CEDH : mandat d’arrêt européen et mesures de protection équivalentes : condamnation de la France

Publié le 06/04/2021

L’un des requérants fut condamné par un tribunal roumain à sept ans et six mois d’emprisonnement, pour des faits de traite des êtres humains commis en Roumanie et en France. Il retourna en France après son procès et les autorités roumaines émirent un mandat d’arrêt européen à son encontre en vue de l’exécution de la peine de prison.

Le requérant, qui faisait l’objet d’un contrôle judiciaire l’obligeant à se présenter au commissariat de police une fois par semaine, fut appréhendé et le MAE lui fut notifié. Devant la chambre de l’instruction, il fit valoir que sa remise ne pouvait être accordée sans que la chambre de l’instruction n’ait au préalable sollicité et obtenu des informations complémentaires sur les conditions de sa détention future en Roumanie. La chambre de l’instruction fit cette demande afin d’apprécier l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant. Après réception de ces éléments d’information, la chambre d’instruction releva l’absence d’obstacle à la remise de l’intéressé et le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté. Deux semaines plus tard, il fut remis aux autorités roumaines en exécution du MAE.

Le requérant soutient que cela a entraîné une violation de l’article 3 de la Convention.

La Cour rappelle qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure contestée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3. Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels qu’ils pourraient faire naître.

La décision de remettre le requérant aux autorités de l’État d’émission du MAE a été prise alors qu’il soutenait que l’exécution de ce dernier l’exposerait à un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants à raison de ses futures conditions de détention en Roumanie. Il ne s’agit pas ici pour la Cour de se prononcer sur le respect, par la Roumanie, des obligations qui découlent de la Convention. Son contrôle porte seulement sur la décision des autorités judiciaires françaises d’exécuter le MAE. Dès lors que les éléments produits par le requérant à l’appui de ses allégations proviennent d’arrêts de la Cour concernant les conditions de détention en Roumanie, un bref rappel de la jurisprudence en la matière s’impose. Avant d’apprécier le bien-fondé du grief tiré de la violation de l’article 3, il convient de déterminer si la présomption de protection équivalente s’appliquait, dans les circonstances de l’espèce.

Devant la chambre de l’instruction, le requérant a invoqué plusieurs arrêts concluant à la violation de l’article 3 de Convention en raison des conditions de détention indignes subies par les requérants dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains, du fait de la surpopulation carcérale qui les touche, de l’absence de chauffage et d’eau chaude ainsi que du manque d’hygiène, de ventilation ou d’éclairage.

L’application de la présomption de protection équivalente dans l’ordre juridique de l’UE est soumise à deux conditions : l’absence de marge de manœuvre pour les autorités nationales et le déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’Union européenne. La seconde condition doit être appliquée sans formalisme excessif et en tenant compte des particularités du mécanisme de contrôle en cause. Il n’est pas approprié de subordonner la mise en œuvre de cette présomption à la condition que la juridiction nationale s’adresse à la CJUE dans tous les cas sans exception, y compris ceux où aucune question réelle et sérieuse ne se poserait.

En ce qui concerne la première condition, la Cour relève que l’obligation juridique pesant sur l’autorité judiciaire d’exécution du MAE résulte des dispositions pertinentes de la décision-cadre telles qu’interprétées par la CJUE. En l’état de la jurisprudence de la Cour de justice, l’autorité judiciaire d’exécution est autorisée à déroger, dans des circonstances exceptionnelles, aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelle entre États membres en reportant voire, le cas échéant, en refusant l’exécution du MAE. Il appartenait donc à l’autorité judiciaire d’apprécier la réalité des défaillances systémiques dans l’État membre d’émission alléguées par le requérant puis, le cas échéant, de procéder à un examen concret et précis du risque individuel de traitement inhumain et dégradant auquel celui-ci serait exposé en cas de remise.

Il s’ensuit que la chambre de l’instruction aurait dû refuser l’exécution du MAE si, au terme du contrôle, elle avait considéré qu’il existait des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant courra, en cas de remise, un risque réel d’être soumis à un traitement inhumain et dégradant en raison de ses conditions de détention. Pour autant, ce pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité judiciaire est exercé dans le cadre strictement défini par la jurisprudence de la CJUE et pour assurer l’exécution d’une obligation juridique dans le plein respect du droit de l’Union européenne, à savoir l’article 4 de la charte des droits fondamentaux qui assure une protection équivalente à celle qui résulte de l’article 3 de la Convention. Dans ces conditions, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait être regardée comme disposant, pour assurer ou refuser l’exécution du MAE, d’une marge de manœuvre autonome de nature à entraîner la non-application de la présomption de protection équivalente.

La Cour considère que la présomption de protection équivalente trouve à s’appliquer au cas d’espèce. Dès lors, sa tâche se limite à rechercher si la protection des droits garantis par la Convention est entachée en l’espèce d’une insuffisance manifeste susceptible de renverser cette présomption.

La Cour doit à présent rechercher si la protection des droits fondamentaux offerte par l’autorité judiciaire d’exécution est entachée en l’espèce d’une insuffisance manifeste susceptible de renverser la présomption de protection équivalente. Pour ce faire, elle s’attachera à déterminer si l’autorité judiciaire d’exécution disposait ou non de bases factuelles suffisamment solides pour devoir conclure que l’exécution du MAE entraînerait pour le requérant un risque concret et individuel d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 en raison de ses conditions de détention en Roumanie.

En l’espèce, au vu des éléments produits par le requérant, la chambre de l’instruction a demandé des informations complémentaires aux autorités compétentes de cet État portant sur les conditions concrètes de détention de l’intéressé afin d’apprécier la réalité du risque que celui-ci soit exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de remise.

Si, au vu des précisions qui lui ont été apportées, l’autorité judiciaire d’exécution a estimé que l’exécution du MAE litigieux n’emportait pas de risque d’une violation de l’article 3 à l’encontre du requérant, la Cour considère pour sa part que cette autorité disposait de bases factuelles suffisantes pour reconnaître l’existence d’un tel risque.

En premier lieu, la Cour estime que les informations fournies par l’État d’émission n’ont pas été suffisamment mises en perspective avec sa jurisprudence.

Les informations données par l’État d’émission donnaient lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 concernant les conditions de détention qui présentaient un risque réel de traitement inhumain et dégradant dès lors, d’une part, qu’elle ne permettaient pas de procéder à l’évaluation d’un tel risque s’agissant d’un établissement déterminé et, d’autre part, que les éléments attestant de l’existence des défaillances systémiques du système pénitentiaire de l’État d’émission dont elle disposait établissaient qu’un nombre important de prisons n’offraient pas des conditions de détention conformes aux standards consacrés par la Cour.

Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère que l’autorité judiciaire d’exécution disposait de bases factuelles suffisamment solides, provenant en particulier de sa propre jurisprudence, pour caractériser l’existence d’un risque réel que le requérant soit exposé à des traitements inhumains et dégradants en raison de ses conditions de détention en Roumanie et ne pouvait dès lors s’en remettre exclusivement aux déclarations des autorités roumaines. Elle en déduit, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’existence d’une insuffisance manifeste de protection des droits fondamentaux de nature à renverser la présomption de protection équivalente. Partant, elle constate la violation de l’article 3 de la Convention.

Sources :
X