La protection de la liberté de religion en détention par la Cour européenne des droits de l’Homme

Publié le 11/05/2021

Les détenus doivent pouvoir jouir de leur liberté de religion dans les limites quimpose leur incarcération. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de lHomme apporte un éclairage utile sur les limites de certaines de ces manifestations, comme en matière de prescriptions alimentaires, ainsi que sur les obligations positives des États pour favoriser leur exercice. Tout est affaire de subtil équilibre entre l’effectivité de cette liberté et la charge imposée aux États sur qui la Cour n’entend pas faire peser un fardeau insupportable.

L’incarcération s’accompagne logiquement d’une réduction de jouissance de certaines des libertés garanties par la convention européenne des droits de l’Homme. La Cour européenne ne s’en montre pas moins très soucieuse de préserver l’humanité des détenus. Selon elle, « les obligations des États contractants prennent une dimension particulière à l’égard des personnes détenues, celles-ci se trouvant entièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de les protéger »1. Dans ce contexte, l’exercice de la foi religieuse peut être un élément stabilisant primordial pour le psychisme des détenus. Le détenu doit conserver le bénéfice de sa liberté de religion, dans des conditions néanmoins plus contraignantes que les personnes en liberté, et pèsent sur les administrations pénitentiaires des obligations positives pour rendre cette jouissance aussi effective que possible. La liberté de religion est une liberté complexe « à tiroirs » ; si elle « relève d’abord du for intérieur, elle “implique” de surcroît, notamment, pouvoir “manifester sa religion” »2. L’arrêt met ainsi en évidence les deux facettes de la liberté de religion qui concerne le for interne et le for externe. Le for interne ne pose guère de difficultés, la Cour se refusant en général de pénétrer dans le secret des consciences. Toutefois, comme les manifestations peuvent dépendre du degré de sérieux de ces croyances, le milieu carcéral impose de ce point de vue quelques vérifications (I). Pour ce qui est du for externe, les manifestations de la foi s’avèrent plus difficiles en détention compte tenu des contraintes spatiales et de sécurité. Les revendications des détenus se focalisent sur l’assistance spirituelle, la participation au culte (II) et sur l’obligation de respecter des rites ou pratiques variés (III).

I – Le contrôle a minima de la réalité de l’attachement à la religion revendiquée et des manifestations associées

La Cour applique un principe de confiance légitime à l’égard des convictions affichées et impose aux autorités étatiques un « devoir de neutralité et d’impartialité […] incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation […] quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci »3. Le principe est que « sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la convention exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci »4. Il faut considérer que le milieu carcéral fait partie de ces cas très exceptionnels où les autorités étatiques peuvent être plus intrusives dans la revendication d’une religion dont la reconnaissance peut donner accès à la possibilité de se livrer à des manifestations énoncées par l’article 9, § 1, de la convention. D’ailleurs, le contexte de la détention est le seul qui ait amené un organe de la convention, en l’occurrence l’ancienne Commission, à affirmer que les « facilités » accordées en milieu carcéral « ne se conçoivent que si la religion à laquelle le détenu prétend adhérer est identifiable », ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le requérant n’ayant « exposé aucun fait permettant d’établir l’existence d’une religion Wicca »5 ni d’un prétendu « adorateur de la lumière » (« Lichtanbeter ») qui « n’expliquait ni en quoi consisterait la pratique de sa religion ni comment les autorités auraient entravé cette pratique »6. La Cour a pu sembler trop peu compréhensive à l’égard d’un détenu qui contestait son inscription automatique au registre de la prison comme chrétien orthodoxe alors qu’il se déclarait, il est vrai plusieurs années après son incarcération, adepte de la religion juive. Pour déclarer son recours irrecevable elle juge cette demande « abstraite et théorique dans la mesure où il n’allègue pas que l’administration pénitentiaire ait limité, d’une manière quelconque, la possibilité de manifester concrètement sa religion »7. Face à une demande purement administrative, la Cour s’attache plus aux conséquences avérées sur les diverses manifestations liées à la religion invoquées. Tout en maintenant ce principe, elle protège maintenant mieux cet aspect essentiel de la liberté de religion que constitue le droit d’en changer pendant sa détention, générant ainsi de nouvelles obligations positives si cette conversion doit s’accompagner de facilités au regard des manifestations de la croyance nouvelle8. Dans le cadre de la revendication d’appartenance à une religion connue, la Commission et la Cour n’hésitent pas à s’appuyer sur les avis d’autorités ecclésiales pour vérifier le bien-fondé de l’accès à la manifestation revendiquée. Ainsi, par exemple, la Commission observe-t-elle que « le Grand rabbin a été également consulté et a approuvé les efforts des autorités » au regard des exigences d’un détenu de confession juive9 ; la Cour, de son côté, s’appuie sur les informations prodiguées par des membres de la congrégation des adeptes de Vishnou de Riga pour établir que des bâtonnets d’encens, qui ont été confisqués à un détenu adepte de Vishnou, ne sont pas des ustensiles essentiels pour manifester sa religion en toutes circonstances10 ; elle tient également compte de l’approbation par une fondation religieuse juive concernant les facilités accordées à certains détenus pour se confectionner eux-mêmes des repas cacher sur place11. Ces avis ne peuvent à eux seuls être déterminants dans le cadre du contrôle de proportionnalité de l’ingérence. Les juridictions nationales ne doivent pas s’y tromper. Ainsi par exemple, un juge national ayant rejeté la plainte d’un détenu réclamant un menu végétarien respectueux de ses convictions bouddhistes au motif que « les autorités pénitentiaires avaient contacté une organisation bouddhiste pour recueillir plus d’informations sur leur rites alimentaires »12 n’empêche pas un constat de violation de l’article 9. En revanche, l’absence d’une telle démarche pèse dans la balance des intérêts pris en compte pour déterminer si l’État a satisfait à ses obligations positives13.

