Le caractère civil de la procédure limite la violation de la correspondance électronique

Publié le 10/09/2021

La requérante est une ressortissante espagnole, épouse d’un ressortissant portugais avec lequel elle eut deux enfants. Le couple partagea son temps entre le Portugal et l’Espagne pour des raisons professionnelles puis, la vie conjugale du couple s’étant détériorée, la requérante décida de s’installer de façon définitive en Espagne avec ses enfants. Le mois suivant, elle demanda en Espagne l’adoption de mesures provisoires relativement à l’autorité parentale vis-à-vis des enfants dans la perspective de demander le divorce.

Le mari déposa une requête auprès du tribunal des affaires familiales de Lisbonne, réclamant le retour des enfants et la fixation provisoire de leur résidence au Portugal. Dans le dossier, il produisit des messages électroniques échangés entre la requérante et des correspondants masculins sur un site de rencontres occasionnelles, qu’il avait découverts sur l’ordinateur familial. Il y voyait une preuve que sa femme avait eu des relations extra-conjugales alors qu’ils étaient mariés, puis engagea une procédure de divorce au Portugal.

Invoquant l’article 8, la requérante se plaint du fait que les juges portugais n’aient pas sanctionné son mari pour avoir eu accès et produit les messages électroniques qu’elle avait échangés sur un site de rencontres dans la procédure qu’il avait engagée en vue de la répartition de l’autorité parentale et de la procédure de divorce.

Elle reconnaît que le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne n’a finalement pas tenu compte de ces messages et se plaint donc uniquement du fait que les juges n’aient pas sanctionné son mari pour les avoir divulgués. Elle estime qu’ils n’ont pas dûment mis en balance les intérêts qui étaient en jeu.

Étant donné que la présente affaire porte sur une ingérence faite dans la vie privée de la requérante, non par l’État, mais par une personne privée, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner les griefs de l’intéressée sous l’angle des obligations positives qui incombent à l’État en vertu de l’article 8 de la Convention. À la lumière de sa jurisprudence, elle considère qu’il s’agit ici de savoir, premièrement, si le cadre juridique existant a permis à la requérante de faire valoir son droit au respect de sa vie privée et, deuxièmement, si les juridictions saisies de sa cause ont dûment mis en balance les intérêts en jeu.

En ce qui concerne le cadre juridique, elle note que le fait d’accéder au contenu de lettres ou de télécommunications sans le consentement des correspondants et le fait de divulguer le contenu ainsi obtenu sont sanctionnés pénalement et constate que, faisant suite à la plainte pénale déposée par la requérante pour violation de sa correspondance, le parquet près le tribunal de Lisbonne a ouvert une enquête. Par ailleurs, à sa demande, la requérante a été autorisée à intervenir dans le cadre de la procédure pénale, ce qui lui a permis de jouer un rôle actif dans cette procédure. Elle a ainsi eu, notamment, la possibilité de présenter ses moyens de preuve, puis de demander l’ouverture d’une instruction lorsque le parquet a décidé de classer l’affaire sans suite. Par ailleurs, elle aurait pu introduire une demande d’indemnisation lorsqu’elle a sollicité l’ouverture de l’instruction, mais elle ne l’a pas fait. Elle a donc renoncé à cette possibilité, comme elle l’a d’ailleurs expressément indiqué dans son mémoire en appel devant la cour d’appel de Lisbonne. Autrement dit, elle a exprimé le souhait de voir se poursuivre la procédure pénale ouverte pour violation de sa correspondance dans le seul but d’obtenir la reconnaissance de l’atteinte qu’elle estimait avoir été portée à ses droits.

Ainsi, la Cour est d’avis que le cadre juridique existant au Portugal offrait une protection adéquate du droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance. Il reste donc à déterminer si les juridictions saisies ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts qui étaient en jeu.
S’agissant de l’accès aux messages électroniques de la requérante, la Cour note que la cour d’appel de Lisbonne a considéré que cette dernière avait donné à son mari un accès total à la messagerie qu’elle entretenait sur le site de rencontre et que, à partir de ce moment, ces messages faisaient partie de la vie privée du couple. Elle estime que le raisonnement tenu par les autorités internes quant à l’accès mutuel à la correspondance des conjoints est sujet à caution, d’autant que tout porte à croire en l’espèce que le consentement finalement donné par la requérante à son mari est apparu dans un contexte conflictuel. Cela dit, la conclusion à laquelle les juridictions internes ont abouti quant à l’accès même auxdits messages n’apparaît pas arbitraire au point de justifier que la Cour substitue sa propre appréciation à la leur.

En ce qui concerne spécifiquement le versement des messages électroniques dans le cadre des procédures de divorce et de répartition de la responsabilité parentale, la Cour partage l’avis de la cour d’appel quant à la pertinence des messages litigieux dans le cadre des procédures civiles en cause, qui allaient donner lieu à une appréciation de la situation personnelle des conjoints et de la famille. Elle rappelle, toutefois, que dans une telle situation, l’ingérence dans la vie privée qui découle de la production de pareils éléments doit se limiter, autant que faire se peut, au strict nécessaire.

Souscrivant à l’approche de la cour d’appel, elle estime de même que les effets de la divulgation des messages litigieux sur la vie privée de la requérante ont été limités. En effet, ces messages n’ont été divulgués que dans le cadre des procédures civiles. Or, l’accès du public aux dossiers de ce type de procédures est restreint. De plus, les messages n’ont pas été examinés concrètement, le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne n’ayant finalement pas statué sur le fond des demandes formulées par le mari.

La Cour ne voit donc pas de raison sérieuse qui justifierait en l’espèce qu’elle substitue son avis à celui des juridictions internes. D’une part, les autorités nationales ont mis en balance les intérêts en jeu en respectant les critères qu’elle a établis dans sa jurisprudence. D’autre part, dès lors que la requérante avait renoncé à toute prétention civile dans le cadre de la procédure pénale, seule restait à trancher la question de la responsabilité pénale du mari, question sur laquelle la Cour ne saurait statuer.

Sources :
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