CEDH : Apologie du terrorisme : une sanction trop lourde

Publié le 23/06/2022

Le requérant est un ressortissant français, ancien membre du groupe terroriste Action directe, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits d’assassinat à caractère terroriste, qui passa vingt-cinq ans en prison jusqu’à sa libération conditionnelle en 2012. Auteur de plusieurs livres, il a également tourné dans un film sorti en 2016, où il tenait son propre rôle.

Au cours d’un entretien publié sur le site Internet d’un magazine, se référant aux responsables des attentats terroristes commis à Paris et en Seine-Saint-Denis en 2015, il déclara notamment : « Moi je les ai trouvés très courageux, ils se sont battus courageusement ».

Le procureur de la République décida de poursuivre le requérant pour apologie publique d’un acte de terrorisme au moyen d’un service de communication accessible au public en ligne, sur le fondement de l’article 421-2-5 du Code pénal et il fut condamné à une peine de huit mois d’emprisonnement ferme, ainsi qu’au paiement de la somme d’un euro à l’Association française des victimes de terrorisme et de 300 euros à chacune des victimes des attentats constituées parties civiles. Le tribunal jugea qu’eu égard au contexte, notamment aux récents attentats perpétrés en France et à la personnalité du requérant, condamné à deux reprises à la réclusion à perpétuité pour des infractions à caractère terroriste, les propos qu’il avait tenus justifiaient une forme de violence et portaient atteinte à la dignité des victimes.

La cour d’appel aggrava par ailleurs la peine à dix-huit mois d’emprisonnement, dont dix mois de sursis probatoire. Le requérant posa une question prioritaire de constitutionnalité et le Conseil constitutionnel (Cons. const., 18 mai 2018, QPC n° 2018-70 déclara les dispositions concernées de l’article 421-2-5 du Code pénal conformes à la Constitution. La Cour de cassation rejeta le pourvoi, jugeant notamment que la cour d’appel avait fait une exacte appréciation du sens et de la portée des propos du requérant et qu’elle avait nécessairement apprécié la proportionnalité de la sanction au regard des objectifs poursuivis.

À titre liminaire, la Cour relève que le requérant pouvait raisonnablement prévoir que ses propos laudatifs relatifs aux auteurs des attentats terroristes, tenus publiquement dans le cadre d’un entretien journalistique, étaient susceptibles d’engager sa responsabilité pénale, cette ingérence dans sa liberté d’expression était donc prévisible.

La Cour note que les juridictions nationales ont estimé que les propos du requérant étaient une incitation à porter un jugement favorable sur les auteurs d’infractions terroristes.

La Cour reconnaît que même si les propos du requérant ne constituaient pas une incitation directe à la violence, ils véhiculaient une image positive des auteurs d’attentats terroristes et ont été prononcés alors que l’émoi provoqué par les attentats meurtriers de 2015 était encore présent dans la société française et que le niveau de la menace terroriste demeurait élevé, comme en témoignent plusieurs autres attaques terroristes survenues en France en juin et juillet 2016. En outre, la Cour note que la diffusion de ces propos par le biais de la radio et d’internet était susceptible de toucher un large public.

Dans ces conditions, la Cour, qui admet que les propos litigieux doivent être regardés, eu égard à leur caractère laudatif, comme une incitation indirecte à l’usage de la violence terroriste, n’aperçoit aucune raison sérieuse de s’écarter du sens et de la portée qu’en a retenus le tribunal correctionnel dans le cadre d’une décision dûment motivée, dont les motifs ont été repris par la cour d’appel et la Cour de cassation. Il s’ensuit que les autorités nationales bénéficiaient, au cas d’espèce, d’une large marge d’appréciation dans leur examen de la nécessité de l’ingérence litigieuse.

Elle ne voit en l’espèce aucun motif sérieux de s’écarter de l’appréciation retenue par les juridictions internes s’agissant du principe de la sanction. Elle estime que les motifs qu’elles ont retenus pour justifier la sanction du requérant, reposant sur la lutte contre l’apologie du terrorisme et sur la prise en considération de la personnalité de l’intéressé, apparaissent, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, à la fois pertinents et suffisants pour fonder l’ingérence litigieuse qui doit ainsi être regardée comme répondant, dans son principe, à un besoin social impérieux.

Si la Cour note le soin avec lequel les juridictions internes se sont efforcées, d’une part, de motiver non seulement le principe de la sanction infligée mais aussi sa nature et son quantum et, d’autre part, d’en justifier son aggravation en appel et que les propos litigieux justifiait une réponse, de la part des autorités nationales, à la hauteur des menaces qu’ils étaient susceptibles de faire peser tant sur la cohésion nationale que sur la sécurité publique du pays, elle relève toutefois que la sanction infligée au requérant est une peine privative de liberté. Alors même qu’il a été sursis à l’exécution de la peine de dix‑huit mois d’emprisonnement prononcée à son encontre, pour une durée de dix mois, le requérant a en effet été placé sous le régime de la surveillance électronique pendant six mois et trois jours. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour considère que les motifs retenus par les juridictions internes dans la mise en balance qu’il leur appartenait d’exercer ne suffisent pas à la mettre en mesure de considérer qu’une telle peine était, en dépit de sa nature ainsi que de sa lourdeur et de la gravité de ses effets, proportionnée au but légitime poursuivi.

La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne la lourdeur de la sanction pénale infligée.

Sources :
X