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II – La protection renforcée de l’accès des détenus aux services d’aumônerie

Le culte est la manifestation collective par excellence de la liberté de religion. En dehors du culte proprement dit, les aumôniers assistent spirituellement les détenus en leur prodiguant conseils et réconfort. Si la participation physique à un service religieux collectif peut poser un problème dans le milieu carcéral du point de vue du maintien de l’ordre et de la sécurité, l’assistance pastorale, personnelle et individuelle apparaît comme une obligation positive minimale imposée aux autorités pénitentiaires.

1. Les détenus sont nombreux à prétendre accéder à un lieu de culte qui leur permette de communier avec leurs coreligionnaires14. Récemment, un requérant contestait devant la Cour le refus de l’autorité judiciaire de lui accorder le droit de quitter le lieu de son assignation à résidence pour se rendre à la messe. La Cour souligne le paradoxe selon lequel, si le requérant était resté « en détention provisoire, il aurait selon toute probabilité pu profiter des offices religieux organisés sur son lieu de détention ». Mais ce qui est déterminant c’est que « la demande du requérant […] était formulée en des termes généraux et portait sur de longues périodes de chaque dimanche, sans préciser ni le lieu ni l’église où il comptait se rendre », ce qui permet de constater que la liberté de religion n’a pas été atteinte « dans sa substance »15. La mauvaise volonté du requérant joue en sa défaveur. Ainsi lorsque « de l’aide et de l’accompagnement ont été offerts au requérant (paraplégique) pour se rendre aux lieux de culte, mais que celui-ci a refusé » et qu’il recevait la visite de l’aumônier dans sa cellule, il n’y a aucune apparence de violation de la convention et la requête est jugée mal fondée et irrecevable16. L’État ne peut se voir imposer non plus la charge de doter chaque prison d’autant de lieux de culte qu’il y a de religions susceptibles d’être pratiquées par leurs pensionnaires. Mais il doit alors veiller à fournir des mesures de substitution ou complémentaires satisfaisantes17.

2. Lorsque la demande apparaît plus sérieuse, le refus de participer à des services religieux constitue une ingérence dans la liberté de religion du détenu18. Mais l’ingérence doit, selon l’article 9, § 2, être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique, soit proportionnée au but poursuivi. En l’absence de dispositions législatives adaptées la violation peut être constatée19. Inversement, lorsque le refus de se rendre à la chapelle de la prison est contraire aux dispositions même du droit national sans qu’aucune justification à cette exception ne soit avancée à l’égard de ce requérant en détention provisoire, la Cour relève d’office une violation de la convention20.

