CEDH : aucun recours possible pour une décision de suspension de fonctions

Publié le 03/08/2021

La requérante est une magistrate belge qui fut admise à la retraite anticipée après 20 ans d’ancienneté comme puis désignée par le Sénat comme membre du CSJ au titre des membres non-magistrats. Quand, un an plus tard, elle fut inculpée notamment du chef de faux en écritures et usage de faux pour des faits qu’elle aurait commis en sa capacité de présidente du tribunal de première instance dans le cadre de la procédure de désignation de son successeur, elle fut suspendue de toutes ses fonctions au sein du CSJ pour une période renouvelable de six mois. Par la suite, la suspension fut prolongée jusqu’à ce qu’une décision pénale définitive soit prononcée.

La requérante soutient que l’assemblée générale du CSJ qui lui a imposé une sanction disciplinaire déguisée n’est pas une instance judiciaire au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’aucun recours n’est ouvert à l’encontre de cette décision auprès d’une instance juridictionnelle.

Avant toute chose, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de déterminer si les décisions prises à l’encontre de la requérante étaient des mesures d’ordre au sens du droit administratif interne, ni même si ces décisions constituaient une sanction disciplinaire déguisée, tel que l’allègue la requérante. Il suffit en effet à la Cour de rappeler qu’elle a conclu à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention au motif qu’il y avait bien une « contestation » sur un « droit » de « caractère civil ». Il en résulte que la requérante devait, dans le cadre de la procédure de suspension de ses fonctions au sein du CSJ, bénéficier des garanties offertes par cette disposition, au premier rang desquelles figure le droit d’accès à un tribunal.

La Cour observe que la requérante s’est abstenue de contester les décisions du CSJ portant suspension de ses fonctions au motif qu’aucune voie de recours effective n’était disponible en droit interne. Selon le Gouvernement, l’intéressée aurait dû contester les décisions litigieuses devant le Conseil d’État ou devant les juridictions civiles.

La Cour constate, d’abord, la règlementation nationale sur le Conseil d’État ne permettait pas à la requérante, en tant que membre du CSJ, de saisir la juridiction administrative d’un recours en annulation contre les décisions litigieuses.

Ensuite, en ce qui concerne le pouvoir d’injonction du juge judiciaire, la Cour note que les affirmations du Gouvernement quant à l’adéquation et l’effectivité de ce recours se fondent sur les principes généraux relatifs au contentieux des droits subjectifs. Le Gouvernement ne précise pas dans quelle mesure ces principes s’appliqueraient à l’égard d’une instance comme le CSJ dont l’indépendance à l’égard des autres pouvoirs, et notamment du pouvoir judiciaire, est constitutionnellement garantie. Le Gouvernement n’a d’ailleurs fourni aucun exemple d’injonction contre le CSJ ou une instance comparable.

Enfin, en ce qui concerne une action en responsabilité civile, une telle demande n’aurait pas permis au juge d’annuler les mesures de suspension prises à l’égard de la requérante. Si la demande avait été déclarée fondée, un tel recours aurait pu aboutir à l’octroi de dommages et intérêts, mais il n’aurait pas permis à la requérante de reprendre ses fonctions au sein du CSJ. De l’avis de la Cour, le seul type de recours adéquat, dans une situation telle que celle de l’espèce, est un recours qui pourrait conduire à l’annulation des décisions litigieuses et au rétablissement de la requérante dans son droit d’exercer ses fonctions au sein du CSJ si l’illégalité de la suspension était constatée. Une action en responsabilité civile n’est donc pas un recours adéquat en l’espèce.

Dans ces conditions, la Cour considère que le Gouvernement n’a pas démontré l’existence d’une quelconque voie de recours qui aurait pu permettre à la requérante de faire contrôler, par la voie judiciaire, la décision de suspension de ses fonctions au sein du CSJ et d’obtenir l’annulation ou la suspension de l’exécution de cette décision. Elle rejette par conséquent l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

Il résulte également de ce qui précède que les décisions litigieuses n’ont pas été prises par un tribunal ou par un autre organe exerçant des fonctions judiciaires, et qu’elles ne pouvaient pas être soumises au contrôle d’un tel organe. La requérante a ainsi été privée du droit d’accès à un tribunal pour contester la mesure de suspension de ses fonctions au sein du CSJ.

Il en découle qu’il a été porté atteinte à la substance même du droit de la requérante d’accéder à un tribunal.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Sources :
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