Fiscalité et discrimination fondée sur la religion

Publié le 05/04/2022

Le législateur de la Région de Bruxelles-Capitale ayant modifié le Code des impôts sur les revenus et réservé aux seules religions reconnues l’exonération du précompte immobilier concernant les immeubles affectés à l’exercice public d’un culte, les requérantes, neuf congrégations de Témoins de Jéhovah, n’appartenant pas à une religion reconnue, se virent privées de cette exonération dont elles bénéficiaient jusqu’alors. Elles introduisirent un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle, qui fut rejeté.

La Cour rappelle que si la liberté de religion, telle qu’elle est garantie par l’article 9 de la Convention, relève d’abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de manifester sa religion

individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. En l’occurrence, il n’est pas contesté par les parties que les immeubles des requérantes concernés par l’imposition litigieuse sont affectés à l’exercice public d’un culte.

Par ailleurs, les associations démontrent que cette imposition n’est pas insignifiante et affecte considérablement le fonctionnement des requérantes en tant que communautés religieuses.

De surcroît, la Cour observe que les autorités nationales ont elles‑mêmes lié l’exonération de l’imposition litigieuse à l’exercice public d’un culte, considérant implicitement mais nécessairement qu’une telle exonération contribue à un exercice effectif de la liberté de religion au sens de l’article 9 de la Convention.

La Cour rappelle enfin que l’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 de la Convention dépasse la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir et s’applique également aux droits additionnels – pour autant qu’ils relèvent du champ d’application général de l’un des articles de la Convention – que l’État a volontairement décidé de protéger.

La Cour ne peut que constater que ni les critères de reconnaissance, ni la procédure au terme de laquelle un culte peut être reconnu par l’autorité fédérale, ne sont prévus par un texte satisfaisant aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité, lesquelles sont inhérentes à la notion de prééminence du droit qui gouverne l’ensemble des articles de la Convention.

Il en résulte notamment que l’examen d’une demande de reconnaissance ne s’accompagne d’aucune garantie, tant en ce qui concerne l’adoption même de la décision statuant sur pareille demande qu’en ce qui concerne le processus précédant cette décision et le recours qui pourrait, le cas échéant, être exercé ultérieurement contre celle‑ci. La Cour observe notamment, à la suite des requérantes, qu’aucun délai ne régit cette procédure de reconnaissance. Elle note à cet égard, sur la base des observations du Gouvernement, qu’aucune décision n’a été prise à ce jour concernant les demandes de reconnaissance introduites par l’Union bouddhique belge et par le Forum hindou de Belgique, respectivement en 2006 et en 2013.

Enfin, la Cour relève que l’octroi de la reconnaissance est subordonné à la seule initiative du ministre de la Justice et dépend ensuite de la volonté purement discrétionnaire du législateur. Or, pareil régime comprend intrinsèquement un risque d’arbitraire et on ne pourrait raisonnablement attendre de communautés religieuses qu’en vue de bénéficier de l’exonération fiscale litigieuse, elles se soumettent à un processus qui ne repose pas sur des garanties minimales d’équité, ni ne garantit une appréciation objective de leur demande.

En conclusion, dès lors que l’exonération fiscale litigieuse est subordonnée à une reconnaissance préalable dont le régime n’offre pas de garanties suffisantes contre des traitements discriminatoires, la différence de traitement dont les requérantes font l’objet manque de justification objective et raisonnable.

Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 9 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

Sources :
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