3. Cet obstacle franchi, compte tenu du contexte de la détention, c’est le but légitime de l’ordre qui va peser lourd dans la balance. Ainsi, pour la Commission, « le détenu sanctionné d’une peine de mise en cellule de punition doit être totalement isolé des autres détenus pendant la durée de sa peine (et) ce serait aller à l’encontre de cet objectif que de permettre au requérant de communiquer avec les autres détenus pendant le culte collectif »21. On peut penser que la durée limitée du placement à l’isolement ne rompt pas l’équilibre dans le cadre du contrôle de proportionnalité et que, même si la Commission avait poussé plus avant son contrôle, elle n’aurait pas forcément dressé un constat de violation. Il est dommage qu’elle ne l’ait pas fait car il n’y a pas d’autres décisions sur cette question des détenus placés à l’isolement. En revanche, pour des régimes restrictifs installés dans la durée, des mesures alternatives devraient pouvoir être proposées, notamment suivre le culte depuis sa cellule disposant d’un poste de télévision22.

III – La satisfaction aléatoire des demandes concernant des rites et pratiques variées

Les manifestations de la liberté de religion sont diverses. Si certaines revendications semblent farfelues, d’autres semblent plus sérieuses mais demeurent insatisfaites tandis que certaines sont devenues, sous conditions, de véritables sources d’obligations positives.

1. Parmi les revendications farfelues, pêle-mêle, sont déclarés irrecevables les requêtes concernant le refus opposé à un détenu bouddhiste d’envoyer des articles destinés à être publiés dans une revue bouddhiste, l’intéressé n’ayant pas montré en quoi la pratique de sa religion exigeait ou impliquait la publication de tels articles23, la contestation de sanctions disciplinaires infligées pour avoir refusé, en tant que sikh ne reconnaissant aucune autorité entre lui-même et Dieu, de porter l’uniforme pénitentiaire et de nettoyer sa cellule24 ou de sanctions résultant du refus de travailler dans une imprimerie au motif qu’en tant qu’adepte du véganisme, il lui était moralement inacceptable de travailler avec des produits prétendument testés sur des animaux (en l’espèce, des colorants)25.

2. Parmi les revendications insatisfaites pour des motifs liés au maintien de l’ordre et de la sécurité en détention il est légitime et proportionné de refuser de rendre à un détenu bouddhiste son chapelet mis en dépôt au moment de son incarcération26, de saisir un livre à caractère philosophique et religieux commandé par un détenu de religion taoïste, au motif que ce livre contenait un chapitre illustré consacré aux arts martiaux27 ou encore de refuser d’accorder à un adepte de Hare Krishna, un local à part pour y lire, prier, méditer et accomplir des rituels religieux, ainsi que la confiscation de ses bâtonnets d’encens, cette dernière mesure étant motivée par la nécessité de respecter les droits des codétenus28. Le surpeuplement carcéral oblige à de telles restrictions pour protéger l’ordre et les droits d’autrui et on peut admettre que les autorités établissent une liste des objets que chaque détenu est autorisé à posséder29. Dans la même logique la confiscation de cassettes religieuses et d’un lecteur de cassettes qui ne sont pas nécessaires pour manifester sa religion ne violent pas l’article 9, tant que le détenu a la possibilité d’écouter ces enregistrements dans la bibliothèque de la prison30.

Il faut aussi considérer le droit pour les détenus, afin d’assurer la pleine jouissance de leur liberté de religion, de changer de religion. Cet aspect essentiel de la liberté de religion, rattaché au for interne mais dépendant souvent d’interférences avec le for externe (enseignement par exemple), revêt un caractère absolu consubstantiel à la liberté de religion et donc insusceptible de dérogations au titre du § 2 de l’article 9. Dans l’arrêt de principe Kokkinakis, la Cour met l’accent sur les interactions qui peuvent exister entre les individus professant des croyances différentes. Cette interaction étant difficile à réaliser en détention il faut veiller à préserver ce droit à l’initiative du seul détenu lui-même. Cela peut passer par l’accès à des informations sur d’autres croyances et la Cour vient de consacrer le droit des détenus de changer de religion durant leur incarcération31. Si les autorités pénitentiaires peuvent à cette occasion exercer un contrôle sur le caractère sérieux de cette conversion, notamment au regard des manifestations par le détenu de sa nouvelle religion, une législation qui réclame un acte officiel d’une autorité religieuse corroborant l’adhésion à la nouvelle religion apparaît trop formaliste et « dépasse le niveau de justification qui peut être exigé concernant une croyance authentique »32. La question de la pilosité en prison fait aussi débat. En 1965, la Commission déclarait irrecevable la requête d’un détenu bouddhiste en estimant justifié au regard de la protection de l’ordre public, notamment de la « nécessité de pouvoir identifier facilement le requérant », le « refus de (lui) donner l’autorisation de se laisser pousser une barbiche »33. Or récemment, la Cour a constaté que l’interdiction absolue faite aux détenus de laisser pousser une barbe était constitutive d’une violation de l’article 8 de la convention protégeant la vie privée34. La Cour se déclare peu éclairée par le gouvernement sur le motif de cet interdit au regard des buts légitimes visés à l’article 8, § 235, et considère que cette interdiction absolue, indépendamment de toute considération hygiénique, esthétique ou autre, n’était pas proportionnée36. Surtout elle souligne que la décision du requérant de laisser pousser sa barbe ou pas est l’expression de son « identité personnelle » protégée par la convention qui ne pourrait être entravée que par la démonstration par l’État d’un besoin social impérieux37. Un tel raisonnement doit aussi s’appliquer au détenu revendiquant le port de la barbe pour des motifs religieux. Seul un besoin social impérieux, comme lutter contre la radicalisation en prison, pourrait justifier une telle interdiction38.

