CEDH : liberté de consultation de sites internet pour un avocat détenu
Un avocat turc, soupçonné d’avoir commis les infractions d’appartenance à une organisation terroriste et de propagande en faveur d’une organisation terroriste, demanda à l’administration pénitentiaire, quelques jours après sa mise en détention provisoire, à avoir accès aux sites Internet de la CEDH, de la Cour constitutionnelle et du Journal officiel afin d’obtenir des informations juridiques pour suivre les dossiers de ses clients en tant qu’avocat devant ces deux juridictions et pour préparer sa propre défense en vue d’une audience dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui.
L’administration pénitentiaire ainsi que les juridictions du fond rejetèrent sa demande et son recours devant la Cour constitutionnelle fut rejeté pour défaut manifeste de fondement.
Le requérant soutient que le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à accéder aux sites précités constitue une ingérence dans l’exercice de son droit de recevoir des informations ou des idées compris dans son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention.
La Cour estime que, puisque l’accès des détenus à certains sites Internet dans des buts de formation et de réinsertion est déjà prévu en droit turc, la restriction de l’accès du requérant à des sites qui ne contiennent que des informations juridiques de nature à servir le développement et la réhabilitation de l’intéressé dans le cadre de sa profession et de ses centres d’intérêt, constitue une ingérence dans l’exercice du droit du requérant à recevoir des informations.
Procédant à une analyse des décisions des juridictions internes rendues par les autorités nationales en l’espèce, la Cour relève que les autorités nationales n’apportent pas d’explications suffisantes sur les questions de savoir pourquoi l’accès du requérant aux sites Internet précités ne pouvait pas être considéré comme relevant de la formation et de la réinsertion de l’intéressé, dans quel cas l’accès à Internet des détenus est autorisé par les dispositions législatives et régleentaires, et de savoir si et pourquoi le requérant devait être considéré comme un détenu présentant une certaine dangerosité ou appartenant à une organisation illégale à l’égard duquel l’accès à Internet pouvait être restreint en vertu des mêmes dispositions.
La Cour observe en outre que ni les autorités ni le Gouvernement n’expliquent pourquoi la mesure litigieuse, dans les circonstances particulières de la présente affaire, était nécessaire eu égard aux buts légitimes du maintien de l’ordre et de la sécurité de l’établissement pénitentiaire et de la prévention du crime. Elle note à cet égard que les dispositions nécessaires à l’utilisation d’Internet par les détenus sous le contrôle des autorités pénitentiaires avaient en tout état de cause été prises dans le cadre de programmes de formation et de réinsertion. Même si les considérations sécuritaires invoquées par les autorités nationales devaient être considérées comme pertinentes, la Cour relève que les juridictions nationales n’ont pas procédé à une analyse détaillée des risques de sécurité qui auraient résulté de l’accès du requérant aux trois sites Internet susmentionnés, d’autant plus qu’il s’agissait de sites Internet d’autorités étatiques et d’une organisation internationale et que le requérant aurait accédé seulement à ces sites Internet sous contrôle des autorités et dans les conditions que ces dernières auraient déterminées.
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré que les motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier la mesure incriminée étaient pertinents et suffisants ni que celle-ci était nécessaire dans une société démocratique.
Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
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