La délicate question de la TVA sur marge

Publié le 03/08/2021
TVA, taxes
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Le point sur le régime de la TVA sur marge et les opérations de cession de terrains à bâtir. Pour l’administration fiscale, la modification des caractéristiques d’un bien immobilier fait obstacle à l’application du régime de la TVA sur marge.

Les ventes d’immeubles soumises à la TVA relèvent d’une TVA calculée soit sur le prix de cession, soit sur la marge. L’article 268 du Code général des impôts (CGI) prévoit un régime de TVA sur la marge réalisée par le cédant lorsque l’acquisition initiale n’a pas ouvert de droit à déduction de TVA. Ce régime dit de la TVA sur marge s’applique de plein droit pour les cessions de terrains à bâtir et sur option sur les cessions d’immeubles achevés depuis plus de 5 ans. Cette règle correspond à la transposition en droit interne de l’article 392 de la directive communautaire du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, selon lequel les États membres peuvent choisir, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, que la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat. La France a fait ce choix. Cependant, le champ d’application de ce régime dérogatoire qu’est la TVA sur marge comporte des incertitudes. Et les difficultés se concentrent principalement sur les cessions de terrains à bâtir.

Une question ministérielle

En décembre dernier, dans le cadre d’une question ministérielle, le parlementaire Michel Vialay a appelé l’administration fiscale à clarifier le régime d’application de la TVA sur marge relative aux terrains bâtis (Question ministérielle, n° 35380 publiée au J0 du 29 décembre 2020, p. 9667). L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA et l’article 268 du CGI prévoient en effet que la TVA sur marge s’applique, lors de la revente d’un terrain initialement acquis auprès d’un particulier, non pas au prix de revente total, mais seulement à la partie du prix représentant les travaux de viabilisation réalisés en vue d’une revente à un promoteur, à un bailleur ou à une collectivité. Ces travaux de viabilisation réalisés avant revente constituent alors la seule valeur ajoutée taxable. Ces textes excluent expressément de l’assiette de la TVA la fraction du prix de revente représentant l’acquisition faite initialement auprès d’un particulier pour la raison simple qu’elle n’entrait pas dans la chaîne de la TVA.

« Or lorsqu’un bâti est démoli dans le cadre de la viabilisation, la doctrine fiscale française décide de réinclure le prix d’acquisition initiale. Cette condition relative au bâti ne résulte d’aucun texte. Elle a été créée par l’administration fiscale », souligne le parlementaire. « Cette position qui est contraire aux textes européens et au Code général des impôts alourdit la fiscalité de l’aménagement des territoires et pénalise tout particulièrement les opérations de recyclage urbain. Elle entraîne simultanément une importante perte de ressources pour les collectivités, privées de la quasi-totalité des droits de mutation à titre onéreux », ajoute-t-il. Le législateur, pour déterminer le périmètre afférent à chacun de ces deux modes de calcul, a opté pour un critère unique, relatif au régime fiscal appliqué lors de l’acquisition initiale des biens. Un mécanisme supposé permettre une large application de la TVA sur marge pour les ventes de terrains à bâtir intervenant dans le cadre d’opérations d’aménagement.

La position de Bercy

Dans sa doctrine, l’administration fiscale a ajouté une condition d’identité pour l’application du régime de la TVA sur marge, exigeant que la qualification juridique et physique des biens n’ait pas été modifiée entre leur acquisition et leur revente. Au regard de cette doctrine, lorsque des parcelles bâties sont transformées après démolition, en terrains à bâtir, la cession de ces terrains relève de la TVA établie sur le prix total de vente. La doctrine de l’administration fiscale a été réaffirmée en 2016 dans le cadre de plusieurs réponses ministérielles (Rép. min. n° 94061 : JOAN, 30 août 2016, De la Raudière L. ; Rép. min. n° 91143 : JOAN, 30 août 2016, Carré O. ; Rép. min. n° 96679 : JOAN, 20 sept. 2016, Bussereau D., ; Rép. min. n° 94538 : JOAN, 20 sept. 2016, Savary G.).

