CEDH : rapatriement des femmes et des enfants de djihadistes de Syrie

Publié le 15/09/2022

Les requérants sont les parents de filles qui se sont rendues en Syrie afin de rejoindre le territoire contrôlé par l’organisation terroriste État islamique et grands-parents des enfants nés sur place. Entre mars 2019 et janvier 2021, la France organisa au « cas par cas » le rapatriement d’enfants se trouvant dans les camps du nord-est de la Syrie. Dans un communiqué de presse, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères annonça que la France avait procédé au retour sur le territoire national de trente-cinq mineurs français et de seize mères. L’avocate des requérants informa la Cour que les filles et petits-enfants des requérants ne faisaient pas partie des Français rapatriés, ce que le Gouvernement confirma.

L’exercice du droit de ne pas être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont on est ressortissant, tel que garanti par l’article 3 § 2 du Protocole n° 4, impliquerait, par essence, une application extraterritoriale. Si cette interdiction ne pouvait être invoquée que lorsque la personne se trouve déjà sur le territoire, la garantie offerte par cette disposition serait théorique et illusoire.

C’est la première fois qu’elle est appelée à se prononcer sur l’existence d’un lien juridictionnel entre un État et ses « ressortissants » à l’égard d’un grief tiré de ce texte. Les rares affaires qu’elle a examinées sur le terrain de cette disposition portaient sur la compatibilité de mesures de bannissement de membres des familles royales ou le défaut de délivrance de documents de voyage avec le droit d’entrer.

La Cour relève que la France n’exerce pas de contrôle effectif sur le territoire du nord-est syrien ni d’autorité ou de contrôle sur les proches des requérants retenus dans les camps de cette région.

Si les requérants soutiennent que l’ouverture des procédures pénales en France à l’encontre de leurs filles ainsi que l’engagement à leur initiative des procédures devant le juge des référés traduisent l’exercice de la compétence personnelle de l’État et, partant, un titre de juridiction au sens de l’article 1 de la Convention, la Cour ne considère pas cet argument valable.

Sur le fond, la Cour juge tout d’abord que les ressortissantes françaises et leurs enfants ne bénéficient pas d’un droit général au rapatriement au titre du droit d’entrée sur le territoire national garanti par la Convention.

Le droit d’entrer sur le territoire de l’État dont on est le ressortissant ne doit ainsi pas être confondu avec le droit de rester sur le territoire, et il ne confère pas un droit absolu à demeurer sur celui‑ci. Par exemple, et selon le rapport explicatif, un délinquant qui, après avoir été extradé par l’État dont il est le ressortissant, se serait évadé d’une prison de l’État requérant n’aurait pas un droit inconditionnel de trouver refuge dans son pays.

Étant donné l’existence d’un risque d’atteinte à l’intégrité physique et à la vie des proches des requérants, en particulier celles de leurs petits-enfants, la Cour conclut à l’existence de circonstances exceptionnelles en l’espèce. Par conséquent, il lui faut maintenant examiner si le refus opposé par l’État français aux demandes des intéressés a été entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire.

Elle relève que les requérants n’ont reçu aucune explication du choix qui sous-tend la décision prise par le pouvoir exécutif à leur égard hormis celle, implicite, qui ressort de la mise en œuvre de la politique suivie par la France, qui a pourtant assuré le retour de plusieurs mineurs sur le sol national. Ils n’ont pas non plus obtenu d’information de la part des autorités françaises qui aurait été de nature à contribuer à la transparence du processus décisionnel.

La Cour constate ensuite que les juridictions internes ont décliné leur compétence au motif qu’elles étaient saisies de demandes relatives à des actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France, qu’il s’agisse, devant les juridictions administratives, de la requête en référé tendant à ce que le juge enjoigne au ministre d’organiser le rapatriement des filles des requérants et de leurs enfants, ou de la demande d’annulation de la décision implicite par laquelle ce dernier avait refusé de prendre une telle mesure, et, devant les juridictions judiciaires, de celle tendant au constat d’une voie de fait. En ce qui concerne l’application de la théorie des actes de gouvernement dans les présentes affaires, qui repose sur des fondements constitutionnels, il n’appartient pas à la Cour de s’immiscer dans l’équilibre institutionnel entre le pouvoir exécutif et les juridictions de l’État défendeur ni de porter une appréciation générale sur les hypothèses dans lesquelles elles déclinent leur compétence. Ce qui importe uniquement est de savoir si les intéressés ont eu accès à un contrôle indépendant des décisions implicites de refus de rapatriement prises à leur égard permettant d’examiner s’il existait des raisons légitimes et raisonnables dépourvues d’arbitraire justifiant ces décisions au regard des obligations positives découlant, dans le cas d’espèce et compte tenu des circonstances exceptionnelles susmentionnées, tel n’a pas été le cas devant le Conseil d’État ou devant le tribunal judiciaire de Paris.

La Cour en déduit qu’en l’absence de toute décision formalisée de la part des autorités compétentes du refus de faire droit aux demandes des requérants, l’immunité juridictionnelle qui leur a été opposée par les juridictions internes, alors qu’ils fondaient leur prétention devant elles sur le respect du droit posé par l’article 3 § 2 du Protocole n° 4 et les obligations mises à la charge de l’État par cette disposition, les a privés de toute possibilité de contester utilement les motifs qui ont été retenus par ces autorités et de vérifier qu’ils ne reposent sur aucun arbitraire. Elle précise que l’exercice d’un tel contrôle n’implique pas nécessairement que le juge saisi se reconnaisse compétent pour ordonner, le cas échéant, le rapatriement.

Il résulte de ce qui précède que l’examen des demandes de retour effectuées par les requérants au nom de leurs proches n’a pas été entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire.

Sources :
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