3. Dès 1976, la Commission a été confrontée aux revendications liées au respect de prescriptions alimentaires, un détenu juif orthodoxe s’étant plaint de ce que les autorités ne respectaient pas les prescriptions diététiques de la religion juive. La Commission rejette sa requête, constatant que « le requérant s’est vu offrir un régime Kosher » et que « les autorités ont fait leur possible pour respecter » ses convictions39. On trouve déjà ce critère fondamental d’une obligation positive raisonnée : les autorités doivent avoir « fait tout leur possible » impliquant que, sans vouloir faire peser une charge excessive sur l’État, la démonstration doit être faite de ses efforts pour respecter le plus possible les convictions du détenu. L’affaire Jakobski40, un prisonnier adhérant strictement aux règles diététiques du bouddhisme mahāyāna qui proscrit la viande, apparaît comme une synthèse des obligations de l’État dans ce domaine. La Cour confirme le principe de la confiance légitime dans la revendication du requérant. Au gouvernement qui soutenait que le mouvement mahāyāna encourage le végétarisme sans le rendre obligatoire, la Cour oppose sa motivation traditionnelle selon laquelle il n’appartient pas à l’État d’apprécier la légitimité des croyances dès lors que celles-ci atteignent un certain « degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance ». Après avoir rappelé qu’elle a déjà jugé que les régimes alimentaires peuvent être considérés comme l’expression directe des croyances, elle conclut que « la décision du requérant d’adhérer au régime végétarien peut être considérée comme motivée ou inspirée par sa religion et n’est pas déraisonnable »41. Ce constat amène la Cour à contrôler les obligations positives qui obligent l’État à prendre « les mesures raisonnables et appropriées » pour le respect des droits revendiqués42. La Cour n’entend pas imposer un fardeau insupportable à l’État, mais les intérêts des détenus et de l’institution doivent être soupesés. Selon l’arrêt, « si la Cour est disposée à admettre que prendre des dispositions spéciales pour un détenu peut avoir des incidences financières pour l’établissement pénitentiaire et donc indirectement sur la qualité du traitement des autres détenus, elle doit examiner si l’État a trouvé un juste équilibre entre les intérêts de l’établissement, des autres détenus et les intérêts particuliers du requérant »43. De ce point de vue la Cour souligne qu’il n’est pas nécessaire que ces repas « soient préparés, cuits ou servis d’une manière particulière et qu’aucun produit spécial n’est requis »44 ; pourtant aucune alternative n’a été offerte au détenu et la « Mission bouddhiste » n’a pas été consultée sur le régime approprié45. Invoquant le droit mou du Conseil de l’Europe en renfort de son argumentation46, la Cour conclut que, malgré la marge d’appréciation de l’État, un équilibre n’a pas été ménagé entre les divers intérêts en cause. Cette jurisprudence sera confirmée quelques années plus tard47. Dans cette affaire similaire (régime végétarien revendiqué par un détenu bouddhiste) la Cour souligne le caractère insuffisant de la seule alternative alimentaire offerte par la famille lors des visites ou par la poste48. Il en va de même pour un détenu musulman se contentant de réclamer des repas sans porc afin de satisfaire aux interdits alimentaires de sa religion49. En revanche, dès lors qu’une préparation spéciale est nécessaire, un détenu exigeant par exemple une nourriture kasher ou hallal, l’obligation positive devient plus lourde à assumer et la marge de l’État s’accroît logiquement. Ainsi, l’alimentation demandée par deux prisonniers de confession juive « consistait en des repas casher, qui devaient contenir des ingrédients spécifiques obtenus en suivant des règles très précises et qui devaient être préparés à part, dans des contenants et avec des ustensiles séparés, de manière spéciale et sous la supervision d’un représentant religieux »50, situation qui se démarque nettement des affaires Jakobski, Vartic et Neagu, puisque ces aménagements spécifiques peuvent « avoir des conséquences financières directes pour un établissement pénitentiaire, et donc se répercuter de manière indirecte sur la qualité du traitement des autres détenus »51. Dans ce cas, ne viole pas l’article 9 l’arrangement autorisant l’un de ces détenus « à se procurer par ses propres moyens les produits alimentaires conformes aux préceptes de sa religion »52, à les préparer dans « une cuisine séparée destinée à la confection des repas casher »53 avec l’accord d’une fondation religieuse juive à la réserve toutefois que cette solution ne lui impose pas « une charge qu’il ne serait pas en mesure d’assumer pour des raisons financières objectives »54.

