Les limites de la jurisprudence Uber posées par la chambre criminelle

Publié le 06/04/2022

Une société a pour activité de collecter puis de traiter, pour le compte de marques ou d’enseignes, des données commerciales recueillies par des particuliers appelés « clicwalkers » qui, à partir d’une application gratuite téléchargée sur leur téléphone, effectuent pour le compte de cette société des missions.

Celles-ci peuvent consister à fournir des informations sur leurs habitudes de consommation, à émettre un avis ou prendre des photographies sur les supports de communication des clients ou enfin à vérifier dans les magasins la présence, le prix et la visibilité des produits, les supports commerciaux ou la qualité des prestations de service des entreprises clientes de la société.

La participation de ces particuliers aux missions s’effectue sur la base du volontariat et ils perçoivent une gratification en points-cadeaux ou en numéraire versée après vérification par la société du respect des modalités de la mission.

Aux termes d’une enquête préliminaire, la société et sa présidente sont poursuivis du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, par défaut de déclaration nominative préalable à l’embauche, de déclarations sociales et fiscales et de remise de bulletins de paie et le tribunal correctionnel les relaxe au motif que les « clicwalkers » ne peuvent être considérés comme des salariés, décision dont le parquet fait appel.

Il se déduit des articles L. 8221-5 et L. 8224-1 du Code du travail que le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié suppose que soit établie l’existence d’un lien de subordination.

La Cour de cassation juge que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle.

En l’espèce, pour infirmer le jugement et caractériser notamment l’existence d’un lien de subordination entre la société prévenue et les « clicwalkers », l’arrêt de la cour d’appel de Douai énonce que les missions qui leur sont confiées ainsi que les consignes et directives pour les exécuter peuvent être très précises et que la société contrôle la bonne exécution de la prestation, afin de vérifier qu’elle correspond à la commande de son client.

Les juges relèvent encore que ce contrôle s’accompagne d’un pouvoir de sanction puisque si la mission est rejetée, celui qui l’a exécutée ne sera pas rémunéré et ses frais ne seront pas remboursés.

Ils constatent enfin que même si les conditions générales de la plate-forme ne le prévoient plus depuis 2014, la mauvaise exécution répétée des missions a entraîné la clôture du compte de certains utilisateurs en 2015.

Ils en déduisent que les utilisateurs de la plate-forme exécutent une prestation de travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné et qu’ainsi la qualification de contrat de travail doit être retenue.

Ainsi, la cour d’appel méconnaît les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

En effet, n’exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination le particulier qui accepte, par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique gérée par une société, d’exécuter des missions telles que décrites précédemment dès lors qu’il est libre d’abandonner en cours d’exécution les missions proposées, qu’il ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l’exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l’exécution de ses directives et d’en sanctionner les manquements, quand bien même la correcte exécution des missions est l’objet d’une vérification par la société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés, en cas d’exécution non conforme.

Sources :
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