° 284, note Groutel H – Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, n° 15-21630 : à paraître au Bulletin ; Constr.-Urb. 2017, comm. 54, Pages-de-Varenne M.-L. ; JCP N 2017, 1287, note Zalwski-Sicard V. ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 351, note Groutel H.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-15523 : Bull. civ. I, n° 192 ; RDI 1997, p. 601, obs. Leguay G. et Dubois P. – Dans le meme sens, Cass. 3e civ., 29 oct. 2003, n° 02-11859 – Cass. 3e civ., 20 oct. 2004, n° 03-13599 : Bull. civ. III, n° 173 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 381, note Courthieu G. – Cass. 3e civ., 2 févr. 2005, n° 03-19318 : Bull. civ. III, n° 19 – Cass. 3e civ., 4 déc. 2007, n° 06-18783 ; Cass. 3e civ., 8 oct. 2008, n° 07-15939, D – Cass. 3e civ., 16 déc. 2009, n° 09-65697 : Bull. civ. III, n° 278. – Contra Cass. 3e civ., 17 déc. 2014, n° 13-22.494 ; Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, n° 15-21630 : à paraître au Bulletin ; Constr.-Urb. 2017, comm. 54, Pages-de-Varenne M.-L. ; JCP N 2017, 1287, note Zalwski-Sicard V. ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 351, note Groutel H.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, n° 98-12272 : Bull. civ. I, n° 212 ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 344. – Dans le même sens, Cass. 2e civ., 7 avr. 2011, n° 10-17426 : RGDA 2011, p. 1111, note Bigot J. – CA Basse-Terre, 18 mai 2015, n° 13/01170. – Contra Cass. 3e civ., 7 mai 2014, n° 13-16400 : RDC 2015, n° 111j6, p. 77, note Leduc F. ; D. 2014, p. 1152 ; Resp. civ. et assur. 2014, n° 284, note Groutel H.
  • 13.
    Nous soulignons.
  • 14.
    « Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».
  • 15.
    « Dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat. »
  • 16.
    V. C. civ., art. 1196, al. 2. Adde Cass. 3e civ., 12 mars 1974, n° 72-13.675 : Bull. civ. III, n° 114 – Cass. 1re civ., 24 janv. 1984, n° 82-14841 : Bull. civ. I, n° 31 (peu importe que les acquéreurs aient pris possession de l’immeuble « à titre précaire » avant la date de la réitération).
  • 17.
    V. not. Cass. req., 4 mai 1936 : DH 1936, p. 313 – Cass. 3e civ., 12 oct. 1994, n° 92-18759 : Defrénois juin1995, p. 738, obs. Mazeaud D. – Cass. 3e civ., 20 déc. 1994, n° 92-20878 : D. 1994, p. 9, obs. Tournafond O. ; JCP G 1995, II, 22491, note Larroumet C. Adde Barret O., « Promesse de vente », R. D. imm. 2011, n° 202.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 28 mai 1997, n° 95-20098 : Bull. civ. III, n° 123 ; D. 1999, p. 11, obs. Brun P. – Cass. 3e civ., 25 oct. 2006, n° 05-15393 : Bull. civ. III, n° 210 ; D. 2006, p. 2782, note Lienhard C.
  • 19.
    Cass. 3e civ., 17 juill. 1997, n° 95-20064, D : D. 1999, p. 11, obs. Brun P. : « Mais attendu qu’ayant, par une interprétation souveraine de la portée des documents versés aux débats, relevé que toutes les pièces signées, soit séparément, soit simultanément, par les parties ne faisaient mention que d’une vente au jour de la signature de l’acte authentique et de simples intentions de vendre et d’acquérir, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ».
  • 20.
    V. Cass. 1re civ., 24 janv. 1984, n° 82-14.841 : Bull. civ. I, n° 31 – Cass. 1re civ., 20 nov. 1990, n° 89-12534 : Bull. civ. I, n° 251; JCP G 1992, II, 21841, note Dagot M.
  • 21.
    Nous soulignons.
  • 22.
    Sur la jurisprudence antérieure, v. Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-15523 : Bull. civ. I, n° 192 ; RDI 1997, p. 601, obs. Leguay G. et Dubois P. – Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, n° 98-12272 : Bull. civ. I, n° 212 ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 344.
  • 23.
    Cass. 2e civ., 4 nov. 2010, n° 09-71677 : RGDA 2011, p. 202, note Abravanel-Jolly S., jugeant, au visa de l’article L. 210-10 du Code des assurances, que « l’assureur, garantissant les risques de catastrophe naturelle au moment du sinistre survenu avant la vente de l’immeuble, pendant la période visée par l’arrêté constatant cette catastrophe naturelle, était tenu d’accorder sa garantie aux acquéreurs de ce bien, en l’absence de résiliation du contrat d’assurance ».
  • 24.
    Cass. 2e civ., 7 avr. 2011, n° 10-17426, approuvant l’arrêt attaqué d’avoir retenu que le bénéficiaire de l’indemnité d’assurance est le propriétaire du bien au moment du sinistre », en l’occurrence le vendeur puisque les fissures consécutives à la sécheresse étaient apparues avant la vente.
  • 25.
    Cass. 3e civ., 16 avr. 2013, n° 12-16242.
  • 26.
    Nous soulignons.
  • 27.
