Droit d’accès aux origines de l’enfant né sous X

Publié le 05/02/2024

Droit d’accès aux origines de l’enfant né sous X

La requérante, une ressortissante française née en Nouvelle-Calédonie, n’eut connaissance de son adoption qu’après le décès de son second parent adoptif.

Elle s’adressa au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) afin de connaître les causes de son abandon et l’identité de ses parents biologiques. Elle formula également plusieurs questions concernant la nationalité de sa mère, les antécédents médicaux de sa famille et l’existence de frères ou sœurs biologiques.

Après investigations, le CNAOP obtint des informations sur la mère biologique de la requérante (nom, prénom, lieu et date de naissance, description physique) et son père biologique (nom, prénom, un âge et une description physique). Il obtint également le jugement d’adoption de la requérante et l’information suivante sur la cause de l’abandon : « la jeune fille (dont on ignore l’âge) est fiancée et ce dernier [son fiancé] ne veut se marier que si elle abandonne l’enfant ».

Le CNAOP parvint à localiser la mère qui exprima, comme l’y autorise l’article L. 147-6 du Code de l’action sociale et des familles, sa volonté de préserver le secret de son identité, « maintenant et après son décès ».

La personne identifiée comme étant possiblement le père opposa le même refus.

Le CNAOP indiqua à la requérante que sa mère avait toujours la possibilité de revenir sur sa décision et ne pas pouvoir passer outre le refus de sa mère de lever le secret de son identité. Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie considéra que la requérante ne pouvait soutenir que le CNAOP n’avait pas mis en œuvre tous les moyens pour permettre l’accès à ses origines et la cour administrative d’appel de Paris rejeta l’appel formé contre ce jugement. Le Conseil d’État rejeta le pourvoi en cassation.

La question qui se pose est celle de savoir si, en rejetant la demande de communication de l’identité de la mère, sur le fondement de la volonté de cette dernière de ne pas lever le secret et sur l’équilibre ainsi voulu par le législateur en matière d’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, l’État défendeur, compte tenu de la marge d’appréciation dont il disposait, s’est fondé sur des motifs pertinents et suffisants et a ménagé un juste équilibre entre, d’un côté, le droit de la requérante à connaître sa mère biologique et, de l’autre, les droits et les intérêts de cette dernière à maintenir son anonymat.

À cet égard, la Cour note que les juridictions internes ont validé le système de réversibilité du secret mis en place en 2002 qui garantit, selon elles, de manière équilibrée le respect de la vie privée de la requérante et celle de sa mère. Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont jugé que la compétence du CNAOP et l’office du juge ne s’étendaient pas au contrôle du bien-fondé de l’opposition ainsi manifestée de la mère vis-à vis de l’atteinte portée à la vie privée de la requérante en quête de ses origines. Le Conseil d’État a ensuite confirmé cette analyse en fondant le rejet du pourvoi de la requérante sur le caractère équilibré du système mis en place par la loi de 2002 et de la conciliation opérée entre le respect dû « au droit à l’anonymat garanti à la mère lorsqu’elle a accouché » et le « souhait légitime de l’enfant né dans ces conditions de connaître ses origines ». Il a en outre précisé que la communication à la requérante d’informations sur sa naissance suffisait à considérer qu’il n’avait pas été porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée protégé par l’article 8 de la Convention.

En l’espèce, la Cour rappelle, en premier lieu, avoir déjà reconnu que les droits et intérêts en cause, ceux de deux adultes jouissant chacune de l’autonomie de sa volonté, étaient difficilement conciliables. En effet, d’un côté, accoucher dans le secret et lever ce dernier sont des actes strictement personnels, et il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’une telle levée pourrait avoir sur la vie privée de la mère de son vivant ou celle de son entourage. En ce qui concerne la mère biologique de la requérante, la Cour note qu’elle a accouché dans le secret en 1952, soit à une période où la législation ne prévoyait pas que la mère soit contactée pour exprimer sa volonté d’accepter ou de refuser de lever le secret de son identité. D’un autre côté, la douleur que peut causer le maintien du secret, alors même que l’enfant devenu adulte sait sa mère de naissance en vie, doit être prise au sérieux. Dans le cas de la requérante, la Cour souligne que la recherche de ses origines apparaît comme un élément fondamental de sa construction identitaire, qui s’accompagne de souffrances morales et psychiques.

La requérante soutient que la décision du CNAOP de lui opposer ce refus est de nature à créer une rupture de l’équilibre entre les deux droits et intérêts en présence et considère que la Cour a adopté une position dans ce sens dans un précédent arrêt. La Cour ne souscrit pas à un tel argument car il s’écarte de sa propre appréciation sur la question de savoir où se situe le point d’équilibre entre les droits et intérêts en jeu dans les affaires d’accouchement sous X.

La Cour rappelle avoir déjà jugé l’équilibre ménagé par les autorités internes juste et raisonnable aux motifs que la requérante pouvait s’adresser au CNAOP à peine créée pour tenter d’obtenir la réversibilité du secret et qu’elle avait pu avoir accès à des données non identifiantes sur sa mère biologique et sur sa famille. Si, dans sa jurisprudence, elle a considéré que tel n’était pas le cas dans la mesure où le droit italien n’offrait pas à la requérante de recours à une telle fin ni ne lui avait donné la possibilité d’obtenir des informations non identifiantes sur son histoire, la Cour n’a pas mis en cause la possibilité pour les États concernés de maintenir la faculté pour les femmes d’accoucher dans l’anonymat mais jugé nécessaire qu’ils organisent, en présence d’un tel système d’anonymat, une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, et de demander des informations non identifiantes sur ses origines.

Il en résulte que la Cour ne voit pas de raison de remettre en question le point d’équilibre entre les droits trouvé par les autorités internes en l’espèce. S’il est regrettable que l’accès aux origines ait pesé dans la balance en tant que « souhait légitime » et non comme un droit subjectif, à l’instar du droit d’accoucher sous X, la Cour n’entend pas tirer de conclusions de fond à partir de ce constat pour les raisons suivantes.

D’une part, le CNAOP a recueilli un certain nombre d’informations non identifiantes qu’il a transmises à la requérante et qui lui ont permis de comprendre les circonstances de sa naissance. Il a par ailleurs effectué des démarches auprès de sa mère biologique qui a été informée du dispositif d’accès aux origines personnelles et de la possibilité de toujours revenir sur sa décision en reprenant contact avec lui.

D’autre part, la requérante a ensuite bénéficié d’une procédure juridictionnelle devant les juridictions internes au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses arguments de manière contradictoire. De plus, en se référant au choix du législateur de ne pas autoriser une levée inconditionnelle du secret de l’identité, et en jugeant que les règles d’accès aux informations non identifiantes avaient permis de remplir la requérante du droit qu’elle tire de l’article 8 de la Convention, le Conseil d’État a justifié sa décision par la finalité poursuivie par la réforme législative de 2002, inchangée depuis lors, si ce n’est en faveur des personnes nées sous X, à savoir la réalisation d’un compromis entre les droits et intérêts en jeu par le biais d’une procédure de conciliation visant à faciliter l’accès aux origines sans pour autant renier l’expression de la volonté et du consentement de la mère.

La Cour ne sous-estime pas l’impact que le refus litigieux doit avoir eu sur la vie privée de la requérante. Toutefois, elle conclut que l’État n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation et que le juste équilibre entre le droit de la requérante de connaître ses origines et les droits et intérêts de sa mère biologique à maintenir son anonymat n’a pas été rompu.

Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Sources :
Rédaction
Plan
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