« Il y aura moins de nouveaux arrivants au Royaume-Uni »
Depuis le 1er janvier dernier, le droit de l’Union européenne a cessé de s’appliquer au Royaume-Uni. La libre circulation des personnes n’existe plus et les formalités douanières et phytosanitaires ont été rétablies pour le transport de marchandises. Qu’en est-il pour les Français voulant s’expatrier au Royaume-Uni ? Christèle Biganzoli, fondatrice et directrice générale de Ritchee, un cabinet de gestion de patrimoine en ligne, fait le point sur la situation.
Actu-juridique : Pourquoi avez-vous fondé Ritchee ?
Christèle Biganzoli : J’ai épousé un Italien, avec qui j’ai eu 4 enfants. L’un d’entre eux a trois nationalités. J’ai moi-même été expatriée en Allemagne, en Grèce et aux États-Unis. Je connais ces sujets sur le bout des doigts. Depuis plus de 15 ans, mon associé Thierry Renard et moi-même conseillons les expatriés du monde entier. Mes enfants ont grandi, ceux de nos clients également, et je me suis rendu compte que la nouvelle génération d’adultes, très digitale, n’irait pas pousser la porte d’un cabinet. Je voulais toucher le plus de monde possible car c’est un sujet important. Imaginez : si vous perdez votre mari à Dubaï, c’est la Sharia (loi islamique) qui s’applique et l’épouse ne peut prétendre qu’à une infime partie du patrimoine du défunt, à hauteur d’un huitième seulement. On ne pouvait pas laisser ces situations exister. C’est pour cette raison que nous avons créé Ritchee. Selon le Quai d’Orsay, il y a plus d’1,8 million de Français expatriés dans le monde. Nous avons mis à leur disposition des solutions digitales gratuites pour faire le point sur leurs situations. Quelle que soit la taille de leur patrimoine, les expatriés partagent les mêmes problématiques. Le Royaume-Uni est le troisième pays d’expatriation choisi par les Français, après la Suisse et les États-Unis. Nous avons également des clients en Europe et au bout du monde : au Japon, en Chine, à Dubaï, etc. Nous sommes les seuls à proposer un accompagnement digital pour étudier la situation des Français expatriés à 360 degrés, en prenant en compte les aspects civils, fiscaux et patrimoniaux. Nous avons aujourd’hui dix salariés. Nous communiquons avec nos clients par visioconférence et nous avons créé pour cela notre propre outil pour échanger loin des oreilles de Google ou Microsoft.
AJ : Quels services propose votre plateforme Ritchee ?
C.B. : Ritchee est une plateforme de conseil patrimonial pour les Français de France et de l’étranger. Nous leur offrons un bilan patrimonial gratuit qui fait état des points critiques que peuvent notamment rencontrer les Français expatriés. Nous le faisons gratuitement car nous nous sommes rendus compte à l’occasion de conférences à l’étranger, à l’ONU et dans les ambassades, que les Français méconnaissaient ces aspects de l’expatriation. Ceux qui partent le font pour vivre une aventure, et n’ont pas envie de s’attarder sur les aspects négatifs. Pourtant, pour environ 1 000 €, vous pouvez vous assurer que la loi française règle définitivement la stabilité de votre mariage et de votre succession. Les complications existaient Outre-Manche avant le Brexit. S’y ajoutent désormais des complications fiscales et patrimoniales liées au fait que le Royaume-Uni, en sortant de l’Union européenne, est devenu un pays tiers.
AJ : Quels types de difficultés existent ?
C.B. : Prenons d’abord un exemple civil. Lorsque vous partez à l’étranger, se présente un risque d’instabilité de votre régime matrimonial. Si vous n’avez pas fait de contrat, et que vous partez vivre au Royaume-Uni, vous pouvez vous retrouver sous le régime de la séparation de biens alors que vous pensiez être marié sous le régime de la communauté. Si vous vous êtes mariés après 1992, votre régime matrimonial se transforme en effet automatiquement dès lors que vous êtes partis y vivre tout de suite après votre mariage ou que vous restez 10 ans dans le pays. Personne ne vous prévient, alors que les conséquences en cas de divorce peuvent être désastreuses.
Autre exemple, portant cette fois sur les successions : depuis 2015, un nouveau règlement européen sur les successions (Règl. (UE) n° 650/2012 du Parlement et du Conseil, 4 juil. 2012) s’applique à tous les Français résidant à l’étranger. Ils sont désormais soumis à la loi civile de leur pays de résidence. Il n’y a plus de réserve héréditaire pour les Français de Grande-Bretagne. Ils peuvent décéder en pensant que le conjoint transmettra aux enfants a minima la nue-propriété, alors que ces derniers peuvent être déshérités. Ces points sont issus de règlements européens et ne sont donc pas forcément connus.
AJ : Quel est l’impact du Brexit ?
C.B. : Au niveau fiscal, les impacts du Brexit vont être importants. Souvent, les Français laissent leur résidence principale en France et la louent. Ils bénéficiaient jusqu’à maintenant du statut privilégié des Européens sur les prélèvements sociaux avec un taux de prélèvements sociaux de 7,5 % sur les revenus fonciers. Dès lors que la Grande-Bretagne n’est plus en Europe et devient un pays tiers, le taux des prélèvements sociaux va s’établir à 17,2 %.
Une autre difficulté risque d’apparaître plus tard : lorsque vous êtes retraité en Europe, l’administration britannique avait l’obligation de tenir compte de vos années de retraite comptabilisées en France. Cela concerne nombre d’expatriés qui ont fait un bout de carrière en France. Avec le Brexit, il n’est pas du tout établi que cela va perdurer. Cela va être un vrai sujet pour les Français qui veulent prendre leur retraite au Royaume-Uni.