    Cass. 3e civ., 7 mai 2014, n° 13-16400 : RDC 2015, n° 111j6, p. 77, note Leduc F. ; D. 2014, p. 1152 ; Resp. civ. et assur. 2014, n° 284, note Groutel H. En l’espèce, suite à une vague de sécheresse, des lézardes et fissures étaient apparues sur un immeuble, lequel avait été vendu en l’état. L’arrêté reconnaissant l’état de catastrophe naturelle avait été publié postérieurement à la vente et la question se posait de savoir à qui l’assureur du vendeur, propriétaire au moment du sinistre, devait verser l’indemnité d’assurance.
  • 28.
    Nous soulignons.
  • 29.
    Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, n° 15-21630 : à paraître au Bulletin ; Constr.-Urb. 2017, comm. 54, Pages-de-Varenne M.-L. ; JCP N 2017, 1287, note Zalwski-Sicard V. ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 351, note Groutel H. Dans le même sens, CA Saint-Denis-de la Réunion, 9 juin 2017, n° 15/01781. Rappr. Cass. 3e civ., 17 déc. 2014, n° 13-22494 : Bull. civ. III, n° 165 ; RCA 2015, comm. 104, note Groutel H. ; Constr.-Urb. 2015, comm. 27, note Pages-de-Varenne M.-L. Pour une présentation de l’évolution jurisprudentielle ayant précédé ce revirement, v. not. Bacache M., « Assurance dommage-ouvrage : transmission au sous-acquéreur de l’indemnité pour les sinistres antérieurs à la vente », D. 2017, p. 1213 ; Leduc F., « Du nouveau sur la transmission de la créance d’indemnité d’assurance », RDC 2015, n° 111j6, p. 77, spéc. n° 2.
  • 30.
    Leduc F., « Du nouveau sur la transmission de la créance d’indemnité d’assurance », RDC 2015, n° 111j6, p. 77, spéc. n° 2.
  • 31.
    V. Partie I, A.
  • 32.
    Dernièrement, Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-15132 : RDC 2017, n° 114q1, p. 451, note Chauviré P.
  • 33.
    Leduc F., « Du nouveau sur la transmission de la créance d’indemnité d’assurance », RDC 2015, n° 111j6, p. 77, spéc. n° 2.
  • 34.
    La discussion subsiste d’ailleurs : v. par ex. Jourdain P., « Acquisition de l’immeuble et transmission des actions en justice : un désordre remédiable », RDC 2014, n° 110y9, p. 795 ; Bakouche D., « La nature de la responsabilité civile dans les groupes de contrats », Resp. civ. et assur. 2019, dossier 5.
  • 35.
    Capitant H., et a., Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 13e éd., 2015, Dalloz, p. 658.
  • 36.
    Aubry C. et Rau C., Droit civil français, t. 2, 7e éd., 1961, Librairies techniques, p. 104, n° 69.
  • 37.
    Cass. ass. plén., 12 juill. 1991, n° 90-13602 : Bull. ass. plén. n° 5 ; JCP G 1991, II, 21743, note Viney G. ; D. 1991, p. 549, note Ghestin J. ; JCP E 1991, II, 218, note Larroumet C. ; D. 1991, somm., p. 321, obs. Aubert J.-L. ; D. 1992, somm., p. 119, obs. et concl. Mouzier R. ; RTD civ. 1991, p. 750, obs. Jourdain P.
  • 38.
    Gréau F., « Action directe », Rép. civ. Dalloz, 2011, n° 94.
  • 39.
    C. civ., art. 1196, al. 1er.
  • 40.
    C. civ., art. 1196, al. 2.
  • 41.
    Provost M., La notion d’intérêt d’assurance, thèse, t. 51, 2009, LGDJ, coll. Thèses ; « La notion d’intérêt d’assurance », RGDA 2009, p. 713.
  • 42.
    Astegiano-La Rizza A., L’assurance et les tiers. Variations sur le thème de la complexité des relations contractuelles, 2004, Defrénois, Doctorat et Notariat, n° 953 et s.
  • 43.
    C. civ., art. 1614.
  • 44.
    La réduction n’ayant pas été sollicitée.
  • 45.
    CA Douai, 26 oct. 2017, cité en annexe de l’arrêt commenté.
  • 46.
    Rapp. C. Cass. 2013, p. 580 (sous Cass. 3e civ., 10 juill. 2013, n° 12-21910).
  • 47.
    V. Partie II, A.
  • 48.
    Rappr., concernant la transmission de l’indemnité d’assurance, Leduc F., « Du nouveau sur la transmission de la créance d’indemnité d’assurance », RDC 2015, n° 111j6, p. 77, spéc. n° 2.
  • 49.
    Encore qu’il faille préciser que la portée de ce texte, dérogeant semble-t-il au principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance, demeure incertaine. Ayant été introduit par la loi du 2 février 1995 relative à la garantie obligatoire des catastrophes naturelles et renvoyant à l’article L. 121-16 du Code des assurances, relatif aux immeubles sinistrés à la suite d’une catastrophe naturelle, certains auteurs pensent en effet son domaine d’application limité aux sinistres provoqués par une catastrophe naturelle (v. Heuzé V. et a., Traité de droit des assurances, Le contrat d’assurance, t. 3, 2e éd., 2014, LGDJ, n° 1970). Pour autant, son positionnement au sein du Code des assurances, parmi les règles générales des assurances de dommage et non au sein du chapitre dédié à l’assurance de catastrophes naturelles, contredit une telle limitation.
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