Constitution de partie civile d’une association et complicité de crime contre l’humanité

Publié le 08/09/2021

Par l’intermédiaire d’une sous-filiale syrienne, une société française de matériaux de construction a maintenu en activité une cimenterie dans le nord de la Syrie pendant la guerre civile de 2011 jusqu’à son évacuation précipitée en 2014. Les combats sur le territoire et son occupation par des groupes armés, dont l’organisation État islamique, ont conduit les autres multinationales à quitter la Syrie dès 2012, époque à laquelle l’Union européenne a établi un embargo.
Selon des articles de presse parus en 2016, la poursuite de l’activité s’est accompagnée du recours à des intermédiaires pour négocier le versement de fonds aux factions armées ou commercer avec elles.

Une information est ouverte sur plainte du ministre des Finances pour infraction douanière en raison du caractère illicite des relations économiques entre la France et la Syrie.
Plusieurs associations et salariés syriens se constituent parties civiles pour dénoncer des faits de financement d’une entreprise terroriste, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, travail forcé et mise en danger de la vie d’autrui.

Selon le deuxième alinéa de l’article 2-9 du Code de procédure pénale, toute association régulièrement déclarée ayant pour objet statutaire la défense des victimes d’une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 du même code et regroupant plusieurs de ces victimes peut, si elle a été agréée à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne cette infraction lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.

Il résulte de ce texte qu’une association qui entend exercer les droits reconnus à la partie civile doit regrouper plusieurs des victimes d’une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 et ne peut intervenir qu’au titre de cette infraction.

L’éventuelle irrecevabilité de l’action civile portée devant le juge d’instruction conformément aux dispositions de l’article 85 du Code de procédure pénale ne saurait atteindre l’action publique, laquelle subsiste toute entière et prend sa source exclusivement dans les réquisitions du ministère public tendant après la communication prescrite par l’article 86 du même code à ce qu’il soit informé par le juge d’instruction. Il n’en irait autrement que si la plainte de la victime était nécessaire pour mettre l’action publique en mouvement.

Or, l’infraction de financement d’entreprise terroriste incriminée par l’article 421-2-2 du Code pénal n’est pas susceptible de provoquer directement un dommage.

Il en résulte que les victimes que l’association requérante regroupe ne peuvent être regardées comme ayant pu subir un préjudice direct à raison des faits de financement d’entreprise terroriste, seule infraction à caractère terroriste dont le juge d’instruction est saisi.

Aux termes du premier alinéa de l’article 121-7 du Code pénal, est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.

La question se pose de savoir si la complicité doit être définie différemment du droit commun lorsqu’est en cause le crime contre l’humanité.

Il résulte de l’article 212-1 du Code pénal que constituent un crime contre l’humanité, lorsqu’ils sont commis en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, notamment, l’atteinte volontaire à la vie, la réduction en esclavage, le transfert forcé de population, la torture, le viol, la prostitution forcée, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs notamment d’ordre religieux.

Le crime contre l’humanité est le plus grave des crimes car au-delà de l’attaque contre l’individu, qu’il transcende, c’est l’humanité qu’il vise et qu’il nie.

Sa caractérisation, qui doit porter sur chacun de ses éléments constitutifs, implique en conséquence, notamment, la démonstration de l’existence, en la personne de son auteur, du plan concerté défini par le texte précité, un tel crime ne se réduisant pas aux crimes de droit commun qu’il suppose.

En revanche, l’article 121-7 du Code pénal n’exige ni que le complice de crime contre l’humanité appartienne à l’organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu’il adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu’il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité.

Il suffit qu’il ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation.

Dès lors que l’article 121-7 du Code pénal ne distingue ni selon la nature de l’infraction principale, ni selon la qualité du complice, cette analyse a vocation à s’appliquer aux personnes morales comme aux personnes physiques.

En jugeant que le financement de l’EI par la société Lafarge était destiné à permettre la poursuite de l’activité de la cimenterie dans une zone en proie à la guerre civile puis contrôlée par l’EI, et qu’il ne peut être prétendu, quand bien même, dans ce contexte, la poursuite de l’activité de l’usine a manifestement exposé les salariés à un risque pour leur intégrité physique, voire leur vie, que ledit financement manifesterait l’intention de la société Lafarge de s’associer aux crimes contre l’humanité perpétrés par cette entité, alors qu’il se déduit de ses constatations, d’abord, que la société Lafarge a financé, via des filiales, les activités de l’EI à hauteur de plusieurs millions de dollars, ensuite, qu’elle avait une connaissance précise des agissements de cette organisation, susceptibles d’être constitutifs de crimes contre l’humanité, la chambre de l’instruction méconnaît les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

En effet, en premier lieu, le versement en connaissance de cause d’une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l’objet n’est que criminel suffit à caractériser la complicité par aide et assistance. Il n’importe, en second lieu, que le complice agisse en vue de la poursuite d’une activité commerciale, circonstance ressortissant au mobile et non à l’élément intentionnel.

Sources :
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