En 2018, une nouvelle réponse ministérielle a assoupli cette position de l’administration fiscale en se limitant à exiger le seul critère d’identité juridique du bien, abandonnant donc le critère d’identité physique (Rép. min. n° 04171 : JO Sénat, 17 mai 2018, Vogel).

En 2019, une autre réponse ministérielle a rappelé que pour l’administration fiscale, la transformation d’un terrain bâti en terrain à bâtir, rend impossible l’application du régime d’exception de la TVA sur marge (Rép. min. n° 01835 : JOAN, 24 sept. 2019, Folarni O.).

Une question préjudicielle

Le sujet est suffisamment d’importance pour faire l’objet d’une question préjudicielle. Dans un schéma concernant une opération d’achat et de revente de biens immobiliers avec des terrains nus revendus après division parcellaire et travaux de viabilisation, le Conseil d’État a sursis à statuer et saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant l’interprétation des dispositions de l’article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA (CE, 25 juin 2020, n° 416727, SAS Icade Promotion Logement). Plus particulièrement, la question portait sur la notion de terrain à bâtir dans les deux cas suivants : lorsque des terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir et lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications).

La jurisprudence Promialp

Précisons que dans un schéma un peu différent mais concernant toujours une opération d’achat et revente de biens immobiliers, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions d’application de la TVA sur marge dans le cadre d’opérations de cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti (CE, 27 mars 2020, n° 428234, Promialp). Cette décision prise en matière d’opérations de densification réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs, a confirmé la position de l’administration fiscale relative à l’application du régime de la TVA sur marge. Dans ces opérations, le contribuable, après avoir acquis un terrain bâti et démoli l’immeuble qui s’y trouvait, revend en plusieurs lots le terrain (CE, 27 mars 2020, n° 428234). Prenant le contre-pied de la jurisprudence des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel qui s’étaient prononcés unanimement sur ce sujet, le Conseil d’État s’est rangé du côté de l’administration fiscale pour décider que le régime de la TVA sur marge est inapplicable dans ces espèces, au motif que ce type d’opérations transforme le terrain bâti en terrain à bâtir, rendant impossible l’application du régime d’exception de la TVA sur marge. Cet arrêt entérine la position de Bercy pour qui ce régime ne peut s’appliquer que s’il existe une identité entre le bien acquis et le bien revendu. Le changement de qualification fait donc échec à l’application du régime de la TVA sur marge. Depuis, le juge administratif a confirmé cette jurisprudence (CE, 1er juillet 2020, n° 431641, SARL RGMB).

La position actuelle de Bercy

La réponse ministérielle rappelle que la mise en œuvre de ce régime dérogatoire de taxation suppose que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à sa qualification juridique, une condition confirmée par la jurisprudence Promialp. Pour l’administration fiscale, la mesure qui conduirait notamment à appliquer le régime de la marge lorsqu’un opérateur acquiert un immeuble bâti, puis procède à sa destruction avant de le revendre en tant que terrain à bâtir, serait critiquable sur le plan de sa conformité au droit de l’Union européenne régissant la TVA. « En tout état de cause, étendre le régime de taxation sur marge à des opérations immobilières qui n’y sont pas éligibles entraînerait une érosion substantielle de l’assiette de la TVA et, par voie de conséquence, une perte de recettes pour l’État », précise Bercy.

Il est également précisé que dans le cadre de la question préjudicielle C-299/20, posée dans l’affaire Icade, la Cour aura ainsi à se prononcer sur la nécessité d’une identité juridique ou matérielle entre le bien acquis et le bien revendu pour l’application du régime de taxation sur la marge. « En tout état de cause, comme l’interprétation que la Cour formulera s’imposera à tous les États membres qui ont recours au dispositif de l’article 392 de la directive TVA, il n’est pas envisagé de faire évoluer le dispositif de taxation sur la marge des opérations immobilières dans l’intervalle », conclut Bercy, bottant en touche.

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