CEDH : questions de nationalité avant et après l’indépendance de l’Algérie

Publié le 18/10/2022

Le requérant est né en France, où il réside depuis sa naissance, de parents nés Français en 1926 et 1936 en territoire français d’Algérie.

Jusqu’à la date de l’indépendance de l’Algérie, les personnes nées sur le territoire français de l’Algérie possédaient toutes la nationalité française. La quasi-totalité de la population avait un statut civil de droit local (loi musulmane). Relevaient du statut civil de droit commun (Code civil français) ceux qui avaient fait une requête spécifique en ce sens auprès d’un tribunal.

En application de l’ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 et de la loi n° 66-945 du 20 décembre 1966 modifiant cette ordonnance, les personnes relevant du statut civil de droit commun domiciliées en Algérie à la date de l’annonce officielle des résultats du scrutin d’autodétermination ont conservé leur nationalité française, quelle qu’ait été leur situation au regard de la nationalité algérienne. Les personnes relevant du statut civil de droit local originaires d’Algérie et leurs enfants ont eu la possibilité, en France, de se faire reconnaître la nationalité française en souscrivant une déclaration de reconnaissance de la nationalité française. Cette faculté leur était ouverte jusqu’au 23 mars 1967.

Le requérant obtint une carte nationale d’identité française ainsi qu’une carte d’électeur en 2005.

Le 13 décembre 2011, la greffière en chef du TI du Havre opposa un refus à sa demande de délivrance d’un certificat de nationalité française.

Débouté par la justice de sa demande de reconnaissance de la nationalité française, le requérant sollicita le ministre de l’Intérieur qui lui rappela qu’il avait la possibilité de demander sa réintégration dans la nationalité française, précisant que le gouvernement avait demandé aux préfets de porter une attention particulière à l’examen des demandes formulées par les personnes se trouvant dans sa situation, c’est-à-dire nés avant l’indépendance de l’Algérie, en France métropolitaine des mêmes parents, nés Français sur le territoire français d’Algérie.

Le requérant fait valoir qu’il n’est pas établi que ses parents ont effectivement choisi de ne pas conserver la nationalité française et de la faire perdre à leur fils, un tel choix découlant d’une fiction juridique, consistant à interpréter l’inertie des parents comme un refus de nationalité française. Or, il souligne qu’il n’est pas demandé à la Cour de statuer sur la situation de ses parents mais sur la sienne, à savoir celle d’une personne née Français sur le territoire métropolitain avant l’indépendance de l’Algérie, qui se trouve privée, alors qu’elle était encore mineure, du fait de la seule inertie de ses parents alors Français comme étant nés sur le territoire français d’Algérie, de sa nationalité française, et placée dans une situation moins favorable que celle de ses frères et sœurs nés des mêmes parents, sur le même territoire métropolitain, postérieurement à l’indépendance de l’Algérie et jouissant de la nationalité française dès leur naissance par application du droit du sol aux enfants d’étrangers.

La Cour rappelle que toute différence de traitement n’emporte pas automatiquement violation de l’article 14. Une distinction est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. L’étendue de la marge d’appréciation des États varie selon les circonstances, les domaines et le contexte, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention.

La Cour souligne qu’elle n’est amenée à examiner que le grief tiré de ce que le refus litigieux repose sur une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 dans la jouissance du droit au respect de la vie privée, entre les membres d’une même fratrie.

Le critère de différenciation dont se plaint le requérant se rattache aux circonstances de la naissance et plus précisément à la date de celle-ci. Il s’agit ainsi principalement d’un critère temporel qui renvoie directement à celui de la naissance, qui est quant à lui un motif de discrimination expressément prohibé par l’article 14 de la Convention.

Cela étant, la Cour constate que, hormis le fait qu’il est né avant l’indépendance de l’Algérie alors que ses frères et sœurs sont nés après cette date et que leurs parents n’avaient plus la nationalité française à la naissance de ces derniers, le requérant se trouve quant aux circonstances de sa naissance dans une situation analogue à la leur : tous sont nés en France métropolitaine des mêmes parents, nés Français sur le territoire français d’Algérie. Au regard du grief examiné par la Cour, les similitudes entre la situation du requérant et celle de ses frères et sœurs apparaissent ainsi prédominantes par rapport aux différences.

