CEDH : Refus de vaccination et non-épuisement des recours internes

Publié le 13/10/2022

N’étant pas vacciné contre la covid-19, M. le requérant fut informé des conséquences qu’emporterait une interdiction d’exercer son activité de sapeur-pompier, tant professionnel que volontaire, ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Il refusa néanmoins de se faire vacciner.

En application de la loi n° 2021-1040 relative à la gestion de la crise sanitaire, la présidente du conseil d’administration du service départemental-métropolitain d’incendie et de secours de la ville de Lyon et du département du Rhône prit deux arrêtés de suspension de fonctions et d’engagement de l’intéressé, respectivement en sa qualité de sapeur-pompier professionnel et de sapeur-pompier volontaire, dans l’intérêt du service pour des raisons d’ordre public, afin de protéger la santé des personnes, avec interruption de sa rémunération s’agissant de son activité professionnelle. Le requérant n’exerça aucun recours mais lui et d’autres sapeurs-pompiers ou salariés travaillant en milieu hospitalier demandèrent la suspension de « l’obligation vaccinale telle que prévue par l’article 12 de la loi du 5 août 2021 ». La Cour ne fit pas droit à cette demande, estimant qu’elle se situait hors du champ d’application de l’article 39.

Invoquant l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 14, ainsi que l’article 1er du Protocole n° 1, le requérant se plaint de l’obligation vaccinale qui lui est imposée en application de la loi précitée en raison de sa profession et du fait que son refus de se faire vacciner contre la covid-19 aurait entraîné la suspension de son activité professionnelle et la privation totale de sa rémunération.

La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection, dont la mise en œuvre effective repose notamment sur le principe de subsidiarité inhérent à la Convention et consacré dans la jurisprudence de la Cour. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours effectifs qu’offre le système juridique de celui-ci.

Ainsi, en droit français, le recours pour excès de pouvoir, dans le cadre duquel il est possible de développer, à l’appui des conclusions d’annulation, des moyens fondés sur une violation de la Convention, est une voie de recours interne à épuiser. Pour pleinement épuiser les voies de recours internes, il faut donc en principe mener la procédure interne, le cas échéant, jusqu’au juge de cassation et le saisir des griefs tirés de la Convention susceptibles d’être ensuite soumis à la Cour. Or, une telle exigence vaut indépendamment de l’intervention d’une décision du Conseil constitutionnel, qui ne se prononce pas au regard des dispositions de la Convention. En effet, le contrôle du respect de la Convention effectué par le juge ordinaire est distinct du contrôle de conformité de la loi à la Constitution effectué par le Conseil constitutionnel : une mesure prise en application d’une loi (acte réglementaire ou décision individuelle) dont la conformité aux dispositions constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux a été déclarée par le Conseil constitutionnel peut être jugée incompatible avec ces mêmes droits tels qu’ils se trouvent garantis par la Convention à raison, par exemple, de son caractère disproportionné dans les circonstances de la cause. Par ailleurs, il est loisible à un requérant qui saisit le juge de l’excès de pouvoir d’un recours, que celui-ci soit dirigé contre un décret d’application d’une loi, une décision refusant d’abroger un tel décret ou une décision individuelle prise sur son fondement d’invoquer, par la voie de l’exception, l’inconventionnalité de cette loi à l’appui de ses conclusions d’annulation. Un recours effectif était donc ouvert en droit interne qui aurait permis au requérant de contester devant le juge administratif, outre les décisions individuelles le concernant, le respect par la et son décret d’application des articles de la Convention invoqués devant la Cour.

Certes, le requérant estime également que l’avis consultatif du Conseil d’État en date du 19 juillet 2021 était de nature à le dispenser de contester la loi par voie d’exception à l’occasion d’une procédure intéressant sa situation personnelle.

La Cour rappelle cependant, d’une part, qu’il ne lui appartient pas de statuer dans l’abstrait sur la question de savoir si les attributions consultatives du Conseil d’État sont compatibles avec ses fonctions juridictionnelles et les exigences d’indépendance et d’impartialité qu’elles impliquent, et d’autre part, que le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas déterminant dans l’abstrait. Il lui revient seulement de déterminer dans chaque espèce si l’avis rendu par la haute juridiction a constitué une sorte de préjugement de l’arrêt critiqué, entraînant un doute sur l’impartialité objective de la formation de jugement du fait de l’exercice successif des fonctions consultatives et juridictionnelles. Le simple fait qu’une institution cumule des fonctions consultatives et des fonctions juridictionnelles ne suffit pas pour mettre en cause l’impartialité de cette institution exerçant ses fonctions juridictionnelles.

Partant, aux yeux de la Cour, on ne saurait déduire de l’avis rendu par la commission permanente du Conseil d’État, qui est une formation consultative, que son contenu et ses conclusions seraient de nature à constituer un préjugement ou à lier les membres de la section du contentieux du Conseil d’État qui auraient été appelés à statuer sur un recours introduit par le requérant. La Cour note d’ailleurs que la commission permanente du Conseil d’État a non seulement émis des réserves sur le projet de loi, mais également mis en exergue deux éléments de nature à relativiser la portée de son avis pour l’avenir : d’une part, le fait qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine, elle avait disposé de moins d’une semaine pour rendre cet avis, considérant cette situation d’autant plus regrettable que le projet de loi soulevait des questions sensibles et pour certaines inédites qui imposaient la recherche d’une conciliation délicate entre les exigences qui s’attachent à la garantie des libertés publiques et les considérations sanitaires mises en avant par le Gouvernement. D’autre part, que si le projet de loi répondait, sous certaines réserves, de manière proportionnée aux objectifs de santé publique poursuivis, c’était toutefois au regard de la situation sanitaire telle qu’elle existait à la date de son avis et qu’il était donc nécessaire de réévaluer ce cadre juridique en fonction de l’évolution de la situation sanitaire pour ne pas maintenir des dispositions qui ne seraient plus adaptées à la lutte contre l’épidémie.

Dès lors, la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

Sources :
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