En conclusion. Le respect de la liberté de religion des détenus selon la jurisprudence de la Cour européenne reprend de larges pans de sa jurisprudence classique sur la liberté de religion en les adaptant au contexte pénitentiaire. Respectueuse des convictions des détenus elle veille néanmoins, dans le cadre des obligations positives mises à la charge des États, à ne pas leur imposer une charge trop lourde. La vulnérabilité des personnes placées en détention ne semble pas être un critère déterminant dans le contrôle de la Cour. Les revendications les plus sérieuses sont satisfaites autant que possible et les obligations positives de l’État, notamment en matière de régimes alimentaires, font l’objet d’une balance attentive de la Cour entre les intérêts en jeu.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CEDH, 22 déc. 2015, n° 68736/11, Lykova c/Russie, § 114.
  • 2.
    CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c/Grèce, § 31, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (GACEDH), n° 54.
  • 3.
    Parmi beaucoup CEDH, GC, 26 oct. 2000, Hassan et Tchaouch c/Bulgarie, § 123 ; GC, 10 nov. 2005, Leyla Sahin c/Turquie, § 107 : AJDA 2006, p. 315, note G. Gonzalez – GC, 1er juill. 2014, SAS c/France, § 127, RTDH 2015, p. 219-233, obs. G. Gonzalez et G. Haarsher.
  • 4.
    CEDH, 8 avr. 2014, Magyar Keresztény Mennonita Egyház and Others c/Hongrie, § 76.
  • 5.
    Commission, déc., 4 oct. 1977, n° 7291/75, X c/Royaume-Uni.
  • 6.
    Commission, déc., 1er avr. 1970, n° 4445/70, X c/RFA.
  • 7.
    CEDH, déc., 22 oct. 2020, n° 58208/14, Mariș c/Roumanie.
  • 8.
    CEDH, 10 nov. 2020, Neagu c/Roumanie.
  • 9.
    Commission, déc., 5 mars 1976, n° 5947/72, X c/Royaume-Uni.
  • 10.
    CEDH, déc., 31 janv. 2012, n° 35021/05, Gatis Kovaļkovs c/Lettonie, § 68.
  • 11.
    CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c/Roumanie, § 39.
  • 12.
    CEDH, 17 déc. 2013, Vartic c/Roumanie, § 47.
  • 13.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne, § 52.
  • 14.
    Revendication formulée pour la première fois et acceptée dans son principe dans CEDH, 6 nov. 1980, Guzzardi c/Italie (assigné à résidence sur une île le requérant n’a jamais formulé cette demande aux autorités et ne peut donc se prétendre victime de la violation d’un droit qu’il n’a pas revendiqué).
  • 15.
    CEDH, 5 janv. 2016, Süveges c/Hongrie, § 153-154.
  • 16.
    CEDH, 24 oct. 2006, Vincent c/France.
  • 17.
    Par ex. Commission, déc., 16 déc. 1966, n° 241365, X. c/Allemagne : l’impossibilité, pour un Britannique détenu en Allemagne, de participer aux rites de l’Église anglicane est contrebalancée par l’accès au culte protestant et à des pasteurs protestants.
  • 18.
    CEDH, déc., 6 juill. 2000, n° 31143/96, Indelicato c/Italie ; CEDH, 29 avr. 2003, Poltoratski c/Ukraine, § 167 ; CEDH, 30 nov. 2006, Igor Dimitrijevs c/Lettonie, § 79.
  • 19.
    Igor Dimitrijevs c/Lettonie, § 79 ; Poltoratski c/Ukraine, § 168.
  • 20.
    CEDH, 2 mars 2017, Moroz c/Ukraine, § 107.
  • 21.
    Commission, déc., 10 oct. 1986, P. c/France.
  • 22.
    Commission, déc., 18 mai 1998, n° 26161/95, Natoli c/Italie ; CEDH, déc., 6 juill. 2000, n° 31143/96, Indelicato c/Italie.
  • 23.
    Commission, déc., 20 déc. 1974, n° 5442/72, X. c/Royaume-Uni.
  • 24.
    Commission, déc., 6 mars 1982, n° 8231/78, X. c/Royaume-Uni.
  • 25.
    Commission, déc., 10 févr. 1993, n° 18187/91, W. c/Royaume-Uni.
  • 26.