Le principe de l’Europe est la libre circulation des biens et des personnes. La Grande-Bretagne ayant quitté l’Union, des choses vont changer sur le plan patrimonial, notamment pour les expatriés détenant un plan d’épargne en actions (PEA). Aujourd’hui, vous ne pouvez pas ouvrir de PEA à l’étranger mais si vous en aviez ouvert un avant de partir, il vous suivait. Or celui-ci ne peut contenir que des valeurs européennes, les valeurs britanniques sont donc désormais interdites dans le PEA. Nous avons une problématique similaire sur les assurances-vie. Celles qui ont été ouvertes resteront actives, mais les personnes qui veulent en ouvrir une ne pourront plus le faire aussi facilement pour le moment. Les compagnies d’assurance doivent en effet réaliser une legal opinion, c’est-à-dire interroger les administrations françaises et britanniques sur la faisabilité du contrat et sur les modalités en cas de décès ou de rachat. Pour le moment, elles n’ont pas eu le temps de le faire et certaines compagnies au Royaume-Uni n’acceptent plus de Français comme souscripteurs. Pour l’assurance-vie, on peut néanmoins espérer que ces modalités s’assouplissent dans quelque temps.
AJ : Comment réagissent les Français résidant au Royaume-Uni ?
C.B. : De nombreux couples mixtes ont essayé d’avoir la double nationalité ces dernières années. En 2018, nous avons également constaté que des gens installés au Royaume-Uni depuis longtemps étaient rentrés en France par réaction au Brexit. Il s’agissait généralement de personnes installées en dehors de Londres, qui subissaient une forme de dénigrement : ils n’étaient plus considérés comme des expatriés mais comme des immigrants venus « prendre » le travail des Anglais. Il est difficile de quantifier ce phénomène. Un tiers des expatriés seulement sont inscrits sur les listes consulaires qui ouvrent le droit de vote aux Français de l’étranger. En 2014, il y avait environ 126 000 Français inscrits sur les listes du consulat Français d’Angleterre, pour une population estimée à 300 000 personnes. En 2017, ils étaient 144 000, et en 2020 plus de 148 000, avec une baisse de 2,35 % par rapport à 2019. Il n’y a donc pas d’effet Brexit visible. On s’attendait à ce que les Anglais viennent sur la place boursière parisienne, mais cela s’est peu vu. Le Royaume-Uni reste le pays des traders. Je pense que la situation des personnes déjà installées ne va pas nécessairement changer. Ceux qui sont partis pour un emploi ne vont pas le lâcher à cause du Brexit. En revanche, il devrait y avoir moins de nouveaux arrivants. Ne serait-ce que parce qu’ils vont être contraints par le visa. Les boîtes vont avoir du mal à les faire venir.
AJ : Quel est le profil des Français du Royaume-Uni ?
C.B. : La moyenne d’âge des Français du Royaume-Uni est située entre 25 et 40 ans. Ce sont beaucoup de startupers, entrepreneurs, ou des jeunes qui sont en quête d’opportunités et d’aventures et trouvent en Grande-Bretagne le moyen d’expérimenter une autre vie sans aller trop loin. Ces expatriations durent 5 ans et demi en moyenne.
Leur profil devrait changer à partir de maintenant. On s’attend à ce que l’effet Covid vienne freiner le désir d’expatriation. Le coût des soins de santé va être un autre obstacle, puisque la carte vitale européenne ne fonctionnera plus au Royaume-Uni. Les Français expatriés devront avoir un système de santé à la britannique et le prouver quand ils arriveront sur le territoire. Ils devront voyager avec un passeport et faire une demande de visa qui coûtera 390 € pour un étudiant. Les restaurateurs français installés en Grande-Bretagne vont avoir l’obligation de déclarer et payer des droits de douane pour importer du vin et de la nourriture française. Pour les particuliers, il en va de même si la valeur de l’envoi postal est supérieure à 150 € ou si vous voyagez avec une valeur de marchandise supérieure à 300 € (sauf en avion où le seuil est de 430 €). Finalement, voyager entre la France et la Grande-Bretagne va devenir plus complexe.
AJ : Sera-t-il facile d’obtenir un visa ?
C.B. : Le visa sera attribué essentiellement selon des critères de niveau d’études et/ou de niveau d’anglais et il faudra justifier auprès des autorités britanniques d’une proposition d’emploi avec un salaire de près de 23 000 € annuel. Le coût pour un visa de 3 ans ou plus est établi à £1 220 par personne soit plus de £5 000 pour une famille avec 3 enfants. En venant de France vous aurez une remise de £55. Et nous savons désormais que les titres de séjour et le document de circulation seront délivrés gratuitement par la France pour les Britanniques.
Les jeunes partant tenter l’aventure Outre-Manche ne seront sans doute pas acceptés facilement. Les échanges Erasmus ont d’ailleurs été supprimés. Cela montre le peu d’enthousiasme à l’idée d’accueillir un jeune français. Le Royaume-Uni n’est pas un pays particulièrement attractif au niveau fiscal et toutes ces difficultés vont sans doute freiner un peu les candidatures à l’expatriation. Je travaille également beaucoup avec le Japon, pays insulaire et je vois des similitudes entre ces deux pays. Il y a une puissante habitude de la vie en autarcie. La politique d’immigration par les « haut-potentiels » ne va pas pouvoir compenser le réel besoin de main-d’œuvre à terme, ce qui laisse espérer un assouplissement à venir.
Référence : AJU000v7