Quant au but de la différence de traitement entre l’un et les autres, il ressort des observations du Gouvernement qu’il s’agissait, dans le contexte de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, de maintenir l’unité familiale au moment du transfert de souveraineté en faisant en sorte que les enfants mineurs suivent la condition de leurs parents au regard de la nationalité française.

La légitimité de ce but est d’autant moins contestable qu’il est lié à la décision souveraine de la France de laisser aux personnes qui relevaient du statut civil de droit local et qui étaient donc éligibles à la nationalité algérienne au moment de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, le choix de conserver ou non la nationalité française, plutôt que de leur imposer de la garder.

Compte tenu des enjeux liés à la question de la nationalité des personnes relevant du statut civil de droit local dans le contexte de l’indépendance de l’Algérie, la Cour est conduite à considérer que la France disposait d’une large marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure il était justifié d’opérer une distinction, s’agissant des modalités d’accès à la nationalité française, entre les enfants mineurs de ces personnes selon la date de leur naissance, avant ou après l’accession de l’Algérie à l’indépendance.

En l’espèce, elle ne voit pas de raison de douter que la distinction opérée s’agissant des modalités d’accès à la nationalité française entre les enfants mineurs était à l’époque en adéquation avec le but légitime poursuivi, à savoir que les enfants mineurs suivent la condition de leurs parents au regard de la nationalité française, dès lors que la question du maintien de leurs parents dans la nationalité française se posait précisément en raison et dans le contexte de l’accession de l’Algérie à l’indépendance.

Enfin, s’agissant de l’impact sur la situation du requérant, le droit français offre au requérant plusieurs moyens pour recouvrer la nationalité française, dont l’un sur lequel le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et la cour d’appel de Douai ont attiré l’attention du requérant. Elle constate à cet égard qu’il ressort des articles 24 et 24-1 du Code civil que les personnes qui sont en mesure d’établir avoir possédé la nationalité française peuvent obtenir leur réintégration dans cette nationalité par décret. Une telle réintégration est soumise aux exigences de moralité, d’assimilation à la communauté française et d’absence de condamnation applicables à la naturalisation, mais peut être obtenue à tout âge et sans condition relative à la durée de résidence en France. La Cour attire aussi l’attention sur une note du ministre de l’Intérieur aux préfets pour les personnes nées en France de parents nés Français sur le territoire français d’Algérie, de statut civil de droit local, et qui ont perdu la nationalité française à cette dernière date en l’absence de souscription d’une déclaration de reconnaissance de la nationalité française.

Au vu des pièces du dossier, en particulier la note du ministre de l’Intérieur et les observations du Gouvernement, la Cour, qui relève que l’issue de cette procédure n’est pas susceptible de se heurter à une tardiveté, ne doute pas, si le requérant décidait de solliciter, ainsi que l’y ont invité le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et la cour d’appel de Douai, sa réintégration dans la nationalité française, de la particulière célérité avec laquelle les autorités nationales donneront suite à sa demande.

Certes, la possibilité de recouvrer la nationalité française ne répond pas entièrement au grief du requérant, au cœur duquel se trouve ce qu’il perçoit comme une négation rétroactive d’un élément de son identité, néanmoins la différence de traitement entre le requérant et ses frères et sœurs ne porte pas sur le principe même de l’accès à la nationalité française mais sur les modalités de l’accès à celle-ci, ce qui relativise significativement son impact sur son droit au respect de la vie privée.

Si la Cour tient à souligner que l’État défendeur a commis une erreur en délivrant une carte d’identité et une carte électorale à une personne qui n’avait plus la nationalité française, cette circonstance, aussi regrettable soit‑elle, et quelles qu’aient pu être ses conséquences sur le droit au respect de la vie privée du requérant, est sans incidence sur la seule question soumise à l’examen de la Cour, relative au caractère discriminatoire ou non de la différence de traitement que dénonce ce dernier.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

Sources :
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