    Commission, déc., 15 févr. 1965, n° 1753/63, X. c/Autriche.
  • 27.
    Commission, déc., 18 mai 1976, n° 6886/75, X. c/Royaume-Uni.
  • 28.
    CEDH, déc., 31 janv. 2012, Gatis Kovaļkovs c/Lettonie.
  • 29.
    CEDH, 12 févr. 2013, Austrianu c/Roumanie, § 106.
  • 30.
    CEDH, 12 févr. 2013, Austrianu c/Roumanie, § 106. On peut néanmoins relever une contradiction dans la motivation de la Cour qui juge que ces objets ne sont pas nécessaires à la manifestation de la liberté de religion et qui relève ensuite la proportionnalité de la mesure en soulignant que l’écoute était possible par ailleurs.
  • 31.
    CEDH, 10 nov. 2020, Neagu c/Roumanie ; moins directement CEDH, 10 nov. 2020, Saran c/Roumanie.
  • 32.
    CEDH, 10 nov. 2020, Neagu c/Roumanie, § 39.
  • 33.
    Déc. 15 févr. 1965, X. c/Autriche préc.note 26.
  • 34.
    CEDH, 14 juin 2016, Biržietis c/Lithuanie (l’arrêt n’existe qu’en anglais).
  • 35.
    CEDH, 14 juin 2016, Biržietis c/Lithuanie, § 54.
  • 36.
    CEDH, 14 juin 2016, Biržietis c/Lithuanie, § 57.
  • 37.
    CEDH, 14 juin 2016, Biržietis c/Lithuanie, § 58
  • 38.
    La question du prosélytisme en prison n’a pas fait l’objet de jurisprudence devant la Cour. Elle s’est seulement prononcée en faveur de l’interdiction d’un prosélytisme par un patient dans l’hôpital psychiatrique où il était lui-même interné (CEDH, déc., 16 nov. 2000, n° 32526/96, J.L. c/Finlande). Dans un tel contexte, la vulnérabilité des patients semble peser plus lourd de ce point de vue qu’en détention, s’agissant des rapports entre les détenus eux-mêmes.
  • 39.
    Commission, déc., 5 mars 1976, n° 5947/72, X c/Royaume-Uni.
  • 40.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne (l’arrêt n’existe qu’en anglais – traduit par nous).
  • 41.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne, § 43-45.
  • 42.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne, § 46-47.
  • 43.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne, § 50.
  • 44.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne, § 52.
  • 45.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne.
  • 46.
    CEDH, 7 déc. 2010, Jakobski c/Pologne, § 53 – Recommandation du Comité des ministres (Rec 92006/2) sur les règles pénitentiaires européennes.
  • 47.
    CEDH, 17 déc. 2013, Vartic c/Roumanie, n° 2.
  • 48.
    CEDH, 17 déc. 2013, Vartic c/Roumanie, § 51. Comparer avec le « large échantillon » d’alternatives dans l’affaire Cha’are Shalom Ve Tsedek selon la Cour.
  • 49.
    CEDH, 10 nov. 2020, Neagu c/Roumanie, § 7.
  • 50.
    CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c/Roumanie, § 37.
  • 51.
    CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c/Roumanie, § 37.
  • 52.
    CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c/Roumanie, § 40.
  • 53.
    CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c/Roumanie, § 43.
  • 54.
    CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c/Roumanie, § 40 ; en l’espèce les requérants n’établissent pas avoir demandé aux « autorités pénitentiaires une demande précise et détaillée pour se voir rembourser les coûts des aliments qu’ils se sont procurés par leurs propres moyens » ni « s’être heurtés à un refus » (§ 42), encore moins avoir intenté une action civile en ce sens. La conventionnalité de la jurisprudence du Conseil d’État dans ce genre de situation semble établie (CE, 10 févr. 2016, n° 385929 :  Rec. 2016, p. 27).